Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
27 novembre 2016 7 27 /11 /novembre /2016 21:15
Une femme à Berlin, au Pulloff Théâtres, à Lausanne

Ce soir, j'assiste à Une femme à Berlin. Hier soir, je n'ai pas pu avoir de place pour la première. C'était complet. Ce n'est pourtant pas un spectacle réjouissant, mais plutôt un spectacle édifiant, basé sur un  document fort, un journal écrit à Berlin par une jeune femme, du 20 avril au 22 juin 1945.

 

On sait que la bataille de Berlin a opposé l'Armée Rouge aux dernières forces du Troisième Reich du 16 avril 1945 au 2 mai 1945. Le journal commence donc alors que cette bataille a commencé. Et il relate tout ce qui arrive à cette jeune femme de 36 ans, pendant et après qu'elle s'est déroulée.

 

Le décor est celui d'une cave désordonnée et poussiéreuse. La poussière provient de gravats dus aux bombardements. Un jeune homme (Marco Calamendrei), habillé en complet veston, cravate et gabardine, pénètre dans cette pièce. Il cherche ledit journal et finit par le trouver sous un fauteuil. Il commence à le lire à haute voix.

 

La jeune femme (Véronique Montel) survient. En fait ils ne se voient pas, parce qu'elle vit dans le temps où elle tient son journal et que lui vit dans le temps où il le lit et qui lui est postérieur. Le choix d'un récit à deux voix permet de le découper en un récit général et en un récit plus intime, dit par la jeune femme.

 

On sait que les troupes soviétiques se sont emparées des femmes de Berlin et qu'elles ne se sont pas gênées pour les violer et que d'aucunes de ces femmes ont accepté de livrer leurs corps pour ne pas mourir de faim... La jeune diariste n'a pas échappé à ces atteintes criminelles à son corps et à son esprit.

 

L'homme lit donc. La femme écrit tout en racontant, ou raconte. Quand elle raconte les sévices corporels qu'elle a subis, elle tourne le dos au public, qui ne peut qu'être sensible à cette posture pudique. Sinon, elle entre dans les détails de la vie quotidienne d'alors où il fallait faire preuve de débrouillardise pour survivre.

 

Il semble que ce soit la tenue de ce journal qui ait permis à cette jeune femme de tenir pendant ces deux longs mois de son existence et après. Ce journal lui a permis de prendre de la distance avec elle-même. Dédié à l'homme qu'elle aime, Gerd, dont elle n'est pas sûre qu'elle le reverra, c'est en quelque sorte son testament.

 

Eine Frau in Berlin est un document avant d'être une pièce. De le savoir ne peut pas laisser indifférent le spectateur. La réalité dépasse en effet la fiction et que la soldatesque allemande ne se soit pas mieux comportée que la russe ne change rien au caractère ignoble et criminel de tels comportements.

 

Quoi qu'il en soit, le spectateur sort bouleversé d'un tel spectacle. Le jeu des deux comédiens, la mise en scène réaliste de Séverine Bujard, le décor de Célia Zanghi, l'illustration sonore de Jérôme Baur, contribuent à lui donner l'impression de revivre ce cauchemar et, s'il ne doit retenir qu'une phrase, c'est celle-ci:

 

La somme des larmes reste constante.

 

Francis Richard

 

NB

L'identité de l'auteur de ce journal, Marta Hillers, n'a été révélée qu'il y a dix ans, soit cinq ans après sa mort. 

 

Prochaines représentations: du 29 novembre 2016 au 7 décembre 2016

Le mardi, le jeudi et le samedi à 19 heures

Le mercredi et le vendredi à 20 heures

Le dimanche à 18 heures

 

Lieu:

Pulloff Théatres

Rue de l'Industrie, 10

1005 Lausanne

 

Réservations:

http://www.pulloff.ch/reservations/

Tél.: 021 311 44 22

Partager cet article
Repost0
24 novembre 2016 4 24 /11 /novembre /2016 23:20
Roméo et Juliette enfin à peu près..., au Théâtre Boulimie, à Lausanne

Le titre déjà peut faire peur aux amateurs de William Shakespeare: Roméo et Juliette enfin à peu près... Il peut leur faire peur encore davantage s'ils se rendent compte que la célèbre tragédie a été adaptée par deux humoristes, Frédéric Gérard et Kaya Güner. Et pas de moindres humoristes puisqu'ils sont tous deux des Dicodeurs de la RTS.

