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5 décembre 2022 1 05 /12 /décembre /2022 20:00
La Paix des ruches, d'Alice Rivaz

La société des abeilles est bien plus ancienne et évoluée que celle des hommes. Qui sait par quels stades elle a passé pour en arriver à cette organisation si parfaite de la vie et du travail? Qui sait si une des conditions de cet état de perfection ne fut pas la mise hors-jeu, méthodiquement voulue et opérée, des mâles trublions.

 

Jeanne Bornand écrit ces lignes dans son journal, pour elle seule. À les lire le lecteur pourrait croire qu'elle a une piètre et définitive opinion des hommes. C'est un peu plus compliqué que ça.

 

Le fait est qu'elle croit ne plus aimer son mari, Philippe, et qu'elle apprécie justement de se retrouver seule, afin justement de ne pas l'être. Car, au fond, quand il s'absente, elle se retrouve.

 

Comme beaucoup de femmes, à son époque, et à la nôtre, elle travaille tout le jour. Une fois rentrée à la maison comme lui, elle prépare le repas tandis que lui commence à se détendre.

 

Comme d'autres femmes, ce qu'elle n'aime pas, ce n'est pas le travail, mais l'injustice: cela la révolte de n'avoir jamais de moments de loisirs, et cela à cause de lui qui se dit plus fort...

 

Pourtant, elle préfère les travaux du ménage à ceux du bureau. Cela ne la rend pas joyeuse d'avoir tapé une page sans faute à la machine à écrire. Ce n'est après tout qu'une page sans faute:

 

Tandis que si j'ai nettoyé les vitres, que toute la chambre en est illuminée, je me sens satisfaite, contente...

 

Jeanne n'a pas eu de bébé et - c'est là le seul point où elle et Philippe sont du même avis - elle n'en aura sûrement jamais: Je n'admire pas assez la race humaine pour vouloir la perpétuer...

 

Ce qu'elle cherchait dans le mariage, ce n'était pas de fonder une famille, mais de trouver l'amour. Or mariage et amour s'avèrent incompatibles. Pour l'amour, elle s'intéresse aux autres hommes:

 

En dehors de l'amour, c'est à peine si je vois les hommes. C'est comme s'ils n'existaient tous qu'en fonction des relations amoureuses qui pourraient ou non nous rapprocher de l'un d'eux un jour ou l'autre.

 

Finalement, se rapprocher de l'un d'eux ne peut se faire qu'en rêve. Le rêve est en effet le seul chemin pour accéder au ravissement, qu'elle est bien incapable d'atteindre dans la réalité:

 

Car il n'est d'amour que rêvé.

 

Francis Richard

 

La Paix des ruches, Alice Rivaz, 144 pages, Zoé (première édition: en 1947)

 

Livre de la même auteure:

 

Sans alcool et autres nouvelles (première édition: en 1961)

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4 novembre 2022 5 04 /11 /novembre /2022 23:55
Trafalgar, de Benito Pérez Galdós

Trafalgar est le premier d'une série de quarante-six romans consacrés aux Épisodes nationaux espagnols. Son auteur, Benito Pérez Galdós (1843-1920), est un illustre inconnu en dehors de son pays.

 

Son narrateur, Gabriel, a quatorze ans quand l'escadre franco-espagnole commandée par le vice-amiral Villeneuve affronte le 21 octobre 1805 l'escadre anglaise commandée par le vice-amiral Nelson.

 

Maltraité par son oncle, ce garçon s'est enfui de Cadix après la mort de sa mère. Il a trouvé refuge, pour échapper au recrutement, chez un capitaine de navire à la retraite, résidant à Veyer de la Frontera.

 

Don Alonso Guttiérez de Cisnegia est un patriote. Bien qu'en piteux état physique, il est décidé à rejoindre l'escadre combinée, accompagné de Gabriel et de Marcial, le bien surnommé Moitié d'homme:

 

Un homme vieux, plutôt grand que petit, avec une jambe en bois, le bras gauche coupé à ras au-dessous du coude, un oeil en moins, le visage entièrement griffonné par une multitude de balafres...

 

Les trois partent en catimini. Doña Francisca, la femme de don Alonso, hostile à leur départ, son mari ayant été mal récompensé par le roi, tient ce voyou de Marcial pour responsable du projet insensé. 

 

Part à la guerre également don Rafael (dont le père est un fieffé bonimenteur), le fiancé de Rosita, la fille de don Alonso et doña Francisca, au grand dam de cette dernière qui ne réussit pas à l'en dissuader.

 

Le récit de la bataille navale, raconté avec humour par Gabriel septuagénaire, est épique, homérique. Il se souvient de sa vision idyllique de l'idée de nationalité et de sa vision idéaliste de celle de justice:

 

Comme j'avais entendu dire que la justice triomphait toujours, je ne doutais pas de la victoire.

 

La bataille tourne à l'avantage des Anglais. Pourtant les siens ont autant de détermination qu'eux. Il constate que tous fraternisent dans le danger commun de la tempête après s'être entre-tués dans le combat:

 

Pourquoi les guerres, mon Dieu? Pourquoi ces hommes ne doivent-ils pas être amis dans toutes les circonstances de la vie comme ils le sont dans celles du danger? Ce que je vois ne prouve-t-il pas que tous les hommes sont frères?

