Le mot trogne vient du mot gaulois trugna qui signifie museau. Il est employé dans deux sens, animal et végétal.
La trogne d'un homme est le visage rougeaud et épanoui de quelqu'un qui a fait bonne chère, qui a bu, dit le dictionnaire Larousse, au sens premier.
La trogne d'un arbre est, en arboriculture, le résultat d'une taille qui en fait un arbre étêté, d'aucuns disent arbre têtard: il forme alors une touffe épaisse au-dessus du tronc.
Les trente poèmes de Trognes, titre du recueil de Xochitl Borel, établissent donc un lien poétique entre ces deux mondes de vivants.
Le premier de ces poèmes commence par cette interrogation:
Annonce-moi ton nom,
Trogne
Blessure de sève
Sait-on vraiment ce qui coule
Dans le désir des arbres
La poétesse emploie dans le deuxième le mot de duramen (qu'il serait tentant de scinder en deux... vue la suite), qui est le coeur ou le creux d'un tronc, donc d'une trogne:
Comme une prière qui se vide
Jusqu'à l'aubier
L'aubier? La partie périphérique, vivante, d'un tronc...
Au-delà de la précision botanique, la poésie reprend vite ses droits pour relier les hommes et les arbres:
Ton ventre s'emplit
Des coeurs des hommes
Combien d'eux ont déposé le leur
Entre deux souffrances et deux joies
S'il fallait la photosynthèse de ces tissus de mots
Le ventre creux du chêne ne le serait plus
Dans un poème suivant elle évoque le vieillissement qui se traduit par des rides chez l'homme et chez l'arbre:
Toi tes rides tu les portes
Comme on porte une soierie
Quand moi je les vêts
à la manière d'un chandail de mélancolie
Plus loin, le mot sève évoque la vie terrestre, mais aussi céleste:
Tout le monde suppose que la sève s'achève au feuillage
Mais moi je sais qu'elle continue de monter jusqu'à chatouiller
Un ange
Plus loin encore, la sève végétale de la trogne taillée se mêle au sang animal de l'homme entaillé:
Ce n'est que de la sève
Mais pour en avoir le coeur net
Et puisque la folie me guette
La lame luit sans clair de lune
La lame luit et tranche
Un autre tissu où perle
le sang rouge
le sang d'une bête
celle que je suis
animal contre végétal
Réunis
À présent, nous voilà frères de sang
Je lui dis en l'embrassant
Ces quelques citations donnent le ton de ce recueil où l'homme animal et la trogne végétale font bien partie de la même nature.
Toutefois les trognes que la poétesse semble préférer sont celles des champs plutôt que celles des villes:
Même la trogne urbaine
en tête de chat
comme ils disent
Dans le jargon de ceux qui chatouillent
Les platanes du quai
N'est qu'une pâle gourmandise
de ce qu'est la trogne
En liberté
Francis Richard
Trognes, Xochitl, 80 pages, Éditions de l'Aire
Livres précédents aux Éditions de l'Aire:
L'alphabet des anges (2014)
Les oies de l'Île Rousseau (2017)
Livre illustré par Thierry Droz chez Dashbook:
Le siècle des couronnes (2022)