Mélanie était une femme de son temps. C'était aussi simple que cela. Pour exister, il fallait cumuler les vues, les likes et les stories.
Mélanie Claux, à dix-sept ans, suivait avec ses parents l'émission de téléréalité, Loft Story. Comme eux, elle s'était réjouie de la victoire de Loana, remportée en 2001 lors de la première saison.
Neuf ans plus tard, elle aurait aimé connaître à son tour son quart d'heure de célébrité. Elle avait donc tenté sa chance dans une autre émission de téléréalité, mais avait piteusement échoué.
Qu'à cela ne tienne, elle devait tenir sa revanche quelques années plus tard en créant une chaîne sur YouTube, Happy Récré, où Les enfants sont rois, bientôt suivie par des millions d'abonnés.
Ces enfants-rois sont les siens. À l'instar de chaînes américaines analogues, elle se croit une bonne mère en les filmant à plusieurs moments de la journée pour les rendre célèbres et heureux:
Les week-ends et les vacances scolaires permettaient d'honorer les invitations dans les hôtels, les fast-foods et les parcs d'attraction. Autant de moments qui feraient l'objet de nouvelles vidéos. Il fallait distribuer de l'amour à ceux qui les regardaient.
Parallèlement elle poste des stories sur Instagram où elle sonde les fans pour qu'ils disent ce que ses enfants, Kimmy et Sammy, doivent acheter quand ils se trouvent dans tel ou tel magasin.
Tout semble aller pour le mieux dans le meilleur des mondes quand, de retour d'un centre commercial, Kimmy, six ans, disparaît lors d'une partie de cache-cache impromptue avec des voisins.
Clara Roussel, petite femme dont émane de l'autorité, est la procédurière de l'enquête. Son rôle est de faire que le récit judiciaire tienne debout [...]. Qu'il soit lisible, compréhensible. Irréprochable.
Pendant huit jours, l'enquête piétine, mais révèle l'univers impitoyable de ces chaînes familiales, où la vie n'est plus privée mais exposée aux yeux de tous, ce qui, cependant, peut rapporter gros:
Partager était un investissement. Partager les secrets, les marques, les anecdotes, telle était la recette du succès. Depuis que Mélanie s'était lancée sur les réseaux, les compteurs n'avaient jamais cessé de grimper.
Être beaucoup filmé fait peut-être de ces enfants gâtés des rois, mais ça leur fait également perdre pied avec la vraie vie, ce qui ne peut être sans conséquences quand ils deviennent adultes.
C'est ce que raconte Delphine de Vigan: dix ans après la pandémie de Covid, il n'y a pas eu de monde d'après; il est resté le même, en pire, puisque, entre autres, les gens y sont davantage tracés et notés.
Si Clara fait partie des récalcitrants, Mélanie s'en accommode, tandis que ses deux enfants ne sont peut-être pas aussi heureux d'avoir été célèbres, s'étant réparti les rôles de la rebelle et du docile...
Francis Richard
Les enfants sont rois, Delphine de Vigan, 352 pages, Gallimard
Livres précédents:
Rien ne s'oppose à la nuit (2011)
Les loyautés (2018)
Les gratitudes (2019)