 

Quelques moments du spectacle suffiront pourtant à les rassurer. En effet, ceux qui connaissent quelque peu la pièce, reconnaîtront les principales répliques de la tragédie, reprises par les deux compères. Ils verront également que le déroulement de l'histoire est fidèle à l'original, sauf la fin, que la licence théâtrale permet de changer, pour une bonne cause.

 

L'à peu près du titre n'est pas pour autant négligeable, si l'essentiel est sauf, car les deux adaptateurs ont ajouté leurs grains de sel, transformant une histoire d'amour tragique en une histoire d'humour comique, sans pour autant trahir l'esprit du dramaturge anglais, qui, sans doute, ne désavouerait pas cet hommage somme toute affectueux.

 

Ces grains de sel, ce sont des dialogues anachroniques, qui comportent des jeux de mots laids, des contrepèteries, des références contemporaines, des morceaux de bravoure en verlan débité à toute allure. Ces grains de sel, ce sont, intercalées, des situations burlesques, des chansons et des musiques, qui viennent à propos, et qui sont vraiment à mourir de rire.

 

Il faut saluer le jeu des comédiens, qui incarnent plusieurs rôles, tambour battant, à un rythme haletant:

- Damien Naïmi, ceux d'un figurant récurant et, surtout, d'un Roméo d'une candeur adolescente

- Laurence Morisot, ceux de Florence, une reporter de radio en direct de Vérone, et, surtout, d'une Juliette très gamine de comportement

- Jean-Luc Borgeat (qui soi-disant aurait aimé jouer le rôle de Roméo, mais qui ne le peut pas parce qu'il n'est pas assez jeune), au moins ceux de Montaigu, de la nourrice, de Balthasar et de Mercutio

- Frédéric Gérard, au moins ceux de Benvolio et de Frère Jean

- Kaya Güner, ceux de Capulet, du comte Paris (représenté par une marionnette), de Frère Laurent et de Tybalt.

 

Aussi, une fois le spectacle terminé, le public, qui a beaucoup ri pendant une heure trois quarts ne peut-il qu'applaudir à tout rompre, en guise de reconnaissance envers ces comédiens et cette adaptation inédite, pour tous les instants de réel bonheur qu'ils auront vécus et qui agiront de façon rémanente sur eux le restant de la soirée.

 

Francis Richard

 

Prochaines représentations: du 25 novembre au 17 décembre 2016

Prolongation: du 20 décembre 2016 au 31 décembre 2016

Nouvelle prolongation: du 17 janvier au 28 janvier 2017 (mise à jour du 6 janvier 2017)

Nouvelle prolongation: du 7 février au 18 février 2017 (mise à jour du 27 janvier 2017)

Les mardis, mercredis et jeudis à 19h30

Les vendredis et samedis à 20h30

Relâche les dimanches et lundis

 

Adresse:

Théâtre Boulimie

Place Arlaud 1
1003 Lausanne – Suisse

 

Contact et réservations:

Tél.: +41 21 312 97 00

info@theatreboulimie.com

http://www.theatreboulimie.com

Partager cet article
Repost0
21 novembre 2016 1 21 /11 /novembre /2016 23:55
Les Morb(y)des, de Sébastien David, au Poche, à Genève

Ce soir a lieu la première de Les Morb(y)des, de l'auteur canadien Sébastien David, mise en scène par Manon Krüttli. C'est la deuxième pièce du Sloop3 du théâtre genevois de la vieille ville.

 

Un  sloop? C'est, en langage marin, une sorte de voilier.

 

En l'occurrence il s'agit ici d'une embarcation légère, où l'équipage est composé de:

- trois metteurs en scène

- cinq comédiens,

- une assistante

- une équipe artistique.

 

Ces membres d'équipage montent ensemble quatre pièces (avec un maximum de deux semaines de répétition pour chacune), destinées à être présentées dans le même lieu et dans le même temps, devant le même public.

 

Les Morb(y)des a pour thème l'obésité morbide.

 

Dans le bon vieux Larousse, morbide est un adjectif qui a deux acceptions:

. Qui relève de la maladie, la caractérise ou en résulte.

