Depuis la nuit des temps d'aucuns tentent vainement de dire ce qui rassemble les hommes plutôt que ce qui les sépare.
Frédéric Lenoir qui a une connaissance indéniable des différentes spiritualités du monde tente à son tour de gagner cette gageure. Il le fait à la faveur d'un conte initiatique.
Sept sages, de par le monde, font un rêve étrange. Ils doivent tous se rendre à Toulanka, où se trouve un monastère tibétain.
Ces sept sages représentent différentes traditions philosophiques et spirituelles de l'humanité: Rabbi Schlomo le judaïsme, Ansya le chamanisme, le père Pedro le catholicisme, Ma Ananda l'hindouisme, Maître Kong le taoïsme, Cheik Youssuf l'islam, Gabrielle la philosophie grecque.
Tous se rendent donc à Toulanka. Seule Gabrielle est accompagnée de sa fille, Natina, âgée de bientôt quatorze ans. Ils y sont accueillis par un moine bouddhiste, Lama Dorjé, qui leur présente la réincarnation de son grand maître, Lama Tokden Rinpoché, en la personne d'un jeune lama de douze ans, Tenzin Pema Rinpoché.
Leur première nuit, ces sages, au nombre de huit maintenant, font un cauchemar dans lequel le symbole de leur spiritualité est détruit. Le lendemain les interprétations de ces songes fusent. A la veille d'une catastrophe imminente et indéfinie, qui pourrait bien être "la fin d'un monde fondé sur les grandes traditions religieuses", ils finissent par se convaincre qu'il leur faut livrer les clés de la sagesse universelle à Tenzin et Natina, qui sont l'humanité à venir, pour qu'elle ne se perde pas.
Ils se mettent donc tous d'accord sur un enseignement à dispenser aux deux jeunes gens et commencent, pour ménager les susceptibilités, par reprendre l'expression grecque d'Âme du monde, pour éviter de parler de Dieu, d'intelligence organisatrice ou d'énergie spirituelle. Ils la définissent comme "une force mystérieuse et bonne qui maintient l'ordre du monde".
Les clés de la sagesse sont au nombre de sept. Pour chacune d'entre elles Frédéric Lenoir fait parler plusieurs sages. Leur intervention est précédée de la formule qui devient rituelle: un sage prit la parole et dit. Les développements et raisonnements, qui proviennent de toutes les spiritualités présentes, sont illustrées parfois de contes empruntés à ces diverses traditions.
La sagesse exprimée sous ces différentes formes est effectivement la sagesse même. A chaque clé une image ou une expression qui la résume:
- le port est ce pourquoi nous sommes faits, ce qui suppose la clarté de l'esprit, la source est de ne pas oublier ce qui est le plus important, ce qui suppose la bonté du coeur;
- le noble attelage de tout homme est composé de deux chevaux, le corps physique et le corps psychique, et d'un cocher, l'âme spirituelle ou l'esprit: il faut maîtriser cet attelage;
- "Vas vers toi-même": il faut se connaître soi-même;
- "Ouvre ton coeur": il faut laisser à l'amour le soin de faire entendre sa musique du lien et du don;
- le jardin de l'âme: il faut cultiver les qualités et rejeter les poisons;
- "Ici et maintenant": il faut vivre l'instant;
- "De l'acceptation de ce qui est": il faut accepter le réel tel qu'il est.
Dans l'ensemble il est effectivement possible de souscrire à cette sagesse. Mais l'auteur, qui poursuit ouvertement un dessein syncrétiste, ne peut pas s'empêcher de refuser à un des sages, qui peut être le catholique, le juif ou le musulman, de penser que toutes les spiritualités ne se valent pas et que sa religion révélée est la vraie.
A l'appui de cette interdiction de pensée, Frédéric Lenoir dépeint le sage en question, tenté par le meurtre, comme si avoir la ferme conviction d'être dans le vrai ne pouvait conduire qu'au crime. Accepter que quelqu'un ne pense pas comme vous ne signifie pas non plus qu'il faille accepter ce que vous désapprouvez...
La fin du livre, apocalyptique, est une vision de l'auteur toute personnelle du monde, qui se passe de commentaires:
"Par sa convoitise sans limites, l'homme est en train de piller et de dérégler l'harmonie qui gouverne le monde."
Francis Richard
L'Âme du monde, Frédéric Lenoir, 218 pages, NIL ici