En 1215, l'Ordre des Frères Prêcheurs, Ordo Fratrum Praedicatorum, OP, est fondé par saint Dominique. En 1216 l'ordre des dominicains, puisqu'il s'agit de lui, reçoit son approbation ecclésiale définitive par le pape Honorius III.
Pour commémorer les 800 ans d'existence de cet ordre, Aimé Richardt consacre une biographie à Lacordaire, celui qui l'a rétabli en France, après que la Révolution l'avait supprimé en 1790...
Henri Lacordaire est né le 12 mai 1802, à Recey-sur-Ource, en Bourgogne, et est mort le 21 novembre 1861, à Sorèze. Pendant son existence il aura donc connu trois royautés, deux empires et une république...
Du déisme à la conversion
Baptisé catholique, il fait sa première communion en 1814, mais c'est sa dernière joie religieuse, et le dernier coup de soleil de l'âme de [sa] mère sur la sienne. Il sort de l'école à dix-sept ans avec une religion détruite et des moeurs qui n'avaient plus de frein.
Une fois terminées ses études de droit, il monte à Paris en 1822. Sur recommandation, il entre dans le cabinet de Me Guillemin, avocat près la Cour de Cassation. Début 1824 il se rend compte que l'existence qu'il mène est vaine et confie à un ami:
Crois-tu que je deviens chrétien tous les jours? C'est une chose singulière que le changement progressif qui s'est fait dans mes opinions; j'en suis à croire et je n'ai jamais été plus philosophe.
En mai 1824, il annonce à Me Guillemin qu'il le quitte, non pas pour aller ailleurs, mais pour devenir prêtre, et sollicite son aide pour obtenir une demi-bourse, afin de ne pas peser trop lourd sur les charges de sa famille peu aisée. Une heure plus tard, l'avocat l'accompagne à l'archevêché.
Il reste libéral mais devient catholique
Le 12 mai 1824, Lacordaire entre au séminaire d'Issy, succursale du grand séminaire de Paris, dirigé par la congrégation de Saint Sulpice. Le 22 septembre 1827, il est ordonné prêtre. Il commence par être chapelain au couvent de la Visitation, puis est nommé, fin 1828, aumônier-adjoint du collège Henri IV.
Au printemps 1830, il rend visite à Lamennais, qu'il n'a vu que deux fois mais qui est, à ses yeux, le seul grand homme de l'Eglise de France. Quelques mois plus tard, ce sont les Trois Glorieuses, qui conduisent à l'abdication de Charles X.
Lacordaire vit cette révolution de 1830 sans plaisir mais sans regrets: Devenu catholique et prêtre, il était demeuré libéral, et sa fermeté dans ses convictions, qu'aucun de ses confrères ne partageait alors, le laissait isolé dans le clergé français et le rendait même un peu suspect.
Dieu et la liberté
C'est la devise de L'Avenir, le journal qu'il fonde le 15 octobre 1830 avec Lamennais et Montalembert, et qui disparaîtra le 15 novembre 1831, faute de fonds pour continuer l'aventure. Ils veulent la liberté religieuse, la liberté d'éducation, la liberté de la presse.
Ils veulent aussi la séparation totale de l'Eglise et de l'Etat, l'inviolabilité des églises et le droit de nommer les évêques, et non pas de la main d'un ministre qui peut être ennemi de nos croyances, parce que cela est absurde.
Dans un article du 27 octobre 1830, Lacordaire demande la suppression du budget du clergé et il s'adresse en ces termes aux sectateurs du XVIIIe siècle [...] qui ne conçoivent un Etat qu'avec une religion fabriquée par ses législateurs:
Le seul moyen qu'il leur reste d'avoir une religion légale est d'avoir une religion payée. Ils sentent qu'au fond le budget leur donne dans l'Eglise autant de pouvoir que le pape...; ils veulent avilir l'Eglise sans la persécuter, mais une Eglise sans budget ne peut être avilie...
Sur la liberté de la presse, il écrit le 12 juin 1831: Catholiques, croyez-moi, laissons à ceux qui n'ont foi qu'aux princes de la terre les espérances de la servitude. Laissons-les dire que tout est perdu si la presse parle...[...] la liberté ne tue pas Dieu.