. Qui a un caractère malsain, anormal.

 

(y) signifie en langage numérique un poing avec le pouce levé. C'est un symbole d'espoir et de puissance.

 

Le titre de la pièce, qui pourrait être celui d'une tragédie grecque, est donc déjà lourd de significations.

 

Le rideau se lève - si l'on peut dire, puisqu'il n'y a pas de rideau au Poche/GVE - sur un appartement en demi-sous-sol. Deux femmes obèses se disputent. Ce sont deux soeurs.

 

L'une des deux soeurs a pour nom, Stéphany (Charlotte Dumartheray), avec un y, c'est du moins ainsi qu'elle l'écrit depuis qu'elle fréquente le monde virtuel, et son ami virtuel Kevyn (François Revaclier), avec un y également.

 

L'autre des deux soeurs n'a pas de nom. Enfin elle ne s'en souvient pas elle-même. Et Stéphany ne l'appelle pas autrement que Sa Soeur (Rébecca Balestra), sauf à la fin où son nom lui revient à l'esprit.

 

C'est au fil de leurs disputes que le spectateur comprend que les deux soeurs sont obèses: si Sa Soeur est faite de rondeurs - ses formes sont amplifiées par des ballons -, Stéphany arbore à ses yeux un corps svelte et sportif.

 

En fait le corps de Sa Soeur est celui qu'on voit - elle ne se prive de rien - et le corps de Stéphany est celui dont celle-ci rêve, parce qu'elle aimerait que les autres la regardent. Pour cela elle fait du vélo d'appartement: elle ne va nulle part, mais elle y va, sans perdre de poids...

 

Les deux soeurs diffèrent aussi par le langage. Sa Soeur ne se prive pas d'employer des jurons québecois et d'avoir un franc parler populaire. Stéphany se livre à des incantations pleines de noirceur: elle est tour à tour l'univers, la nuit ou les égouts de Montréal.

 

Sa Soeur est recluse. Elle n'est pas sortie de leur demi-sous-sol depuis 13 ans. Sa seule ouverture sur l'extérieur, ce sont les émissions de télévision qu'elle regarde affalée sur son sofa: elle est entourée de ballons blancs, au milieu desquels elle s'enfonce.

 

Stéphany sort un peu, la nuit, bien que ce ne soit pas prudent - une cinquième victime d'un tueur en série a été découverte tout près de là où elle se promenait. Sinon, sa fenêtre à elle, c'est le site Morb(y)des.com et la musique kitch de Moby, avec un y...

 

Si Sa Soeur s'enfonce, elle, Stéphany, désire s'envoler.

 

Toutes deux se plaignent des odeurs, qui puent. A l'intérieur, celle de Brise du fleuve, qui sent l'indien; à l'extérieur celle qui provient de Lallemand, une usine de production de levures pour toutes sortes d'usage.

 

Kevyn, qui se trouvait pendant tout le début du spectacle côté jardin de la scène, fait son apparition, réelle. Il semble être habillé comme un scout. C'est en tout cas ainsi qu'il apparaît aux deux soeurs. Il va servir de catalyseur.

 

A un moment donné Kevyn demande à Stéphany ce qu'elle voudrait que l'on se souvienne d'elle si elle mourait:

 

Une fille disparue, c'est comme ça que j'aimerais qu'on se souvienne de moi.

 

Car il y a en Stéphany, comme en Sa Soeur, à la fois une pulsion de vie et une pulsion de mort. Stéphany dit aussi, à propos du tueur qui rôde que, s'il est capable de la tuer, il doit être tout aussi capable de lui faire l'amour, la petite mort mise sur le même plan que la grande, en somme.

 

S'il y a des moments où l'on rit - certains propos et certaines actions sont franchement burlesques -, plus sérieusement, la pièce interroge le spectateur sur les dualités dans lesquelles se débattent les protagonistes: le physique et le psychique, le réel et la fiction, la réalité et la virtualité.

 

Les Morb(y)des, pièce exigeante, a suscité ce soir un réel enthousiasme.

