Il signe ses livres au dernier Salon du livre de Paris sous une affiche du livre de Delphine de Vigan, Rien ne s'oppose à la nuit ici. Il a un sourire qui donne envie d'engager la conversation avec lui.
Il reconnaît modestement qu'il ne joue pas dans la même cour, du point de vue tirage, que Delphine de Vigan, l'auteur maison aux 400'000 exemplaires déjà vendus. Mais cela ne lui enlève pas son sourire. Il, c'est Samir Tounsi, journaliste à l'AFP.
Il vient de publier un livre sur Les solitaires de la République, parmi lesquels figurent des candidats à l'élection présidentielle française. Si l'idée d'un tel livre lui est venue il y a deux ans, sa parution maintenant est on ne peut plus opportune.
Le sous-titre, Quand le pouvoir vous lâche, est une indication sur le type de solitude auquel l'auteur consacre cette enquête, la solitude des hommes politiques, quand ils se retrouvent seuls après l'échec. Mais le propos de l’auteur ne se limite pas à ces solitaires.
L’exemple des hommes politiques montre en effet ce que peut être la solitude poussée à son paroxysme et l’intérêt du livre réside dans les réponses qu’ils donnent pour s’en accommoder ou la surmonter ou dans l’absence de réponse qui les conduit à mettre un terme à leur vie.
Dans le cas des hommes politiques, l’affectivité joue un grand rôle. Tant que le succès leur sourit ils se sentent pousser des ailes. Quand ils subissent l'échec, ils ne se sentent pas aimés de leurs électeurs, qui les font et les défont, et certains même vont jusqu’à déprimer, voire jusqu’à tirer un dernier trait.
Car, tout à la fois, ce sont des hommes ou des femmes comme les autres, avec leurs forces et leurs faiblesses, et différents parce qu’ils ont un ego surdimensionné, sans lequel d’ailleurs le succès ne leur sourirait pas et leur possibilité de rebondir n’existerait pas non plus.
L’auteur nous parle des derniers présidents de la République, Sarkozy, Chirac, Mitterrand, qui ont tous les trois connu des traversées du désert avant de parvenir à la fonction suprême, les deux derniers ayant fait preuve d’une ténacité peu commune puisqu’il leur a fallu plusieurs tentatives pour transformer l’essai.
La solitude n’a bien sûr pas épargné non plus des hommes politiques qui les ont précédés au sommet du pouvoir tels que de Gaulle, peut-être le parangon de la cohorte, et, avant lui, Clemenceau, Blum ou Mendès-France, sans oublier, dans des seconds rôles, Georges Mandel ou Jean Zay.
Leur solitude est consécutive à un échec dont ils ne se remettent pas ou qui leur est fatal. Elle peut être un aiguillon – Dominique de Villepin la juge indispensable – ou l’arme qui vous tue lentement, si d’autres ne se chargent pas de vous envoyer rapidement ad patres.
L’auteur évoque « la tentation de Venise » qui consiste à disparaître pour quelque temps, ou pour toujours, parce qu’on a envie de tout laisser tomber. Alain Juppé en a fait le titre d’un de ses livres quand il était abandonné de tous.
Plutôt qu’à Venise, Alain Juppé est allé se reconstruire au Canada avant de reconquérir la mairie de Bordeaux, puis de redevenir ministre. Mais François Léotard et Philippe de Villiers y ont succombé et ont jeté l’éponge.
Le plus dur pour les hommes politiques est d’être trahis par ceux qui vous sont les plus proches. Et il semble que ce soit le lot promis à tous pour peu que le pouvoir les lâche. Une poignée de fidèles leur permet alors de survivre, voire de repartir de plus belle, comme l’attestent les parcours de François Bayrou ou de Jean-Luc Mélenchon.
L’entourage proche, les prêtres pour les croyants ou les non-croyants, les frères maçons pour d’autres, peuvent être également les béquilles sur lesquelles ils s'appuient pour retrouver le goût à la vie et réapprendre à marcher, après les trahisons ou les déceptions.
Dénier la réalité de cette solitude peut être aussi, pour d’aucuns, un moyen apparenté à la méthode Coué pour ne pas se laisser abattre et pour entretenir la flamme de l’espérance contre toute attente. Mais à quoi cela mène-t-il pour d'autres ? Les faits restent têtus dans les cas de Ségolène Royal ou de Nicolas Dupont-Aignan...
Samir Tounsi a rencontré un grand nombre d’hommes politiques pour rédiger son livre. Qui fourmille de citations inédites des uns et des autres. Cela forme un puzzle dont il recolle patiemment les morceaux. Dans le même temps il nous dépeint un marigot politique qui ne donne pas vraiment envie.
Sa réflexion sur la solitude des hommes politiques et sur les multiples formes qu’elle prend le conduit dans sa conclusion à une réflexion plus large sur la solitude, qui ne réserve pas ses affres aux seuls hommes politiques. Quatre millions de Français souffriraient ainsi d’isolement.
Si l’on peut être d’accord avec lui sur la nécessité de recréer du lien social, on aura du mal à le suivre quand il évoque la tenue d’états généraux de la solitude pour la conjurer. Le problème n’apparaît pas politique en réalité mais culturel, donc plus profond.
Pour redonner un sens à la vie, qui est bien fatigué dans nos pays dits développés, ne faut-il pas au contraire que l’Etat intervienne moins dans la vie des hommes ? Ne faut-il pas renoncer à ces solidarités obligatoires et forcées qui sont les caractéristiques des Etats-Providence et qui dissolvent les personnalités malgré elles dans un collectif auquel les hommes n'ont pas vraiment consenti ?
Les hommes ne pourront réellement redevenir généreux et solidaires les uns envers les autres que s’ils ne sont pas sous tutelle permanente.
Francis Richard
Les solitaires de la République, Samir Tounsi, 310 pages, JC Lattès ici