"Quelques jours après son élection en mai dernier, François Hollande, déclinait sèchement une invitation du gouvernement suisse. Se rendre à Berlin aussitôt élu fait partie des devoirs rituels des nouveaux présidents. Se rendre en Suisse lors d'un premier quinquennat, ce serait une grave faute de goût."
C'est en ces termes que commence l'édito de François Schaller, en une du cahier Spécial France de L'AGEFI, diffusé ce mois-ci en Suisse et en France.
Seulement François Hollande est l'illustration vivante du proverbe:
"Il n'est pire sourd que celui qui ne veut pas entendre."
ou de sa variante oculaire:
"Il n'est pire aveugle que celui qui ne veut pas voir."
C'est pourquoi je ne me fais guère d'illusion. Il ne lira pas davantage ce cahier qu'il ne s'est rendu en Suisse. Il n'entendra donc pas, ni ne verra ce que la leçon du fabuliste - on a toujours besoin d'un plus petit que soi - pourrait lui enseigner.
La France, comme le lion de la fable, est empêtrée dans les rets de son modèle social, qu'elle croit sourdement et aveuglément être le meilleur du monde. Or, si elle écoutait la Suisse et s'inspirait de son modèle tout court, cette dernière pourrait être le rat qui, rongeant une maille avec la dent de la liberté, emporterait tout de cet archaïque ouvrage.
Comparaison n'est pas raison, certes. Mais il est des comparaisons qui se passent de commentaires. Dans ce cahier de huit pages de L'AGEFI, j'ai donc recueilli quelques chiffres. Comme un dessin, ils valent tout de même mieux que tous les raisonnements et permettent d'entendre et de voir le son lumineux que fait la liberté, même relative, quand elle est à l'oeuvre.
D'abord il faut juger l'arbre aux fruits:
"La France a détruit 750.000 emplois en dix ans. La Suisse en a créé 500'000." (Le taux de
chômage en France approche des 11%, il est en Suisse inférieur à 3%)
Contrairement à un cliché tenace, en Suisse, il n'y a pas que des banques:
"Le secteur financier pèse moins de 15% dans le PIB" (Contre 5% en France et 15% au Royaume-Uni)
Les dépenses publiques représentent "50% du PIB en France, 30% seulement en Suisse".
Il n'y a pas que des exilés fiscaux:
"Chaque jour, de Mulhouse (Haut-Rhin) à Châtel (Haute-Savoie), 140.000 frontaliers font l'aller et
retour. Rejoignant quelque 150.000 compatriotes sur place, qui ont décidé, eux de s'expatrier." A comparer aux quelque 5.000 "forfaitaires
fiscaux"... dont tous ne sont même pas français.
L'évasion fiscale n'est pas celle que l'on croit:
"UBS, premier groupe bancaire suisse et leader mondial du wealth management a tenté d'estimer de
la manière la plus réaliste, à l'attention de ses actionnaires institutionnels, la part des avoirs non déclarés dans un volume sous gestion de l'ordre de 1250 milliards d'euros. Cette part ne
s'élève finalement qu'à 25 milliards environ, soit 2%. Il est probable que l'importance de l'évasion fiscale dans un pays comme la France soit elle aussi complètement exagérée, relevant en grande
partie du ressentiment et du fantasme."
La Suisse travaille, la France roupille:
"Le produit intérieur brut de la Suisse (PIB, la valeur ajoutée globale) s'élève à quelque 665 milliards de dollars, plaçant le pays au 19e rang mondial (15e si l'Union Européenne comptait pour une). C'est presque un quart du PIB de la France, alors que le rapport démographique est de un à huit."
La France est une république fromagère:
"L'Hexagone compte 520.000 conseillers municipaux, 37.000 maires, 4100 conseillers généraux et 1880 conseillers régionaux. Au total, 600.000 élus qui s'accrochent à leurs fauteuils et rémunérations."