L'apostolat et l'éducation
Le pape Grégoire XVI n'a pas apprécié les articles de l'Avenir sur la liberté religieuse et la séparation totale de l'Eglise et de l'Etat, et les condamne officiellement. Si Lacordaire se soumet, Lamennais rompt avec Rome.
Dès lors Lacordaire va consacrer le reste de sa vie à l'apostolat: il commence par des conférences au collège Stanislas, en 1834, qui sont très suivies; il poursuit par des prédications de Carême à Notre Dame de Paris, en 1835; il entre chez les dominicains, en 1838.
Lacordaire publie un Mémoire pour le rétablissement en France des Frères Prêcheurs en 1839. Le 30 novembre 1840, il revient en France, portant l'habit dominicain et, de 1843 à 1851, il prêchera, ainsi vêtu, une soixantaine de conférences de Carême à Notre Dame de Paris.
En 1844 il achète un couvent près de Grenoble, à Chalais. Il en fait un couvent dominicain. En 1849, il fonde deux couvents, à Flavigny près de Dijon et à Paris. Il restaurera le couvent de Saint-Maximin en Provence (la crypte de l'église contenait le sarcophage qui avait servi de sépulture à Marie-Madeleine).
En 1850, l'Ordre des Prêcheurs est officiellement rétabli. Lacordaire nommé premier provincial de la province dominicaine de France. En 1852, il crée le tiers-ordre enseignant. Le collège d'Oullins, jusque-là tenu par des ecclésiastiques séculiers, est transféré à l'Ordre plutôt que de disparaîre avec le départ des fondateurs. En 1854, Lacordaire prend la direction de l'école de Sorèze.
Le député et l'écrivain
En février 1848, Lacordaire constate que la monarchie vient de tomber et que la république est debout: Or ce qui est debout a une chance de plus pour vivre que ce qui est à terre... Sans avoir sollicité leurs suffrages, Lacordaire est porté par sept ou huit collèges électoraux...
Lacordaire est élu fin avril 1848 député à l'Assemblée nationale. Il en démissionne le 18 mai 1848, après son envahissement par le peuple de Paris trois jours plus tôt. Il écrit à ses électeurs: Je compris que dans une assemblée politique, l'impartialité conduisait à l'impuissance et à l'isolement, qu'il fallait choisir son camp et s'y jeter à corps perdu. Je ne pus m'y résoudre.
Lacordaire, en dehors de ses Mémoires, de ses Conférences, de ses articles, dans l'Avenir, puis dans L'Ere nouvelle, dirigée par lui en 1848, a écrit une Vie de saint Dominique et un Marie Madeleine (Marie-Madeleine touche aux deux côtés de notre vie; la pécheresse nous oint de ses larmes, la sainte nous oint de sa tendresse...).
Le 24 janvier 1861, Lacordaire est reçu à l'Académie française, où il succède à Alexis de Tocqueville. Dans son discours de réception, faisant l'éloge de son prédécesseur, il dit de lui: Il aimait la liberté, en la regardant en lui-même, au foyer de sa conscience, comme le principe premier de l'être moral et la source d'où jaillit, à l'aide du combat, toute force et toute vertu...
Lacordaire ajoute: Il l'aimait dans le christianisme... Il l'aimait dans les souvenirs de la patrie, dans ces longues générations où la liberté avait fait l'honneur, où l'honneur avait fait le premier bien de la vie, et où la vie se donnait pour l'honneur, pour prouver l'amour, pour défendre la foi.
Aimé Richardt ressuscite, bien sûr, par d'autres traits encore, la figure insigne de ce prélat injustement méconnu, qui peut donner à d'aucuns, plus d'un siècle et demi après, des leçons de liberté et de dignité, laquelle, comme chacun sait depuis Paul Claudel, ne comporte pas de pluriel...
Francis Richard
Lacordaire - Le prédicateur, le religieux, Aimé Richardt François-Xavier de Guibert
Livres précédents de l'auteur chez le même éditeur:
La vérité sur l'affaire Galilée (2007)
Calvin (2009)
Saint François de Sales et la Contre-Réforme (2013)
Jean Huss, précurseur de Luther (2013)
Bossuet, conscience de l'Eglise de France (2014)