Comme le titre l'indique, il est question de frontière dans le dernier livre de Mousse Boulanger.
Mais, pas seulement.
Car, si le récit se passe géographiquement dans le Jura, à la frontière entre la Suisse et la France voisine, il se situe dans le temps un peu avant la Seconde Guerre mondiale.
Les frontalières sont une jeune mère, Berthe, et sa fille de douze ans, la narratrice.
Ils sont huit à la maison, qui se trouve dans la partie francophone du Canton de Berne, à Boncourt.
Le père travaille à l'usine et la mère tient la maison. Elle lit le feuilleton dans Le Démocrate, le journal des
Rouges, c'est-à-dire celui des libéraux, tandis que Le Pays est celui des Noirs, les conservateurs. Lui s'intéresse à la politique et "pendant qu'on mange
il faut écouter les dernières nouvelles à la radio".
Ce sont des gens modestes pour qui un franc est un franc et qui mènent une vie assez rustique. Comme l'électricité est chère, le
père a trouvé moyen de chauffer l'eau sans payer... en faisant en sorte que le compteur électrique ne tourne pas...
Pour aller acheter des chaussures chez Boudalou ou un chapeau chez Monsieur René, le chapelier - les femmes portent encore
des chapeaux -, il faut franchir la frontière, faire des kilomètres à bicyclette jusqu'à Delle ou en bus, à partir de là, jusqu'à Belfort.
Quand c'est la saison, toute la famille part cueillir des cerises - le père a loué un arbre au Mornol -, ou des framboises au bord de l'étang des cousins du côté de Favrois, en passant par Delle.
Les nouilles sont faites à la maison et la narratrice raconte la recette de sa mère avec gourmandise.
A Favrois habitent des Suisses émigrés en France, les Gisiger. Si la frontière, qui n'est qu'un filtre, n'est pas si difficile que cela à franchir géographiquement, il existe une frontière bien plus étanche.
Les Gisiger sont en effet des étrangers en France et leur fils, Jérémie, s'est fait traiter de coitet par ses petits camarades. C'est pourquoi ses parents l'ont envoyé dans un internat en Suisse, du côté de Delémont.
Des politiciens français tiennent des discours de haine et disent que "les étrangers viennent
manger le pain des patriotes", refrain connu, qui n'a pas disparu aujourd'hui... Alors ils préfèrent déménager et retourner en Suisse, à Charmoille, avant que la frontière ne se ferme s'il
y a la guerre entre la France et l'Allemagne.
Pour aller chez le coiffeur Vetter il faut encore franchir la frontière et le récit de la permanente annuelle de sa mère vaut son pesant de bigoudis... Pour aiguiser sécateurs, cisailles,
couteaux de boucherie et lames de faux, il faut se rendre auprès des cavolants qui sont annoncés par le tambour de la ville...
Mousse Boulanger nous fait revivre toute cette époque avec beaucoup de bonheur. Trois quarts de siècle se sont écoulés et, pourtant, ce monde ancien semble beaucoup plus éloigné dans le temps, même s'il existe des permanences...
La mère et la fille sont de véritables complices. Si la mère semble parfois perdue dans ses pensées ou ses calculs, elle garde bien, cependant, les pieds sur terre, et sa fille lui pose des questions qui peuvent sembler naïves, mais qui sont en fait frappées au coin du bon sens.
Une fois refermé ce livre charmant, on regrette qu'il soit déjà terminé, non pas par nostalgie d'un monde révolu, mais parce qu'il est justement charmant et plein de délicatesse humaine.
Francis Richard
Les frontalières, Mousse Boulanger, 80 pages, L'Age d'Homme