Qui pourrait s'intéresser à ce que l'animal faisait partie d'une sous-espèce qui s'en prennent presque exclusivement aux romanciers. Leurs venins développent d'étranges pouvoirs comme celui de modifier à convenance le contenu des livres et des histoires.
L'animal dont il s'agit est un mamba vert, dont le venin, en principe mortel, a dû être inoculé à celui qui a pris la plume...
Le narrateur de David Germanier ne serait jamais devenu romancier si, journaliste au magazine Spiegel, il n'était arrivé trop tard pour recueillir, après des années d'oubli, les ultimes confidences d'un bosco sur la fraude à l'assurance la plus monumentale de l'Histoire, celle du sabordage, le 17 janvier 1980, du pétrolier Salem, qu'il pilotait au large de Dakar...
Il ne serait jamais non plus devenu romancier si, se rendant à ce rendez-vous manqué à Mykonos, à bord de l'avion qui le transporte depuis Athènes, il n'avait rencontré une danseuse étoile suédoise dans des conditions improbables, et désopilantes, gardant le souvenir ému sur ses lèvres du baiser échangé avec elle pendant une seconde volée au temps.
En Californie, à Zuma Beach, des années plus tard, une jeune femme s'allonge tout à côté de lui, devenu entre-temps auteur ridicule et demi-sel, mais célèbre, dépensant sans compter les modestes droits d'auteur de sa nouvelle poétique, La petite-fille d'Amerigo, qui se termine par la mort simultanée et dramatique du narrateur [...] et de sa muse, une actrice... suédoise.
Les deux premiers jours, le lundi et le mardi, l'inconnue et lui n'échangent que brièvement. Le mercredi, il fait plus ample connaissance avec elle et... avec son mamba vert. Le jeudi, menteurs, l'un comme l'autre - il n'aurait pas connu d'actrice suédoise, elle se prétend prof des beaux-arts -, ils se disputent; elle entre dans l'eau; il se fait mordre par le mamba...
L'histoire pourrait se terminer là, mais non. Il y a une suite, comme il semble qu'il y ait une vie après la mort, à moins que ce ne soit l'inverse, aussi bien dans la nouvelle (reproduite en italiques), qui emporte les lecteurs en Italie et sur la Côte d'Azur sur les traces des Nu bleu de Matisse, que dans le récit, qui prend un tour halluciné, sensuel et aquatique...
Le titre ironique, donné par David Germanier, une fois le livre refermé, prend tout son sens, car les deux histoires parallèles se complètent et se fondent. C'est pourquoi il apparaît vain de distinguer qui, du narrateur ou du héros de sa nouvelle, cultive l'art d'Aimer la vie le chianti une actrice suédoise la littérature et les gens qui ne savent pas nager...
Francis Richard
Aimer la vie la vitesse une actrice suédoise la littérature et les gens qui ne savent pas nager, David Germanier, 128 pages Éditions de l'Aire