Le 1er janvier 2011, Marie-Hélène Miauton "a remis à ses cadres l'entreprise de services [M.I.S. Trend] qu'elle avait fondée". Elle "se consacre désormais à l'écriture". Ce qui nous vaut ce livre de défense de la place financière helvétique qu'elle adresse au peuple suisse.
Les citoyens suisses feraient bien de le lire, mais également le gouvernement, les hommes politiques et, pourquoi pas, dans un éclair de lucidité, les médias.
Si la place financière helvétique est attaquée, ce n'est pas pour des raisons morales. Car la Suisse est à la fois un bouc émissaire parfait et un concurrent qu'il convient d'éliminer sans scrupules, par tous les moyens, même légaux.
C'est un bouc émissaire parfait:
"Cela évite de chercher plus loin, là où cela ne fait pas plaisir de gratter: le laxisme des finances publiques, le clientélisme de certains politiciens, les limites de l'Etat social."
C'est un concurrent qu'il convient d'éliminer, et qui, aubaine, se laisse faire:
"Nous sommes en vérité hautement appétissants et [...] notre petite taille fait de nous un
ortolan, juteux et facile à abattre."
Marie-Hélène Miauton montre que la Suisse ne doit pas sa prospérité à sa seule place financière, comme Jean-Jacques de Dardel, ambassadeur de Suisse à Paris, l'a amplement démontré dans un entretien accordé à la Tribune de Genève pendant la dernière élection présidentielle française ici.
D'ailleurs:
"La prospérité de la Suisse au cours des 90 dernières années ne provient pas uniquement de circonstances favorables, mais [...] elle repose sur des atouts qu'elle a acquis."
Quels sont les atouts des Suisses? L'application, le travail de qualité, l'esprit d'entreprise, une formation dispensée par des instituts de bon niveau, un grand nombre d'heures travaillées, peu de congés payés.
Il en résulte que la Suisse occupe le 3e rang de la compétitivité mondiale suivant le classement de l'IMD et le 1er suivant celui du WEF et que les entreprises y jouissent de taux d'intérêt bas, d'impôts peu élevés, et surtout d'une stabilité politique, économique et sociale, qui est le fruit des institutions que les Suisses se sont donnés:
"Le refus des citoyens à une adhésion [à l'UE] repose pour une bonne part sur la crainte de perdre
leur démocratie semi-directe à laquelle ils sont très profondément attachés."
Contrairement à ce qui se raconte, les banques suisses sont parmi les plus efficaces au monde contre le blanchiment d'argent grâce à une forte réglementation. Elles sont aussi parmi les plus promptes à restituer aux pays l'argent des potentats:
"[Sa place financière] ne profite pas de son seul secret bancaire pour damer le pion aux autres, qui, eux, utilisent impunément des outils d'évasion autrement plus efficaces."
L'auteur fait notamment allusion aux trusts (Myret Zaki l'expliquait de manière détaillée dans Vive l'évasion fiscale) et aux réels paradis fiscaux qu'abritent les principaux pays détracteurs de la Suisse que sont les Etats-Unis (avec notamment le Delaware), la France (avec Monaco et Andorre, sans parler des cadeaux fiscaux accordés au Qatar) et la Grande-Bretagne (avec la City, qui est "le plus grand paradis fiscal de la planète", et son archipel d'îles opaques).
Le secret bancaire porte d'ailleurs mal son nom. Il protège le client, et non pas la banque, contre les menées totalitaires de l'Etat. Marie-Hélène Miauton fait une comparaison éclairante avec le secret médical:
"Admettez qu'un jour l'évolution de la société permette de pénaliser le fait de s'exposer à une
maladie (fumer et cancer du poumon, relations non protégées et sida, manger gras et cholestérol). Admettez qu'alors, l'UE ou les USA imposent aux médecins en Suisse de dénoncer de tels
agissements qu'ils détecteraient chez leurs clients étrangers, sous prétexte que cela coûte cher à leur assurance-maladie (ce n'est pas social) ou qu'ils engorgeront les hôpitaux lorsqu'ils
rentreront chez eux. Devrions-nous obtempérer?"
Marie-Hélène Miauton rappelle quelle est tout de même "l'origine de la crise qui a frappé le monde entier":
"Des hypothèques américaines hasardeuses, des titrisations américaines obscures, des agences de notations américaines aveugles, des autorités américaines sourdes aux mises en garde..."
Elle montre que le comportement des banques américaines n'est pas ce qu'il y a de plus moral et évoque plus particulièrement à l'appui le foreclosure-gate, que Vincent Bénard a fort bien dénoncé dans son livre sur le sujet ici.
