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2 mars 2024 6 02 /03 /mars /2024 23:55
Comment ça va pas?, de Delphine Horvilleur

Le sous-titre est éloquent: Conversations après le 7 octobre. D'autant que Delphine Horvilleur est rabbin. Comme est éloquent le fait que le livre commence par une citation d'un poète palestinien, Mahmoud Darwich, et qu'il se termine par une citation d'un poète israélien, Yehuda Amichaï.

 

Onze conversations composent ce livre. Elles ont pour toile de fond ce qui s'est passé le sinistre 7 octobre 2023. Comme il est difficile d'exprimer de toutes la quintessence, il convient, au risque d'éprouver un sentiment d'incomplétude, d'opérer parmi elles un choix subjectif mais suggestif.

 

Dans Conversation avec ma douleur, l'auteure écrit:

Depuis le 7 octobre, où que nous nous trouvions et quels que soient nos interlocuteurs ou la situation à affronter, je pense que, dans toutes les langues, il faut parler yiddish. Ne vous y méprenez pas, ce n'est pas la langue des juifs. C'est celle des hommes qui perçoivent, des profondeurs du désespoir, que leur humanité chancelante demande à être sauvée.

Car ce patois protéiforme offre la capacité très juive de savoir se plaindre avec humour.

 

Dans Conversation avec mes grands-parents, elle se rappelle que son grand-père, agrégé de lettres classiques, en juif parfaitement assimilé, ne voulait pas parler yiddish et lui disait: Il existe assez de mots français pour décrire avec précision ta douleur ou ta solitude. Au contraire sa grand-mère se taisait toujours et son mutisme absolu utilisait exclusivement [le yiddish], [la langue] des survivants.

 

Dans Conversation avec la paranoïa juive, elle explique que cette pathologie reviendra tout simplement parce que ce qui la déclenche ne disparaîtra jamais: Elle dit la peur et la conscience de la menace.

Elle le sait bien parce qu'elle est issue de deux familles juives: celle de son père, où des non-juifs ont risqué leur vie pour elle, celle de sa mère, où parents et enfants sont partis en cendre dans les cheminées d'Auschwitz.

Depuis le 7 octobre, c'est l'histoire de la famille de sa mère qui a repris de la vigueur.

 

Dans Conversation avec Claude François, de l'au-delà, son grand-père lui parle d'une règle de grammaire extraordinaire en hébreu où une lettre inverse à elle toute seule la temporalité de la phrase, tandis que sa grand-mère interprète cette règle comme le lien entre ce qu'on a vécu dans le passé et ce qui se passe aujourd'hui.

Selon cette dernière, dans sa chanson, Ça s'en va et ça revient, Claude François parlerait d'eux, les juifs.

 

Dans Conversation avec les antiracistes, elle remarque que la lutte contre le racisme et l'antisémitisme ne sont plus indissociables:

Aujourd'hui, la haine contre les juifs s'alimente, de façon paradoxale, de l'antiracisme affiché. On y fait un raccourci génial: soyons du côté des faibles, des victimes et des vulnérables. Le problème est que dans le catalogue des faibles, il y a beaucoup de monde... mais que les juifs n'apparaissent nulle part. Bizarre, bizarre... même quand ils sont assassinés, défenestrés, brûlés, torturés ou kidnappés, rien ne suffit à les rendre assez faibles ou dignes d'être protégés.

 

Dans Conversation avec mes enfants, elle émet une hypothèse pour expliquer l'attitude des féministes à l'égard du sort réservé à des Israéliennes le 7 octobre:

Le juif est devenu un mâle qui fait le mal.

[...]

Peut-être que les femmes violées, assassinées ou brûlées vives étaient un peu trop masculines pour être défendues. Peut-être que le féminin est symboliquement du côté palestinien, même quand des terroristes se livrent à des crimes sexuels. D'où un étrange silence des féministes, prêtes à abandonner les Israéliennes violées.

 

Dans Conversation avec ceux qui me font du bien, elle révèle qu'avant le 7 octobre, elle n'était pas insomniaque et que, depuis, heureusement, certaines conversations amicales [la] sauvent de la noyade. Elle évoque notamment sa conversation, à l'instigation d'une journaliste, avec Kamel Daoud, qui rappelle les douleurs de l'Algérie ensanglantée, les 200 000 morts de la décennie noire:

Ils n'intéressent pas grand monde. Mais qu'y peut-on? Ils ne vivent pas au Proche-Orient et ce n'est quand même pas de ma faute s'ils n'ont pas été tués par des juifs...

 

Dans Conversation avec le Messie, qui se dit en hébreu Mesiah' (qui a deux significations: oint et être en conversation), elle écrit, refusant de n'entendre que les voix qui hurlent d'un côté ou de l'autre:

Avec tant d'autres, je cherche les mots qui diraient vraiment aux Palestiniens ET aux Israéliens que jamais leur douleur ne me laissera indifférente, que l'on peut et que l'on doit pleurer avec les uns ET les autres.

Elle se demande comment nous pourrions inventer une autre langue, pour dire "comment ça va pas":

Se le dire les uns et autres et pas juste chacun de son côté.

Aussi veut-elle croire qu'il existe un autre messianisme que celui qui mène à la catastrophe, un messianisme qui dit, au contraire, qu'il existe un avenir pour ceux qui pensent à l'autre, pour ceux qui dialoguent les uns avec les autres, et avec l'Humanité en eux

 

Francis Richard

 

Comment ça va pas?, Delphine Horvilleur, 160 pages, Grasset

 

Livres précédents:

 

Réflexions sur la question antisémite (2019)

Vivre avec nos morts (2021)

Il n'y a pas de Ajar (2023)

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  • : Le blog de Francis Richard
  • : Ce blog se veut catholique, national et libéral. Catholique, il ne s'attaque pas aux autres religions, mais défend la mienne. National, il défend les singularités bienfaisantes de mon pays d'origine, la France, et celles de mon pays d'adoption, la Suisse, et celles des autres pays. Libéral, il souligne qu'il n'est pas possible d'être un homme (ou une femme) digne de ce nom en dehors de l'exercice de libertés.
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  • Francis Richard
  • De formation scientifique (EPFL), économique et financière (Paris IX Dauphine), j'ai travaillé dans l'industrie, le conseil aux entreprises et les ressources humaines, et m'intéresse aux arts et lettres.
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