Les autres membres du Conseil fédéral sont deux PS [socialistes], un PDC [démocrate-chrétien], un UDC [démocrate du centre] et un PBD [bourgeois démocratique], ex-UDC, élu sous cette dernière étiquette. Hormis ce dernier cas, les partis importants sont bien représentés au gouvernement en fonction de leur poids électoral.
Lors de l'élection partielle qui a eu lieu hier au Parlement, il y avait trois candidats officiels : deux désignés par le groupe parlementaire PLR, Didier Burkhalter [photo ci-dessus publiée par 24 Heures ici] et Christian Lüscher, et Urs Schwaller, désigné par le groupe PDC, qui tentait, en cours de législature, de récupérer le siège perdu en 2003, tout à fait logiquement, au profit de l'UDC, en la personne de Christoph Blocher.
Compte tenu de ce qu'est la démocratie de concordance le siège rendu vacant par Pascal Couchepin devait donc bien revenir à un PLR. Je rappelle à toutes fins utiles la définition que donne le Dictionnaire historique de la Suisse de ce mode de démocratie (ici) :
Dans la démocratie de concordance, la prise de décision ne se fonde pas (comme dans la démocratie majoritaire ou "démocratie de concurrence") sur le principe de majorité, mais sur la recherche d'accords à l'amiable et de compromis largement acceptés. Tous les partis importants sont impliqués dans le processus et se voient attribuer des fonctions politiques et des postes à responsabilité dans l'administration, l'armée et la justice, proportionnellement à leur force électorale.
Il doit en être de même a fortiori au sein du gouvernement, c'est-à-dire du Conseil fédéral. L'article 175 de la Constitution fédérale précise sa composition et son mode d'élection (ici) :
Article 175 Composition et élection
1 Le Conseil fédéral est composé de sept membres
2 Les membres du Conseil fédéral sont élus par l’Assemblée fédérale après chaque renouvellement intégral du Conseil national.
3 Ils sont nommés pour quatre ans et choisis parmi les citoyens et citoyennes
suisses éligibles au Conseil national.
4 Les diverses régions et les communautés linguistiques doivent être équitablement représentées au Conseil
fédéral.
Le Conseiller fédéral sortant est un romand. Le Conseil fédéral comprend aujourd'hui 5 alémaniques et 2 romands. Le Conseiller fédéral entrant ne pouvait
donc être qu'un romand ou un tessinois. Or le candidat présenté par le PDC, Urs Schwaller, est un alémanique, parfaitement bilingue, mais alémanique tout de même. Il ne pouvait donc
légitimement pas représenter la latinité requise par l'article 175.
Comme cet article de la Constitution le précise, encore faut-il que le candidat soit élu par l'Assemblée fédérale, qui réunit Conseil national et Conseil
des Etats.
Quelles étaient les forces en présence ? Sur un total de 246 sièges, voici les effectifs des groupes parlementaires actuels (ici) :
- UDC : 66 dont 1 Lega et 1 UDF
- socialiste : 51
- libéral-radical : 47
- PDC : 52 dont 2 évangélistes et 4 verts libéraux
- Verts : 22 dont 1 PCS et 1 PdT
- PBD : 6
Comme on peut s'en rendre compte aucun groupe ne détient la majorité. Il est impératif de constituer des alliances. Cette fois le camp bourgeois était divisé. Le PDC tentait de ravir un
siège au PLR. L'UDC avait clairement annoncé que son parti soutenait Christian Lüscher, dont la gauche ne voulait à aucun prix et qui n'avait donc aucune chance. Une majorité des PLR lui
préférait toutefois Didier Burkhalter. Une majorité des socialistes et des verts et la totalité des PDC soutenaient Urs Schwaller. Une forte minorité des socialistes et des verts soutenait Didier
Burkhalter.
Le résultat final, l'élection de Didier Burkhalter, après le retrait de Christian Lüscher, n'est donc pas surprenant : 129 voix pour Didier Burkhalter et 106 pour Urs Schwaller.
Sous trois rapports le nouveau Conseiller fédéral est conforme à l'esprit actuel des institutions :
- sous celui de la démocratie de concordance
- sous celui de la représentativité des régions et communautés linguistiques
- sous celui des forces en présence au Parlement.
L'est-il sous celui de ce que doit être un Conseiller fédéral ?
Pascal Décaillet écrivait le 11 août dernier (ici) :
Il est (...), dans la logique de nos institutions, faux de faire
porter le débat du 16 septembre uniquement sur l'avenir de la santé, de la culture et des assurances sociales en Suisse. L'enjeu est beaucoup plus large : trouver l'homme ou la femme qui, par sa
stature, sa culture, l'ampleur de sa vision, la richesse de ses horizons, pourra le mieux contribuer, sur l'ensemble des dossiers, à faire avancer
notre pays.
Philippe Barraud écrivait le 14 août dernier
(ici) :
Dans un exécutif, un élu est là pour prendre des décisions,
participer à la définition des objectifs à long terme, convaincre le parlement et le peuple, orienter et surveiller le travail de l'administration.
Cette charge considérable implique que ledit élu ait des idées claires, des convictions fermes, et une appartenance assumée à un système de valeurs dans lequel le citoyen peut facilement se
reconnaître, ou au contraire le rejeter. Bref, il nous faut une bête politique, plutôt qu'une femme ou un homme "de dossiers".
Il est malheureusement impossible de reconnaître Didier Burkhalter
- non plus qu'Urs Schwaller - dans ce portrait-robot de ce que devrait être un Conseiller fédéral dressé par les deux journalistes. Burkhalter et Schwaller sont tous deux des
hommes de dossiers et ne sont pas des bêtes politiques. Ce portrait-robot correspond davantage à Christoph Blocher, mais on sait
ce qu'il est advenu de cette bête politique : il n'a pas été réélu au terme de son premier mandat de quatre ans. Ou à Christian Lüscher, qui, même s'il a joué le jeu avec
panache et conviction, ne pouvait être, hélas, qu'un pion dans la stratégie de Fulvio Pelli, le président du PLR, pour conserver à son parti le siège devenu vacant.
Alors ? Les médias ne sont pas tendres avec ce pur produit du système
politique suisse qu'est Didier Burkhalter comme le dit Serge
Gumy dans La Tribune de Genève de ce jour (ici). Hier Le
Matin (ici) l'avait même
qualifié de conseiller fédéral par
défaut. Jean-Jacques Roth dans
Le Temps (ici) pense que rien n'interdit que derrière cet homme qui semble être né convenable ne se
cache un homme d'Etat.
Après tout la fonction ne crée-t-elle pas l'organe ?
Francis Richard
L'internaute peut écouter sur le site de Radio Silence ( ici ) mon émission sur le même
thème.