 

Francis Richard

 

Prochaines représentations:

Lieu:

POCHE/GVE

Rue du Cheval-Blanc 7, 1204 Genève

Tél.: 022 310 37 59

http://poche---gve.ch/info-billetterie_/

Partager cet article
Repost0
21 octobre 2016 5 21 /10 /octobre /2016 22:55
Le mort saisit le vif, une pièce de Viviane Bonelli, d'après Henri Troyat

Ce soir a lieu à La Sacoche, à Sierre, la première d'une pièce de Viviane Bonelli, Le mort saisit le vif, adaptée du roman éponyme d'Henri Troyat, auteur que son père lui a fait connaître. Car cet auteur est, hélas, quelque peu oublié aujourd'hui, s'il eut naguère de longues heures de gloire.

 

Jacques Sorbier (Steve Riccard) est le seul des camarades de classe du docteur Georges Galard à s'être rendu à son enterrement. Sa veuve Suzanne (Viviane Bonelli) est toute heureuse de faire sa connaissance: elle se sent bien seule et son mari n'était pas spécialement tendre avec elle.

 

Jacques, touché par sa déréliction, promet de rendre visite à Suzanne régulièrement. Deux ans plus tard, ils se marient, mais Suzanne souffre du manque de reconnaissance et de moyens financiers du ménage: Jacques n'est après tout que le rédacteur en chef d'un journal pour garçonnets, Rantanplan...

 

Un an après leur mariage, alors que Jacques s'essaie vainement à écrire mais est bien conscient de ses insuffisances, Suzanne exhume le manuscrit d'un roman de son défunt mari, intitulé La colère. En dépit des fortes réticences de Jacques, elle parvient à le convaincre de s'en faire passer pour l'auteur.

 

Après l'avoir recopié entièrement de sa main et avoir fait quelques menues corrections, Jacques adresse le manuscrit de La colère aux grands éditeurs de la place. L'un d'eux, après l'avoir lu, Monsieur Prieur (Frédéric Lugon), des éditions Prieur, prend rendez-vous avec lui. Ce qui est prometteur.

 

Prieur en fait est enthousiaste: le style de Jacques est d'or et de sang. Jacques est un écrivain qui écrit avec ses tripes. Il lui garantit un tirage de 3 000 exemplaires et des droits de 10%. Sans se faire prier, Jacques signe donc le contrat que lui présente Prieur et dans lequel il s'engage à faire éditer chez lui ses trois prochains livres.

 

Quand vient le moment de présenter un deuxième livre, Jacques se révèle incapable de l'écrire dans la même veine que le premier, qui a battu tous les records de vente et qui, contre toute attente, a même obtenu le Prix Maupassant. Grâce à ça, Suzanne a pu nouer des relations mondaines et se parer de bijoux...

 

Cette inaptitude à écrire tourmente Jacques terriblement. Ce qui achève de le tourmenter, c'est ce que lui révèle une visiteuse, Nicole Domini (Carole Epiney). Celle-ci pourrait le démasquer mais c'est une belle âme qui ne cherche qu'à savoir pourquoi et comment, dans son roman, il raconte son histoire à elle.

 

Le spectateur se demande comment va se dénouer le drame de l'usurpation que vit Jacques et qui n'est pas sans conséquences sur ses relations de couple avec Suzanne. L'usurpation n'est en effet supportable que pour celles ou ceux qui sont dénués de scrupules ou qui en tirent suffisamment d'avantages pour être sans vergogne.

 

Cette pièce sur l'imposture est servie par un texte qui permet aux comédiens, mis en scène par Carlos Henriquez, de donner toute leur mesure: à Jacques et Suzanne d'être un homme et une femme qui passent de l'abattement à l'euphorie et inversement, à Prieur d'être un éditeur qui sait publier ce que le public demande, à Nicole Domini d'être la belle personne qui sait apaiser les humeurs. 

 

Celles et ceux qui n'ont pas eu la chance d'assister à cette première, vivement applaudie par le public, montée par la Compagnie el Diablo, précédée et suivie par de la musique (dont le thème musical de la pièce) interprétée par Grégory Pittet et Nicolas Fardel, ont la possibilité d'en saisir huit autres dans les deux semaines qui viennent.

 

Si ces spectateurs, amoureux du théâtre et de création, saisissent au vif l'une de ces huit opportunités, ils pourront s'en divertir, et peut-être se dire que l'imposture n'est que, poussée à l'extrême, une manière de rôle que les hommes souvent se jouent.

