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29 septembre 2009 2 29 /09 /septembre /2009 20:50

L'arrestation du grand cinéaste Roman Polanski [photo publiée par Le Point ici] ne peut pas laisser indifférent. Certes il serait fait beaucoup moins de battage s'il s'agissait d'un citoyen lambda. Pour être le plus juste possible il faut donc bien le considérer comme tel, comme un citoyen lambda. L'argument selon lequel il faut le considérer avant tout comme un grand artiste, en conséquence intouchable, est un mauvais argument. Il peut même se retourner contre le réalisateur de Chinatown et du Pianiste

Personne ne doit être considéré, ni ne peut se considérer, comme au-dessus des lois punissant le crime. Ce qui est particulièrement vrai en matière de crime sexuel. Et le réflexe de soutien corporatiste à Roman Polanski, s'il devait avoir pour résultat improbable sa libération,  ne pourrait que renforcer le sentiment que La Fontaine avait raison : Selon que vous serez puissant ou misérable, Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir...

Les circonstances dans lesquelles s'est déroulée son arrestation peuvent indigner (ici). Je le conçois fort bien. Roman Polanski est un invité de marque du Festival du Film de Zürich (ici), au cours duquel il doit recevoir un prix pour l'ensemble de son oeuvre, et recevoir l'hommage du chef de l'Office fédéral de la culture, Frédéric Jauslin. Or il est arrêté, le 26 septembre, au soir, à sa descente d'avion par la police zurichoise, à la demande, faite la veille, de la justice californienne. La main gauche ignore-t-elle donc ce que fait la main droite? S'agit-il d'un traquenard? 

Ce qui peut étonner en tout cas c'est que Roman Polanski se rend régulièrement en Suisse, à Gstaad, où il possède un chalet, et que, justement, il est arrêté le jour où il se rend à Zürich pour y recevoir un prix, alors qu'il y avait certainement d'autres occasions de le cueillir, dans des circonstances plus discrètes. Cela manque de finesse, comme dit en substance Madame Calmy-Rey (ici). Au Téléjournal de ce soir, sur TSR1, Darius Rochebin évoque la possibilité que ce soit les avocats de l'artiste qui aient provoqué involontairement son arrestation en demandant cet été à la justice californienne l'abandon des poursuites contre leur client... ce qui aurait relancé l'affaire.

Quoi qu'il en soit des circonstances, il faut préciser que la Suisse ne pouvait pas se dérober à la demande d'extradition de la justice californienne. Si en Suisse le crime sexuel de Roman Polanski, relations avec une mineure de 13 ans, est prescrit - le crime de pédophilie a été rendu récemment imprescriptible en Suisse, mais cette imprescriptibilité ne s'applique pas aux crimes anciens -, il ne l'est pas aux Etats-Unis. Or, comme le rappelle, dans 24 heuresMe Christophe Piguet, spécialiste de l'entraide judiciaire, l'extradition doit être ordonnée en fonction du droit américain (ici).

La défense de Roman Polanski ne peut donc pas se fonder sur la forme qu'a prise son arrestation, ni sur le droit stricto sensu. Le crime qu'il a commis est-il odieux ? Oui, il a violé une petite fille en la faisant boire du champagne et en lui administrant un sédatif puissant . Au moment des faits, il n'est pas un perdreau de l'année, il a 44 ans, mais il a eu - il est vrai - bien des malheurs. Sa victime (ici), Samantha Geimer, n'a pas de rancoeur contre lui, ni, d'ailleurs, de sympathie pour lui non plus. A l'époque, un accord est intervenu entre le procureur et les avocats des deux parties, et il a été approuvé par le juge : la reconnaissance de sa culpabilité par Roman Polanski et les 47 jours de détention qu'il a déjà effectués sont pénitences suffisantes pour satisfaire la partie civile.

