Les radios privées suisses qui veulent avoir une concession OUC
(ondes ultra courtes, fréquences entre 87,5 MHz et 108 MHz) doivent remplir un certain nombre de conditions, moyennant quoi il leur est accordé un petit bout de la manne publique. Les diffuseurs
privés se partagent ainsi, depuis 2006, 4% de la redevance radio, les 96 autres % étant généreusement versés aux radios publiques, qui ont de ce fait un quasi monopole du financement
public.
Sur la région de
Genève il y a à l’heure actuelle 15 fréquences disponibles pour les stations de radio helvétiques et 22 fréquences pour les stations de France voisine. On peut donc dire que la bande FM ne
laisse pas beaucoup de fréquences inoccupées et qu’en admettre davantage s’avérerait sans doute difficile, techniquement parlant.
La loi helvétique ( ici ) est très généreuse en matière de radio puisqu’elle
admet fort bien que la diffusion de programmes puisse se faire sans avoir obtenu de concession, mais non pas sans avoir fait de déclaration auprès de l'OFCOM. Dans ce cas-là, dit-elle, le
diffuseur ne pourra prétendre ni à une quote-part de la redevance, ni à un accès garanti par voie hertzienne terrestre.
La liberté d'émettre en dehors de la voie hertzienne est donc théorique. En l’état actuel de la technique la diffusion hertzienne d’une radio reste la voie royale pour obtenir
un fort taux d’écoute. Les autres moyens techniques, tels qu'Internet ou les différents réseaux, rivalisent difficilement avec elle, du moins pour le moment.
Comment se répartissent les 15 fréquences attribuées
en Suisse, qui émettent, pour la plupart, depuis le Mont Salève ? La SSR, la Société suisse de radiodiffusion, qui bénéficie – on l’a vu – du quasi monopole de la redevance, occupe
pas moins de 10 fréquences et les radios privées doivent se contenter de 5 fréquences.
Quelles sont les stations de la SSR qui émettent dans la région genevoise ? DRS 1 (en allemand), RSI RETE 1 (en italien), WRS (en anglais) auxquelles il faut ajouter la ribambelle de
stations de la radio suisse romande, telles que La Première, Espace 2, Couleur 3, Option musique. Au quasi monopole du financement correspond le quasi monopole de la
diffusion.
Les 5 fréquences attribuées aux radios privées représentent 4 concessions pour l’Arc lémanique et une pour Genève même.
Pour le renouvellement des concessions, à Genève, il y avait deux candidats : Radio Cité, en place depuis 1984, mais relancée en août dernier par Viviane Jutheau de Witt, avec comme
animateur vedette Pascal Décaillet, tous les matins entre 7 et 8 heures. Lui était opposée Radio Meyrin FM qui est animée par des jeunes et qui émet aussi sur Internet. Radio Cité a sauvé sa
place, semble-t-il sans difficultés.
Pour l’Arc lémanique il y avait en lice Radio Lac, Rouge FM, Lausanne FM, One FM, les actuelles stations, et deux nouveaux venus, Buzz FM et Léman Local. Coup de tonnerre dans le paysage
audiovisuel genevois, le 31 octobre, le DETEC ( ici ) recale Leman
Local et attribue la concession de One FM à Buzz FM. Explication du DETEC : « One FM, axée surtout sur le divertissement des jeunes, remplissait le moins bien le mandat d’information
complète prescrit par le législateur ».
Le DETEC ajoute – on croit rêver : « On se réfère souvent au taux d’écoute en estimant que le public est le meilleur critère. Cela n’est pas exclu. Le législateur a cependant fixé
d’autres critères que tous ne partagent sans doute pas, mais que nous devons appliquer ». Or One FM est la première par l’audience des radios privées de Suisse romande. Elle doit donc être
exécutée…d’autant qu’elle a le tort de divertir les jeunes. Péché impardonnable.
Dans son
argumentaire, le DETEC, se voulant rassurant, alors qu’il se montre d’une froideur technocratique, fait preuve d’une compassion de commande : « La situation n’est guère aisée pour les
perdants dans le domaine de la radio. Mais, au final, il n’y aura pas moins d’emplois et certains nouveaux diffuseurs ont déclaré explicitement qu’ils chercheraient de nouveaux collaborateurs et
s’adresseraient aux journalistes radio des diffuseurs existants n’ayant pas reçu de concession ».
Il n’empêche que comme le dit, le 2 novembre, dans un coup de gueule, la directrice de Radio Cité ( ici ), Viviane Jutheau de
Witt : « On envoie au tapis 40 collaborateurs. Bel exemple en provenance de ceux qui devraient protéger l’emploi ! On ose affirmer que l’on
« reclassera » les journalistes. Vous avez bien lu ! On reclassera d’autorité les journalistes ! Quid de leur choix de vie à ces gens, de leur attachement à un projet, à leurs émissions, à leurs
rêves, à leur entreprise et peut-être même à leur patron Antoine de Raemy ? On prend les hommes, on les arrache à leur lieu de travail, et on les reclasse ! « Circulez, il n’y a rien à voir »
! ».
En fait du 31 octobre
jusqu’au 7 novembre, Antoine de Raemy, qui consacre tout son temps à One FM depuis 5 ans, va mobiliser le ban et l’arrière-ban des personnalités et des auditeurs de la République de Genève pour
sauver sa radio. Et il va y parvenir. Le 7 novembre il peut rédiger ce communiqué ( ici ) :
« Durant 7 jours vous vous êtes mobilisés, vous avez rempli les forums de tous les sites webs romands et francophones, vous avez rempli des pétitions avec près de 10'000
signatures ».
Il explique en outre pourquoi One FM est sauvée : « Pour être précis, Buzz FM renonce à sa concession, et le DETEC autorise le transfert de cette concession à One FM sous réserve que
nous redéfinissions bien notre cahier des charges journalistiques ».
La morale de cette
histoire est qu’un marché administré par l’Etat, qui s’octroie au passage la meilleure part, est voué à l’arbitraire. L’abandon de sa concession par Buzz FM au profit de One FM préfigure ce que
pourrait être un marché libre des radios où les acteurs ont tout intérêt à s’entendre entre eux et à adopter des règles de bonne conduite. Et où le seul critère décisif est ...
l’audience.
Francis Richard