En Suisse les délais de prescription de l'action pénale - 30, 15 et 7ans - figurent à l'article 97 du code pénal. Le point de départ de ces délais est défini à l'article 98. Il est basé sur la commission des faits et non pas sur leur découverte. L'article 99 définit la prescription des peines : 30, 25 et 20 ans.
Le peuple suisse doit se prononcer le 30 novembre sur l'initiative de La Marche Blanche ( ici ) qui veut rendre imprescriptibles « l'action pénale et la peine pour un acte punissable d'ordre sexuel ou pornographique sur un enfant impubère ». En faisant cette demande d'inscription dans la Constitution l'association qui lutte contre la pédophilie veut réduire le nombre d'enfants abusés et empêcher les criminels pédophiles d'échapper à la justice à la faveur de la prescription.
En l'état actuel de la législation pour ce genre d'acte « la prescription de l'action pénale court en tout cas jusqu'au jour où la victime a 25 ans ». Ce qui est certainement trop court. Aussi, tenant compte à la fois de l'initiative de La Marche Blanche et de la loi existante, qui est insuffisante pour sanctionner de tels crimes, un contre-projet est également soumis au vote du peuple le 30 novembre ( ici ). Il prévoit une prescription de 15 ans dont le point de départ ne serait plus l'acte commis, mais la majorité de la victime, qui est de dix-huit ans en Suisse. Ce contre-projet a le mérite de prolonger la prescription, il a l'inconvénient de fixer un seuil, qui a des effets pervers comme tous les seuils.
Naguère les fondements de la prescription se trouvait dans l'oubli de l'infraction, dont il ne fallait pas raviver le souvenir, et dans l'inquiétude que devait éprouver le criminel de se voir un jour découvert. Ces fondements, dans des sociétés où les valeurs chrétiennes sont de moins en moins à l'honneur, se sont effrités et c'est bien dommage. Aujourd'hui il est de plus en plus rare que des victimes pardonnent les offenses, encore moins qu'elles les oublient, et que des criminels éprouvent du remords, encore moins du repentir.
Le délai de prescription sanctionnait également la négligence de la société à exercer l'action pénale ou à exécuter la peine. Dans le premier cas il semblait normal que les poursuites soient engagées dans un délai raisonnable et qu'après ce délai il soit trop tard. Dans le second la prescription pouvait apparaître bien courte quand les victimes éprouvaient d'immenses difficultés à dénoncer les actes qu'elles avaient subis, tels que des actes d'ordre sexuel justement.
Le dépérissement des preuves est un autre fondement de la prescription, de même que la fragilité des témoignages avec l'écoulement du temps, même si les nouveaux moyens scientifiques de preuve, tels que les tests ADN, permettent de contrecarrer ce dépérissement dans certains cas et que les traumatismes d'ordre sexuel subis par des enfants restent dans leur mémoire de manière indélébile.
A contrario l'imprescriptibilité se fonde sur le caractère particulièrement odieux des actes commis. Ainsi existe-t-il une convention des Nations-Unies sur l'imprescriptibilité des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité( ici ). Certes ces crimes sont odieux, mais la pédophilie ne l'est-elle pas ? Le Christ ne dit-il pas : « Si quelqu'un doit scandaliser l'un de ces petits qui croient en moi, il serait préférable pour lui de se voir suspendre autour du cou une de ces meules que tournent les ânes et d'être englouti en pleine mer ! » ? Est-il possible d'établir une hiérarchie de l'odieux quand - je me répète - les valeurs chrétiennes ne sont plus à l'honneur et que les notions de bien et de mal sont relativisées ?
Il est important à ce stade de définir ce qu'est l'imprescriptibilité. Le terme de crime imprescriptible signifie que le crime en question peut être puni aussi longtemps que vit le criminel. Dans les pays anglo-saxons les crimes de sang, par exemple, sont imprescriptibles. Seule la mort permet d'échapper au châtiment terrestre et ne préfigure pas ce qui attend le criminel dans l'autre monde.
Après ces rappels sur la prescription et l'imprescriptibilité j'en viens au but de mon propos. Force est de constater que le progrès moral est une illusion. Je ne suis pas persuadé que les crimes commis au XXème et au XXIème siècles soient plus odieux que ceux qui étaient commis auparavant. Ce sont les moyens techniques pour les commettre qui ont changé et qui se sont perfectionnés. Ce perfectionnement s'est traduit par des desseins criminels également perfectionnés : il n'en reste pas moins que ce ne sont pas les moyens techniques en eux-mêmes qui sont en cause, mais les utilisations qui en sont faites.
Au passage, je remarque aussi que des crimes odieux, qualifiés de crimes de guerre ou de crimes contre l'humanité, ont été sanctionnés, mais que quand ils l'étaient, les criminels punis se trouvaient à chaque fois dans le camp des vaincus. L'imprescriptibilité ne jouait que contre eux. Vae victis en quelque sorte. Il est tellement plus facile de voir la paille dans l'œil du voisin que la poutre dans le sien, surtout quand on peut exercer à plein la contrainte du vainqueur.
L'imprescriptibilité me semble donc caractéristique de notre époque : pas d'oubli, pas de pardon, donc, également, pas de rédemption possible, pas de miséricorde, qui semblent réservées au seul Tout-Puissant et à l'Au-delà. En fait l'imprescriptibilité en matière pénale ne devrait pas exister. Si elle doit exister malgré tout, c'est que nous n'avons d'autre arme que cette arme barbare pour lutter contre la barbarie, puisque nos sociétés oublieuses de Dieu ne connaissent pas d'autres freins et que, malheureusement, il n'est pas de place pour l'angélisme.
Francis Richard
Résultat de la votation du 30 novembre sur l'initiative "Pour l'imprescriptibilité des actes de
pronographie enfantine" : initiative acceptée par 51,9% des voix ( ici ).