Mardi donc le fisc italien, courageux mais pas téméraire, dont le ministre est Giulio Tremonti [photo ci-contre en provenance de La Repubblica ici] a envoyé un fort contingent, de 250 militaires (voir l'article du Temps ici), à l'assaut de 76 filiales de banques helvétiques, ou en relation avec elles, dans 22 villes d'Italie, telles que Milan, Rome, Florence, Turin et Naples, pour y effectuer une véritable razzia, sous prétexte de contrôles.
En effet le but avancé était de s'assurer que les établissements en question respectaient bien leurs obligations de communication sur les opérations effectuées par leurs clients. L'histoire ne dit pas encore si la pêche a été fructueuse et si des infractions ont été relevées.
Cette démonstration de force, disproportionnée, a bien évidemment ému l'ASB (Association suisse des banquiers) dont le porte-parole, Thomas Sutter, a déclaré (ici) :
L'opération de la police financière italienne menée mardi est discriminatoire car elle a touché spécifiquement des banques suisses ou des agences ayant des relations avec des établissements suisses.
Il est vraisemblable qu'il s'agissait, avec cette opération coup de poing, d'accompagner la mesure d'amnistie fiscale, mise en oeuvre depuis la mi-septembre, jusqu'à fin décembre, par le gouvernement Berlusconi. Il faut croire que cette carotte douce - à leur rapatriement, seule une amende, au taux de 5%, est appliquée aux sommes évadées - ne suscite pas pour autant un enthousiasme débordant - la confiance ne se décrète pas - et il faut croire qu'il convient d'employer parallèlement le bâton pour accélérer le processus de retour des pépètes.
Cela rappelle les procédés menaçants employés par les Etats-Unis ou la France pour convaincre les récalcitrants que leur intérêt est de rapatrier gentiment leurs avoirs déposés en Suisse. Les premiers ont obligé la Suisse à signer un accord (voir mon article Sauvetage UBS : la concession faite par la Suisse serait-elle de livrer les noms ? ) par lequel elle s'engageait, certes en y mettant des formes, à faire en sorte que l'UBS livre les noms de clients américains détenteurs de fonds en Suisse. La seconde (voir mon article Les 3'000 sont-ils tous des évadés du fisc piégés par l'inquisition française? ) a brandi des listings d'évadés du fisc qu'elle a prétendu posséder et vouloir utiliser.
Les tentations totalitaires de l'Italie sont bien connues. Il n'est pas besoin de remonter bien loin dans le temps. Tout récemment des radars infrarouges ont été installés pour surveiller la frontière helvétique. Il s'agit de relever les plaques minéralogiques des véhicules italiens qui la franchissent et de les communiquer aux services fiscaux, pour effectuer des recoupements avec des listes de suspects préétablies. Plus fort : des agents de la police financière italienne poursuivent discrètement leur traque sur sol helvétique.
Les caisses de l'Etat italien sont vides. Il est douteux qu'il puisse les remplir avec les sommes évadées. Il faut savoir que l'Italie est le pays le plus endetté de l'Union européenne. A fin 2008 (ici tableau Eurostat), la dette publique italienne représentait 1,663 milliards d'euros, soit 105,8% de son PIB. Pour comparaison, à la même date, la dette publique française, déjà peu glorieuse, s'établissait "modestement" à 1,314 milliards d'euros, soit 67,4% de son PIB. Ce que je disais au sujet de la France par rapport à la Suisse (voir mon article Pourquoi la Suisse s'en sort-elle mieux que la France ? ) est donc encore plus vrai de l'Italie par rapport à la Suisse.
De plus les données statistiques italiennes sont toujours sujettes à caution et sont sans doute enjolivées par rapport à la triste réalité. La méfiance des Italiens eux-mêmes à leur égard devrait inciter à la circonspection. Dans une vie antérieure j'ai travaillé avec des Italiens, dont j'importais les produits en France. De l'aveu même des dirigeants que j'ai côtoyés à l'époque - une douzaine d'années en arrière - trois comptes et bilans étaient établis : un pour eux-mêmes, un pour les banques et un pour le fisc...
En réponse à cette attaque en règle contre les intérêts bancaires suisses, notamment tessinois:
L’ambassadeur d’Italie à Berne a été convoqué pour s’expliquer "sur une action ressentie par le Conseil fédéral comme discriminatoire" (...) Le ministre de l’Intérieur Pascal Couchepin n’a pas hésité à parler de "razzia", lors d’un point de presse tenu en fin de matinée (...) Le président de la Confédération [Hans-Rudolf Merz] a évoqué de possibles "mesures ciblées". (voir Le Temps du 29 octobre 2009 ici)
L'UDC, dans un communiqué (ici), indique que son vice-président, Yvan Perrin, va intervenir au Conseil national au sujet de l'Italie. Il invite d'ores et déjà le Conseil fédéral à examiner rapidement les mesures suivantes :
- réduire la ristourne fiscale provenant du revenu des frontaliers (le Tessin ristourne actuellement 40% à l'Italie alors que les Grisons ne restituent que 12,5% à l'Autriche) ou suspendre totalement ces versements jusqu'à ce que l'Italie renonce à ses mesures chicanières aux frontières.
- ne plus accorder de nouvelles autorisations de séjour/de travail aux frontaliers italiens et aux Italiens cherchant du travail en Suisse jusqu'à ce que l'Italie remplisse rapidement et de manière non bureaucratique ses obligations découlant de l'accord de Dublin.
- exiger de l'Italie qu'elle s'engage clairement auprès de la Suisse en garantissant le raccordement au sud de la NLFA [Nouvelles liaisons ferroviaires alpines] et en présentant des solutions concrètes.
Enfin ont lieu en ce moment des négociations entre l'Italie et la Suisse sur un accord de double imposition. Yvan Perrin propose qu'elles soient suspendues jusqu'à nouvel ordre.
Comme on le voit, la Suisse a les moyens de répliquer. Encore faut-il que le Conseil fédéral ait la volonté de les employer.
Francis Richard
Nous en sommes au
467e jour de privation de liberté pour Max Göldi et Rachid Hamdani, les deux otages suisses en Libye
L'internaute peut écouter sur le site de Radio Silence ( ici ) mon émission sur le même thème.