 

Francis Richard

 

PS

 

Le mort saisit le vif est une vieille expression juridique qui signifie que les biens d'un mort passent, sans formalité, à son vif, c'est-à-dire à son héritier vivant légitime...

 

Prochaines représentations:

 

Théâtre des Trois Quarts à Vevey (VD), avenue Reller, 7

Les 27 et 28 octobre à 20h

Le 29 octobre à 19h

Le 30 octobre à 17h30

Les 3 et 4 novembre à 20h

Le 5 novembre à 19h

Le 6 novembre à 17h30

 

Réservations:


http://www.troisquarts.ch

tél.: 021 921 75 71

Partager cet article
Repost0
17 avril 2016 7 17 /04 /avril /2016 22:55
La suppliante, de Bastien Fournier, au Théâtre Les Halles, à Sierre

Ce soir avait lieu la quatrième représentation au Théâtre Les Halles, à Sierre, de La suppliante, une pièce de Bastien Fournier, inspirée très librement des Suppliantes d'Eschyle, puisqu'elle combine le thème éternel de l'hospitalité à celui contemporain de l'asile.

 

Dans la pièce d'Eschyle, les cinquante filles de Danaos s'enfuient avec leur père pour ne pas épouser les cinquante fils d'Egyptos. Elles abordent au pays d'Argos et demandent l'hospitalité à son roi, Pélasge.

 

Dans la pièce de Bastien Fournier, une femme étrangère (Pauline Epiney), veuve avec enfant, se retrouve dans la cour d'un immeuble. Elle demande l'hospitalité à des habitantes de cet immeuble, une mère (Sylvie Tamiz) et sa fille sans enfant (Carole Epiney).

 

L'étrangère rencontre d'abord la fille. Mais celle-ci s'apprête à sortir et n'est pas disposée à lui venir en aide: elle a un bus puis un train à prendre. L'étrangère s'interroge: Est-il juste que certaines soient logées et pas d'autres?

 

L'étrangère rencontre ensuite la mère. Mais celle-ci lui réserve un tout autre accueil: après l'avoir interrogée et s'être assurée qu'elle n'a pas de solution, elle l'invite à entrer chez elle et à s'installer dans sa propre chambre, tandis qu'elle dormira sur le canapé.

Carole Epiney, Pauline Epiney, Sylvie Tamiz

Carole Epiney, Pauline Epiney, Sylvie Tamiz

Quand la fille rentre de sa sortie, empestant l'alcool et la transpiration, la mère lui apprend qu'elle a hébergé l'étrangère et son enfant. Le lendemain, la fille admoneste l'étrangère, l'accusant d'avoir abusé de la confiance de sa mère.

 

Quand la mère survient, elle considère les deux jeunes femmes comme ses filles et les voit donc toutes deux comme si elles étaient soeurs. Mais sa fille naturelle ne l'entend pas ainsi et se dispute avec sa mère, qui lui dit:

 

Quand tu es née, le premier jour, quand tu es sortie de moi pour entrer dans ma vie, n'étais-tu pas une étrangère, toi aussi? Pourtant je t'ai nourrie, j'ai passé des nuits sans dormir et des soucis m'ont dévorée. Ce que j'ai fait pour toi, pourquoi refuses-tu que je le fasse pour une autre?

 

La fille n'en persiste pas moins à demander à sa mère qu'elle chasse l'étrangère, sinon elle le fera elle-même et, si elle n'y parvient pas elle-même, elle aura recours à la puissance de la loi. Tous les éléments sont réunis pour que la tragédie advienne.

 

Dans la pièce d'Eschyle, l'action est soulignée par le choeur. Dans celle de Bastien Fournier, une musique, composée et interprétée par Thierry Debons, fait monter la tension dramatique avant que de la faire baisser une fois qu'une fin évidente se dessine.

 

Comme dans nombre de mises en scène d'aujourd'hui, celle de Marine Billon comporte des jeux de lumière et d'images, élaborés par Elie Romero, qui contribuent à faire ressortir le texte, dont la force d'émotion est paradoxalement d'autant plus intense qu'il est d'une grande sobriété.

