"J'ai regardé les gens autour de moi, les phrases dans les journaux, les programmes à la télévision, et j'ai vu des gens prétendant être ce qu'ils ne sont pas, d'autres ne sachant pas qui ils sont ou ce qu'ils sont."
Ainsi s'exprime Guy Millière à la fin de son dernier livre, Voici venu le temps des imposteurs. Car les imposteurs sont à l'oeuvre en France. Ils font tout pour que les yeux des Français ne se désillent pas, pour qu'ils ne comprennent pas pourquoi leur pays meurt.
Certes les Français se rendent bien compte que l'univers dans lequel ils vivent est gris désormais, et sans âme. Les villes ont été bétonnées (disharmonie délibérée, semble-t-il), transformées pour qu'il ne soit plus possible d'y circuler librement en voiture (avenues rétrécies, trottoirs élargis, places de stationnement supprimées), et sont mal entretenues.
Les Français, contraints à une promiscuité non désirée dans les transports publics, contraints à la soumission, à l'attente, à l'absence de choix, comme des animaux pris aux pièges, deviennent discourtois, impolis, ne sourient plus, ou rarement: "Viennent dès lors souvent, de plus en plus souvent, les mots: conflits, tensions, frictions."
La décroissance est là: "La misère absolue, la faim, le froid, le dénuement presque total sont de retour en France.". Les plus actifs, les plus créatifs, les plus dynamiques ne sont plus incités à l'être, ou s'en vont. Les moins actifs, les moins créatifs, les moins dynamiques sont encouragés à le rester, ou arrivent.
La France vit au-dessus de moyens qu'elle n'a plus:"S'approche le moment où le pays n'aura même plus la possibilité de trouver l'argent qu'il n'a plus ou qu'il n'a pas auprès de prêteurs, et où il n'y aura plus rien à redistribuer, et plus rien à dépenser."
Dans les périphéries des grandes villes, les cités, les quartiers sont l'épicentre de l'implosion gigantesque qui se propage et qui résulte d'une cohérence à l'oeuvre: "Cette cohérence est celle de l'Etat [...]. L'Etat est désormais tentaculaire, hypertrophique, omniprésent et en cela jamais localisable, délimitable, jamais à même d'être défini, circonscrit, endigué."
L'esprit bureaucratique se propage et anéantit la possibilité de choisir, la créativité, l'initiative, le dynamisme etc. Les institutions essentielles, telles que la justice et la police, ne remplissent plus leurs rôles:
"Une société où la sécurité devient aléatoire, une société où la loi se détache du rôle qui est le sien dans une société libre, garantir la sécurité des personnes et des biens, et assurer la liberté (liberté de parler, écrire, penser, aller et venir, entreprendre, passer contrat, disposer de la liberté de soi-même et de ses biens) avec pour seule limite ce qui nuit à autrui (vol, viol, meurtre, agression, pillage, incitation au vol, viol, meurtre, diffamation) cesse d'être une société libre et devient société de l'arbitraire."
Guy Millière passe en revue les différents domaines où le monopole de l'Etat s'exerce (santé, retraites, naissances, logement, enseignement) et montre qu'il s'agit d'empêcher toute alternative à l'Etat, qu'il s'agit d'imposer son hégémonie. Ce modelage des esprits se retrouve dans la presse, la télévision, la culture. Les tendances lourdes de cette hégémonie ne date pas d'hier, elles remontent à l'absolutisme, à la Terreur...
La cohérence à l'oeuvre ne souffre pas de contradiction. Les idées contraires sont marginalisées sinon tues. Qui, en France, parle de droit naturel, "garde-fou contre la loi sans limites, rappel de ce que les droits appartiennent à l'être humain en tant qu'il est un être humain et n'appartiennent jamais au gouvernement"? Qui parle de John Locke, d'Anne Robert Jacques Turgot, d'Edmund Burke, d'Alexis de Tocqueville, de Frédéric Bastiat, de Raymond Aron, de Jean-François Revel? Des minoritaires, réduits à une quasi clandestinité.
Le sens des mots se perd: ""Social libéralisme", dites-vous. Que signifie le mot libéralisme accompagné du mot "social"? Le socialisme c'est la redistribution, l'érosion de la propriété privée et de l'initiative individuelle, l'Etat en charge de la redistribution, l'asservissement à l'Etat."
Le libéralisme? "C'est l'économie de marché et un Etat de droit basé sur le droit naturel, limité au rôle de garant des droits individuels. L'économie paralysée, tétraplégique, croulant sous la lourdeur de cliquetis qui harassent et exténuent serait donc une économie de marché? Vraiment? Le dispositif qui redistribue, réduit à la passivité, à l'assistance, au délitement généralisé serait un Etat de droit?"
L'hégémonie produit l'anomie, dans le sens que lui donnait Emile Durkheim: "L'état vers lequel se dirige une société lorsque tout ce qui lui permet de fonctionner encore en tant que société, règles, normes, références, valeurs, se disloque, se désagrège et s'anéantit."
Devant l'anomie qui vient, que faire? Constater la catastrophe. Certes, mais encore? Guy Millière doute qu'il soit possible de rebâtir, mais il sera "du côté de ceux qui rebâtissent, en France, s'il y a lieu". Rebâtir signifiera "refonder le travail des idées":
"Un travail des idées digne de ce nom impliquerait de redonner du sens aux mots les plus essentiels. Liberté. Droit. Marché. Création. Richesse.
Mais ce serait un commencement, oui. Juste un commencement."
Francis Richard
Publication commune avec lesobservateurs.ch
Voici venu le temps des imposteurs, Guy Millière, 80 pages, Tatamis (2014)
Quelques livres précédents de l'auteur:
, Guy Millière, Cheminements (2009)
Le désastre Obama, Guy Millière, 216 pages, Tatamis (2012)
Face à l'islam radical, Daniel Pipes - Guy Millière, 82 pages, David Reinharc (2012)
L'islam radical est une arme de destruction massive, Guy Millière, 80 pages, David Reinharc (2013)
L'Etat à l'étoile jaune, Guy Millière, 186 pages, Tatamis (2013)