Prosper Brouillon est un auteur à succès. Comme son prénom l'indique, il rapporte beaucoup à Max, son éditeur, et, dans ce livre, il se révèle tel qu'en lui-même son lecteur le change:
Il ne pense qu'à son lecteur, il pense à lui obsessionnellement, avec passion, à chaque nouveau livre inventer la tortue nouvelle qui obligera ce rat cupide à cracher ses vingt euros.
Éric Chevillard décrit Prosper à l'oeuvre et dévoile ses secrets de fabrication, qui font de lui un écrivain que tout éditeur aimerait avoir, sinon dans son catalogue, dans son registre comptable.
Cette fois Prosper a décidé de se renouveler, d'abandonner le marché de masse pour se lancer dans le marché de niche, c'est-à-dire de donner une trame policière à son nouveau roman.
Prosper imagine peu à peu les personnages de sa brigade policière à partir du secret de notre humanité qu'il a su percer: L'individu n'est que la somme des détails qui le constituent.
Ce que cet increvable de Prosper (pour les besoins de la cause il file des métaphores) rapporte à Max permet à celui-ci de publier des poètes illisibles, qui n'y sont pour rien, les pauvres:
Il laboure ses dix pages à l'heure: dix prodigieux écrivains impopulaires et désargentés auront ce soir un bol de riz. Max peut compter sur lui.
Prosper Brouillon doit de temps en temps laisser son roman en plan pour faire la tournée triomphale des salons et festivals du livre: C'est un crêve-coeur, mais la gloire a ses exigences.
Prosper Brouillon a une master-class en ligne, sur son site personnel: en vingt micro-conférences, il s'engage, moyennant finance (il ne faut pas rêver), à ne rien celer de ses secrets d'écrivain.
Prosper n'est pas motivé par l'appât du gain: il est uniquement guidé par l'envie de partager, mieux: de transmettre. Il n'est pas loin de considérer cet enseignement comme un devoir, une mission.
Dans la lignée des Hugo, Zola ou Sartre, Prosper est un lanceur d'alerte. Il attaque le système de l'intérieur: Ses livres ne sont-ils pas en pile dans les supermarchés? C'est la ruse du cheval de Troie...
Un roman de Prosper Brouillon n'en serait pas un si ses fidèles lecteurs ou ses plus infidèles coquins ne pouvaient compter sur une de ces scènes torrides comme il sait si bien les trousser...
Il ne manque à cette satire, écrite par un lecteur, et auteur, chevronné, qu'une mention teintée d'ironie: Toute ressemblance avec des écrivains existants ou ayant existé serait purement fortuite...
Francis Richard
PS
Les illustrations de Jean-François Martin, dont celle de la couverture, sont d'une grande pertinence et d'une grande simplicité.
Prosper à l'oeuvre, Éric Chevillard, 112 pages, Les Éditions Noir sur Blanc