ÉTAT-LIMITE
C'est une pièce de théâtre pour trois acteurs: une mère, sa fille atteinte du trouble de la personnalité limite ou TPL1, joliment nommé borderline, un des membres du personnel soignant. Elle comprend vingt-deux tableaux et un épilogue.
La mère, sous pression du médecin des urgences, a signé pour sa fille une HDT, hospitalisation à la demande d'un tiers, contre le gré de celle-ci, qui est majeure, la trentaine, et qui lui en veut.
Le TPL?
- Cette maladie touche un à deux pour cent de la population.
- Le taux de mortalité est particulièrement élevé, entre dix et quinze pour cent.
- Une majorité de femmes sont concernées, les deux tiers.
- Les facteurs sont surtout environnementaux2 (maltraitances, traumatismes3).
Les signes?
- Le patient se sent abandonné.
- Il porte atteinte à sa vie.
- Il est devenu addict à l'alcool, au cannabis, à diverses substances qui circulent chez les étudiants.
Le spectateur apprend tous ces éléments, et d'autres, sur cette maladie, par des dialogues, notamment entre la mère et l'un ou l'autre membre du personnel soignant, ou des monologues.
Le problème est que la mère est désarmée devant la maladie de sa fille et ne trouve pas auprès du personnel soignant de directives claires: elle doit aider sa fille et, en même temps, la laisser décider de sa vie...
Et que la fille est aussi perdue que la mère... surtout quand elle se retrouve seule chez elle, entre deux hospitalisations, entre deux rechutes.
Car l'hospitalisation n'est pas la solution, d'après la mère:
Le système est impuissant. On fait croire qu'il peut aider puisque c'est son rôle, mais c'est faux, c'est un leurre, un mensonge. Pour ce type de cas, l'hôpital est défaillant. À commencer par les concours de médecine. C'est un toubib qui me l'a dit. On décroche une spécialité en fonction de son classement. En bas du tableau, la psychiatrie. Personne ne veut y aller, ou presque. Je crois qu'il y a de super psychiatres et on ne les a jamais trouvés sur notre chemin.
Ainsi sa fille aura-t-elle perdu dix ans de sa vie (il paraît que vers quarante ans, les symptômes s'atténuent)... avant de réussir à mener sa vie sans sa mère:
Je ne réponds plus au téléphone,
Ou très rarement.
Si, je réponds à ma meilleure amie,
Souvent,
À mon chéri,
Presque toujours,
À mon frère,
Quelques fois.
Il transmet les nouvelles.
POUSSIÈRE
Une mère se rend aux Orcades, un archipel au nord de l'Écosse, où sur une île, elle a loué une maison rose.
Elle monologue mais n'est pas venue seule:
Je porte ma grande fille sur mes épaules.
Dans un vase.
Elle va y passer l'automne, le début de l'hiver, les fêtes au bout du monde dans le froid et le vent.
Elle a vu sa fille morte, elle avait vingt ans à peine. Elle était tombée, avait cogné sa tête.
Avec sa fille sur le dos, elle arpente l'île. Et un matin, elle se baigne dans l'eau froide et jette un regard sur sa fille dans son sac sur la plage.
Elles restent ensemble toutes deux quelques jours, puis un jour, comme elle l'écrit:
J'entre dans la mer
Toi à bout de bras
Mes doigts dans les cendres de toi portées à ma bouche
L'eau si froide
Lentement je te verse dans la mer
Poussière grise qui s'envole
Nuée qui retombe
Dans l'eau
Bleue ce jour-là
Elle souhaite que ses cendres à elle soient dispersées dans l'eau un jour de soleil ... et disparaissent ainsi, de même, dans le grand Tout.
Francis Richard
1 - Le TPL est une maladie psychiatrique difficile à diagnostiquer et à soigner.
2 - Ils peuvent aussi être génétiques, selon la littérature médicale consultée.
3 - Dans le cas présent, la mort du père.
État-limite, suivi de Poussière, Béatrice Anselmo, 96 pages, BSN Press