Alain Jeannet, rédacteur en chef de L'Hebdo, ne décolère pas ( ici ): "Les parlementaires ont voté pour le candidat Ueli Maurer. Ils ont plié au nom du respect de la
concordance, répètent-ils en boucle. Quel refrain pathétique ! Quelle hypocrisie !". Car Alain Jeannet a sa conception de la concordance : elle est d'exclure près de 30% de l'électorat suisse,
qui votent mal, de représentation au Conseil fédéral.
Pourquoi ? Parce qu'il ne partage pas les idées de cet électorat UDC et qu'en conséquence il faut à tout prix lui interdire l'accès aux responsabilités du pays. En fait lui-même et sa
rédaction se font les chantres de la démocratie de discordance. Et les accusations diffamatoires comme "chantage réussi" et
"capitulation" n'y changent rien. Le Parlement ne trouve grâce à leurs yeux que lorsqu'il vote comme ils voudraient qu'il vote.
"Dans cette affaire, ajoute-t-il, c'est l'appareil blochérien qui a violé les règles du jeu". Le non-dit est clair. Là est mise en cause la clause des statuts de l'UDC Suisse qui permet au
parti l'exclusion d'un membre qui serait élu conseiller fédéral sans en avoir reçu l'investiture officielle. Alain Jeannet se garde bien de rappeler que cette clause n'aurait jamais été
adoptée sans le tour pendable qui a été fait à l'UDC le 12 décembre 2007. Les parlementaires du "Groupe 13" (voir mon article Le
"Groupe 13", fossoyeur de la démocratie de concordance ? ), qui ont fait tomber Christoph Blocher, ont le droit d'attaquer l'UDC, mais l'UDC n'a pas le droit de se défendre.
Ce 12 décembre 2007 - historique - des parlementaires ont comploté pour éjecter Christoph Blocher du Conseil fédéral. Ils ont présenté la candidature d'Eveline Widmer-Schlumpf,
avec son consentement, ce qui en langage clair - pas en bois - constitue une trahison. Ils ont réussi à la faire élire, alors que ses positions étaient ultra-minoritaires au sein de l'UDC. Sous
couvert d'exclure Christoph Blocher, ce sont en fait les idées majoritaires à l'UDC que l'on voulait exclure. Alain Jeannet n'est pas asssez naïf pour croire que l'UDC allait se laisser
faire cette fois encore. Et la Providence a un peu aidé cette dernière ...
Le plus amusant est que les faits contredisent aussitôt la démonstration de l'éditorialiste. Il accuse ainsi l'UDC, sous le contrôle du constitutionnaliste
neuchâtelois Jean-François Aubert, d'avoir changé la Constitution fédérale subrepticement. L'élection au Conseil fédéral ne serait plus le fait de l'Assemblée générale - réunion du Conseil
national et du Conseil des Etats - mais celui des groupes parlementaires. Certes les groupes parlementaires PDC - démocrates-chrétiens - et PRD - radicaux - ont décidé de soutenir la candidature
d'Ueli Maurer, mais, individuellement, les parlementaires sont restés libres, le jour de l'élection venu, de confirmer ce soutien ou non.
Or le résultat de l'élection - serré - d'Ueli Maurer prouve bien que ce ne sont pas les groupes parlementaires qui ont fait son élection. Il est vraisemblable qu'environ la
moitié des parlementaires PDC et quelques radicaux se sont joints à la gauche pour voter Hansjörg Walter. Ce qui signifie bien qu'Alain Jeannet se trompe. Il se trompe d'autant plus que les
parlementaires bourgeois qui ont déclaré avoir voté pour Hansjörg Walter ont déclaré qu'ils l'avaient fait, entre autres, en raison de la fameuse clause d'exclusion figurant dans les statuts de
l'UDC.
Par avance, que reproche Alain Jeannet à Ueli Mauer ? "L'objectif final, écrit-il, reste toutefois limpide. Et sa vision du pays aussi : c'est non à l'ouverture, c'est une méfiance fondamentale
face à l'Etat. C'est oui à une armée d'un autre âge. Au gouvernement, ça ne fait pas un pli, il va continuer de se battre pour cette Suisse mythologique si chère à son coeur, mais à rebours de
l'intérêt national". Car Alain Jeannet a le monopole de la connaissance de l'intérêt national helvétique ... qui ne peut en aucun cas découler de la tradition.
Dans le même numéro de L'Hebdo, est publié un long entretien très intéressant ( ici ) que les journalistes de l'hebdomadaire ont eu avec le nouveau conseiller fédéral - je
concède volontiers que L'Hebdo n'est pas tout noir. A propos d'ouverture, Ueli Maurer raconte qu'il a beaucoup voyagé, à pied - "un pays, ça se découvre à pied" - et que "ces
voyages (lui) ont permis de constater que chaque pays a ses spécificités, dont il est fier. On peut entretenir des liens avec ses voisins sans pour autant adopter le même système politique. Les
échanges économiques ou culturels se déroulent toujours entre gens, pas entre Etats".
Alain Jeannet est un partisan fondamental de l'Etat nounou. Aussi toute critique envers l'Etat relève-t-elle pour lui d'une méfiance fondamentale que ce
fondamentaliste ne peut supporter. Il faut penser comme lui et pas autrement...Dans l'entretien cité plus haut, Ueli Maurer dit ce qu'il pense du consensus et de l'obligation de
trouver des compromis au sein du Conseil fédéral : "C'est une part essentielle de notre système politique. Mais la recherche du compromis ne doit pas se muer en simple soumission à l'avis de
l'autre". Alain Jeannet fait moins dans la nuance qu'Ueli Maurer...
A propos de la Suisse mythologique, toujours dans l'entretien cité plus haut, quelles sont les figures qu'Ueli Maurer reconnaît admirer ? "Des figures de l'histoire suisse évidemment, comme
Nicolas de Flüe (NDLR : le saint patron de la Suisse) ou Guillaume Tell, avec toutes les précautions d'usage. Mais aussi Gandhi ". Ueli Maurer montre là encore qu'il sait faire des
nuances et qu'il échappe aux clichés, qu'Alain Jeannet semble particulièrement affectionner, à défaut de véritables arguments.
L'avenir nous dira si le préjugé d'Alain Jeannet et consort ( ici ), selon
lequel l'UDC et Ueli Maurer défendent une armée d'un autre âge, s'avère exact. Mais l'ambition d'Ueli Maurer est d'en faire la meilleure armée du monde ( ici ) ...
Francis Richard