Quand j'étais petit et quand j'exagérais, mon père me disait que je n'y allais pas avec le dos de la cuiller. Le dos de la cuiller n'est
effectivement pas très efficace pour manger sa soupe, par exemple, et il vaut mieux y aller avec l'endroit.
Aussi le titre de cet ouvrage collectif n'a-t-il rien à voir avec cette vieille expression. Il aurait plutôt à voir avec l'envers des choses, avec ce qui est intime et que rigoureusement ma mère
m'aurait défendu de nommer ici, pour reprendre l'expression utilisée par Georges Brassens dans Le Gorille.
Louise-Anne Bouchard a réuni dans ce recueil les nouvelles érotiques de dix-sept auteurs et des illustrations
de trois artistes sur ce thème de l'érotisme.
Chez Payot Lausanne, mercredi dernier, avait lieu le vernissage de cet ouvrage avec la présence d'une partie des auteurs. Dans la foule, j'ai entendu un lecteur qui disait qu'il se voyait mal l'emporter à la maison et qu'il le laisserait dans son attaché-case, le lisant en catimini, à des moments perdus, enfin pas perdus pour lui.
Après avoir lu le recueil, cette réflexion m'a conduit à me poser la question: s'agit-il bien de nouvelles érotiques? ne serait-ce pas plutôt des nouvelles pornographiques?
On sait ce qui différencie l'érotisme de la pornographie. Le premier est du domaine du ressenti et du désir, le second du montré et du mécanique. L'un n'empêchant cependant pas l'autre...
Si certaines nouvelles sont assez crues, elles n'en demeurent pas moins érotiques en ce sens qu'il y a toujours une personne ou
plusieurs personnes en situation, avec ce qu'elles ressentent intérieurement. Les plus réussies étant, selon moi, celles, justement, où le ressenti est le plus fort.
Dans ces nouvelles, on retrouve les grands thèmes qui, depuis l'antiquité jusqu'à nos jours, rendent compte des relations sexuelles humaines: l'inceste, la chair et la bonne chère, le voyeurisme, l'homosexualité, les massages, les fantasmes etc.
Dans certaines nouvelles, des moyens de communication propres à notre époque jouent leur rôle, que même ceux qui nous ont précédé naguère ici-bas n'auraient pas imaginés: les sms, les sites de rencontre etc. S'ils apportent une plus grande rapidité aux échanges, ils ne changent cependant rien à la chose elle-même...
Sur les dix-sept auteurs du recueil, j'ai parlé sur ce blog de dix d'entre eux. Dans leurs romans ou nouvelles, l'érotisme n'était pas toujours présent, en tout cas pas avec cette intensité. Et il est amusant de les voir se livrer à cette exercice qui ne leur est pas habituel et dont le lecteur ne soupçonnait pas qu'ils fussent capables.
Pour en revenir à cet autre lecteur qui, dans la foule, lors du vernissage de Payot Lausanne, se voyait mal l'emporter à la maison, disons que ce recueil n'est pas à mettre entre toutes les mains, parce que Dieu seul sait ce qu'elles en feraient...
Francis Richard
Le dos de la cuiller, collectif, 148 pages, Paulette Editions
Les auteurs: Antonin Moeri, Marie-Christine Buffat, Antonio Albanese, Mélanie Chappuis, Laure Mi Hyun Croset, Jon Ferguson, Antoine Jaccoud, Max Lobe, Jérôme Meizoz, Sébastien Meyer, Anne Pitteloup, Anne Perrin, Jeanne Perrin, Mélanie Richoz, Jean-François Schwab, Aude Seigne, Sarclo.
Les artistes: Catherine Louis, Albert Coma Bau, Guy Oberson.