Pour parvenir à leurs fins de destruction de la place financière, les Etats-Unis ont employé des méthodes de voyous, celles même qui avaient été employées au moment de l'affaire des fonds en déshérence, telles que chantages et délations dont ils ont favorisé le jeu en cascade:
"Ici, le banquier dénonce son client au fisc, puis le client en fait autant concernant son gestionnaire, là, un employé de banque balance son employeur; finalement les banques fournissent le nom de leurs employés aux autorités américaines, avec moult renseignements d'ordre privé encore !"
Mais les subprimes, qui n'auraient pas existé sans l'intervention de l'Etat américain, n'expliquent pas tout:
"Quoi qu'on en dise, les dettes de la France, de l'Espagne ou de l'Italie ne résultent qu'en
partie de la nécessité de renflouer leurs banques puisqu'elles étaient préexistantes."
Les comportements de la France et de l'Allemagne ne sont pas plus moraux que ceux des Etats-Unis, puisque ces deux pays se sont faits, et se font, complices de recels de données volées et qu'ils se livrent également à des chantages inqualifiables.
Face aux attaques mortelles de ces pays voyous contre la place financière suisse, comment le Conseil fédéral envisage-t-il de se battre?
"En levant les mains bien haut, paumes ouvertes, genou à terre."
Sans contrepartie, il concède, de son propre chef, "l'assistance administrative élargie, l'assimilation de l'infraction fiscale au blanchiment, l'extension du devoir de diligence et l'auto-déclaration fiscale".
La place financière helvétique est en danger. Il n'y a pas de quoi se réjouir, car la Suisse seule pâtira de son amaigrissement forcé quand ses clients auront trouvé refuge dans les établissements des banques à Singapour, Hong Kong ou Londres, où elles auront délocalisé.
Il faut donc maintenant arrêter les reculades. Le sauvetage controversé d'UBS a déjà coûté le renoncement à la distinction entre évasion fiscale et fraude fiscale pour les non-résidents, puis la livraison de noms d'un grand nombre d'entre eux, puis, pour tenter de sauver les meubles et ce qui restait du secret bancaire, la concession d'imposer à la source les revenus de leurs avoirs (accords Rubik).
Maintenant il est question d'échange automatique de données:
"Alors qu'il s'agissait au début des hostilités, de récupérer un argent légitime et nécessaire aux pays lésés par leurs propres contribuables, il n'est question désormais que du flicage pur et simple des citoyens sous prétexte de justice sociale."
Les pays voyous, s'ils ne sont pas stoppés, ne s'arrêteront pas en si bon chemin:
"Une fois l'échange automatique d'informations accepté, l'ingérence dans notre système fiscal suivra."
Cette ingérence a déjà commencé avec l'adoption empressée par le Conseil fédéral d'une convention avec la France sur l'imposition des successions qui ne se fera plus au lieu de résidence du défunt, mais à celui de ses héritiers, contrairement pourtant aux règles de l'OCDE...
C'est pourquoi Marie-Hélène Miauton rejette les tentations de céder ou de temporiser. Elle trouve préférable de lutter, c'est-à-dire, de manière concrète, argumentée, et résumée en fin d'ouvrage, de:
"Mettre en place les structures permettant l'harmonisation des règles au niveau mondial; conditionner nos éventuelles concessions à notre participation au G20; nous créer des alliances; communiquer sur nos valeurs fondatrices; ne rien céder sans contrepartie; organiser des structures de veille pour casser les stéréotypes; invoquer nous aussi des mesures de rétorsion ["à la guerre comme à la guerre"]; se doter d'une entreprise de révision bancaire et/ou d'une agence de notation; réfléchir à nos structures organisationnelles pour mieux répondre à la guerre économique que nous vivons; initier une réflexion internationale sur la réglementation des produits financiers à problème ainsi que sur les dérives de la Bourse; nous montrer généreux grâce à un fonds souverain helvétique [la BNS détiendrait en devises 240 milliards d'euros...]."
Ces pistes d'actions ont le mérite d'exister et d'être de vraies pistes, même si certaines d'entre elles sont discutables.
En tout cas, comme dit un proverbe chinois, mis en exergue du dernier chapitre:
"Les seuls combats perdus d'avance sont ceux qu'on ne livre pas."
Francis Richard
Banques suisses, les raisons de lutter, Marie-Hélène Miauton, 192 pages, Slatkine
Publication commune avec lesobservateurs.ch