Une autre idéologie a remplacé les promesses de salut portées par le socialisme réel pour recommencer la bataille sur de nouvelles bases: la race, le genre, l'identité. Pour trois discours, néoféministe, antiraciste, décolonial, le coupable désormais est l'homme blanc, réduit à sa couleur de peau.
C'est ce que Pascal Bruckner appelle une idéologie pigmentaire. Cette idéologie, née aux États-Unis, se fonde sur la French Theory, c'est-à-dire sur les discours déconstructionnistes des Foucault, Derrida, Deleuze et Cie.
Cette idéologie est estampillée made in USA, mais elle est domestique d'une étrange façon: c'est soi-même sous la forme d'un autre, un hybride transatlantique mais dans un idiome étranger, tellement plus chic que le français.
LE DISCOURS NÉOFÉMINISTE
Dans ce discours, tout ce qui est masculin est mauvais. Comme dirait George Orwell, tous les hommes sont coupables mais certains le sont plus que d'autres. Vous avez deviné: l'homme blanc est plus coupable que les autres.
Quoi qu'il fasse, pour celles qui tiennent ce discours, l'homme est coupable et la femme sa victime, car une femme ne peut jamais désirer un homme, sinon par coercition. Les relations hétérosexuelles seraient même criminelles:
L'accouplement classique est presque pire qu'un viol car il est vécu comme un acte volontaire.
LA PRÉSOMPTION DE CULPABILITÉ
Aux yeux de ces néoféministes, un homme est coupable, même s'il est accusé à tort de viol ou de harcèlement. Pourtant aucune accusation n'est jamais la preuve de rien: il suffirait sinon d'assener sa seule vérité pour prouver et condamner.
Pour un homme, il n'est donc pas de présomption d'innocence. Comme le souligne Pascal Bruckner: Si vous êtes dans la liste des présumés coupables, si en plus vous êtes célèbre votre compte est bon. A fortiori si vous êtes blanc.
Bien que la situation des femmes soit meilleure que dans les années 1950 ou 1960, ces néoféministes ne cherchent pas l'épanouissement des femmes mais l'élimination des hommes et taxent les récalcitrantes de collabos du patriarcat:
La femme est bien l'avenir de l'homme, mais sans l'homme.
LE NUAGE NOIR DE LA DÉFIANCE
Attention donc. Un homme, parce que toujours présumé coupable, surtout s'il est blanc, doit, vis-à-vis d'une femme, bannir tout propos ou attitude blessante au risque d'être poursuivi par des lobbies de victimes réelles ou imaginaires:
Sur toutes les relations entre les sexes, au travail comme à la maison, pèse désormais le nuage noir de la défiance. Ce n'est plus l'éducation qui compte mais la rééducation.
Pour ce qui concerne l'acte sexuel, pèse désormais sur l'amant révocable l'incertitude de l'approbation: elle est unique à chaque fois et peut être modifiée si la personne se ravise au cours de l'acte. Et cette personne ne peut être que la femme...
LES OEUVRES À ÉCARTER
Dans le cas d'une oeuvre, il faut désormais qu'elle soit conforme au credo moral du temps. En effet on ne crée plus, on atteste: et tant pis pour la prose, le talent, l'imagination. Car la nouvelle censure se veut inclusive et protectrice.
Quant aux oeuvres classiques, il faut ou bien les lisser et les juger avec les yeux du présent, c'est-à-dire pour ce qui concerne les livres, les réécrire, ou, à défaut, ne pas les mettre entre toutes les mains de peur de froisser les âmes:
Naguère, un professeur, homme ou femme, vous incitait à aimer les oeuvres, poésie, théâtre, peinture ou littérature, à en explorer les richesses. Désormais, c'est un directeur de conscience qui vous explique pourquoi vous devez vous méfier des classiques, voire les écarter.
LE DISCOURS ANTIRACISTE
Il n'y a plus de races sauf celle, maudite, de l'homme blanc, nous expliquent de part et d'autre de l'Atlantique les voix autorisées.
En fait on peut être raciste à condition de ne pas être blanc, parce qu'un Blanc est un dominant et qu'un non-Blanc est un dominé. Ce racisme s'étend même à la femme blanche qui est par essence dominante, fût-elle pauvre ou malade:
Tout Blanc serait a priori coupable, tout non-Blanc a priori innocent selon la nouvelle vulgate. La séparation chromatique simplifierait le travail des juges.
Le Blanc a envers le non-Blanc une dette inextinguible. Pourtant la faute s'arrête à celui qui l'a commise et ne déteint pas, comme un poison, sur ses descendants, pas plus que le malheur ne se transmet aux héritiers tel un fardeau à porter.
Il faut donner mauvaise conscience au Blanc pour accréditer cette dette et permettre au non-Blanc de la relancer à la moindre occasion, si bien que l'existence du Blanc est devenue indispensable au non-Blanc pour mieux l'accabler:
La lutte des races est en train de supplanter la lutte des classes.
LE DISCOURS DÉCOLONIAL
La faute qui retombe indéfiniment sur les descendants remonte à la colonisation européenne de l'Afrique. Peu importe que ce soit une minorité de pays européens qui l'ait pratiquée: L'Occident doit être colonisé par ses anciens colonisés.
Pourtant ces pays européens ont décolonisé et leurs colonies leur ont coûté plus qu'elles ne leur ont rapporté. Pourtant, si l'Europe n'a pas inventé l'esclavage [elle n'est pas seule à s'être souillée dans cette ignominie], elle a inventé l'abolition.
Ces pays restent les seuls à faire l'objet d'accusations et de demandes de réparations. Mieux, ils doivent ouvrir leurs frontières au migrant, le nouveau héros de la martyrologie contemporaine qui a remplacé le prolétaire et le guérillero:
S'il ne s'agit que de quelques milliers de personnes à secourir, le devoir est évident. Mais quand on parle en dizaines, en centaines de milliers, voire en millions, l'échelle des priorités change: là où le nombre triomphe, la morale capitule.
CONCLUSION
Avec ces discours, il s'agit en fait pour ceux qui les tiennent de détruire la civilisation occidentale: En tant que berceau des valeurs morales, l'esprit de l'Europe n'appartient plus aux seuls Occidentaux, il s'est détaché de sa patrie d'origine, est devenu le patrimoine du genre humain.
Il s'agit pour eux d'autodestruction. Alors l'auteur dit à ces nihilistes: Si vous désirez mourir, ne vous privez pas. Mais laissez les autres vivre. Nous ne souhaitons pas tous disparaître. Nous sommes encore nombreux à préférer les Lumières de la Raison aux ténèbres de la Race.
Francis Richard
Un coupable presque parfait, Pascal Bruckner, 352 pages, Grasset
Livres précédents chez le même éditeur:
Le mariage d'amour a-t-il échoué? (2010)
Le fanatisme de l'apocalypse (2011)
La maison des anges (2013)
La sagesse de l'argent (2016)
Un racisme imaginaire - Islamophobie et culpabilité (2017)
Une brève éternité (2019)