 

Son diagnostic est certes juste: ce sont des hommes très mauvais qui fomentent les guerres, pour leur profit particulier, le pouvoir ou l'argent. Ils trompent les autres en les poussant à haïr d'autres nations.

 

Mais il a la naïveté de croire que cela ne peut pas durer et que les belligérants se convaincront qu'ils font une grande folie en déclarant de si terribles guerres et qu'un jour arrivera où ils s'embrasseront:

 

Ainsi pensais-je. Finalement, j'ai vécu soixante-dix ans et je n'ai pas vu arriver ce jour.

 

Il raconte un épisode où, confrontés à un danger mortel imminent, c'est-à-dire à une situation terrible, des hommes qui ne sont pourtant pas mauvais font preuve d'une compréhensible inhumaine cruauté:

 

Le sentiment et la charité disparaissent face à l'instinct de conservation qui domine entièrement l'être humain, l'assimilant parfois à une bête féroce.  

 

Tout le monde, y compris les Anglais victorieux, fut perdant à Trafalgar, la France toutefois moins que l'Espagne. Pour expliquer sa défaite sur mer, masquée par ses victoires sur terre, Napoléon aurait dit:

 

Je ne peux pas être partout...

 

Francis Richard

 

Trafalgar, de Benito Pérez Galdós, 224 pages, Zoé (traduit de l'espagnol par André Gabastou)

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17 août 2022 3 17 /08 /août /2022 22:55
Manet, de Georges Bataille

Paru il y a deux tiers de siècle, cet essai de Georges Bataille était lumineux, le reste, le restera: manet, manebit. Tous ceux qui aiment l'art, apprécieront cette analyse subtile et convaincante de Manet.

 

Avec beaucoup de finesse, l'essayiste dessine les traits qui font d'Edouard Manet un peintre en rupture avec les conventions du passé et en opposition complète avec le goût du public de son époque.

 

Manet était une belle personne, élégante, effacée et tourmentée: un homme un peu superficiel, mais sur les nerfs, possédé par un but qui le débordait, qui le laissait insatisfait et l'épuisait, dit Bataille.

 

C'est ce tourment impersonnel qui aura été son guide et qui lui aura permis de se libérer et de libérer les autres des contraintes, de l'ennui, des mensonges que le temps révélait dans des formules mortes:

 

L'épuisement de la peinture éloquente, que rien de vrai n'animait plus, ouvrait les voies d'une forme nouvelle de peinture qui nous est familière aujourd'hui, mais que d'avance personne n'envisagea, que seules atteignirent les étranges réactions et la recherche hasardée, angoissée, d'Édouard Manet. Du peintre qui introduisait du désordre dans la pose.

 

Avec Manet, l'art n'est plus l'expression de formes souveraines. Les images ne tirent plus leur majesté d'une signification politique, mais de la place qu'il donne à l'art, devenu pour lui la valeur suprême.

 

Le scandale que produisit L'Olympia, ce chef-d'oeuvre, dont un détail figure en couverture du livre (les rires coléreux que le tableau suscita firent douter le peintre de lui-même) en illustre le dessein:

 

Ce qui domine si nous regardons l'Olympia est le sentiment d'une suppression, c'est la précision d'un charme à l'état pur, celui de l'existence, ayant souverainement, silencieusement, tranché le lien qui la rattachait aux mensonges que l'éloquence avait créés.

 

Le secret du changement opéré par Manet réside dans son indifférence au sujet, qui se traduit par la sobriété et l'effacement, i.e. par la négation d'un monde convenu, puis par la déception d'une attente.

 

Passé le doute, Manet parvient au sommet de son art, et a le goût de la pleine matité de l'accord. Ses aplats accusés, par leur nouveauté, l'aident à dégager la peinture du vieil enlisement de l'éloquence:

 

Ils aident à glisser au moment où l'objet attendu n'est plus rien, sinon cette sensation inattendue, cette vibration pure et suraiguë qui s'est rendue indépendante de la signification prêtée.

 

Il est un principe auquel tint Manet: Jamais il ne manqua de faire uniquement "ce qu'il voyait", d'où sa verdeur d'expression, au service de mises en page imprévues, et sa sensibilité d'homme authentique.

 

Francis Richard

 

Manet, Georges Bataille, 160 pages, L'Atelier contemporain (édition de 2021, illustrée de 44 reproductions en noir et blanc)

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7 août 2022 7 07 /08 /août /2022 17:20
La Femme de Gilles, de Madeleine Bourdouxhe

Sa femme, qu'est-ce que ça voulait dire? Celle qui tient le ménage, celle qui prépare la nourriture, celle à qui on fait des enfants?

 

La Femme de Gilles, n'est-elle, n'a-t-elle été, que cela pour son homme, alors qu'elle éprouve un amour profond pour lui et le lui témoigne en étant à ses petits soins? Jusque-là, la vie était certes morne, mais du moins ne souffrait-elle pas.

 

Tout a changé lorsqu'un jour, pareil aux autres, Victorine, la petite Torine, la soeur d'Elisa devenue grande, a tapé dans l'oeil de son bel homme de Gilles. Or elle était de celles qui comprennent tout de suite et ne laissent pas passer l'occasion:

 

Il y en a chez qui le coeur se développe d'une façon démesurée. Pour Victorine c'était le sexe qui prenait toute la place.

