Ce récit autobiographique commence par un mode d'emploi de médicament, qui n'étonnera pas ceux qui savent que l'auteur fut médecin:
À ne surtout pas secouer avant l'emploi
Ouvrir les yeux sur le réel à l'inspiration (chapitres pairs)
Fermer les yeux sur l'imaginaire à l'expiration (chapitres impairs)
Comme tout mode d'emploi de ce type, il précise la posologie, les contre-indications, les précautions, ce qui révèle un sérieux humour.
Dans les chapitres impairs Pierre De Grandi imagine ce qui lui adviendra quand il sera mort, mais il emploie le présent de l'indicatif:
Je suis mort, écrit-il au début du chapitre 1.
Dans les chapitres pairs, il est dans le réel, celui du cancer qui l'a attrapé, un sarcome, retour à la surface d'un lymphome disparu naguère...
Dans les chapitres impairs, cet agnostique1 se demande si la mort, elle, aurait un sens, tandis que dans les pairs, il observe sa maladie.
Son sarcome est rare et disséminé. Est tentée alors une chimiothérapie dont les substances n'ont été utilisées que pour certains mélanomes.
Après plusieurs semaines, ce traitement a, sur le cobaye, un effet marqué et extrêmement encourageant, qui laisse espérer une rémission:
Je suis en sursis.
De Grandi continue d'imaginer ce qu'il adviendra de lui dans l'Au-Delà, sans besoins corporels, mais ses envies pérégrines satisfaites.
Quitte à y faire des rencontres, autant que ce soient des personnes de son choix, des proches, des personnalités et même des inconnus.
Très rationnel, il relève les incohérences des Écritures. Mais peut-être s'attache-t-il trop à la lettre plutôt qu'à l'esprit qui les a inspirées...
Il se pose des questions, ce qui montre son humanité. Et ce qui est remarquable, c'est qu'il ne se plaint pas de son sort pourtant scellé.
Dans ce récit, pendant des mois, le lecteur vit avec l'auteur l'évolution de sa maladie et de ses réflexions sur la vie, donc sur la mort.
A-t-il raison de penser que, dans l'Au-Delà, le temps se dissout dans l'éternité ou que les souvenirs s'envolent avec la fin de la matière?
Un jour, lassé de spéculer, il renonce à décrire les chimères imaginaires d'un éventuel arrière-monde et n'écrit plus que des chapitres pairs.
Tout au long du récit, les examens médicaux se succèdent et leurs résultats ne laissent pas d'influencer l'humeur de l'auteur et de ses proches.
Depuis le chapitre 7, le lecteur sait que, si l'auteur écrit il pense, donc que s'il écrit il existe, pour paraphraser le brasseur de cartes philosophiques.
Il faudrait s'inquiéter s'il ne peut plus écrire et dise: Je n'ai plus la force de séduire les mots ni de les contraindre à m'obéir sinon à me suivre.
Francis Richard
1 - Il écrit dans le chapitre 25: J'espère que Dieu existe à défaut de pouvoir y croire.
Sursis, Pierre De Grandi, 224 pages, Slatkine
Livres précédents chez Plaisir de lire:
Le tour du quartier (2015)
Quand les mouettes ont pied (2017)
Livre précédent chez Slatkine: