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24 août 2012 5 24 /08 /août /2012 03:00

Quentin-Mouron-2.jpgAu point d'effusion des égouts ici, premier roman de Quentin Mouron, n'a pas paru il y a un an que déjà l'auteur récidive avec un deuxième.

 

Certes le titre, Notre-Dame-de-la-Merci, est plus avenant et plus réconfortant que le précédent, mais c'est pour mieux déranger le lecteur.

 

Tandis que le premier roman se déroulait dans l'ouest des Etats-Unis, celui-ci se passe au Québec, dans un village de cinq cents âmes qui porte ce nom marial.

 

Comme l'habit ne fait pas le moine, le nom de ce village, fût-il situé dans une forêt, au nord de la Belle Province au drapeau fleurdelysé, n'est pas celui d'un havre de paix, ni de douceur de vivre, bien qu'il s'agisse, en principe, d'un village de paisibles retraités.

 

Le narrateur, cette fois, n'est pas le protagoniste. Il regarde vivre les êtres humains avec une certaine distance, ce qui lui permet de philosopher à loisir sur leur destinée. Parmi eux, il s'intéresse plus particulièrement à trois personnes que relient des fils tumultueux. Disons-le tout de suite, ces gens-là sont aussi tristes et noirs que la chanson éponyme de Jacques Brel.

 

Odette est veuve, jalouse de sa tranquillité, tout en étant en quête de reconnaissance. Ce qui ne lui a pas réussi jusqu'à présent, puisqu'elle "a fait trop peu de prison pour qu'on se foute pas d'elle": six mois seulement et une amende. Elle aime un grand type, "dont elle a honte, et qui la fait souffrir", Jean, le fils du vieux Pottier, qui, dans le prologue au récit, vient de se pendre, à une poutre apparente.

 

Daniel était tenu jadis pour un "crétin honnête" avant de n'être plus "aux yeux du monde qu'une ordure malhonnête". Il vit chez sa vieille mère qui s'occupe de ses enfants, fruits de plusieurs lits, désertés et fuis par les différentes génitrices. Ce crétin fait les quatre volontés d'Odette, qu'il aime, sans que cela ne soit réciproque, bien au contraire:

 

"On conçoit de la haine d'être adulé par des crétins quand ceux qu'on aime, eux, nous méprisent."

 

Car Jean méprise Odette. Ce "moindre ivrogne, un peu drogué, cogneur de femmes" n'aime pas. Ni Odette, ni personne. Il l'a baisée, comme "il baise sa copine de temps en temps, les besoins d'homme, l'hygiène". Il est sans scrupules. Après avoir découvert son père mort, il lui fait les poches, en attendant de trouver une solution pour soustraire à ses frères et soeur un part d'héritage dissimulée dans le buffet.

 

Le lien qui relie ces trois personnages, c'est la drogue, la cocaïne. Odette est la pourvoyeuse. Daniel le livreur. Jean le consommateur. Ce petit trafic de stupéfiant est générateur de violence entre eux. Les dépits amoureux de Daniel pour Odette et d'Odette pour Jean n'arrangent rien. Le premier donne un moyen de pression d'Odette sur Daniel, le second de Jean sur Odette.

 

Dans cette histoire pessimiste où suintent la résignation et la solitude existentielle, où tout sent mauvais, où l'on ne rêve pas parce que c'est réservé à ceux qui gagnent, le narrateur peut écrire:

 

"Du haut de la falaise je ne vois que des perdants. Des perdants qui crient. Et la nuit qui les brise."

 

Alors le lecteur, après que cette histoire a gonflé en tragédie, s'il ne veut pas sombrer à son tour, tomber de cette falaise, n'a que le recours de se raccrocher au style, proche de la langue parlée, proche du coeur, comme dans cette phrase lourde de sens pour décrire tous les perdants de l'existence:

 

"Le cri qu'on étouffe n'est qu'un silence de plus."    

 

Francis Richard

 

Notre-Dame-de-la-Merci, Quentin Mouron, 120 pages, Olivier Morattel ici  

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21 août 2012 2 21 /08 /août /2012 22:00

La-remontee-du-Nil-Malek.jpgReparti il y a quelque six mois avec ce fort volume sous le bras et une très amicale dédicace de l'auteur, je me suis demandé alors quand je trouverais le temps de le lire.

 

Il a donc rejoint ma table de travail où s'amoncellent tous les livres, en grand nombre, qui me semblent, pour une raison ou pour une autre, dignes d'intérêt.

 

Comme je suis insomniaque je lis surtout la nuit. Avec les températures caniculaires que nous connaissons, mes nuits sont encore plus courtes que d'habitude. C'était le moment ou jamais de faire La remontée du Nil.

 

Autant le dire tout de suite, j'ai passé trois nuits merveilleuses, à défaut d'être fraîches. Cette lecture était tout à fait de circonstance, du fait que la plupart du temps les événements relatés se passent en Egypte. Où les nuits estivales sont chaudes.

 

L'écriture de Nabil Malek ne m'était pas inconnue. J'ai rendu compte ici de Dubaï, la rançon du succès, qui est un recueil de nouvelles inspirées de faits réels, à la faveur desquelles l'auteur donne une image nuancée de cet émirat, présenté uniquement, à tort, comme un parangon de la réussite économique et du libéralisme.

 

Dans le présent et précédent ouvrage, Nabil Malek a voulu remonter aux sources de sa double ascendance, copte chrétienne et juive:

 

"J'ai appris avec passion par personnes interposées à connaître mes ancêtres et à réaliser pleinement ma double ascendance. Je m'expliquais enfin pourquoi j'ai toujours eu l'impression de n'être à ma place nulle part et en même temps la facilité à me trouver chez moi partout."

 

Comme Nabil Malek est modeste, il ne prétend pas faire oeuvre d'historien. C'est pourquoi il a choisi de dire que son livre est un roman autobiographique, où Juif arabe il retourne à ses sources. Mais il est en fait très peu autobiographique, puisqu'il parle très peu de lui-même et beaucoup de ceux qui l'ont devancé sur Terre et qui y ont, en quelque sorte, préparé sa venue, dans un cadre particulier, celui de l'Egypte.

 

Très scrupuleux Nabil Malek le fait notamment à l'aide de photographies, de témoignages et de documents familiaux, qu'il cite parfois in extenso, mais aussi à l'aide de livres et d'articles de journaux, dont il dresse la bibliographie en fin d'ouvrage, avec l'honnêteté qui le caractérise.

 

Le livre se lit comme un roman, et c'est un véritable roman. En effet, à partir de faits réels, Nabil Malek, comme il le montrera dans son livre suivant, grâce à une imagination fertile, nourrie de nombreuses lectures, reconstitue avec beaucoup de plausibilité des événements qu'il n'a pas connus et des dialogues qu'il ne peut pas avoir entendus.  