 

Sans doute flatté dans son ego, Gilles n'a pas répondu tout de suite à ses avances silencieuses mais éloquentes. Il a même tenté de se raisonner, mais le désir s'est emparé de lui, impérieux, et leur bonheur de couple tranquille s'en est allé.

 

À cette époque-là, Elisa était enceinte de Gillou. Avec son corps déformé et sa fatigue, due aux travaux et aux jours, elle n'était plus à son avantage. Toutefois elle n'a d'abord eu que des soupçons nourris par les changements d'humeur de Gilles.

 

Elle ne voulait pas que Gilles la quittât, alors elle a fait comme si de rien n'était, acceptant de souffrir en silence de son infortune, sans récriminer ni contre Victorine, ni contre Gilles, s'occupant de ses filles jumelles, puis de Gillou avec amour.

 

Une telle situation ne pouvait durer et ne dura pas, ne serait-ce que parce que Victorine ne voudrait jamais être la propriété de Gilles, mal gré qu'il en ait, que dans leur ville tout finit par se savoir et que l'irréparable était déjà commis pour Elisa.

 

Madeleine Bourdouxhe raconte Elisa avec des mots simples, qui disent ses faits et gestes, mieux encore ce qui se passe dans sa tête. À la fin, l'amour enfui de Gilles pour Victorine aura raison d'elle et lui fera sentir un vide étrange autour d'elle.

 

Francis Richard

 

La Femme de Gilles, Madeleine Bourdouxhe, 192 pages, Zoé

 

Livre précédent:

 

À la recherche de Marie, 192 pages (2020)

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25 juillet 2022 1 25 /07 /juillet /2022 12:40
Air de la solitude, de Gustave Roud

Air de la solitude a été édité en 1945. Il s'agit d'un recueil de trente-sept textes en prose poétique, qui, à l'exception d'un seul, ont paru en revue entre 1930 et 1944, illustrés de photos en noir et blanc, reproduites dans cette édition, hormis une seule qui a été égarée, et remplacée pour l'occasion.

 

Gustave Roud est un promeneur solitaire, peignant les paysages parcourus qu'il écoute et regarde, sensible à la parenté du pouvoir des paysages avec les puissances de la musique, et disant les travaux des hommes parmi lesquels, davantage que dans les lieux déserts, se trouve l'absolu de la solitude.

 

Dans ce recueil, parmi les plus importants qu'il ait écrits, des thèmes qui lui sont chers reviennent sous sa plume:

 

- La compréhension de quelque chose ou de quelqu'un n'est possible qu'à condition d'abord de profondément ressembler: Car je suis guéri, n'est-ce pas? Je ressemble.

 

- La mémoire d'homme est quelque chose d'unique: Le sel très pur lentement déposé par la houle temporelle... et dicte mystérieusement au promeneur, parmi le tourbillon léger de la marche, une phrase née d'autrui, prose ou poème, lorsqu'il y a une secrète parenté du paysage avec elle.

 

- La plénitude n'est pas tant peut-être une abondance qu'un accord: C'est un échange de réponses, un concert où chacun ne chante que soi, mais l'oreille nourrie du chant des autres.

 

- Les saisons sont importantes pour lui: Je crois aujourd'hui qu'il y a deux espèces d'hommes: ceux qui "meurent sur les saisons" (pour reprendre la mystérieuse parole de Rimbaud), et ceux qui vont sans les voir ni les vivre.

 

- L'univers balbutie ses messages: Je crois que seuls certains états extrêmes de l'âme et du corps: fatigue (au bord de l'anéantissement), maladie, invasion du coeur par une subite souffrance maintenue à son paroxysme, peuvent rendre à l'homme sa vraie puissance d'ouïe et de regard.

 

Écouter et regarder, ces deux attitudes essentielles pour Roud, peuvent se résumer à voir. Dans cette acception, les hommes pourraient, par exemple dans les conditions précédentes,  formuler, comme lui, une réponse interrogative à la question existentielle qu'ils se posent depuis leur apparition ici-bas:

 

Certaine hantise du Ciel n'est-elle pas née d'une secrète impuissance à voir ce monde-ci, tandis que si nous savions le voir, il deviendrait pour nous le Ciel?

 

Francis Richard

 

Air de la solitude, Gustave Roud, 208 pages, Zoé

 

Livre précédent:

 

Essai pour un paradis, suivi de Pour un moissonneur (2020)

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11 juillet 2022 1 11 /07 /juillet /2022 22:55
Le Nouvel Adam, de Noëlle Roger

- Rendre plus active la matière cérébrale, martelait-il, se parlant à lui-même, intervenir dans le lobe même... provoquer la mutation du cerveau...

 

Le docteur Fléchère hésite, puis se décide à pratiquer l'opération sur un jeune homme, Hervé Silenrieux, qui s'est pendu: Seulement la corde était de mauvaise qualité. Elle s'est rompue...

 

C'est l'occasion de tenter l'expérience, de créer l'homme du futur, au cerveau plus rapide, établissant dans un éclair des rapports que des générations de savants ne suffisent pas à préciser...

 

Après avoir pesé le pour - la gloire pour son laboratoire - et le contre - l'incertitude du résultat - le docteur Fléchère lui implante dans le cerveau une substance1 conservée dans un bocal.

