L'arrestation du grand cinéaste Roman Polanski [photo publiée par Le Point ici] ne peut pas laisser indifférent. Certes il serait fait
beaucoup moins de battage s'il s'agissait d'un citoyen lambda. Pour être le plus juste possible il faut donc bien le considérer comme tel, comme un citoyen lambda. L'argument selon
lequel il faut le considérer avant tout comme un grand artiste, en conséquence intouchable, est un mauvais argument. Il peut même se retourner contre le réalisateur de
Chinatown et du Pianiste.
Personne ne doit être considéré, ni ne peut se considérer, comme au-dessus des lois punissant le crime. Ce qui est particulièrement vrai en matière de crime sexuel. Et le
réflexe de soutien corporatiste à Roman Polanski, s'il devait avoir pour résultat improbable sa libération, ne pourrait que renforcer le sentiment que La Fontaine
avait raison : Selon que vous serez puissant ou misérable, Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir...
Les circonstances dans lesquelles s'est déroulée son arrestation peuvent indigner (ici). Je le conçois fort bien. Roman Polanski est un invité de marque du
Festival du Film de Zürich (ici), au cours duquel il doit recevoir un prix pour l'ensemble de son oeuvre,
et recevoir l'hommage du chef de l'Office fédéral de la culture, Frédéric Jauslin. Or il est arrêté, le 26 septembre, au soir, à sa
descente d'avion par la police zurichoise, à la demande, faite la veille, de la justice californienne. La main gauche ignore-t-elle donc ce que fait la main droite? S'agit-il d'un
traquenard?
Ce qui peut étonner en tout cas c'est que Roman Polanski se rend régulièrement en Suisse, à Gstaad, où il possède un chalet, et que, justement, il est arrêté le jour où il se rend
à Zürich pour y recevoir un prix, alors qu'il y avait certainement d'autres occasions de le cueillir, dans des circonstances plus discrètes. Cela manque de
finesse, comme dit en substance Madame Calmy-Rey (ici). Au
Téléjournal de ce soir, sur TSR1, Darius Rochebin évoque la possibilité que ce soit les avocats de l'artiste qui aient
provoqué involontairement son arrestation en demandant cet été à la justice californienne l'abandon des poursuites contre leur client... ce qui aurait relancé l'affaire.
Quoi qu'il en soit des circonstances, il faut préciser que la Suisse ne pouvait pas se dérober à la demande d'extradition de la justice californienne. Si en Suisse le crime sexuel de Roman
Polanski, relations avec une mineure de 13 ans, est prescrit - le crime de pédophilie a été rendu récemment imprescriptible en Suisse, mais cette imprescriptibilité ne s'applique pas aux
crimes anciens -, il ne l'est pas aux Etats-Unis. Or, comme le rappelle, dans 24 heures, Me Christophe Piguet, spécialiste de l'entraide judiciaire, l'extradition doit être ordonnée en fonction du droit américain (ici).
La défense de Roman Polanski ne peut donc pas se fonder sur la forme qu'a prise son arrestation, ni sur le droit stricto sensu. Le crime qu'il a commis est-il odieux
? Oui, il a violé une petite fille en la faisant boire du champagne et en lui administrant un sédatif puissant . Au moment des faits, il n'est pas un perdreau de
l'année, il a 44 ans, mais il a eu - il est vrai - bien des malheurs. Sa victime (ici), Samantha Geimer, n'a pas de rancoeur contre lui, ni, d'ailleurs,
de sympathie pour lui non plus. A l'époque, un accord est intervenu entre le procureur et les avocats des deux parties, et il a été approuvé par le juge :
la reconnaissance de sa culpabilité par Roman Polanski et les 47 jours de détention qu'il a déjà effectués sont pénitences suffisantes pour satisfaire la partie civile.
A la surprise des autres protagonistes, à la dernière minute, le juge revient sur sa parole et n'honore pas cet accord. C'est pourquoi Roman Polanski fuit pour échapper à une
peine qui peut aller jusqu'à 50 ans de prison. Samantha Geimer est sévère avec le juge, plus intéressé à sa propre réputation qu'à
un jugement équitable et au bien-être de la victime, qui, par la publicité faite autour de l'affaire, a souffert en quelque sorte une peine à vie.
Quand elle dit cela au Los Angeles Times 26 ans ont déjà passé. 6 autres se sont encore écoulés depuis. Roman Polanski est devenu un autre homme et, à ma
connaissance, il n'a jamais récidivé. C'est tout cela qu'il faut aujourd'hui prendre en considération, pour apprécier son cas, et certainement pas sa qualité d'artiste éminent.
Plutôt que de s'en prendre à la Suisse, qui n'a fait, sans beaucoup de finesse, il est vrai, qu'appliquer un accord international, les vociférateurs feraient mieux de s'en prendre à la justice
californienne, qui continue de s'acharner contre Roman Polanski.
Comme je le rappelais dans mon article L'imprescriptibilité en matière pénale ne devrait pas exister , publié le
26 novembre 2008 :
Naguère les fondements de la prescription se trouvait dans l'oubli de l'infraction,
dont il ne fallait pas raviver le souvenir, et dans l'inquiétude que devait éprouver le criminel de se voir un jour découvert. Ces fondements, dans des sociétés où les valeurs chrétiennes sont de
moins en moins à l'honneur, se sont effrités et c'est bien dommage. Aujourd'hui il est de plus en plus rare que des victimes pardonnent les offenses, encore moins qu'elles les oublient, et
que des criminels éprouvent du remords, encore moins du repentir.
Nous sommes dans le cas justement, me semble-t-il, où la prescription devrait s'appliquer, comme à tout citoyen lambda se trouvant dans la situation de Roman Polanski. Mais c'est à
la justice californienne qu'il revient de le faire et de clore le dossier.
Francis Richard