 

Il ne me semble pas outrageant de présenter également La remontée du Nil comme un roman historique. En toile de fond se dessine en effet l'histoire du pays natal de Nabil Malek pendant un siècle et demi, du début du XIXe siècle jusqu'à la moitié du XXe, du règne de Mehemet Ali jusqu'à la chute du roi Farouk, en passant par la tutelle pesante des Anglais.

 

Les histoires des deux familles, paternelle et maternelle, de l'auteur, les Abdel Malek et les Messiqua, sont de véritables sagas. L'ascendance maternelle prend peut-être davantage de place que la paternelle dans ce roman, sans doute parce que l'auteur a recueilli plus de témoignages de ce côté-là et qu'il a pu remonter à des sources plus lointaines.

 

Des deux côtés les hommes et les femmes sont des personnages hauts en couleur et hors du commun. Ils gravissent les échelons de la société égyptienne - et montent même très haut du côté paternel - avant d'être victimes du nassérisme.

 

La branche maternelle va devoir quitter l'Egypte parce qu'elle est juive, qui plus est de nationalité française, donc étrangère, effet collatéral de la création de l'Etat d'Israël. La branche paternelle parce qu'elle est immensément riche et que le socialisme nassérien, comme tous les socialismes, ne respecte pas les droits de propriété, nationalise et séquestre.

 

Nabil Abdel Malek, né en 1950, se retrouvera donc en Suisse, à Lausanne, à partir de 1962, où il passera toute son adolescence avec sa famille maternelle, plus précisément avec sa grand-mère Yvette et sa mère Mona, séparée, puis divorcée de son père Aziz. Il ne retrouvera son père que quatre ans plus tard, à Beyrouth, où il s'est réfugié avec sa maîtresse Nazek...

 

Ce livre a certes permis à Nabil Malek de faire le deuil de son passé - il n'a pas su, par exemple, qu'il était juif avant ses onze ans -, mais il l'a écrit principalement pour ses enfants et leurs descendants. Cependant il ne leur est pas seulement destiné. Toutes ces vies qu'il conte avec talent ne peuvent qu'enrichir le lecteur d'expériences humaines des plus diverses, au cours d'un voyage, dans le temps et l'espace, propice à son complet dépaysement.

 

Francis Richard

 

La remontée du Nil, Nabil Malek, 506 pages, Editions Amalthée ici, 2010

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18 août 2012 6 18 /08 /août /2012 17:15

Full sentimental Sabine DormondFinalement je suis de plus en plus convaincu que les histoires les plus courtes sont les meilleures. Le livre de Sabine Dormond me le confirme. 

 

Le titre fait penser au refrain de la chanson homonyme d'Alain Souchon, sur un aria de Bach:

 

"Foule sentimentale

On a soif d'idéal

Attirée par les étoiles, les voiles

Que des choses pas commerciales

Foule sentimentale

Faut voir comme on nous parle

Comme on nous parle" 

 

Ce ne peut être le fruit du hasard. Même si la première des dix-sept nouvelles, dont la plus longue n'atteint pas dix-huit pages, évoque sous ce nom l'engouement fatal pour le Yatzy des deux amoureux représentés en couverture sur un banc public.

 

Si le jeu peut être fatal - une nouvelle traite de l'addiction aux jeux vidéo sans la dose desquels une musicienne perd toute maîtrise -, l'alcool peut ne l'être pas moins, et pas seulement en amour. C'est le thème de deux nouvelles plutôt noires, où la prose peut se faire même poésie épique, dans l'une d'elles, pour décrire une bagarre générale:

 

"Tout le monde se pisse derche se disperse, on t'intube, on titube, on se cognac joint biture, on se cogne à la jointure, ambulance smur, on fonce dans le mur, t'allais par là déménage fricassée, t'as les parois des méninges fracassées, à ce stade, l'étroit ciel vert t'implose, le troisième verre s'impose."

 

Les nouvelles se suivent et ne se ressemblent pas. Les surréalistes succèdent aux réalistes. Dans l'une, après la disparition des abeilles, les humains sont réquisitionnés pour les remplacer, butiner et polliniser à leur place. Dans l'autre un institut de bien-être se trouve dans un endroit impossible, et inaccessible. Dans une autre encore des voyageurs d'un bus ne savent pas où ils vont mais ils y vont et culpabilisent les réfractaires.

 

Dans le registre de la qualité opposée à la quantité, l'auteur consacre une nouvelle à une usine à livres, où les idées sont cultivées à partir de songes à l'état brut et où un jeune rebelle a renoncé à son emploi, pour emboîter le pas d'un écrivain dissident, véritable génie, ignoré des critiques, qui consacrait tout son temps à l'écriture et ne vendait rien. Dans une autre, une petite fille dérangeante fait la leçon, et fait du bien, à une femme au moment de la pause de midi en la culpabilisant sur l'origine de ce qu'elle mange, puis disparaît, mission accomplie.  

 

L'humour, parfois grinçant, n'est pas absent du livre. L'air de la campagne, tant vanté aux citadins, ne réussit pas à l'un d'entre eux, qui manque d'y passer. Un reptile bébé devient grand, se révèle prédateur redoutable, mais il est adopté à ses dépens par un universitaire à qui il est présenté comme appartenant à une espèce protégée, ce qui est le sésame pour lui. Un couche-tôt est ulcéré par le bruit télévisuel d'un voisin avec lequel il est prêt à s'engueuler mais qui est tellement charmant qu'il regarde avec lui la petite lucarne.

 

La nouvelle la plus grinçante, me semble-t-il, est celle d'un automobiliste qui roule à toute allure en direction du sud, qui renverse et tue une jeune cycliste. Convaincu depuis toujours que la surpopulation est le plus grand péril de notre époque, il se donne bonne conscience en se disant qu'il a contribué au salut de la planète en la débarrassant d'une personne qui aurait consommé des tonnes d'équivalent pétrole. Du coup il récidive.  

 

Des personnages de certaines nouvelles sont à côté de la plaque. Ainsi un couple veut-il faire un cadeau de poids à un autre couple, de voisins, et trimballe ce fardeau pendant toutes ses vacances. Au retour, au moment de le donner, il s'aperçoit qu'il est complètement inapproprié et qu'il doit le garder. Un pépé inquiet de l'islamisation du pays demande à une jeune femme, dont il ignore qu'elle est fiancée à un musulman, de l'emmener voter contre la construction de minarets.