 

L'opération réussit. Non seulement Silenrieux est guéri, mais il est transformé et déploie une activité cérébrale inouïe, qui fait peur. Car il pense trop à la science et point assez aux hommes.  

 

Qu'il s'agisse de ses recherches sur le vaccin contre le cancer ou sur le sérum immunisant contre la tuberculose, Silenrieux sacrifie des vies pour en sauver des millions d'autres à l'avenir.

 

Silenrieux se sert des hommes comme d'un matériel de recherches pour vite obtenir des résultats: Qu'est-ce qu'une vie... pour qui voit plus loin que ces premiers balbutiements de la science...

 

Après ces recherches pour tuer la maladie, cet affamé de connaître, cet inventeur de génie - il a conçu un téléphone portatif - se livre à d'autres pour tuer la guerre, décomposer les corps.

 

Bien que réprobateur, le docteur Fléchère, qui a joué à l'apprenti-sorcier, aura jusqu'à la fin tragique de la mansuétude pour ce fils de son esprit qui n'a plus rien d'humain, qui est un monstre.

 

Ce roman, paru en 1924, est d'une troublante actualité. Au nom de la science d'aucuns prétendent régenter le monde, tandis que d'autres rêvent que l'homme à l'intelligence augmentée devienne réalité.

 

Alors, en lisant Le Nouvel Adam de Noëlle Roger, il est bon de se souvenir de ce que disait François Rabelais, dans son Pantagruel, parce que c'en est comme l'illustration proverbiale:

 

Science sans conscience n'est que ruine de l'âme.

 

Peut-être faut-il ajouter à l'adresse de certains adeptes du principe de précaution qui ne l'appliquent que lorsque cela les arrange et qui sont pressés d'imposer des vaccins non éprouvés: 

 

Le temps défait toujours ce qui se fait sans lui.2

 

Francis Richard

 

1 - À base de glandes endocrines.

2 - Aphorisme attribué à Mazarin.

 

Le Nouvel Adam, Noëlle Roger, 336 pages, La Baconnière

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23 mai 2022 1 23 /05 /mai /2022 22:55
Le Grand Barrage, de Kamala Markandaya

Le Grand Barrage a été publié en 1969 sous le titre The Coffer Dams. Dans l'Inde postcoloniale, Kamala Markandaya (1924-2004) y raconte la construction d'un barrage.

 

La Clinton-Mackendrick, société basée à Londres, a répondu à l'appel d'offre lancé par les planificateurs de l'Inde nouvelle, indépendante, et l'a emporté, prête à prendre des coups.

 

Car la construction d'un tel ouvrage, en un tel lieu, est une véritable gageure. L'élaboration des plans a demandé deux ans. Un calendrier serré devra être respecté, avant la mousson.

 

Les cadres du chantier sont anglais. Ils sont logés dans des bungalows construits ad hoc. Seules les épouses des hauts responsables ont été autorisées à les rejoindre sur place.

 

D'après le contrat, des techniciens indiens devaient être recrutés. Quant aux autochtones habitant la zone de construction, ils devront déplacer leurs huttes sur la colline voisine.

 

L'idée est de construire le barrage à sec entre deux immenses bardeaux, édifiés avec des rochers sur la rivière, dont le cours sera dérivé et contournera la zone de construction.

 

Comme les hauts responsables du chantier, Howard Clinton, le grand patron, a fait venir sa femme Helen, plus jeune que lui. Pour lui, le barrage prime tout, pour elle, ce sont les gens.

 

L'auteure fait preuve d'une grande connaissance des aspects techniques de la construction de l'ouvrage et de la psychologie des nombreux personnages, de différentes cultures.

 

Aussi le lecteur participe-t-il, comme s'il y était, à la réalisation de ce projet gigantesque, jalonné d'imprévus, d'accidents qui n'émeuvent pas Clinton, rivé sur l'objectif à atteindre.

 

Pour ne pas perdre la face, il faut que le barrage soit terminé dans les temps. Or les retards s'accumulent sans que Clinton l'accepte, si bien que les moments de repos diminuent...

 

Sa femme Helen a une autre attitude. Elle se sent impliquée, comme toujours: il y a des choses qu'on doit faire. Elle pense qu'il faut se donner des limites et ne pas les franchir.

 

La fin du récit permet de savoir qui des deux, en définitive, avait raison. Mais raison n'est peut-être pas le mot qui convient... Le lecteur en jugera quand il sera parvenu au bout.

 

Francis Richard

 

Le Grand Barrage, Kamala Markandaya, 320 pages, Zoé (traduit de l'anglais par Christine Raguet)

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10 avril 2022 7 10 /04 /avril /2022 20:40
Jean-Luc persécuté, de Charles Ferdinand Ramuz

La version de ce roman de Charles Ferdinand Ramuz, publiée aux éditions Zoé est celle de 1908. Celle publiée en 2006 dans la Bibliothèque de La Pléiade est la dernière, éditée chez Grasset en 1930, et est l'aboutissement de plusieurs remaniements.

 

L'intérêt de cette version - c'est son troisième roman - est qu'elle révèle déjà les préoccupations du jeune Ramuz - il n'a encore que vingt-sept ans - que l'on retrouve peu ou prou dans les romans ultérieurs et notamment son attirance pour l'existence à l'état brut.

