Finalement, pour apprécier la fameuse page 18 de la brochure explicative ( ici )sur les votations cantonales genevoises du 30 novembre prochain, je suis bien placé pour donner une appréciation non pas objective, mais désintéressée : je ne connais rien aux questions relatives à l'école publique genevoise, je n'habite pas la République de Genève et je ne suis ni pour ni contre le Conseil d'Etat genevois.
Je remarque seulement que le Conseil d'Etat s'est signalé ces derniers mois, à deux reprises, à l'attention des novices (dont je suis) en matière de politique genevoise par un comportement totalitaire. La première fois c'était au sujet de l'interdiction de fumer dans les prétendus lieux publics, qui ne sont en réalité que des lieux privés fréquentés par du public (voir mon article Le Conseil d'Etat genevois pris la main dans sa blague à tabac ), et la seconde fois c'était au sujet de l'école publique où une initiative, portant le numéro 134, a été rejetée par le Conseil d'Etat et par le Grand Conseil, et fait l'objet d'un contre-projet.
Dans les deux cas, celui de l'interdiction de fumer et celui de l'initiative 134, le Conseil d'Etat, fort d'un soutien largement majoritaire, de la part du peuple dans le premier cas, de la part du Grand Conseil dans le second, ne s'est pas montré respectueux du droit, qui devrait être le même pour tous, c'est-à-dire y compris pour ceux qui sont minoritaires dans l'instant, mais ne le resteront peut-être pas ad vitam aeternam.
Dans le premier cas le Conseil d'Etat s'est fait tapé sur les doigts par le Tribunal fédéral parce qu'il n'avait pas respecté la séparation des pouvoirs. Ce n'était pas à lui d'édicter, vite fait mal fait, un règlement pour à tout prix interdire de fumer dès le 1er juillet dernier dans les lieux dits publics. Résultat : à Genève il est de nouveau licite de fumer dans les lieux dits publics jusqu'à ce qu'une loi, en bonne et due forme soit votée par le Grand Conseil, laquelle pourra être éventuellement soumise à référendum, avant d'être définitivement adoptée.
Dans le second cas il s'est fait tapé sur les doigts par le Tribunal administratif parce que dans le résumé précédant le texte de l' initiative 134 sur le cycle de l'école publique il a présenté « l'essentiel en bref » de cette initiative de manière exclusivement négative. Ce texte aurait dû être un résumé objectif. C'était un réquisitoire.
En effet que dit entre autres le Conseil d'Etat ? Les initiants « proposent en réalité, à travers une structure peu lisible, un cycle qui sélectionne précocement les élèves, n'offre pas de stimulation à ceux qui souhaiteraient élever leur niveau ou qui sont en difficulté. Ces derniers n'ont d'autre choix que par l'échec et les plus faibles d'entre eux sont exclus du cursus ordinaire ».
Dans son arrêt du 20 novembre le Tribunal administratif ne pouvait pas ne pas relever la subjectivité d'un tel texte ( ici ): « Force est de constater que la coloration négative qui en découle transforme ce qui devait être une présentation en une interprétation du Conseil d'Etat ».
Plus loin le Tribunal administratif ajoute : « En présentant l'initiative comme pouvant pénaliser les élèves les plus faibles dans une page dont le titre (l'essentiel en bref) laisse penser que son contenu sera objectif, le Conseil d'Etat prend le risque d'influencer l'opinion de manière inadmissible ».
Plus loin encore le Tribunal administratif ajoute : « Pour l'électeur moyen qui n'est pas un professionnel de l'enseignement, il est particulièrement malaisé de se faire une opinion sur le sujet. Or, c'est sur ce point que le texte querellé revêt une importance capitale : après l'avoir parcouru, l'électeur moyen, partant de l'idée légitime que le Conseil d'Etat a résumé les diverses prises de positions ou procédé à une présentation objective, ne peut que rejeter cette initiative « qui n'atteint pas sa cible » (c'est le sous-titre de la page 18).
Le Tribunal administratif conclut : « que la présentation de l'IN 134 à laquelle a procédé le Conseil d'Etat en page n°18 de la brochure est susceptible de vicier la formation de la volonté de l'électeur. Dans cette mesure les irrégularités constatées doivent être qualifiées de graves ». En conséquence le Tribunal administratif a décidé l'annulation de la votation du 30 novembre sur l'initiative 134.
Le plus navrant c'est que le Conseil d'Etat - son communiqué de presse le prouve - n'a toujours pas compris la gravité de son texte ( ici ) : « (Il) réaffirme qu'il n'a jamais eu l'intention de manipuler ou de tromper les électrices et les électeurs », mais il l'a fait, inconsciemment peut-être, mais fait tout de même. De plus il estime « que l'annulation de l'opération électorale est une décision excessive ». En somme selon la formule célèbre d'une ministre socialiste française dans l'affaire du sang contaminé : responsable, mais pas coupable !
Le Conseil d'Etat se défend de commettre des violations multiples du droit et s'appuie sur des statistiques que je n'ai même pas cherché à vérifier. Car l'essentiel n'est pas là. Il est dans le fait qu'une autorité gouvernementale prise en défaut de ne pas respecter le droit ne reconnaisse qu'une erreur minime et non pas la faute grave qu'elle a commise. Elle ne se rend même pas compte du caractère totalitaire de ce comportement.
Francis Richard