A la surprise des autres protagonistes, à la dernière minute, le juge revient sur sa parole et n'honore pas cet accord. C'est pourquoi Roman Polanski fuit pour échapper à une peine qui peut aller jusqu'à 50 ans de prison. Samantha Geimer est sévère avec le juge, plus intéressé à sa propre réputation qu'à un jugement équitable et au bien-être de la victime, qui, par la publicité faite autour de l'affaire, a souffert en quelque sorte une peine à vie. Quand elle dit cela au Los Angeles Times 26 ans ont déjà passé. 6 autres se sont encore écoulés depuis. Roman Polanski est devenu un autre homme et, à ma connaissance, il n'a jamais récidivé. C'est tout cela qu'il faut aujourd'hui prendre en considération, pour apprécier son cas, et certainement pas sa qualité d'artiste éminent.

Plutôt que de s'en prendre à la Suisse, qui n'a fait, sans beaucoup de finesse, il est vrai, qu'appliquer un accord international, les vociférateurs feraient mieux de s'en prendre à la justice californienne, qui continue de s'acharner contre Roman Polanski.

Comme je le rappelais dans mon article L'imprescriptibilité en matière pénale ne devrait pas exister  , publié le 26 novembre 2008 : 

Naguère les fondements de la prescription se trouvait dans l'oubli de l'infraction, dont il ne fallait pas raviver le souvenir, et dans l'inquiétude que devait éprouver le criminel de se voir un jour découvert. Ces fondements, dans des sociétés où les valeurs chrétiennes sont de moins en moins à l'honneur, se sont effrités et c'est bien dommage. Aujourd'hui il est de plus en plus rare que des victimes pardonnent  les offenses, encore moins qu'elles les oublient, et que des criminels éprouvent  du remords, encore moins du repentir.
 

Nous sommes dans le cas justement, me semble-t-il, où la prescription devrait s'appliquer, comme à tout citoyen lambda se trouvant dans la situation de Roman Polanski. Mais c'est à la justice californienne qu'il revient de le faire et de clore le dossier.