 

Car le récit se déroule dans un petit village du Valais et ses environs proches, c'est-à-dire dans un microcosme où tout le monde se connaît et où les rumeurs, vraies ou fausses, vont bon train, si bien que moqueries et louanges s'y trouvent sans cesse mêlées.

 

Cette ambivalence se retrouve dans le personnage même de Jean-Luc Robille, qui est à la fois victime et bourreau, beau et laid, doux et brutal, admirateur et jaloux, plein de bon sens mais, quand son coeur est blessé, empreint à de véritables accès de folie.

 

Dans ce décor qui est rude et où les choses essentielles deviennent palpables, il y a surtout une histoire d'amour déçu. Entre Christine et Jean-Luc tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes jusqu'au jour où la jolie mère de son petit Henri le trompe.

 

Les malheurs se succèdent dès lors. Certes Christine en est la première responsable, ayant sans doute toujours préféré son amant Augustin à son mari, bien avant leur hymen, mais celui-ci surréagit à chaque fois, ce qui n'est guère propice aux réconciliations.

 

Jean-Luc persécuté ? Oui, puisque le sort semble s'acharner sur lui. Non, parce qu'il y est bien pour quelque chose. Aussi le lecteur est-il pris entre la compassion et la réprobation à l'égard de ce personnage tragique, qui apparaît tantôt lumineux et tantôt sombre.

 

Francis Richard

 

Jean-Luc persécuté, Charles Ferdinand Ramuz, 208 pages, Zoé

 

Du même auteur chez Zoé:

Les Signes parmi nous (2020)

Adam et Ève (2020)

Le Lac aux demoiselles et autres nouvelles (2021)

 

A l'Aire Bleue:

Vendanges (2020)

La Séparation des races (2020)

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3 janvier 2022 1 03 /01 /janvier /2022 22:00
Le Lac aux demoiselles et autres nouvelles, de C.F. Ramuz

Ces nouvelles tardives de Charles-Ferdinand Ramuz (1878-1947) ont été écrites entre 1943 et 1947. Elles n'ont pas toutes paru de son vivant. Largement méconnues, elles méritaient d'être réunies dans ce recueil révélateur.

 

Ces textes ne racontent pas des histoires complètes. Ce sont des aperçus de l'existence, des fragments, mais, rassemblés en ce volume, ils donnent bien la vision qu'en avait l'auteur, faite de joies et de peines, de rêves et de réalités:

 

Ils sont un garçon et une fille. La nuit vient. Le creux où se tient le village se remplit d'ombre. Et il semble que le vent, en passant, prenne un peu dans sa main de cette ombre et la jette sur la pente: on la voit courir vers vous comme une fumée, elle vous vient dessus, on est pris dedans.

(Pastorale)

 

Au soir de sa vie, l'écrivain vaudois, malade, s'y montre quelque peu lugubre, mais, de par son style lumineux, qui parle à l'imagination, il ne l'est jamais complètement, surtout quand il évoque avec délicatesse des figures féminines:

 

Un dernier rayon de soleil, à ce moment, est entré par la fenêtre; elle a été éclairée ou si c'est elle qui éclairait? Pendant qu'elle tire à elle l'escabeau, pendant qu'elle s'est assise, et elle me fait face, et je la vois. Elle n'a rien dit, on ne lui a rien dit; simplement elle a été là, mais toutes choses ont été changées; elle faisait soleil quand l'autre soleil nous quittait.

(Irène)

 

Ces femmes sont évanescentes. Les hommes chez Ramuz semblent incapables de les saisir, au sens propre et au sens figuré. Elles leur échappent toujours quand ils sont sur le point de les rejoindre ou qu'elles leur semblent acquises:

 

Oh! charmante: c'est comme ça que je te parlerais avec bruit à l'oreille, si je pouvais seulement te parler. Mais les seuls mots que je peux te dire avortent dans ma bouche et ne franchissent pas la barrière des lèvres; c'est des mots de silence, est-ce qu'ils comptent seulement?

(Amour)

 

Dans plusieurs de ces quinze nouvelles, il est question de la mort comme il se doit, c'est-à-dire de manière naturelle, même lorsqu'il s'agit d'accident ou de mort volontaire, par noyade ou pendaison. Car elle fait partie de la vie:

 

Il était descendu dans l'eau sur le côté opposé de la jetée. On a entendu le bruit qu'il faisait en avançant dans l'eau. Il devait glisser, il se retenait, il faisait un bruit comme quand un cygne bat des ailes, puis on a entendu un bruit de gargouillement, et puis un cri, alors je suis revenu en arrière; on a encore vu sa tête qui dépassait pendant qu'il battait l'eau comme pour s'y accrocher, mais elle a cédé, elle s'est refermée.

(Le Retour du mort)

 

Le mot auquel ces nouvelles font penser, d'une manière ou d'une autre, est séparation, de ceux qui devraient s'aimer, de ceux que les autres n'aiment pas assez pour les comprendre, de ceux qui s'aiment et se retrouvent désunis, défaits:

 

À peine t'ai-je quittée que la distance qui était entre nous s'accroît démesurément, comme quand un bateau s'éloigne de la rive et la rive elle-même fuit en arrière; soudés ensemble par le corps, tellement éloignés pour finir l'un de l'autre; et l'amour n'est plus entre nous qu'une morne répétition.