 

Dans la vie, la mort occupe une place que l'auteur ne veut pas ignorer, puisque ses nouvelles, sans l'air d'y toucher, soulèvent nombre de questions existentielles. Une femme se livre au spiritisme pour entrer en contact avec son jeune garçon disparu et finit par vouloir le rejoindre. Une autre femme, jeune, voit son heure venue, alors que rien ne le laissait présager, et conclut un pacte avec la faucheuse qui, spécialisée dans les morts à l'aveuglette, ne peut revenir bredouille et en emmène une autre.

 

Sabine Dormond, dans ces textes courts, où chaque mot compte, ne laisse aucun répit au lecteur, ravi de se faire malmener de si belle et si folle façon. La densité et la diversité des thèmes abordés contribuent à nourrir ses réflexions sur l'humaine condition, l'auteur lui laissant toute liberté d'interprétation. La brièveté de ces nouvelles permet de les relire, donc de les savourer, jusqu'à satiété.

 

Francis Richard

 

Full sentimental et autres nouvelles, Sophie Dormond, 160 pages, Editions Mon Village ici    

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14 août 2012 2 14 /08 /août /2012 14:30

Royal RomanceLe titre m'intriguait. J'ai donc fait l'acquisition du dernier livre de François Weyergans pour cette raison futile. 

 

Pourquoi l'adjectif ne s'accordait-il pas au substantif? En fait j'aurais pu en faire l'économie. La réponse se trouvait page 23:

 

"C'est le nom du cocktail - moitié gin, un quart de Grand Marnier, un quart fruit de la passion, un soupçon de grenadine - dont raffolait Justine, la jeune femme qui sera l'héroïne de ce livre."

 

Heureusement qu'en feuilletant le livre je n'ai pas connu alors la réponse à mon interrogation. Sinon serais-je allé plus loin dans ma lecture? Dans ce cas j'aurais manqué quelque chose.

 

Le héros, Daniel Flamm, sans e - décidément! -, est écrivain à succès, la soixantaine. Il est marié à Astrid, "fille d'une riche antiquaire de Zurich, qui assumait les dépenses de la famille". Ils ont deux filles Iris et Olga.  

 

Cinq ans plus tôt, la rencontre avec l'homme d'affaires Ari Torkkel va changer sa vie. Il est embauché par ce dernier pour promouvoir le papier-matière qu'il produit. Ce qui va lui donner l'occasion de voyager un peu partout dans le monde, de descendre dans les meilleurs hôtels et de faire des rencontres féminines, puis, au bout du compte, de bénéficier de larges indemnités.

 

Au Canada, dans la belle province du Québec, il fait justement la rencontre de Justine, dont le prénom n'a rien à voir avec l'héroïne de Sade, mais tout à voir avec sainte Justine, la patronne d'un hôpital de Montréal, où sa mère à elle, enfant, a eu la vie sauve. Daniel en est amoureux, mais peut-être ne mesure-t-il pas combien elle représente pour lui.

 

En effet Daniel est un homme à femmes, couvert de femmes pour reprendre l'expression de Pierre Drieu la Rochelle. Il dit de façon plus actuelle qu'il appartient "à la catégorie des sujets à partenaires multiples". Jusqu'au dénouement, le charme, pour lui, de ses rapports avec Justine ne va donc tenir que dans la rareté de leurs rencontres.

 

Daniel Flamm raconte aujourd'hui leurs rapports parce qu'il a besoin de se délivrer une bonne fois pour toutes de cette histoire déjà ancienne. Cette jeune femme, de vingt à vingt cinq ans plus jeune que lui, qui appartient à la même catégorie sexuelle que lui, lui a apporté beaucoup d'instants de bonheur, par sa présence, par ses sms, par ses enregistrements de cassettes, où elle lui dit tout son amour, de toutes les façons.

 

Dès le début Daniel a prévenu le lecteur. Très représentative de notre époque, son histoire avec Justine est dramatique. C'est pourquoi il ressent le besoin irrépressible, mais inutile, de s'en délivrer:

 

"Raconter un drame aide-t-il à vous en délivrer? Bien sûr que non, bien qu'on nous fasse miroiter le contraire. On aimerait que ce soit comme ça, on aimerait être délivré, mais se souvenir est une horreur."

 

Se souvenir est une horreur parce qu'à force de papillonner et de pratiquer la désinvolture Daniel Flamm n'a pas su voir l'amour, le vrai, l'unique, qui se trouvait devant son nez. Je ne sais donc pas si, ce qu'Oscar Wilde disait, pourrait le consoler dans de telles circonstances: "J'aime mieux avoir des remords que des regrets".

 

Francis Richard

 

Royal Romance, François Weyergans, 216 pages, Julliard ici

 

François Weyergans présente son livre sur le site des éditions Julliard:

 

 

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11 août 2012 6 11 /08 /août /2012 17:00

Le-ravissement-de-l-ete.jpgA la devanture d'une librairie de Saint Jean-de-Luz mon oeil est attiré par la couverture du livre de Luisa Etxenike. La belle femme de quarante ans ne me regarde pas, mais derrière elle, alors qu'elle est assise au bord d'une eau scintillante, l'été, vêtue d'une robe bleue, élégante et légère, qui dessine son corps. 

 

C'est le nom de l'auteur plus que la femme de la couverture qui, je sais, a capté mon attention. Parce que c'est un patronyme typique du pays où je me trouve.

 

En prenant le livre en main j'apprends que l'auteur est effectivement basque, espagnole, et qu'il s'agit de son premier roman traduit en français. Il n'en faut pas davantage pour que je veuille l'habiter aussitôt, dans la chaleur d'un été basque caniculaire.

 

Le roman se passe à San Sebastian et dans un village perdu au milieu de vignobles. Les événements ont lieu au présent et quinze ans auparavant. Les trois personnages prennent tour à tour la parole pour nous conter cette histoire, chacun à sa façon.

 

Raul Urbieta est, par excellence, le fils de famille de la ville, de San Sebastian. Il est bien conscient du milieu aisé dont il est issu. Il en use et en abuse. Cette vie trop facile lui joue des tours, parce que, surtout, il manque d'envie et que tout lui semble dû. Il s'endette jusqu'au cou et cherche par tous les moyens à obtenir l'aide pécuniaire de sa mère et se met en quête d'une faille dans sa vie à elle pour l'y obliger.

 

Fermin Lizarazu est le fils d'une famille de la campagne, où l'on cultive le vin - le titre original du livre est Vino. Ses parents aimeraient qu'il fasse des études de médecine, mais très tôt il se met à parler la langue propre du vin, qui lui permettra plus tard de s'épanouir. Il a acquis une grande connaissance en la matière, par l'observation minutieuse, et amoureuse, sur le terrain, puis en faisant des études d'oenologie à Bordeaux.

