Le président français Nicolas Sakorzy a fait adopter le traité de Lisbonne en France par la voie parlementaire. Avec cynisme il a reconnu qu’il ne voulait surtout pas que la France donne à nouveau le mauvais exemple d’un refus par la voie référendaire comme elle l’a fait il y a trois ans. Il a même évoqué la possibilité d’un non britannique si le Royaume-Uni était alors tenté, à l’instar de la France, de décider l’adoption du traité par voie référendaire. Ce qui aurait été désastreux puisque l’unanimité est encore requise cette fois-ci pour l’adoption des institutions européennes.
Cette curieuse conception de la démocratie devrait faire réfléchir en Suisse. Quand les peuples européens sont susceptibles de mal voter il ne faut surtout pas leur donner la parole. Les peuples ne sont pas souverains en Europe. Ils ne sont bons qu’à obéir à ceux qu’ils ont élus et qui, une fois élus, en font à leur guise. Rivarol disait que quand les peuples cessent d’estimer, ils cessent d’obéir… La Suisse, qui est probablement le pays le plus démocratique au monde, a donc bien fait de refuser de s’intégrer à cette Europe-là, qui se construit sans le consentement des peuples qui la composent, et qui n’aime pas la démocratie directe, bien trop dangereuse, parce qu’elle peut conduire au désaveu.
En votant à 53,4% contre le traité de Lisbonne, les Irlandais se sont fait les porte-parole des peuples européens à qui leurs dirigeants ont refusé de donner la parole. Tous les sondages effectués ces derniers mois à travers l’Europe montrent qu’entre 60 et 75% des citoyens des pays européens auraient souhaité s’exprimer par référendum sur ce traité et que le résultat aurait été aussi décevant pour les eurocrates que peut l’être aujourd’hui le résultat irlandais. Ce traité, comme la précédente Constitution européenne avortée, ne donne aux citoyens qu’un moyen de se faire entendre. Ils peuvent tout au plus prendre l’initiative populaire de demander, à l’occasion, à la Commission européenne qu’elle veuille bien dans sa grande bonté « présenter de nouvelles propositions » quand celles prises ne sont pas de leur goût.
Seuls à pouvoir s’exprimer dans les urnes, les Irlandais ont en fait dit oui aux libertés. Ils n’ont pas comme les Français refusé l’Europe de Lisbonne pour de mauvaises raisons, parce qu’elle serait par trop libérale. Car c’est un fait que, depuis le début, la construction européenne s’est faite sous le signe du dirigisme. Pendant une courte durée elle a certes penché en faveur du libre-échange, mais très vite les eurocrates non-élus y ont mis bon ordre et l’ont orientée vers une centralisation politique de plus en plus contraignante, oublieuse du principe de subsidiarité, prôné partout mais, dans les faits, appliqué à l’envers.
Le mouvement Libertas, qui est l’origine du succès du non en Irlande, donnait huit bonnes raisons de voter non à Lisbonne. Ces huit bonnes raisons tournent toutes autour des libertés et de la représentation de l’Irlande au sein de l’Union européenne. Ainsi Libertas s’indigne-t-il :
- qu’avec Lisbonne le président du Conseil et le haut représentant pour les affaires étrangères de l’Europe soient nommés par le Conseil européen à la majorité qualifiée
- que le poids électoral au sein du Conseil soit proportionnel à la population du pays (ce qui réduira encore l’influence de l’Irlande)
- que le nombre des commissaires européens soit réduit de telle sorte que l’Irlande pourra ne pas être représentée pendant cinq ans d’affilée
- que les décisions puissent être prises à la majorité qualifiée au lieu de l’unanimité dans plus de 60 domaines tels que l’immigration, le sport, la culture etc.
- que la compétence exclusive soit donnée à Bruxelles pour le commerce international et les investissements directs étrangers
- que la loi européenne devienne supérieure à la loi irlandaise
- enfin que le traité puisse être modifié sans qu’un référendum puisse désormais être organisé.
De l’abécédaire du site de l'ALEPS et de Génération libérale (ici), à l’article Europe, j'emprunte cette conclusion de bon sens: « L’harmonisation européenne se fera plus facilement par le bas, avec une communauté de vie et d’intérêt des Européens, que par le haut, par entente entre les Etats européens. L’Europe économique marchande a plus d’avenir que l’Europe politique à économie dirigée. Culture et économie sont sans doute des liens plus puissants que les arrangements constitutionnels et politiques »
Evidemment les idéologues eurocrates ne vont pas désarmer aussi facilement. Ils continueront donc obstinément à vouloir poursuivre le processus de ratification, qui n’a plus aucun sens. Cela s’appelle un déni de réalité.
Francis Richard