(Le Ménage Charton)

 

Francis Richard

 

Le Lac aux demoiselles et autres nouvelles, C.F. Ramuz, 256 pages, Zoé

 

Du même auteur chez Zoé:

Les Signes parmi nous (2020)

Adam et Ève (2020)

 

A l'Aire Bleue:

Vendanges (2020)

La Séparation des races (2020)

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13 décembre 2021 1 13 /12 /décembre /2021 23:30
Le Petit Fiancé suivi de Circonstances, d'Abraham Cahan

Ce volume contient un court roman, Le Petit Fiancé, et une nouvelle, Circonstances, tous deux Récits du ghetto de New-York, qu'Abraham Cahan (1860-1951) connaissait bien.

 

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Dans Le Petit Fiancé, Azriel Stroon est un rustre, mais un rustre qui a réussi dans les affaires, en Amérique. Il a une fille unique, Flora, pour laquelle il souhaite le meilleur.

 

Retiré des affaires, tout soudain il redoute la mort et veut se mettre en règle avec le Tout-Puissant. De plus en plus confit en dévotions, il se rend souvent à la synagogue.

 

Mais cela n'est pas suffisant. Il veut renouer avec le judaïsme authentique, celui de son enfance, et part pour Pravly en Europe russe se recueillir sur les tombes de ses parents.

 

Arrivé là-bas, il découvre Shaya, un jeune prodige en études talmudiques en qui il voit un futur gendre, un gendre idéal, puisqu'il serait aussi bon pour sa fille que pour lui.

 

Après l'avoir emporté sur un autre père grâce à sa fortune, il retourne à New-York, avec son prodige à la remorque. Flora n'en veut pas, ayant en tête d'épouser un médecin.

 

Comme le père et la fille se sont tous deux fait une idée préconçue et déterminée qui du gendre, qui du mari, le projet matrimonial ne semble pas près d'aboutir. Quoique...

 

Le dénouement confirme, s'il en était besoin, que la suite dans les idées peut certes être une bonne chose, mais à la condition que le but poursuivi ne soit pas de servir son seul intérêt...

 

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Ce n'est pas l'abondance chez Tanya et son mari Boris. Celui-ci n'a pu ouvrir en Ukraine, leur pays natal, le cabinet d'avocat auquel il prétendait et ils ont émigré à New-York.

 

Les Circonstances - Boris travaille en usine - les conduisent à accepter dans leur foyer un sous-locataire, étudiant la médecine et donnant des leçons d'anglais pour gagner sa vie.

 

C'est une idée contre laquelle Tanya s'insurge d'abord avant d'y consentir quand leur situation financière est encore péjorée. Mais est-ce une si bonne et si pérenne idée que cela?

 

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Dans l'un de ces deux récits, l'abondance de biens nuit; dans l'autre, le manque.

 

 

Francis Richard

 

Le Petit Fiancé - Récits du ghetto de New-York, Abraham Cahan, 192 pages, Zoé (traduit de l'anglais par Isabelle Rozenbaumas)

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10 novembre 2021 3 10 /11 /novembre /2021 23:45
Cette réalité que j'ai pourchassée, d'Ella Maillart

Tu sais que je ne suis pas écrivain dans l'âme; et avant de continuer à écrire des livres imparfaits autant qu'inutiles, cela vaut la peine de réfléchir.

 

Ella Maillart (1903-1997) s'adresse en ces termes à sa mère dans la dernière lettre de ce recueil qu'elle écrit à sa mère en 1941. Cette réalité que j'ai pourchassée comprend en effet des reportages et des lettres qui ont été écrits entre 1925 et 1941.

 

Les reportages ont été publiés dans la presse suisse ou française, à l'exception d'un seul, jusque-là inédit, où elle raconte sa rencontre avec Winston Churchill en avril 1936 et où elle vante les admirables jeunes russes, ce à quoi le Britannique lui répond:

 

J'ai peine à croire tout ce que vous me dites. Mais si la jeunesse tient à s'enrégimenter, elle le paiera de son sang: ça la mènera à la guerre. Elle ferait mieux de se tenir tranquille...

 

Parmi ses reportages, figure son Enquête au pays des Soviets, de 1931, où elle ne cache pas son admiration pour la jeunesse du nouvel État, après avoir vécu avec elle. Tout ce qu'elle voulait, c'était toucher des êtres vivants et [se] moquer des statistiques.

 

Ce qu'elle admire, c'est que les jeunes y sont libérés, libres, indépendants du passé, [...] de la famille et de ses devoirs, [...] de la religion et des restrictions qu'elle comporte. Cela ne signifie pas qu'ils soient individualistes; au contraire, ils se bercent d'illusions:

 

La jeunesse a compris qu'elle faisait partie d'un tout en formation, que la vie était du côté où l'on aidait à cette formation: la jeunesse vit, elle aide de toutes ses forces...

 

Dans ce texte, cette sportive - elle fait de la voile, du hockey sur terre, du ski à haut niveau - souligne que le sens donné au sport y est bien différent de la conception stérile de l'effort personnel, de la course au record ou du besoin de faire triompher des couleurs:

 

La culture physique soviétique est un moyen, pour la lutte des classes, d'augmenter les capacités de travail de citoyens actifs et de fortifier la puissance économique, politique et militaire du pays dont ils sont eux-mêmes les maîtres.