 

La mise en scène, de même que le jeu des trois actrices, est fidèle au texte qui, en l'absence de noms donnés aux trois femmes, pourrait en faire de purs archétypes, mais qui, en réalité, révèle leur complexité, au point qu'il est possible de s'identifier à l'une ou à l'autre à un moment donné ou à un autre.

 

La pièce soulève des problèmes de fond, qui se posent aux êtres humains. Ainsi, au-delà de l'émotion suscitée - certaines des spectatrices et certains des spectateurs avaient finalement la larme à l'oeil -, invite-t-elle à la réflexion, notamment sur les distinctions qu'il faudrait faire entre les notions de droit et de loi...

 

Francis Richard

 

Prochaines représentations:

 

- Au Théâtre Les Halles, à Sierre:

Les 21, 22 et 23 avril à 19:30

Le 24 avril à 18:00

 

- A l'Oriental, à Vevey:

Les 27, 28 et 29 avril à 20:00

Le 30 avril à 19:00

Le 1er mai à 17:30

 

Adresses et réservations:

 

http://theatreleshalles.ch/

 

http://www.orientalvevey.ch/

Partager cet article
Repost0
11 avril 2016 1 11 /04 /avril /2016 22:55
Ctrl-X, de Pauline Peyrade, au Poche, à Genève

Ce soir, c'était la création au Poche de Genève, d'une pièce de Pauline Peyrade. Une pièce novatrice et en même temps éternelle, puisque les trois unités de temps, de lieu et d'action, qui étaient de règle jadis, s'y trouvent d'une certaine manière réunies: une nuit, une chambre et le tourment d'une femme, dont l'esprit passe par des hauts et des bas.

 

Ctrl-X est une fonction qui permet de couper un texte sélectionné pour le coller à un autre endroit. Ce titre évoque donc le découpage. Et la pièce est composée de rien de moins que de 220 fragments, qui semblent avoir été découpés et collés les uns à la suite des autres dans un désordre apparent: sites Internet, messages électroniques, textos, dialogues...

 

En fait ces fragments sont les morceaux d'un puzzle, placés bien au contraire dans un ordre délibéré, permettant à mesure que l'action progresse de reconstituer la personnalité de la jeune femme en question, Ida (Laureline Lebris-Cep), une jeune femme d'aujourd'hui, à l'intimité de laquelle, corps et âme, participe le spectateur, qui se fait voyeur de bon ou mauvais gré.

 

La scène se déroule dans une chambre, à l'abri des regards mais connectée au monde extérieur par tous les outils actuels, avec ou sans fil: téléphones (fixe et mobile), ordinateur et digicode munis de cam. Cette chambre est un cocon avec lit, fauteuil et lampe, qui donne par une grande baie vitrée sur des falaises d'immeubles aux fenêtres éclairées, mais c'est un cocon poreux.

 

Au début de la pièce, une phrase, inscrite en lettres lumineuses, en est en quelque sorte l'épigraphe et lui donne ses deux sens, direction et signification:

 

August 1, 1997

Love? What is it?

Most natural painkiller what there is.

LOVE

William S. Burroughs,

5 février 1914 - 2 août 1997

 

(on remarque au passage que la mort de l'auteur survient le lendemain de l'écriture de cet aphorisme...)

 

Pendant cette nuit qui défile en accéléré - la durée de la pièce est d'une heure - Ida passe donc par des hauts et des bas. Et ces hauts et ces bas sont comme aiguillonnés par les intrusions téléphoniques insistantes de sa soeur Adèle (Agathe Hazard-Raboud) et de son amant Laurent (Adrien Guiraud), qu'ils soient échanges vocaux ou textos, et par les recherches qu'Ida fait sur Internet.

 

L'une de ses recherches sur Wikipédia a plus d'impact sur elle que les autres, celle qu'elle effectue sur son ancien amant, le photographe Pierre K (Adrien Guiraud), qui, lui, l'avait reconnue: elle ne semble pas avoir fait le deuil de leurs amours défuntes et être dans l'incapacité, lunatique qu'elle est, de les remplacer par d'autres amours qui feraient disparaître sa douleur.

