André Ourednik rappelle que Thomas More a inventé ce mot au XVIe siècle avec le succès que l'on sait. Dans Utopia, Thomas More décrit l'État idéal, celui où la société est parfaite, juste et psychorigide.
Dans le langage courant, l'utopie évoque surtout le futur, maintenant, un futur possible et idéal dont on rêve et où l'on souhaiterait vivre. Le mot "utopie" sous-entend aussi que ce futur n'adviendra pas.
Le mot utopia a été construit par Thomas More à partir de topos, qui veut dire lieu en grec et du préfixe privatif u. Il signifie donc non-lieu, ou bon lieu, parce qu'il l'écrit aussi eutopia, avec le préfixe mélioratif eu...
Pour André Ourednik, il ne faut pas confondre la société et la topographie, la géographie humaine et la géographie physique. Pour lui également, les lieux d'une société disparaissent avec celle-ci.
S'il faut se défaire des fondements matériels de l'identité ancrés dans les néants utopiques, il faut également sortir, selon lui, de l'héroïsme romanesque en s'émancipant du protagoniste.
ll voit dans cet imaginaire narratif une ressemblance alarmante avec un imaginaire politique, qui consiste de plus en plus à préférer un dirigeant fort à une démocratie représentative.
Peut servir également de terreau à protagonistes ce qu'il appelle l'utopie du moment présent, l'utopie de l'ici et du maintenant: Notre unité dans le lieu présent demeure un projet utopique.
Il n'y a jamais eu, mais c'est aujourd'hui plus visible, de réunion parfaite entre deux personnes, ni d'adhésion de tous à l'invention d'un monde superbe proposé à la société toute entière.
André Ourednik va plus loin - et c'était là où il voulait en venir: J'appelle hypertopie l'instant où l'utopie bascule dans le fantasme du lieu total. Et le temple de l'hypertopie s'appelle Internet...
Quelles sont ses caractéristiques?
- L'hypertopie est l'ultime utopie dans laquelle toutes les utopies prennent fin;
(Il n'y a plus d'espoir dans l'hypertopie, il n'y a que des faits. Les grandes encyclopédies d'Internet mettent à notre disposition une infinité de modèles de sociétés parfaites dont plus aucun ne nous fait rêver.)
- L'hypertopie fait honte de ne pas connaître toutes les choses alors qu'elles sont à portée du clic: l'omniscience est la condition hypertopique de la conscience;
- L'hypertopie donne de l'angoisse par excès de choix: il n'est pas possible de ne pas faire le meilleur, ni de ne pas en faire;
- L'hypertopie est une hypermnésie, c'est-à-dire excès de mémoire.
Comment en sortir (ou s'en sortir)? Il faut retrouver un moyen de fabriquer le temps! Une nouvelle utopie...
Francis Richard
Hypertopie, André Ourednik, 78 pages, La Baconnière (sortie le 10 mai 2019)
Livres précédents d'André Ourednik:
Atomik submarine, 216 pages, Art & Fiction (2018)
Omniscience, 276 pages, La Baconnière (2017)
Les cartes du boyard Karienski, 280 pages, La Baconnière (2015)
Contes suisses, 184 pages, Éditions Encre Fraîche (2013)