 

Ses autres reportages sont des récits de voyage: son équipée sur un voilier en Méditerranée, ses pérégrinations en Crète, son explication de la guerre entre le Waziristan et les Indes, dont le prétexte a été l'enlèvement d'une Hindoue mineure1 par un musulman:

 

Les Anglais auraient dû agir en diplomates, en faisant traîner les choses. Quelques semaines se seraient écoulées, au bout desquelles la jeune fille devenait majeure. On n'aurait pas eu à l'enlever à son mari, et le prétexte qui souleva la guerre, disparaissait...

 

Dans les lettres, elle donne de ses nouvelles à ses parents. D'une façon plus personnelle, elle y raconte ses voyages en Méditerranée, en Crète, en URSS et aux Indes, si bien qu'ils peuvent en connaître les coulisses et les conditions souvent rudimentaires.

 

Mais ses lettres, dont elle n'est jamais sûre qu'elles leur parviennent toujours, parlent aussi d'autres lieux où elle s'est rendue, notamment en Chine, en Iran, en Afghanistan. C'est finalement, à l'ashram de Sri Ramana Maharishi que se termine son périple.

 

En sa présence, elle se rend compte que les questions existentielles que l'on se pose ne sont que des mots et ne font pas partie des choses vraiment vitales; et sent que la réponse est en [elle] et que pour qu'elle soit de quelque profit [elle doit] la trouver [elle-même]:

 

L'endroit n'est pas mal choisi pour cette activité [réfléchir]; et puis voilà que j'ai 38 ans, une vingtaine d'années derrière moi - et peut-être autant devant moi pour trouver cette Réalité que j'ai pourchassée jusqu'ici sur terre et sur mer.

 

Francis Richard

 

1 - Cela se passait en territoire administré par les Anglais, où la loi interdit le mariage des mineurs.

 

Cette réalité que j'ai pourchassée, Ella Maillart, 256 pages, Zoé

 

Livre précédent:

 

Regards sur Chandolin (2021)

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10 avril 2021 6 10 /04 /avril /2021 20:25
Relire Le Meilleur des Mondes d'Aldous Huxley en temps d'asepsie

- Pourquoi [Shakespeare] est-il interdit?

[...]

- Parce qu'il est vieux, voilà la raison principale. Ici nous n'avons pas l'emploi des vieilles choses.

- Même si elles sont belles?

- Surtout si elles sont belles.

 

Ici, c'est Le Meilleur des Mondes.

 

Le titre du livre vient d'une exclamation de Miranda à l'Acte V, Scène 1, de La Tempête de William Shakespeare: Ô nouveau monde admirable qui compte de pareils habitants!

 

Dans sa nouvelle préface de 1946, Aldous Huxley écrit:

 

Un État totalitaire vraiment "efficient" serait celui dans lequel le tout puissant comité exécutif des chefs politiques et leur armée de directeurs auraient la haute main sur une population d'esclaves qu'il serait inutile de contraindre, parce qu'ils auraient l'amour de leur servitude.

 

Pour fabriquer cette population d'esclaves, l'État mondial imaginé par Huxley a recours à l'ectogenèse, au conditionnement néo-pavlovien et l'hypnopédie:

 

- L'ectogenèse: c'est procréer en flacons, par castes1, des hommes, des femmes et des neutres, avec une destination sociale bien précise.

 

- Le conditionnement: c'est faire aimer aux gens la destination sociale à laquelle ils ne peuvent échapper

 

- L'hypnopédie: c'est l'enseignement pendant le sommeil, qu'il ne faut pas confondre avec un instrument d'éducation intellectuelle et qui se résume à des slogans:

 

. Chacun appartient à tous les autres.

 

. Chacun travaille pour tous les autres.

 

. Le progrès est une chose délicieuse.

 

. Mieux vaut finir qu'entretenir.

 

. Plus on reprise, moins on se grise.

 

Etc.

 

En haut de l'échelle sociale de ce nouveau monde, voulu par Ford, il y a les Alphas, les plus intelligents, puis les Bêtas, les Gammas, les Deltas, et, tout en bas, les Epsilons, les plus bêtes.

 

Pour guérir de tout désagrément moral ou physique, il existe un médicament parfait pour s'évader de la réalité: le soma. Celui-ci est en effet euphorique, narcotique, agréablement hallucinant:

 

Le christianisme sans larmes, voilà ce qu'est le soma.

 

Ce meilleur des mondes, dit civilisé, est aseptisé: tout y est propre; il n'y a pas de mauvaises odeurs, il n'y a pas la moindre saleté; et la population y est préservée des maladies:

 

La jeunesse [est] à peu près intacte jusqu'à soixante ans, et puis crac! la fin.

 

Bref, dans ce monde, on consomme, mais on ne lit pas, et surtout pas Shakespeare. Mais ce monde est stable et les gens sont heureux parce que leur vie est émotivement facile.

 

Il existe toutefois quelques Réserves à Sauvages dont il n'y a pas moyen de s'évader, sauf qu'un Sauvage en sort, à l'invitation d'un Alpha, avec l'approbation de Sa Forderie, un des administrateurs mondiaux, qui, sans vergogne, lui dit:

 

Comme c'est moi qui fait les lois ici, je puis également les enfreindre.

 

C'est-à-dire, par exemple, lire Shakespeare...