 

Isabel Astiazaran est la mère de Raul. Au contraire de son fils c'est une personne déterminée, en quête de profondeur. Certes elle a hérité d'une véritable fortune, mais cela ne lui a pas tourné la tête. Elle a cinquante-cinq ans aujourd'hui et son mari, toujours amoureux d'elle, vit loin, à Atlanta, où il a créé une entreprise, et ne vient la voir qu'une fois par an, pour son anniversaire. Et c'est très bien comme ça.

 

Seize ans auparavant Raul Urbieta père a eu la riche idée de vouloir passer des vacances différentes dans le village de Fermin. Deux étés de suite Fermin est chargé par ses parents de tenir compagnie à Raul. Les deux garçons ne s'entendent guère et échangent des propos peu amènes, Raul jouissant du pouvoir qu'il exerce sur Fermin. Chaque après-midi Raul doit travailler pour rattraper des matières, son père est absent, sa mère se prélasse au soleil sur la terrasse, Fermin attend.

 

En pénétrant par effraction dans l'appartement que possède sa mère à Saint Jean-de-Luz au 22 de la rue Gambetta, face à l'église, Raul découvre des dessins de Fermin, reliés pieusement par sa mère, où Fermin parle avec ravissement du dernier jour du deuxième été. Raul croit détenir là la faille pour faire chanter sa mère. Mais il se trompe sur ce qui s'est passé ce dernier jour, il ne sait rien et ne saura jamais rien.

 

Furieux de ne pas parvenir à ses fins, Raul, prenant un malin plaisir à la douleur d'autrui, laisse libre cours à son instinct destructeur. L'effet produit n'est pas celui qu'il escomptait. Il provoque seulement la montée du souvenir chez Fermin de son initiation par Isabel et d'un souvenir particulier chez cette dernière qu'elle ne révélera qu'au seul Fermin, souvenirs qu'ils ne sont pas sûrs, ni l'un, ni l'autre, de vouloir archiver dans leur mémoire:

 

"La mémoire appartient au temps, pense Isabel, et vieillit en conséquence. Elle perd en acuité, estompe les faits, les altère, les change de place. Alors que le souvenir, au contraire, fait très attention. Le souvenir appartient à la vie, et tant que tu n'es pas morte, il persiste, intact. Eveillé, en alerte." 

 

Luisa Etxenike est à l'aise dans la peau de ses trois personnages. Elle sait les faire parler tour à tour de ce qui les préoccupe, de ce qui les tourmente, de ce qui est enfoui au fond d'eux-mêmes. Ce sont bien des êtres de chair, passionnés, qui peuvent souffrir mais aussi trouver leur plaisir. Ils forment un ménage à trois inédit, dont l'un s'exclut de lui-même en suscitant la rage des deux autres. Une fois le livre refermé, ils vivent encore.         

 

Francis Richard

 

Le ravissement de l'été, Luisa Etxenike, 192 pages, Robert Laffont ici    

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10 août 2012 5 10 /08 /août /2012 10:25

L'Âme du monde LenoirDepuis la nuit des temps d'aucuns tentent vainement de dire ce qui rassemble les hommes plutôt que ce qui les sépare.

 

Frédéric Lenoir qui a une connaissance indéniable des différentes spiritualités du monde tente à son tour de gagner cette gageure. Il le fait à la faveur d'un conte initiatique.

 

Sept sages, de par le monde, font un rêve étrange. Ils doivent tous se rendre à Toulanka, où se trouve un monastère tibétain.

 

Ces sept sages représentent différentes traditions philosophiques et spirituelles de l'humanité: Rabbi Schlomo le judaïsme, Ansya le chamanisme, le père Pedro le catholicisme, Ma Ananda l'hindouisme, Maître Kong le taoïsme, Cheik Youssuf l'islam, Gabrielle la philosophie grecque.

 

Tous se rendent donc à Toulanka. Seule Gabrielle est accompagnée de sa fille, Natina, âgée de bientôt quatorze ans. Ils y sont accueillis par un moine bouddhiste, Lama Dorjé, qui leur présente la réincarnation de son grand maître, Lama Tokden Rinpoché, en la personne d'un jeune lama de douze ans, Tenzin Pema Rinpoché.

 

Leur première nuit, ces sages, au nombre de huit maintenant, font un cauchemar dans lequel le symbole de leur spiritualité est détruit. Le lendemain les interprétations de ces songes fusent. A la veille d'une catastrophe imminente et indéfinie, qui pourrait bien être "la fin d'un monde fondé sur les grandes traditions religieuses", ils finissent par se convaincre qu'il leur faut livrer les clés de la sagesse universelle à Tenzin et Natina, qui sont l'humanité à venir, pour qu'elle ne se perde pas.

 

Ils se mettent donc tous d'accord sur un enseignement à dispenser aux deux jeunes gens et commencent, pour ménager les susceptibilités, par reprendre l'expression grecque d'Âme du monde, pour éviter de parler de Dieu, d'intelligence organisatrice ou d'énergie spirituelle. Ils la définissent comme "une force mystérieuse et bonne qui maintient l'ordre du monde".

 

Les clés de la sagesse sont au nombre de sept. Pour chacune d'entre elles Frédéric Lenoir fait parler plusieurs sages. Leur intervention est précédée de la formule qui devient rituelle: un sage prit la parole et dit. Les développements et raisonnements, qui proviennent de toutes les spiritualités présentes, sont illustrées parfois de contes empruntés à ces diverses traditions.

 

La sagesse exprimée sous ces différentes formes est effectivement la sagesse même. A chaque clé une image ou une expression qui la résume:

 

- le port est ce pourquoi nous sommes faits, ce qui suppose la clarté de l'esprit, la source est de ne pas oublier ce qui est le plus important, ce qui suppose la bonté du coeur;

- le noble attelage de tout homme est composé de deux chevaux, le corps physique et le corps psychique, et d'un cocher, l'âme spirituelle ou l'esprit: il faut maîtriser cet attelage;

- "Vas vers toi-même": il faut se connaître soi-même;

- "Ouvre ton coeur": il faut laisser à l'amour le soin de faire entendre sa musique du lien et du don;

- le jardin de l'âme: il faut cultiver les qualités et rejeter les poisons;

- "Ici et maintenant": il faut vivre l'instant;

- "De l'acceptation de ce qui est": il faut accepter le réel tel qu'il est.

 

Dans l'ensemble il est effectivement possible de souscrire à cette sagesse. Mais l'auteur, qui poursuit ouvertement un dessein syncrétiste, ne peut pas s'empêcher de refuser à un des sages, qui peut être le catholique, le juif ou le musulman, de penser que toutes les spiritualités ne se valent pas et que sa religion révélée est la vraie.

