Le pire n'est jamais sûr, mais il y a de fortes chances pour qu'une grande partie des riches ressortissants étrangers, qui vont se voir imposer sur leurs revenus, pourtant acquis à l'étranger, au lieu de l'être sur leurs dépenses en Suisse, quittent ce canton inhospitalier, dont les électeurs ont cédé à l'envie, péché capital, sans en mesurer toutes les conséquences. Car les riches ont toujours les moyens d'échapper à l'envie populaire en se réfugiant sous des cieux plus paradisiaques, fiscalement parlant. S'ils sont venus c'est bien pour échapper à des Etats gloutons dont les impôts sont confiscatoires. Ils peuvent tout aussi bien repartir.
Cette envie à l'égard de riches étrangers s'exprime par l'argument principal employé par les initiants : le forfait fiscal serait "un privilège fiscal injuste". Or, ledit forfait fiscal profite tout autant au canton qui le pratique qu'au contribuable qui en bénéficie : c'est autant de moins à faire payer aux autres, sans parler des dépenses que ces riches ressortissants font et qui bénéficient à tout le monde. Il y a ce qu'on voit : ce sont des riches. Il y a ce qu'on ne voit pas : ils font profiter leur terre d'accueil de leurs richesses.
Comme le dit Philippe Barraud le 12 février ( ici ), la chasse aux riches est ouverte. Parlant des initiatives que l'extrême-gauche rose-verte et les socialistes s'apprêtent à lancer maintenant dans d'autres cantons et au niveau fédéral, il remarque que "le plus désolant dans ces initiatives, c'est ce côté chasse aux riches, aux riches étrangers plus précisément, qui transpire la frustration et l'envie, la haine de classes, la xénophobie sélective".
A ce stade il semble bon de rappeler ce que sont au juste ces forfaits fiscaux qui sont tout bénéfice pour les cantons qui les pratiquent et pour les peuples qui les habitent, soulagés d'autant d'une charge fiscale non négligeable. Le forfait fiscal, comme son nom ne l'indique pas, est en réalité un impôt d'après la dépense, défini par l'article 14 de la loi sur l'impôt fédéral direct ( ici ) :
Imposition d’après la dépense
1
Les personnes physiques qui, pour la première fois ou après une absence d’au
moins dix ans, prennent domicile ou séjournent en Suisse au regard du droit fiscal,
sans y exercer d’activité lucrative, ont le droit, jusqu’à la fin de la période fiscale en
cours, de payer un impôt calculé sur la dépense au lieu des impôts sur le revenu.
2
Lorsque ces personnes ne sont pas des ressortissants suisses, le droit de payer l’impôt
calculé sur la dépense est accordé au-delà de cette limite.
3
L’impôt est calculé sur la base de la dépense du contribuable et de sa famille et il
est perçu d’après le barème de l’impôt ordinaire (art. 36). Il ne doit toutefois pas être
inférieur aux impôts calculés d’après le barème ordinaire sur l’ensemble des éléments
bruts suivants:
a. les revenus provenant de la fortune immobilière sise en Suisse;
b. les revenus provenant des objets mobiliers se trouvant en Suisse;
c. les revenus des capitaux mobiliers placés en Suisse, y compris les créances
garanties par gage immobilier;
d. les revenus provenant de droits d’auteur, de brevets et d’autres droits semblables
exploités en Suisse;
e. les retraites, rentes et pensions de source suisse;
f. les revenus pour lesquels le contribuable requiert un dégrèvement partiel ou
total d’impôts étrangers en application d’une convention conclue par la
Suisse en vue d’éviter les doubles impositions.
4
Le Conseil fédéral édicte les dispositions nécessaires à la perception de l’impôt
calculé sur la dépense. Il peut arrêter des bases d’imposition et un mode de calcul de
l’impôt dérogeant à l’al. 3 si cela est nécessaire pour permettre aux contribuables
mentionnés aux al. 1 et 2 d’obtenir le dégrèvement des impôts d’un Etat étranger
avec lequel la Suisse a conclu une convention en vue d’éviter les doubles impositions
Comme on le voit, pour en bénéficier, les riches ressortissants étrangers doivent remplir des conditions restrictives : être domicilié en Suisse au regard du droit fiscal (séjourner au moins six mois par an), pour la première fois (ou après dix ans d'absence), et ne pas avoir d'activité lucrative. Selon les initiants zurichois,en quête d'émules, cet impôt violerait cependant l'égalité de traitement, la morale fiscale et favoriserait la corruption.
