Il y a un an paraissait un texte très court, signé Stéphane Hessel. Ce texte, Indignez vous !, publié par Indigène Editions ici, a connu un succès immédiat, considérable et surprenant, compte tenu à la fois de la minceur du propos et de sa teneur.
En effet Stéphane Hessel s'indignait que les valeurs de la Résistance française, à laquelle il avait appartenu, et que le parti communiste français dominait alors de son ombre, ne soient plus à l'honneur.
Ces valeurs, qui n'étaient pas, de loin pas, celles de tous les résistants français, se traduisaient par :
- l'instauration de la Sécurité sociale
- la poursuite du système de retraites par répartition instauré par Vichy
- la nationalisation des sources d'énergies, des assurances et des banques
- la primauté de l'intérêt général sur l'intérêt particulier
- la défense d'une presse indépendante des puissances d'argent et des influences étrangères
- la possibilité donnée à tous les enfants français de bénéficier de l'instruction la plus développée.
Très largement ces "conquêtes sociales de la Résistance" recouvrent ce qu'il est convenu d'appeler l'Etat-Providence français, en totale faillite aujourd'hui.
Or Stéphane Hessel demandait dans son texte de s'indigner contre la remise en cause de ce modèle qui, implicitement, selon lui, était la cause de l'immense écart entre riches et pauvres, des atteintes aux droits de l'homme et de l'état de la planète, c'est-à-dire de son réchauffement climatique.
Un seul passage du texte contredisait cet ensemble de valeurs d'inspiration anticapitaliste :
"Sartre nous a appris à nous dire : "Vous êtes responsables en tant qu'individus." C'était un message libertaire. La responsabilité de l'homme qui ne peut s'en remettre ni à un pouvoir ni à un dieu. Au contraire, il faut s'engager au nom de sa responsabilité de personne humaine."
Mais ce passage était unique en son genre. Sur cette base de la responsabilité individuelle, le raisonnement, mené jusqu'au bout, n'aurait pas conduit à soutenir ces prétendues conquêtes sociales de la Résistance, lesquelles s'avèrent ruineuses aujourd'hui.
Les jeunes indignés suisses, pour ce que j'en sais, expriment la même colère et la même révolte que le nonagénaire Stéphane Hessel à l'égard du capitalisme. Il y a un mois ils ont manifesté sur la place des Nations à Genève et sur la Paradeplatz à Zurich. Depuis le 17 octobre dernier jusqu'à hier - ils ont été délogés par la police municipale [la photo provient d'ici] - ils campaient à Zurich dans le parc de Lindenhof. Ils campent toujours au parc des Bastions de Genève.
Leur indignation semble intacte en dépit du peu d'écho qu'elle trouve ici en Suisse. Elle est pathétique parce que la crise économique n'est pas celle du capitalisme mais celle de l'Etat-Providence qui a fortement amoindri les bienfaits de ce dernier en le régulant, en le mettant sous tutelle, en l'entravant, en distribuant arbitrairement les richesses produites grâce à lui, en accordant à certains, entreprises ou particuliers, des privilèges au détriment de tous.
Au lieu de s'indigner contre le capitalisme, il conviendrait de s'indigner contre tous ceux qui, en passagers de moins en moins clandestins, et de plus en plus nombreux, invoquant un intérêt général hypothétique et subjectif dont ils sont les bénéficiaires, montent dans la barque de l'Etat-Providence au point de la faire couler.
Francis Richard