Il se trouve que j'ai lu un article sur lui, paru fin juillet, dans Le Figaro Magazine, où le lascar vantait le Pays Basque de ses vacances, et plus particulièrement Guéthary et la plage de Cénitz. Il ne pouvait pas être foncièrement mauvais, puisque je partageais son amour de ce coin de France - je n'ai eu de cesse de parvenir à y acquérir cet été un pied-à-terre, pour m'y ancrer davantage, si possible, dans la ville même où ma mère est inhumée.
Précédemment le nom de Beigbeder avait attiré mon attention, alors que je me rendais au Tribunal d'instance de Dax, où s'est vidée il y a un an et demi une triste querelle familiale. Une rue toute proche de cette enceinte judiciaire, dans cette ville thermale, porte en effet ce patronyme. Tout récemment, me rendant en pèlerinage à Monte-Carlo, où j'ai passé les vacances de mon enfance que nous ne passions pas au Pays Basque, tandis que je cherchais à la FNAC du lieu une carte Michelin de l'Italie du Nord Ouest, mon oeil a été attiré par une pile d'Un roman français... Je n'ai pas résisté à ce dernier signe du destin.
Frédéric Beigbeder écrit dans ce livre :
A ce jour je n'ai pas trouvé de meilleure définition de ce qu'apporte la littérature : entendre une voix humaine. Raconter une aventure n'est pas le but, les personnages aident à écouter quelqu'un d'autre, qui est peut-être mon frère, mon prochain, mon ami, mon ancêtre, mon double.
Or c'est bien une voix humaine que j'ai entendue. Avec laquelle curieusement je me suis senti au diapason. Sans doute parce que, sans appartenir à un monde aussi huppé que le sien, je suis issu, comme lui, d'un monde révolu, qu'il sait admirablement restituer dans son contexte. Il est né, et a passé ses premières années, à Neuilly-sur-Seine. Je suis né à Uccle, la banlieue chic de Bruxelles, et ai vécu mon enfance et mon adolescence à Auteuil, l'un des trois ghettos, avec Neuilly et Passy, de la chanson parodique des Inconnus, leur tube sorti en 1991. Autant de localités qui ne vous (inoculent) pas le sens du combat...
Ces trois ghettos ont en commun d'être proches du Bois de Boulogne, où se situent trois clubs de sports rivaux que Beigbeder décrit avec pertinence - j'en parle en connaissance de cause, appartenant toujours au dernier d'entre eux :
On allait au "Polo" pour dire du mal du "Tir" et au "Tir" pour mépriser le "Racing", et au "Racing" quand on n'arrivait pas à être membre des deux autres, c'est-à-dire, souvent, quand on était juif.
Nos chemins divergent toutefois. Si les parents de l'auteur ont divorcé - il en a indéniablement souffert -, les miens sont restés unis jusqu'à ce que l'un précède l'autre dans l'au-delà, et même après cette séparation terrestre... J'ai eu le bonheur de m'entendre merveilleusement avec l'un comme avec l'autre.
Comme l'auteur j'ai la mémoire paresseuse - j'approuve quand il dit que Mulholland Drive de David Lynch (est) le plus grand film sur l'amnésie, et je comprends très bien ce qu'il veut dire quand il écrit :
Ce qui est narré ici n'est pas forcément la réalité mais mon enfance telle que je l'ai perçue et reconstituée en tâtonnant. Chacun a des souvenirs différents. Cette enfance réinventée, ce passé recréé, c'est ma seule vérité désormais. Ce qui est écrit devenant vrai, ce roman raconte ma vie véritable, qui ne changera plus, et qu'à compter d'aujourd'hui je vais cesser d'oublier.
Ce roman un peu particulier navigue dans le temps que l'écriture finit par retenir. Il fait des va-et-vient entre l'enfance - retrouver cet enfant de Guéthary, c'est accepter de venir de quelque part - et le présent des 42 ans du narrateur. Arrêté le 28 janvier 2008 pour usage de stupéfiant en compagnie du Poète, celui-ci s'est retrouvé d'abord au Commissariat du VIIIème arrondissement, puis au Dépôt de l'Ile de la Cité, c'est-à-dire qu'il est tombé de Charybde en Sylla.
A toute chose, malheur est bon. L'enfermement de ce claustrophobe va le conduire à écrire ceci [ce roman]dans (sa) tête, sans stylo, les yeux fermés. Car :
Tapez sur la tête d'un écrivain, il n'en sort rien. Enfermez-le, il recouvre la mémoire.
Le narrateur explique que la lecture de San Antonio, conseillée par un de ses oncles, l'a conduit à celle de Blondin, puis à celle de Céline, enfin à celle de Rabelais. Le récit de son enfance rappelle Blondin par son parti-pris de désinvolture qui ne me laisse pas indifférent, tandis que celui de son arrestation et de sa garde à vue rappelle Céline par sa crudité et sa noirceur, alternant avec des phrases jubilatoires et, même, jaculatoires.
Tout ce que je peux dire c'est que ce livre n'est pas un remède contre l'insomnie et qu'il est difficile de le lâcher avant de l'avoir terminé. Et, quand on l'a terminé, quelques images, partagées par des lecteurs tels que votre serviteur, refont surface : les macarons de chez Adam, le chocolat chaud de chez Dodin, la piscine de l'hôtel Lutetia où son prof de gym de Bossuet l'emmenait nager [c'était mon prof de gym d'Henri IV qui m'y emmenait], Irun que sa tante Marie-Sol avait vu flamber dans la nuit en 1936 [incendie que mon père avait également vu], la Rhune qui découpe le bleu du ciel, les plages de la Côte basque qui possèdent, chacune, leur personnalité propre.
Les épris de liberté se délecteront de la tirade des Droits de l'Homme qui devraient figurer, selon le détenu, dans le Préambule de la Constitution tels que - j'ai choisi les moins provocateurs, pour ne pas choquer les oreilles chastes et pures :
- le Droit de (se) Brûler les Ailes
- le Droit de Tomber Bien Bas
- le Droit de Couler à Pic
- le Droit de Fumer une Cigarette en Avion
- le Droit de Boire du Whisky sur un Plateau de Télévision
- le Droit de Grignoter entre les Repas
- le Droit de ne Pas Manger Cinq Fruits et Légumes par Jour
Dans l'avant-dernier chapitre l'auteur dit :
J'aimerais qu'on lise ce livre comme si c'était le premier.
Je n'ai aucun mérite à exaucer sa prière : c'est bien le premier livre de lui que je lis et ...je ne le regrette pas.
Francis Richard
Le bandeau du livre est une aquarelle, de Nicole Ratel, qui représente l'auteur à neuf ans. Un indice pour l'aider à combler ses trous de mémoire.