En Suisse il y a certes "plus ou moins 150.000 titulaires d'une charge élective, mais le plus souvent à temps très partiel et fort peu lucrative"... Swissinfo. L'esprit suisse de milice [assumer une charge publique en étant peu ou pas dédommagé] est inconnu en France...
La Suisse est plus ouverte au monde:
"La présence de managers suisses ne dépasse pas 55% dans les plus grandes entités (66% dans les conseils) selon le dernier rapport Schilling. Dans les principales sociétés cotées (indice SMI), les étrangers sont même majoritaires atteignant les deux tiers du côté des comités (70% des présidents exécutifs) et 57% d'administrateurs."
Tandis qu'"une étude de CTPartners portant sur le top management des entreprises du SBF 120 reflète une situation sensiblement différente en France. Seules onze sociétés ont un président exécutif d'origine étrangère. Les grandes écoles françaises, dont le nombre cumulé de promotions annuelles ne dépasse guère mille, y détiennent toujours une part de 65%".
Le modèle social français a un coût prohibitif:
"Les charges qui grèvent les revenus sont particulièrement lourdes, par rapport à la Suisse notamment: 47% contre 18% actuellement côté entreprises, 25% contre 14% pour les charges salariales assumées par les salariés eux-mêmes (même si la distinction semble assez formelle)."
Ces quelques chiffres montrent que la Suisse s'en sort mieux que la France.
Pourquoi?
Parce que les Français se font une idée fausse du libéralisme:
"Pour eux, le libéralisme est une arme de destruction massive, que les partis de droite mettent à disposition des dirigeants de multinationales avec la complicité des banques."
Cela ne date pas d'hier:
"On n'efface pas un millénaire de monarchie absolue en deux siècles de république décousue."
Pourtant:
"La Révolution française s'inscrit initialement dans le texte de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, interprétée comme un rappel du droit naturel et des libertés économiques.
Malgré la Terreur, l'Empire et la Restauration, le XIXe siècle a tout de même vu l'approfondissement des idées libérales. Dans la littérature, avec Victor Hugo. Sur les aspects politiques, avec Benjamin Constant, Tocqueville et le groupe de Coppet qui rassemble des opposants libéraux à Napoléon. Sur les aspects économiques, avec Jean-Baptiste Say. Les libéraux se sont efforcés de diffuser leurs idées, qui s'opposent aux idées étatistes prédominantes dans les cercles du pouvoir. Tocqueville a même traqué l'origine du goût des Français pour la toute-puissance de l'Etat. Au milieu du XIXe siècle, Frédéric Bastiat publie ses célèbres pamphlets."
Seulement nul n'est prophète en son pays et le libéralisme ne prend pas en France:
"La liberté économique et la responsabilité personnelle ne sont pas des réflexes pour le citoyen français. Alors que l'étatisme dirigiste et la prise en charge relèvent pour lui de l'automatisme."
Le libéralisme n'est même pas enseigné:
"Nombreux sont les élèves et étudiants français n'ayant jamais entendu parler de Friedrich Von Hayek ou de Frédéric Bastiat. Alors que les théories keynésiennes, planificatrices, ou simplement marxistes sont abondamment professées au sein du corps professoral."
Quand les Français auront une culture économique digne de ce nom, c'est-à-dire quand la France s'éveillera, ils ne se feront plus du libéralisme une caricature, ils se rendont compte qu'il "est une philosophie de vie, basé sur le rapport à l'autre" et que, de surcroît, il est efficace.
C'est ce que François Hollande aurait pu apprendre s'il s'était rendu en Suisse, s'il avait ouvert ses yeux et ses oreilles sur la réalité helvétique. Alors la liberté aurait pu être à son tour en France la dent du rat qui ronge la maille emportant tout l'ouvrage mortel du socialisme français.
La bise commence à souffler. J'entends venir l'hiver. La France se trouve fort dépourvue...
Francis Richard
Cet article est publié également sur lesobservateurs.ch.