 

A l'appui de cette interdiction de pensée, Frédéric Lenoir dépeint le sage en question, tenté par le meurtre, comme si avoir la ferme conviction d'être dans le vrai ne pouvait conduire qu'au crime. Accepter que quelqu'un ne pense pas comme vous ne signifie pas non plus qu'il faille accepter ce que vous désapprouvez...

 

La fin du livre, apocalyptique, est une vision de l'auteur toute personnelle du monde, qui se passe de commentaires:

 

"Par sa convoitise sans limites, l'homme est en train de piller et de dérégler l'harmonie qui gouverne le monde."

 

Francis Richard

 

L'Âme du monde, Frédéric Lenoir, 218 pages, NIL ici 

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7 août 2012 2 07 /08 /août /2012 23:25

Liaison romaineIl n'est pas donné à tout le monde de savoir joindre l'utile à l'agréable. D'aucuns réussissent au contraire à joindre l'inutile au désagréable C'est ce qui arrive au protagoniste du dernier livre de Jacques-Pierre Amette.

 

Paul est journaliste. Il est envoyé par son journal pour rendre compte de l'ambiance qui règne à Rome, juste avant la mort annoncée du pape Jean-Paul II en mars 2005.

 

Visiblement il n'est pas fait pour écrire sur un tel sujet, puisque ses connaissances en matière de religion catholique sont des plus ténues.

 

De plus il a bien du mal à "marquer la différence entre soucis professionnels et batifolages érotiques". En fait d'ambiance il se sent surtout attiré par les "pécheresses arrondies, opulentes, figées" et parle en termes choisis et évocateurs du corps de son amante.   

 

Il pourrait très bien laisser libre cours à sa "méthode lunaire, fureteuse, oblique, obstinée", se servir de ses "flâneries impressionnistes" pour baigner son regard "un peu myope dans les couleurs de Rome". Au lieu de cela, d'être lui-même, il voudra en forçant son talent écrire "un peu littéraire" et écrira ... ampoulé.

 

Neuf mois plus tôt, en juin 2004, il est venu à Rome avec Constance, sa compagne depuis huit ans. Elle est jeune, il est grisonnant. Pourtant, à l'époque, ils filent tous deux le parfait amour, hormis le fait qu'elle garde secrète son enfance et que, depuis le temps, il n'a jamais pu faire la connaissance ni de sa mère, ni de sa soeur.

 

Paul fait venir Constance à Rome. Mais elle devient "étanche, protégée par une froideur stupéfiante". Depuis quelques mois déjà il avait senti que ce qu'il lui disait n'avait plus d'importance. Cela ne l'avait pas empêché de fantasmer dur quand il ne la voyait pas, d'être toujours aussi excité en sa présence.

 

Etonnamment Constance veut bien cette fois lui parler de son enfance comme s'il s'agissait aussi de la sienne. Il aurait dû y voir un signe. Il aurait dû aussi comprendre que Constance aurait aimé qu'il lui parle avec gentillesse et s'occupe bien d'elle.

 

Son article et son amour finissent donc par être décevants, contre toute attente:

 

"J'avais cru faire du journalisme, j'avais cru aimer quelqu'un, mais non j'avais traversé un paysage de fantômes."

 

Cette foi mal placée rend le lecteur tout déconfit: la liaison romaine est définitivement coupée.

 

Francis Richard

 

Liaison romaine, Jacques-Pierre Amette, 154 pages, Albin Michel ici

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6 août 2012 1 06 /08 /août /2012 17:00
Avenue-des-geants.jpgL'été est une saison propice à la lecture de thrillers. Pour peu qu'il fasse beau. Les meurtres, comme la misère, ne sont-ils pas moins tristes au soleil? 
 
Dans Avenue des géants, Marc Dugain a romancé la vie d'un criminel qui croupit toujours dans une prison américaine et dont il a appris l'existence en regardant une émission de la chaîne Planète.
 
Le héros de ce roman, Al Kenner, a à peine seize ans au tout début de cette histoire, mais c'est déjà un géant, puisqu'il mesure 2,20 m et que bientôt son poids sera de 130 kg.
 
Al nous raconte à la première personne son histoire peu banale. En effet le 22 novembre 1963, jour de l'assassinat de John Kennedy, il tue ses grands-parents paternels à l'aide d'une Winchester, elle parce qu'il le doit, lui parce qu'il ne veut pas qu'il en ait de la peine.
 
Après ce double meurtre il fait la route à moto avec de l'argent volé aux défunts, mais au bout de peu de temps son envie d'avaler des kilomètres s'éteint et il se rend aux forces de police. Jugé atteint d'une schizophrénie paranoïde il est interné en asile psychiatrique, suit une thérapie, est autorisé à faire des études, sort au bout de cinq ans, avec la recommandation de n'habiter que temporairement chez sa mère.
 
Sa vie semble avoir pris un cours normal. Il fait des petits boulots, pompiste dans une station-service ou travailleur sur des chantiers routiers. En fin de récit il obtient que sa conditionnelle soit levée, que son casier redevienne vierge. Il doit même se marier avec la fille du patron de la Criminelle de Santa Cruz, qui, en raison de ses connaissances en psychologie, en fait un auxiliaire de police.   
 
Ce récit d'une rédemption est toutefois entrecoupé d'entretiens professionnels - relatés cette fois à la troisième personne - qu'il a en prison plusieurs décennies plus tard avec Susan, une adepte de la contre-culture des années 1960, qu'il a connue à l'époque, et qui a toujours le béguin pour lui, sans qu'il n'y ait de sa part à lui la moindre réciprocité. Qu'a-t-il donc fait pour se retrouver derrière les barreaux, se demande le lecteur?
 
Al a un QI supérieur à celui d'Enstein. Il a une mémoire d'éléphant. Mais il manque de persévérance, sans doute en raison de ses facilités et souffre d'une cruelle infirmité. En effet il n'éprouve aucun désir physique en présence des femmes, reste sans érection à leurs caresses, et ne trouve son plaisir qu'en solitaire grâce à un fantasme de décapitation. Il n'est pas pour autant un homosexuel refoulé, puisque seules "les petites bourgoises lisses et propres" l'excitent, d'autant plus qu'elles lui sont interdites.
 
Lors de ses entretiens à l'hôpital, Leitner, le psy qui lui est désigné, touche du doigt ce qui tourmente Al, mais un accident coûte la vie au docteur et interrompt le processus de découverte de la vérité psychique de son patient. Certes, tout au long, de sa narration Al fait son auto-analyse et livre au lecteur des indices, mais il faut attendre les vingt-cinq dernières pages pour avoir la clé de ce qui le meut, et arriver au dénouement.
 
Le livre de Marc Dugain doit son titre symbolique au nom d'une avenue que jalonnent des arbres immenses, où Al a un accident de moto lors d'une virée nocturne. Cet accident, sans que le lecteur ne s'en doute, est un point d'inflexion important dans sa nouvelle vie, parce que, blessé au pied et au bras, il doit retourner cohabiter avec sa mère.
 
