Les Peaux font l'interface entre l'extérieur et l'intérieur des corps, c'est-à-dire qu'elles font communiquer des espaces.
Comment exprimer ces échanges sinon avec des mots et des silences éloquents.
Au début de ce livre poétique, Nuria Manzur-Wirth explicite ce qu'elle entend par espace, comment elle le perçoit, le représente, le crée.
Pour ce faire elle remplit celui des pages du recueil de lettres et de mots, dispersés comme les pièces d'un puzzle.
Un exemple permet d'en appréhender la vision:
Nos peaux
transpirent l'acier d'une parole de chiffres
nos peaux
suintaient l'oracle des
pores
Rien
à attendre
aucune promesse aucun silence
L'espace
seulement
l'espace
ouvert
de
nos mains
Phalanges de souffle
et de soif
Pour se laisser pénétrer par son monde, il faut lire simplement, en ne cherchant pas à raisonner mais en se laissant émouvoir par les mots et les phrases, comme ils viennent.
Certaines pages sont écrites en anglais, d'autres en espagnol. Si le lecteur ne connaît pas ces langues, du moins peut-il se laisser entraîner par les mots, par leurs sons ou leurs dispositions sur la page.
De temps en temps un peu d'allemand, parfois un simple mot, remplit des interstices...
Comme la poétesse laisse son esprit vagabonder et mélange les genres, le lecteur retiendra ce qui l'émeut particulièrement, par exemple des aphorismes:
Ce sont les paroles les plus silencieuses
qui apportent la tempête
Ce sont les pensées qui viennent comme portées
sur des pattes de colombes
qui dirigent le monde
Un souvenir poignant, tel que la mort du frère:
Il était guitariste il était drôle il était beau il était colérique
il était mon premier contact avec l'autre
Avec l'autre
tout simplement mais aussi
avec l'Autre
tout ce qui est totalement Autre
l'étrange l'insaisissable
le sinistre
Une rencontre sensuelle, à l'occasion d'un mariage:
Il brûlait lui
Et moi J'avais peur Je tremblais j'avais peur
Je n'avais pas de force je n'avais plus rien
Je n'avais que la peur ambrée de peau d'amande J'avais peur
peur du santal cendré
peur du désir
Mais c'est l'espace qui reste son fil rouge, sa préoccupation et celle de son corps:
Tu n'es pas face à l'espace tu es dans l'espace
L'espace t'accueille comme un regard et tu te donnes à lui
L'espace te caresse avec ses cils et son souffle-spore suit le battement de tes syllabes
dans les cordes de la vie qui vibre
Francis Richard
PS
À l'intérieur du recueil, un cahier de 16 pages, qui sont autant de nuances d'images en bleu, parle à l'imagination...
Peaux, Nuria Manzur-Wirth, 120 pages, Éditions d'En Bas
Livre précédent aux Éditions de l'Aire:
Esquilles (2020)