Parlons de l'égalité de traitement. Hypocritement l'extrême-gauche zurichoise défend maintenant les riches ressortissants helvétiques - qu'elle abomine par ailleurs - parce qu'ils paient davantage que leurs homologues étrangers. Or l'objet de l'impôt n'est pas le même pour les uns et pour les autres. Les revenus ne sont pas les dépenses. Il est donc faux d'invoquer une inégalité de traitement.
Parlons de la morale fiscale. La gauche, c'est-à-dire socialistes et extrême-gauche confondus, voire certains membres gangrenés de partis bourgeois, trouvent normal que l'impôt serve surtout à la redistribution des richesses. Or qu'est-ce que cette redistribution sinon un vol organisé, et légalisé, qui consiste à prendre dans la poche des uns pour donner à d'autres ? Belle mentalité !
Parlons de la corruption. La corruption serait favorisée aux yeux de la gauche quand de riches ressortissants étrangers disposent de moyens de soudoyer les autorités pour payer moins d'impôts et négocier au plus bas leurs forfaits. Sans tomber dans l'angélisme ce présupposé idéologique est infamant pour les uns comme pour les autres, et même pour ceux qui l'énoncent.
Toujours est-il que les riches ressortissants étrangers ne peuvent être défendus que par les citoyens sensés. Leur poids électoral est nul et, même s'ils avaient le droit de vote, que la gauche veut accorder aux étrangers, ils seraient suffisamment peu nombreux, 4'146 en 2006 pour toute la Suisse, pour être traités comme quantité négligeable, avec lesquels il serait possible de changer les règles sans crier gare. Leur seule arme est de peser 392 millions de francs de rentrées fiscales pour le pays (la moyenne nationale est - on le voit - plus basse que la moyenne zurichoise : 95'000 francs).
On aurait pu penser que l'exemple zurichois serait une malheureuse exception helvétique, que les Zurichois étaient idiots de s'être fait manipulés par l'extrême-gauche et que c'était tant pis pour eux. Mais les choses prennent une tout autre tournure. En effet l'avocat Philippe Kenel, grand défenseur de l'impôt sur la dépense pour les riches étrangers, a peur maintenant de perdre son gagne-pain et apporte de l'eau au moulin de la gauche romande qui n'en demandait pas tant (deux tiers des forfaits fiscaux sont accordés en Suisse romande).
Me Kenel ( ici et photo ci-dessus publiée par 24 Heures) déclare le 14 février : "Soit on réforme le forfait fiscal, soit il est mort. Et si ce n'est pas demain, ce sera après-demain. Il est temps que les gens qui tiennent à ce système le défendent, sinon ce sont eux qui l'achèveront. La droite doit prendre la main et se résoudre à proposer l'inévitable. Je suis convaincu que les Suisses n'ont pas envie de mettre dehors leurs étrangers fortunés - hormis les personnes opposées au forfait pour des raisons idéologiques -, mais ils ne veulent plus d'un forfait à tout prix. Il est temps de calmer le jeu et de faire quelques sacrifices".
Les sacrifices qu'il demande sont exorbitants. Ils tiennent en l'introduction d'un minimum d'imposition de 300'000 francs et en une harmonisation de tous les cantons qui devraient s'aligner sur Genève. L'avocat se rèvèle calculateur, et cynique à l'égard des petits : "Les nouveaux forfaitaires sont déjà au-dessus de 300'000 francs. Quant aux anciens, il faudrait leur accorder un délai de deux ans pour qu'ils se déterminent face à la nouvelle loi. Les actuels petits forfaits décideront de partir, mais ce ne sera pas une perte importante pour la Suisse".
Céder ainsi à la démagogie pour tomber dans un cynisme pareil - se rattraper sur les gros aux dépens des petits qui sont nombreux mais beaucoup moins riches - me paraît faire preuve d'une moralité aussi douteuse que celle de se lancer dans une chasse aux riches.
Francis Richard