 

Dans les Réserves à Sauvages, les enfants naissent, ce qui est obscène; nulle n'est censée appartenir à plus d'une personne, ce qui est inconvenant; et on est libre de lire Shakespeare dont personne n'a jamais entendu parler dans le meilleur des mondes...

 

C'est d'ailleurs ce que le Sauvage a fait, lui, lire Shakespeare, dans les oeuvres complètes duquel il a trouvé nombre de réponses existentielles...

 

Le Sauvage ne se plaît donc pas dans le prétendu meilleur des mondes où le devoir des gens est d'être infantiles et où toute découverte de la science pure est subversive en puissance:

 

- Il préfère être malheureux que de connaître cette espèce de bonheur faux et menteur dont jouissent les gens: il ne veut pas choisir entre ce bonheur et le grand art;

 

- Il préfère la solitude que les gens ont appris à détester;

 

- Il ne veut pas du confort et préfère ne servir de rien que d'être utilisé.

 

Bref, il est une menace pour la société parce qu'il veut faire les choses de sa propre initiative. Alors il lui est permis d'être seul, ce qui ne peut jamais durer...

 

Aldous Huxley a écrit ce livre en 1931, en quatre mois. Quinze ans plus tard, dans sa nouvelle préface, il a toujours la prémonition de l'étatisme qui vient et qui, aujourd'hui, croît et embellit.

 

Il ne voyait déjà qu'un remède:

 

Seul un mouvement populaire à grande échelle en vue de la décentralisation et de l'aide individuelle peut arrêter la tendance actuelle à l'étatisme.

 

Il serait temps que ça s'arrête...

 

Francis Richard

 

1 - Tous les hommes sont physico-chimiquement égaux.

 

Le Meilleur des Mondes, Aldous Huyley, 320 pages, Pocket

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23 mars 2021 2 23 /03 /mars /2021 23:55
Promenades avec Robert Walser, de Carl Seelig

Carl Seelig a rencontré Robert Walser en 1936. Il était interné depuis trois ans à la Maison de santé cantonale de Herisau en Appenzell. Le poète biennois avait, depuis son internement, interrompu sa carrière littéraire, mais il avait correspondu avec Carl Seelig avant de le rencontrer.

 

Le livre comporte quarante-cinq promenades, qui, à l'exception de la dernière, ont été effectuées ensemble par Carl Seelig et Robert Walser. Ils se retrouvaient soit à la Maison de santé de Herisau, soit à la gare. De là, soit ils allaient tout de suite à pied, soit ils prenaient le train auparavant.

 

Ces promenades dominicales étaient l'occasion pour eux de marcher longuement à travers champs, sur des sentiers forestiers, sur des routes: Robert Walser était le roi des promeneurs et un vrai vagabond de génie, comme le dit Katharina Kerr, citée dans la postface de ce texte illustré.

 

En effet des photos de Robert Walser par Carl Seelig sont reproduites dans ce volume. Il y apparaît en costumes trois pièces, le plus souvent avec un chapeau sur la tête et un parapluie à la main, jamais revêtu d'un pardessus en hiver, la cravate légèrement desserrée en-dessous du col.

 

Au cours de ces longues promenades, ils s'arrêtent dans des auberges ou des buffets de gare pour les dix-heures et les déjeuners, se régalent de bonnes choses à boire et à manger. N'est-ce pas nécessaire quand il s'agit de parcourir à pied autant de kilomètres (marcher est plus sain que rouler)?

 

Walser est tantôt taiseux tantôt volubile avec son unique ami et tuteur (depuis 1944). Ils abordent de nombreux sujets: la littérature, les évolutions politiques, etc. - la première promenade date du 26 juillet 1936, la dernière de Noël 1956. Walser n'aime toutefois pas que Seelig vante ses écrits...

 

Il sait que pour devenir un homme, il faut souffrir, être méconnu, lutter. Il n'écrit plus, parce qu'il ne peut plus s'y consacrer tout entier, remplissant des tâches humbles à la Maison de santé: pour moi, c'est une certitude, les affaires des écrivains ne peuvent s'épanouir qu'en liberté.

 

Cependant si la dépendance a quelque chose de sympathique, l'indépendance suscite l'hostilité. Il ne faut pas en être contrarié: Les poètes devraient avoir pour principe de penser et d'agir avec noblesse, et de tendre vers le haut. Lui, en tout cas, aime le monde avec ses vertus et ses vices... 

 

Francis Richard

 

Promenades avec Robert Walser, Carl Seelig, 224 pages, Zoé (traduit de l'allemand en français par Marion Graf à partir de l'édition de 1957, reprise en 2021 par Suhrkamp)

 

Livre de Robert Walser chez le même éditeur:

 

Ce que je peux dire de mieux sur la musique (édition en français de 2019)

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  • : Le blog de Francis Richard
  • : Ce blog se veut catholique, national et libéral. Catholique, il ne s'attaque pas aux autres religions, mais défend la mienne. National, il défend les singularités bienfaisantes de mon pays d'origine, la France, et celles de mon pays d'adoption, la Suisse, et celles des autres pays. Libéral, il souligne qu'il n'est pas possible d'être un homme (ou une femme) digne de ce nom en dehors de l'exercice de libertés.
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  • De formation scientifique (EPFL), économique et financière (Paris IX Dauphine), j'ai travaillé dans l'industrie, le conseil aux entreprises et les ressources humaines, et m'intéresse aux arts et lettres.
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