Le grand mérite de Marc Dugain est de ménager le suspense jusqu'au bout et d'avoir suffisamment d'empathie pour son personnage pour nous faire parcourir avec lui tous les méandres intimes de son esprit dérangé. Ce qui ne l'empêche pas, bien que le sujet soit terrifiant à bien des égards, de pratiquer un humour noir de circonstance, qui est somme toute bienvenu.
 
Francis Richard 
 
Avenue des géants, Marc Dugain, 368 pages, Gallimard ici
 
Le 19 avril 2012 Marc Dugain parle de son livre avec François Busnel sur France 5:
 
 
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4 août 2012 6 04 /08 /août /2012 18:20

Ferenc-Rakoczy.jpg"Normal, anormal...qui peut départager ça?" dit un personnage du livre de Ferenc Rakoczy. C'est bien le problème de l'humaine condition.

 

Les Français ont depuis trois mois un président normal, du moins selon ses propres dires. Est-ce bien raisonnable? Mais, faut-il être raisonnable?

 

Le moins qu'on puisse dire est que les personnages de ces six récits, écrits au fil du temps, dans des lieux inspirés différents, sont hors normes. Et pourtant il y a peu de distance entre eux et le commun des mortels.

 

Car, apparemment, ils sont tous peu ou prou des personnages ordinaires. Mais Ferenc Rakoczy leur ajoute ce petit grain de folie qui les distingue et dont aucun être humain n'est capable de faire toujours l'économie, même pas en rêve.

 

Le cousin d'Henri, Vasse, est un garnement comme les autres, peut-être juste un peu plus intrépide. Sa témérité va le conduire à vivre une aventure peu banale qui remplira les autres gamins d'effroi. Au cours d'un coma il va subir une métamorphose intérieure inoubliable, qui le fera retourner aux origines supposées de l'espèce, après avoir franchi le pas au travers de la glace d'un étang rempli de carpes.

 

Gabriel est psychiatre. L'un de ses patient gît sur un lit d'hôpital, attaché. Il a fallu en arriver là, à la contention, parce qu'Estoppey a montré qu'il pouvait être violent, voire cruel. Au cours des discussions qu'ils ont ensemble, le patient se révèle redoutable pour le docteur qui ne sait plus très bien où se trouve la norme. Dieter, l'infirmier solide sur ses pieds, lui remet les idées en place:

 

"Tous les hommes sont une exception à une règle qui n'existe pas."

 

Le narrateur du troisième récit est fiancé à Liliane. C'est elle qui insiste pour qu'il fasse la connaissance de Carmen, la cuisinière des Murets, la maison de ses parents, qui mènent grand train et vivent sur leur capital. Il n'est pas indifférent à la jeune Espagnole qui se refuse à lui. De rompre ses fiançailles provoque le départ de la belle qui, après une enfance douloureuse, n'aspire qu'à vivre à peu près normalement et à être à la hauteur.

 

Dominique, quadragénaire, est très belle, mais elle a recours à la chirurgie esthétique pour corriger la moindre imperfection de son corps qui pourrait déplaire à Charles, son mari. Un jour, elle a tellement embelli et rajeuni que son mari, qui la croit ailleurs, la drague et la met dans son lit sans la reconnaître. Après ce rêve étrange, mais pas innocent, elle revient à la réalité et retrouve son homme de primatologue, dans la forêt où il exerce. Elle se dit:

 

"La beauté, c'est peut-être tout simplement ce qui se rapproche le plus de ce que fait la nature: mettre les choses comme il faut, où il faut, au moment où il faut, et que tout s'imbrique parfaitement."

 

Le narrateur du cinquième récit rencontre un vieillard éperdu qui a rendez-vous avec son fils qu'il n'a pas vu depuis des années. En fait ce dernier n'a pas osé venir à l'heure dite. Le lendemain le vieillard, David Jarrod, meurt. Peu de temps après le narrateur rencontre le fils Jarrod, qui est un Yéniche. Ils évoquent ce rendez-vous manqué qui rappelle au narrateur le suicide en direct, via téléphone mobile, de son cousin Jacques.

 

Vincent fait entrer furtivement trois autres individus, Gustave, Eddy et Benn, dans un entrepôt animalier dont il est le gardien. Ces quatre-là, aux allures de conspirateurs, sont en fait des artistes marginaux qui veulent exposer leurs oeuvres ensemble alors qu'au fond ils sont très dissemblables. Les trois autres se disputent tellement fort qu'à son retour Vincent, qui s'est éloigné un moment, est projeté à terre et blessé par un molosse, échappé de sa cage, parce qu'il l'a cru en danger.

 

Tous ces récits ont en commun de nous faire pénétrer sous la boîte crânienne de personnages qui se trouvent dans des situations que nous pourrions fort bien connaître, pour peu que nous nous écartions un peu de la norme... L'auteur nous fait partager leurs pensées qu'ils gardent pour eux, leurs désirs qu'ils prennent parfois pour des réalités, leurs attentes déçues parce qu'ils manquent de décision.

 

Ces récits sont écrits dans une langue recherchée, jalonnée de mots savants et précis. Ce style brillant convient parfaitement à l'onirisme décalé qui les nimbe et auquel il apporte une touche d'inhabituel. Il contribue au malaise que procure le récit de destinées qui, à peu de choses près, auraient très bien pu se dérouler différemment.

 

Francis Richard

 

Laissez dormir les bêtes, Ferenc Rakoczy, 232 pages, L'Age d'Homme ici

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2 août 2012 4 02 /08 /août /2012 09:35

Vaclav-Klaus.jpgL'européisme est la version continentale du mondialisme, qu'il ne faut pas confondre avec la mondialisation. 

 

L'européisme, comme le mondialisme, n'a rien de spontané mais tout du prémédité. 

 

A leur échelle, leur but à chacun est d'asservir les peuples pour faire leur bonheur, malgré eux, d'en haut. Le contraire de la subsidiarité.

 

Jacques Pilet, chroniqueur à L'Hebdo, est l'un des chantres de l'européisme en Suisse romande.

 

Dans sa chronique du 26 juillet 2012, il affirme péremptoirement que la construction communautaire européenne est le seul barrage contre les menées anti-démocratiques du continent, alors que, justement, elle donne l'exemple de ce que peut être un autoritarisme supranational.

 

Dans un livre, intitulé Sauver les démocraties  en Europe, composé de discours et d'interventions, d'articles et de textes divers, qui s'échelonnent de 2003 à 2011, Vaclav Klaus décortique l'idéologie européiste.

