Il y en a pour tous les goûts. Ceux, dont je suis, qui continuent d'avoir un faible pour l'impressionnisme, seront ravis que deux magnifiques Renoir, Mère et enfant et Fillette au chapeau, aient les honnneurs de la première salle. Il faut dire que, lorsque l'on a été, comme c'est mon cas, catovien - habitant de Chatou -, pendant de longues années, il est difficile de ne pas comprendre, et de ne pas aimer, cet habitué sensuel de la Maison Fournaise, où il a peint entre autres Le déjeuner des canotiers. La fondation lausannoise a reçu en legs un tableau d'Alfred Sisley, La Seine à Saint-Cloud, qui a bien sa place à proximité de ces deux oeuvres du peintre français.
Puisque j'ai évoqué Chatou, deux toiles de Maurice de Vlaminck ont pour décor cette ville située dans une boucle de la Seine, et où se trouve ma maison. Si Le remorqueur à Chatou [ci-contre] évoque pour moi un paysage familier, j'ai un peu plus de mal à me sentir chez moi quand je contemple Chatou, paysage aux arbres rouges, sans doute parce cette toile est un peu trop fauve pour mon goût. C'est pour la même raison que Bâteaux à Collioure d'André Derain me parle davantage que Les Barques à Collioure de Georges Braque. Il n'empêche que ce dernier m'a séduit avec l'un de ses deux Paysage à l'Estaque, tout simplement éblouissant de par ses couleurs vives et lumineuses, si représentatives du midi méditerranéen, où je me rends la semaine prochaine.
Il est indéniable que le goût change. Les formes généreuses des femmes nues de Pierre Bonnard, qu'il s'agisse du Nu à la lampe ou de la Femme à sa toilette, ne correspondent plus aux canons de la beauté d'aujourd'hui, plus conformes à une vue diététique de l'existence. Les formes féminines actuelles indisposent tout de même quand elles sont le résultat affligeant d'une véritable anorexie... René Magritte est moins éloigné d'aujourd'hui quand il se livre à cette facétie surréaliste qui porte le nom ésotérique de La ruse symétrique [ci-contre]. Facétie qui ne manque pas de provoquer mon hilarité, tout comme La sortie d'école, pour son inspiration assez potache...
Je ne suis pas insensible à l'onirisme qui est un trait caractéristique du surréalisme. Celui de Max Ernst est décidément trop sombre, et j'ai bien du mal à contempler longtemps ses forêts ténébreuses, que n'éclairent même pas des soleils qui ne semblent faire que de la figuration. Je lui préfère largement l'onirisme de Salvador Dali qui n'est présent qu'avec une seule oeuvre, Le jeu lugubre [ci-contre], qui d'ailleurs ne me paraît pas lugubre, mais plutôt exubérant, délirant et incitant à la réflexion. Il y a bien chez ce "génie",
(prénommé Salvador par ses parents parce qu'il était destiné à être le sauveur de la peinture menacée de mort par l'art abstrait, le surréalisme académique, le dadaïsme et en général, tous les "ismes" anarchiques [Introduction de Michel Déon au Journal d'un génie])
une énergie vitale qui ne peut que déplaire à notre époque aveulie. Et donc, par ricochet, qui ne peut que me réjouir.
Toutefois je serai moins sévère que Salvador pour ce qui concerne l'art abstrait, qui n'est pas pour autant ma tasse de thé, je m'empresse de le dire.
En effet cette exposition m'a fait découvrir Rothko, dont l'oeuvre qui en illustre l'affiche [ci-dessus] vaut la peine d'être contemplée sur place dans sa toute grande dimension. Elle n'a pas manqué de me faire une forte impression, sans que je ne sois d'ailleurs capable de dire vraiment pourquoi. Dans le même esprit, Lilas de Mark Tobey m'a lui aussi fait une forte impression. Peut-être parce que ce tableau fleuri ne me paraît, après tout, pas si abstrait que cela...
Gerhard Richter est présent avec deux oeuvres très dissemblables, Eduard, oeuvre abstraite aux couleurs chatoyantes, notamment un vert assez cru, mais sans âme à mes yeux, et Frau mit Schirm [ci-contre], oeuvre que j'ai d'abord prise pour une photo floutée, mais qui est bel et bien une peinture représentant une femme que le flou - dû à la pluie ? - rend énigmatique, et, du coup, attirante avec son parapluie inutile, et le geste de sa main qui traduit un profond effarement.
Les exemples que je donne de Passions partagées n'en sont, j'en suis conscient, qu'une vue partielle, et partiale. J'aurais pu aussi bien dire que j'avais aimé Neige en Engadine de Ferdinand Hodler ou encore Marée basse à Villerville de Felix Vallotton ...
Ce que je voudrais souligner c'est justement l'éclectisme de cette exposition, qui permet à chacun de se remémorer en une centaine d'oeuvres une grande partie des tendances diverses qui ont parcouru l'art au XXème siècle, ici essentiellement pictural, hormis quelques sculptures et assemblages.
En achevant cet article je m'aperçois que je n'ai même pas mentionné le nom de Paul Cézanne , que porte l'Université d'Aix-en-Provence où je vais passer studieusement les trois premiers jours de la semaine prochaine, dans le cadre de la 31ème Université d'Eté de la Nouvelle Economie, avant de rejoindre la grande bleue. C'est que le peintre natif d'Aix, qui est considéré par l'affiche comme le début du siècle, alors que Rothko en est considéré comme la fin, n'est représenté ici que par deux tableaux, Madame Cézanne accoudée et L'aqueduc du canal du Verdon , qui ne sont pas, selon moi, parmi les oeuvres les plus marquantes de sa façon, sans qu'il ne faille pour autant les mésestimer.
Je ne peux donc qu'inciter ceux des internautes qui me lisent, et qui se trouveraient à Lausanne, ou dans son voisinage, à se rendre à La Fondation de l'Hermitage, avant le 25 octobre prochain, date de fin de l'exposition. Ce qui leur laisse deux mois pour ne pas rater cette magnifique occasion de voir des oeuvres diverses, appartenant à des privés, et représentatives dans leur diversité du dernier siècle écoulé.
Francis Richard