 

En d'autres temps, ses états auraient mis des jours, voire des semaines ou des mois, à se succéder dans son âme, mais le numérique a la vertu, ou le vice, de raccourcir les intervalles de temps qui s'écoulent entre eux. Le virtuel accentue de même par sa nature propre la confusion souvent faite par les êtres humains entre fiction et réalité.

 

Ce qui est novateur dans cette pièce, c'est donc ce découpage en fragments et non pas en scènes et actes. La mise en scène de Cyril Teste est fidèle à ce découpage, qui reflète bien au fond les brusques changements d'humeur d'Ida. Qui ne reste d'ailleurs pas longtemps en place: elle boit des verres de Los Vascos, elle vapote, elle déambule, elle pianote sur son ordi, elle se caresse...

 

Son smartphone vibre. Son fixe sonne. Ida y répond ou pas. Quand elle parle à Adèle ou à Laurent par leur truchement, elle finit, ou commence, par se disputer avec eux. Les images d'elle, des sites qu'elle visite ou des mails qu'elle a reçus, sont projetées depuis son ordi sur le fond de la scène et accentuent la discontinuité qui ressort volontairement de cette pièce à fragmentation.

 

Ce n'est donc pas seulement à des paroles échangées que le spectateur assiste mais à de nombreuses représentations de l'activité humaine. Si, comme le disait Shakespeare, La vie est un théâtre et chacun y joue un rôle, dans ce théâtre, le monde connecté y joue, comme dans la vraie vie actuelle, un rôle non négligeable et lui apporte d'autres dimensions, vidéos et effets de lumière à l'appui.

 

Francis Richard

 

Représentations:

Du 11 avril au 1er mai 2016

Les lundis, jeudis et samedis à 19:00

Les mardis et mercredis à 20:30

Les dimanches à 17:00

Relâche les vendredis

 

Adresse:

Rue du Cheval Blanc 7, 1204 Genève

 

Réservation:

+41 (0)22 310 37 59

ou http://poche---gve.ch/info-billetterie_/

Partager cet article
Repost0
2 avril 2016 6 02 /04 /avril /2016 01:00
La suppliante et autres textes, de Bastien Fournier

Ce livre est le 24e volume de la collection Théâtre en tête des éditions Lansman. Il comprend quatre pièces de Bastien Fournier:

 

- La suppliante en deux versions, une version originale qui n'a pas été montée à ce jour et une version pour trois comédiennes qui va être créée le 14 de ce mois au Théâtre Les Halles, à Sierre, par la Compagnie du Homard

 

- Phaidra qui a été créée le 19 janvier 2012, aux Caves de Courten, à Sierre, par le Théâtre du Brandon

 

- Les Africaines qui n'a pas été montée à ce jour

 

- Une femme sur un balcon qui a été créée le 13 septembre 2012 au Théâtre Les Halles, à Sierre, par la compagnie Le Crochet à nuages

 

La suppliante, dans ses deux versions, met aux prises trois femmes: une mère et sa fille, et une autre femme, la suppliante, une clandestine, une étrangère, qui demande aux deux premières d'être hébergée, avec son enfant. La fille, qui n'a pas eu d'enfant, ne veut pas en entendre parler. La mère au contraire fait parler son coeur, à la grande fureur de sa fille qui invoque la loi et menace. Ce sont les prémices d'une tragédie...

 

Lors de leur dispute, la mère s'adresse à sa fille en ces termes:

Quand tu es née, le premier jour, quand tu es sortie de moi, n'étais-tu pas une étrangère toi aussi? Pourtant je t'ai nourrie, j'ai passé des nuits sans dormir et des soucis m'ont dévorée. Ce que j'ai fait pour toi, pourquoi refuses-tu que je le fasse pour une autre?

 

Phaidra reprend le thème de Phèdre, qui, son époux Thésée disparu, tombe amoureuse de son beau-fils Hippolyte. Dans la pièce de Racine, Hippolyte ne succombe pas aux charmes de Phèdre et Thésée, en fait, n'est pas mort. Dans celle de Bastien Fournier, le père est mort, d'une mort claire-obscure, et le fils partage le lit de sa belle-mère. A mesure que celui-ci devenait homme, du fait de sa grande ressemblance avec son père, il prenait peu à peu sa place quand elle songeait à son géniteur:

 

Lui: Qu'avons-nous fait?