 

Dans un article publié ce jour sur lesobservateurs.ch j'oppose donc la conception de celui qui a vécu sous le joug communiste à celle de l'intellectuel qui a prospéré dans le nid douillet helvétique.

 

Francis Richard

 

Sauver les démocraties en Europe, Vaclav Klaus, 224 pages, François-Xavier de Guibert ici

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28 juillet 2012 6 28 /07 /juillet /2012 18:00

Des-etoiles-sur-mes-chemins-G-Favre.jpgComment prendre réellement congé de quelqu'un qui a disparu et qu'on n'a pas vraiment connu de son vivant? En partant à la recherche de son passé, en faisant un énorme travail de mémoire. Dans son dernier livre c'est à cet exercice que se livre Gilberte Favre.

 

Le disparu est son père, ce taiseux, qui, certes, lui a appris à écouter le silence et à regarder les étoiles, mais qu'il lui a fallu découvrir rétrospectivement, pour achever de faire son deuil.

 

Cette recherche n'a pas été pas sans danger. Elle a réveillé inévitablement d'autres souvenirs qui parfois se sont avérés douloureux. Pour parvenir à les surmonter il lui a été nécessaire d'éclairer ses chemins à la lumière d'autres étoiles que celles qui se trouvent dans le ciel.

 

Ainsi Gilberte, prénom proustien, a-t-elle dû faire resurgir les souvenirs de sa mère, "retombée en enfance" avant la fin; de l'unique Amour-Osmose de sa vie, Nourredine, mangé par le Crabe; de son "frère", cette Ombre Maléfique, qui a obtenu de leur père qu'il coupe les ponts avec elle et les siens, dont son unique petit-fils, pendant des décennies.

 

Dès le plus jeune âge, Gilberte a rejeté le monde des "grandes personnes" qui exige trop de compromissions. Elle a trouvé refuge dans la lecture et dans l'écriture des mots, dont elle associe volontiers sens et sonorités:

 

"Pouvoir les écrire comme ils viennent, à la fois doux et lancinants, au moment précis où ils surgissent. Et peu importe qu'ils soient porteurs d'espérance ou de malheur. Les écrire absolument."

 

Plus tard, nomade dans l'âme, elle a parcouru la planète:

 

"Si je voulais écouter, sentir - par les pieds les mains ma peau mes oreilles et mes narines - toutes les vibrations du Monde, il me fallait partir et longtemps, pieds nus dans les steppes et les déserts."

 

Apatride en esprit, elle a rencontré le plus grand nombre possible de ses frères humains répartis sur la planète, survivants de guerres et de famines, de tortures et de camps, et elle s'est rendu compte qu'elle pouvait aimer de parfaits inconnus, sans doute parce qu'à quinze ans à peine elle s'était juré d'être du côté des plus faibles et des sans-voix.

 

Gilberte a entrevu beaucoup de visages sur ses chemins. Mais elle a aussi fait d'autres rencontres qui ont compté encore davantage pour elle, comme celle de son Père-Poète, Maurice Chappaz, d'Andrée Chedid, d'Eleni Kazantzaki ou de Ghassan Tueni.

 

Il ne lui restait plus qu'à retrouver le temps de son père qui n'avait été pour elle ni autoritaire ni protecteur, qui avait toujours eu de la peine à lire et n'avait lu aucun de ses livres, qui était un grand travailleur et connaissait les noms des montagnes et des ruisseaux, moins redoutables pour lui que les lacs ou les mers.

 

En retraçant les itinéraires et les étapes de la vie de ce père, ex-petit berger - plus souvent à l'étable ou à la pâture qu'à l'école -, devenu chef d'équipe sur des chantiers, qui pensait "que la "vraie vie" et la Vérité étaient dans le Ciel et dans la Nature plus que dans les livres", Gilberte a déchiffré le mystère d'un "orphelin inconsolable", qu'aucune ombre maléfique ne pourra plus lui occulter.

 

Francis Richard

 

Des étoiles sur mes chemins, Gilberte Favre, 216 pages, L'Aire ici

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21 juillet 2012 6 21 /07 /juillet /2012 07:50

Vie-conjugale.jpgIl est de bon ton de considérer avec mépris les oeuvres humoristiques. Parce qu'elles font rire ou sourire, elles ne seraient pas sérieuses. Pourtant il est plus facile de faire pleurer Margot que de lui activer les zygomatiques.

 

Quand j'ai vu la couverture du livre de Kyra Dupont-Troubetzkoy au dernier Salon du Livre de Genève, j'ai bien aimé le contraste entre le gros ventre appuyé contre le cher et tendre et la batte de base-ball derrière le dos, tout en me disant que je devais lire ce petit essai en cachette de ma femme pour ne pas lui donner de mauvaises idées.

 

Comme j'ai pensé tout haut, l'auteur m'a suggéré avec malice de le couvrir sans tarder, ce que d'aucuns font quand ils lisent un ouvrage au titre sulfureux...

 

La narratrice, Marie Julliard, a trente-cinq ans. Elle est journaliste, "bobo, intello, précaire", intéressée par l'environnement. Elle écrit sur le réchauffement, la pénurie alimentaire, la crise énergétique. Banal.

 

Un jour, lors d'un vernissage, Marie rencontre Paul Rocagel, ingénieur, qui "travaille depuis des années à trouver des alternatives au béton, à la coupe de bois sauvage". Les divagations artistiques de Marie n'ont pas l'heur de le séduire.

 

Deux jours plus tard Marie participe à une conférence de presse à laquelle Paul participe. Elle lui pose des questions qui doivent être plus convaincantes, puisqu'il demandera sa main quatre ans plus tard, qu'ils se marieront et auront ... deux enfants.

 

En trente-six épisodes, dont certains comportent deux, trois ou quatre sous-épisodes, Marie raconte sa vie conjugale, avec Paul, dans un désordre chronologique qui ne nuit pas au récit, avec quelques flash-backs sur son enfance qui expliquent bien des choses.

 

La vie conjugale n'est pas seulement la vie d'un couple qui roucoulerait sur une île déserte. Il y a aussi les autres - dont Sartre disait qu'ils sont l'enfer -, les parents, le frère, la belle-famille, les amis, garçons et filles. Ils pimentent la vie conjugale, a fortiori lorsque le premier enfant paraît.

 

En lisant ce petit essai assassin on se rend compte que si des choses ont indéniablement changé en une génération - l'auteur a 20 ans de moins que votre serviteur - les tendances lourdes, et les contingences, demeurent, ce qui est, ou n'est pas, rassurant, c'est selon...

 

L'auteur, en tout cas, a du souffle. Tout au long de ce premier roman elle alterne sans faiblir réflexions décalées, auto-dérision, qui s'étend à toute la gent féminine, et flèches décochées aux mâles, qui les méritent d'autant plus lorsqu'ils s'installent dans un ronron télévisuel ou lorsqu'ils émettent des formules toujours plus stéréotypées.