Francis Richard

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commentaires

C
<br /> Je maintiens ce qui n'est bien sûr qu'un point de vue, mais Polanski devrait faire le pas, maintenant.<br /> Ses avocats vont attaquer tous azimuts et faire durer le dossier car ils mangent sur le prévenu. Et ça peut durer assez longtemps.<br /> <br /> <br />
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F
<br /> Il est certain que, s'il faisait le premier pas maintenant, il aurait plus de chances que la justice américaine se montre clémente à son égard. C'est elle qui détient la clé de<br /> son sort. Vous avez peut-être raison: après tout que risque-t-il aujourd'hui ?<br /> <br /> Je crains que ses avocats ne voient pas la chose de ce point de vue-là, comme vous en donnez d'ailleurs la raison, bassement pécuniaire, et que Polanski ne les écoutent, par peur du système<br /> juridique américain, qui s'est montré imprévisible à son égard.<br /> <br /> Il y a peu de chances pour qu'il ne soit pas extradé. La Suisse que bien du monde critique respectera l'accord, à bon droit, et la justice helvétique devrait rendre un verdict favorable.<br /> Toutes les manoeuvres dilatoires des avocats ne feront que retarder l'inéluctable.<br /> <br /> <br />
C
<br /> La justice californienne n'est pas exempte de bricolages et le système d'instruction est parfois opaque (affaire OJ Simpson, affaire Crédit Lyonnais), mais la justice française n'a pas de leçon à<br /> donner, elle est toute dans la main de l'exécutif. A preuve le Quai d'Orsay fait des représentations au Département d'Etat (Clinton) comme s'il était naturel qu'il ait barre sur le procureur<br /> californien ! Celui-là est libre ... de se vautrer, mais libre.<br /> <br /> Polanski surprendrait tout le monde s'il demandait lui-même son extradiction immédiate pour clore le dossier. Et cela redorerait son blason "civil". Des neveux de Hollywood m'ont confié que le<br /> district attorney de LA fut écoeuré de recevoir cet été une demande de classement de l'affaire par les avocats du cinéaste alors que celui-ci narguait la justice américaine depuis l'Europe.<br /> Viendrait-il à LA qu'il en prendrait sans doute pour 3 mois au titre du délit de fuite, il a des circonstances atténuantes sur cette fuite, et le reste - imprescriptible - se liquéfierait avec<br /> l'insistance de la victime qui ne veut plus raconter son viol. Ce qui ne diminue en rien la culpabilité de Polanski qui s'est conduit comme un porc (voir le transcript de la déposition de Samantha<br /> G. sur The Smoking Gun).<br /> Prendra-t-il le risque d'étonner ? A 76 ans qu'attend-il pour montrer du panache ? Ou alors il n'a toujours pas compris les Américains.<br /> <br /> <br />
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F
<br /> Ce que vous dites au sujet de la demande de classement des avocats de Polanski confirme l'information donnée hier soir au téléjournal de la télévision suisse romande.<br /> <br /> Qu'il se rende à LA pour clore le dossier ne peut plus maintenant être volontaire. Il semble bien qu'il n'aura pas le choix et qu'il n'aura pas l'occasion de faire montre de<br /> panache.<br /> <br /> Plutôt que de demander la clôture du dossier ses avocats auraient mieux fait sans doute de lui proposer, comme vous le suggérez, de se rendre là-bas. Après tant d'années il aurait<br /> certainement bénéficié d'une peine minime, d'autant que la victime aurait appuyé dans ce sens.<br /> <br /> Maintenant il est un peu tard. Je maintiens que c'est à la justice américaine de se montrer clémente, d'avoir du panache malgré son ressentiment et de prescrire d'elle-même ce crime<br /> odieux, mais lointain, en toute indépendance, de clore le dossier.  <br /> <br /> <br />
B
<br /> Je viens de lire une information relative au procès qui avait été eu lieu suite à ce cas de viol:<br /> Par la promesse du juge d'appliquer une peine légère, Polanski avait été induit à avouer les faits. Le "plaider coupable" (bargaining en américain) est une pratique courante aux USA, pour éviter<br /> tout risque d'une peine démesurée, aussi pratique courante dans le système judiciaire des USA (*).<br /> <br /> Une fois le protocole de l'aveu signé, le juge s'était rétracté et avait rompu sa promesse, apparemment pour augmenter ses chances d'une réélection.<br /> Le juge avait alors demandé une peine exemplaire de 50 ans de prison. Il s'agissait d'une sorte de chantage, et la juridiction interdit en principe l'utilisation d'un aveu "extorqué" sous de<br /> fausses promesses (fruit of the forbidden tree).<br /> <br /> Pour Polanski le droit à un procès équitable était ainsi compromis. Rien ne nous permet de considérer Polanski, même fugitif, comme coupable. Seul un procès équitable pourrait l'innocenter ou le<br /> condamner.<br /> <br /> (*) Ce genre de chantage est pratique courante aux USA. Une personne, même innocente, se doutant qu'elle n'aura pas de procès équitable, préfère avouer un crime qu'elle n'a pas commis pour échapper<br /> à la peine de mort et obtenir une peine plus "clémente": la prison à vie.<br /> Un exemple d'un procès non équitable ?<br /> http://www.reason.com/news/show/136358.html<br /> <br /> <br />
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F
<br /> Merci pour ces précisions qui renforcent mon intime conviction...<br /> <br /> <br />
B
<br /> Excellent article et une argumentation (en faveur de l'accusé et contre le système de justice américain) que je souscris en tous points et à 100%.<br /> <br /> <br />
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  • : Ce blog se veut catholique, national et libéral. Catholique, il ne s'attaque pas aux autres religions, mais défend la mienne. National, il défend les singularités bienfaisantes de mon pays d'origine, la France, et celles de mon pays d'adoption, la Suisse, et celles des autres pays. Libéral, il souligne qu'il n'est pas possible d'être un homme (ou une femme) digne de ce nom en dehors de l'exercice de libertés.
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  • Francis Richard
  • De formation scientifique (EPFL), économique et financière (Paris IX Dauphine), j'ai travaillé dans l'industrie, le conseil aux entreprises et les ressources humaines, et m'intéresse aux arts et lettres.
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