Dans une de ses nouvelles, Le café des voyageurs, Corinna Bille raconte l'histoire d'une femme qui, chaque année, à la date anniversaire de la mort de son fils dans un accident de train, envoie son cocher chercher à la gare un jeune homme pour partager avec lui le dîner manqué de ce jour fatidique.
Une année, le jeune homme que son cocher ramène ressemble tellement à son fils disparu qu'elle en est fortement troublée...
Coline Ladetto s'est librement inspirée de cette nouvelle pour écrire et mettre en scène une pièce éponyme.
Au début de cette comédie schizophrène à quatre personnages, un homme vêtu comme un majordome, prénommé Robert (René-Claude Emery), trace au sol, à la craie, le plan de l'appartement de Victoire (Anne -Frédérique Rochat), qui se trouve assise au beau milieu de ce tracé.
Cette première bizarrerie est suivie de deux autres. Tous deux parlent d'eux-mêmes à la troisième personne et leur visage est barré d'un trait oblique et rouge.
Nous sommes le 31 juillet. Il est onze heures du matin. Robert doit bientôt partir à la gare chercher Pierre, le fils de Victoire, ou du moins un jeune homme qui puisse le personnifier. Margot (Marika Dreistadt), la fiancée de Pierre, est là. Chaque année, elle dit que c'est la dernière fois qu'elle revient et qu'on ne l'y reprendra plus, mais chaque année elle revient tout de même.
Au début de la pièce, Margot se rebelle donc et ne veut pas jouer le jeu que Robert et Victoire jouent. Puis, elle se résigne à son tour à parler à la troisième personne et laisse Robert lui dessiner avec un stylo sur le visage un trait oblique et rouge, rite obligé, semble-t-il, pour passer de la première à la troisième personne.
Cette année, comme dans la nouvelle de Corinna Bille, le jeune homme, Germain (Jean-Baptiste Roybon), que Robert a emmené chez Victoire contre son gré, ressemble étrangement à Pierre, ce qui ne laisse pas de troubler Margot.
Germain, qui vient de terminer ses études de droit - Pierre en avait lui aussi entrepris - et qui est maintenant avocat, ne compte pas se laisser faire et menace de porter plainte pour séquestration. Mais, n'étant pas indifférent aux charmes de Margot, il se laisse convaincre par elle de jouer lui aussi le jeu de parler à la troisième personne.
Margot a un peu plus de mal à dessiner un trait oblique et rouge au travers du visage de Germain effrayé et doit se verser un peu d'encre rouge dans la paume avant d'y tremper un doigt pour lui appliquer avec douceur le trait rituel.
La ressemblance de Germain avec Pierre est telle que Victoire n'arrive plus à rester dans le rite annuel des années précédentes et que les choses finissent par déraper complètement.
Il faut un certain temps au spectateur pour entrer dans ce jeu de fous. Puis il se laisse prendre à leur délire et ne voit pas le temps s'écouler. Les émotions le traversent. A certains moments il pourrait rire de tant de folie, à d'autres il pourrait pleurer devant les drames qui en sont l'origine ou qui en découlent.
Ces émotions sont bien évidemment transmises par les comédiens qui incarnent tellement bien leurs personnages et la folie qui les habitent que le spectateur le plus indifférent ne peut que se laisser toucher et qu'être ébloui d'avoir été ainsi transporté dans un autre monde, bizarre autant qu'étrange, l'espace d'une heure et demie de temps.
Francis Richard
Prochaines représentations:
Vendredi 16.05.2014 à 20:30
Dimanche 18.05.2014 à 17:00
Jeudi 22.05.2014 à 20:30
Vendredi 23.05.2014 à 20:30
Samedi 24.05.2014 à 20:30
Réservation:
http://www.regart.ch/th-voirie/
Adresse:
Café-Théâtre de la Voirie
Rue du Centre 10 - Case postale 442 - 1009 Pully
Tél. 076 324 34 52