 

Cet assassinat de la vie conjugale, qui survit tout de même à tous les avatars, est surtout une satire réjouissantes des bobos, qui restent des bourgeois, en dépit de leurs velléités d'être des bohèmes. Il est décidément bien difficile de rompre toutes les amarres et de se réfugier dans un déni de la réalité.     

 

Francis Richard

 

Petit essai assassin de la vie conjugale, Kyra Dupont Troubezkoy, 224 pages, Editions Luce Wilquin ici

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12 juillet 2012 4 12 /07 /juillet /2012 22:00

Eunsun KimQue sait-on de la Corée du Nord? Pas grand chose, pour la bonne raison que c'est un pays qui vit en vase clos et où le peuple est encore de nos jours retenu prisonnier.

 

Une fois qu'on a dit qu'il s'agissait du dernier pays stalinien de la planète (est-ce vrai?), on a tout dit. Mais c'est un peu court pour se faire une idée de ce qui s'y passe réellement.

 

Eunsun Kim n'est pas le nom de l'auteur. Afin de ne pas mettre en danger les membres de sa famille restés là-bas, elle a pris ce pseudonyme.

 

Aidée de Sébastien Falletti, correspondant du Figaro et du Point à Séoul, Eunsun Kim lève dans son livre un coin du voile qui recouvre pudiquement la vérité sur l'enfer coréen et sur le socialisme dynastique des Kim.

 

Au fil du récit Eunsun nous révèle en effet la vie quotidienne en Corée du Nord, l'embrigadement des esprits dès l'école, l'obligation d'assister à des exécutions publiques dès le plus jeune âge, le culte de la personnalité vouée à Kim Il-sung puis à son fils Kim Jong-il, l'ignorance de ce qui se passe dans le reste du monde, capitaliste, dépeint comme un enfer. 

 

Son témoignage est certes très émouvant, mais il est aussi très instructif parce qu'il nous montre la Corée du Nord vue par une enfant, qui y a vécu jusqu'à ses douze ans et qui n'a dû qu'à la fuite d'être toujours de ce monde. C'est le récit de cette fuite salutaire, avec les pieds, qui nous est conté.

 

Eunsun Kim, sa grande soeur Keumsun et leur mère n'ont pas fui parce qu'elles étaient hostiles au régime en place, dont elles ne comprendront l'inhumanité et l'asservissement que bien après, mais parce qu'elles avaient faim et parce qu'elles voulaient tout bonnement survivre. Or il ne leur était plus possible de se nourrir faute de ressources.

 

L'économie nord-coréenne vit sous perfusion de l'Union soviétique. L'aide du grand frère communiste cesse avec la chute du régime en 1991. A partir de cette année-là l'économie de la Corée du Nord est complètement déstabilisée. Et la famine y fait son apparition dans le milieu des années 1990.

 

En 1994 les grands-parents de l'auteur y succombent, puis son père en novembre 1997. Le récit commence d'ailleurs vraiment quelques semaines plus tard. Eunsun raconte qu'elle est gagnée par le désespoir quand, au bout de six jours, elle ne voit pas revenir sa mère et sa grande soeur, parties pour la grande ville voisine à la recherche de nourriture.

 

Eunsun rédige alors son testament - elle a onze ans -, puis s'endort avec la pensée qu'elle ne se réveillera plus jamais. Quelques heures plus tard, elle est réveillée par sa mère, suivie de sa grande soeur. Elles sont malheureusement rentrées bredouilles, mais, au moins, Eunsun n'est plus seule si, désormais, son enfance lui est définitivement volée.

 

A bout de forces la mère d'Eunsun l'envoie chez une amie et envoie Keumsun chez une de ses soeurs. A leur retour elle a pris sa décision, fuir. Où? En Chine. Comment? En traversant une rivière qui est la frontière naturelle entre les deux pays et qui se trouve à une heure de la petite ville où elles habitent.

 

Les 9 ans du sous-titre du livre sont le temps qu'il leur faut pour rejoindre la Corée du Sud après toutes sortes de tribulations. Pour survivre Eunsun devient fille de rue après la première tentative avortée de franchissement de la frontière. A l'issue de la deuxième tentative toutes trois sont vendues par leur hôtesse chinoise à un fermier qui veut que la mère lui donne un fils.

 

Après la naissance du petit frère d'Eunsun, Tchang Tsian, les trois nord-coréennes sont dénoncées et la police chinoise les renvoie dans l'enfer nord-coréen. Après avoir été en camp de rééducation, elles saisissent une occasion de partir en cavale et de franchir une troisième fois la frontière:

 

"La misère en Chine vaut quand même mieux que la famine en Corée du Nord."

 

Après être retournées à la ferme chinoise, leur seul point d'ancrage en Chine, la vie y devenant très vite un enfer, elles prennent la fuite une nouvelle fois, vivent en clandestines et commencent à rêver de Corée du Sud, où elles finissent par aboutir après bien des péripéties et grâce à une grande persévérance, mais où elles sont considérées comme des citoyennes de deuxième classe.

 

L'auteur conclut son récit en ces termes:

 

"Si ce témoignage peut participer à la prise de conscience générale de notre détresse et alerter le reste du monde, justement, sur l'iniquité et le tragique anachronisme du régime nord-coréen, il n'aura pas été inutile."

 

Aucun témoignage sur la servitude n'est jamais inutile, ne serait-ce que pour se rendre compte combien est précieuse la liberté. Car la liberté est toujours menacée, même dans nos pays, même si c'est à un bien moindre degré. La défense de la liberté est un combat qu'il faut sans cesse recommencer contre les Etats, toujours enclins, par nature, à asservir.

 

Francis Richard

 

Corée du Nord - 9 ans pour fuir l'enfer, d'Eunsun Kim avec Sébastien Falletti, 256 pages, Michel Lafon ici

 

Cet article est reproduit sur le site lesobservateurs.ch

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Présentation

  • : Le blog de Francis Richard
  • : Ce blog se veut catholique, national et libéral. Catholique, il ne s'attaque pas aux autres religions, mais défend la mienne. National, il défend les singularités bienfaisantes de mon pays d'origine, la France, et celles de mon pays d'adoption, la Suisse, et celles des autres pays. Libéral, il souligne qu'il n'est pas possible d'être un homme (ou une femme) digne de ce nom en dehors de l'exercice de libertés.
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  • De formation scientifique (EPFL), économique et financière (Paris IX Dauphine), j'ai travaillé dans l'industrie, le conseil aux entreprises et les ressources humaines, et m'intéresse aux arts et lettres.
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