Nous sommes pour toujours les enfants de nos parents. [...] Mais nous sommes aussi, et pour toujours, les enfants des livres que nous avons lus.
Delphine Horvilleur naît l'année1 où Romain Gary commence à signer du nom de l'Autre, Émile Ajar. Ils ont cessé d'écrire l'année 2 où elle apprend à lire et à écrire.
Depuis des années, l'auteure lit Gary/Ajar; elle ne cesse d'y chercher une clé d'accès à [sa] vie, un passe-partout qu'un jour, un homme aux multiples identités a déposé.
Il n'y a pas de Ajar est Un monologue contre l'identité, où l'héritière de Gary/Ajar, refuse au fond qu'à un homme soit collé, ou qu'il se colle lui-même, une seule étiquette.
À l'instar de Gary/Ajar, en conséquence, elle dit notamment dans ce texte qu'il est permis et salutaire de juger un homme pour ce qu'il fait et non pour ce dont il hérite.
Ce monologue, résultat d'une véritable filiation littéraire, est tenu par Abraham, le fils caché d'Émile Ajar, qui n'hésite pas à se prévaloir de son certificat d'inexistence:
Je suis ce qu'il en reste.
Pourquoi ce monologue? Pour sortir de la binarité, un défi insurmontable. Peut-être, pour ce faire, ne faut-il donc pas croire que l'on n'est rien d'autre que ce que l'on est.
Le refus de Romain Gary de se laisser définir par une identité ou une seule définition de soi, pour l'auteure, qui est rabbin et connaît bien la Thora, a à voir avec sa judéité.
En hébreu, Abraham précise d'ailleurs que le verbe être n'existe pas au présent. Il ne peut se conjuguer qu'au passé ou au futur: on peut avoir été ou être en train de devenir:
Tu as été et tu deviendras, mais tu es forcément en pleine mutation.
Francis Richard
1 - 1974
2 - 1980
Il n'y a pas de Ajar, Delphine Horvilleur, 96 pages, Grasset
Livres précédents:
Vivre avec nos morts (2021)
Réflexions sur la question antisémite (2019)
Sur Gary/Ajar:
Album Gary, Maxime Decout, La Pléiade (2019)