Cette nuit, tu as dit que tu m'aimais.

Elle: C'est peu dire. Cette nuit je t'adorais.

Lui: Et maintenant?

Elle: Le soir finit toujours par venir.

Le jour finit toujours par s'éteindre.

 

Les Africaines est un texte inspiré par le Chant IV de l'Enéide de Virgile. Didon et Enée y sont des amants oublieux d'une plus grande gloire. C'est leur grand tort. Mercure, envoyé par Jupiter, rappelle ses devoirs à Enée: il doit se rendre en Italie, dont le royaume est dû à son héritier, Iule. Didon, folle amoureuse d'Enée, n'accepte pas qu'il s'en aille. Chez Fournier le ton est moins emphatique, la Rumeur remplace la Renommée, et il n'est point d'autres dialogues qu'entre Didon et sa soeur, Anna, :

 

Anna: Il faut un homme dans ton lit.

Didon: L'homme qui dormait dans mon lit -

Anna: ... est mort. Emploieras-tu, seule et versant tes plaintes, toute ta jeunesse à te consumer dans son deuil ? (Un temps) Un autre est venu.

Didon: Un étranger.

Anna: Nous étions étrangères en Afrique.

Didon: Un fugitif. Un fuyard.

Anna: Nous ne l'étions pas moins.

 

Une femme sur un balcon jette son enfant dans le vide. Elle est touchée par deux balles tirées de loin par des policiers encagoulés. Pourquoi a-t-elle fait cela? A-t-elle tué son mari? N'a-t-elle pas dit qu'il était parti et que s'il ne revenait pas, elle jetterait son enfant sur le sol? Au fait, l'a-t-elle jeté avant d'être touchée par les balles ou après? C'est, des années après, ce que se demande et ce que lui demande la policière venue la réinterroger:

 

Femme 2: Tu as dit d'abord que c'était en même temps.

Femme 1: Tu as insisté: "Avant ou après?" Tu disais: "Avant ou après?"

Femme 2: Tu as dit que c'était avant.

Femme 1: Tu m'as demandé si j'en étais sûre.

Femme 2: Qu'est-ce que tu as répondu?

Femme 1: J'en étais sûre.

Femme 2: Dans mon rapport, j'ai noté que tu n'avais lâché l'enfant qu'après avoir entendu la déflagration.

Femme 1: C'était un mensonge.

Femme 2: Oui.

 

Dans ces quatre textes, la langue est sobre, sans fioritures. L'auteur va à l'essentiel. Chaque mot semble pesé: rien de ce qui est dit n'apparaît donc inutile. En somme le style est épuré. De plus, aucun de ces quatre textes, aussi bien les deux inspirés par des mythes de l'Antiquité que les deux inspirés par des drames contemporains, n'est vraiment daté si l'on excepte quelques détails qui ne relèvent que du décor.

 

Si ces quatre textes sont bien situés dans le temps, ils sont donc cependant intemporels. Ce qui donne sa cohérence au volume qui les rassemble et leur universalité aux mondes qu'ils recréent. Le parti pris de ne pas donner de noms propres aux personnages, sauf aux Africaines Didon et Anna, rendues déjà symboliques par Virgile, exprime la volonté délibérée d'en faire des archétypes tout en nuances. Ne devrait-ce pas être l'ambition théâtrale?   

 

Francis Richard

 

La suppliante et autres textes, Bastien Fournier, 98 pages, Lansman Editeur

 

Livre précédent:

 

L'assassinat de Rudolf Schumacher, L'Aire (2014)

Partager cet article
Repost0
6 mars 2016 7 06 /03 /mars /2016 23:45
Maybe - Une vie, de Sarah Marcuse, au Théâtre du Loup, à Genève

L'affiche de la pièce, de même que le titre, sont explicites. Ce ventre rebondi d'une femme enceinte et Maybe - Une vie laissent présager que la Naissance avec un grand N en est le sujet. Ce sujet est venu à Sarah Marcuse après qu'elle a accouché il y a peu pour la seconde fois...

 

Cette comédie, mise en scène par l'auteur, commence par une citation, dite par le seul comédien de la distribution (Thomas Di Genova, qui joue les rôles de Ralph et d'un médecin). Cette citation est tirée de Comme il vous plaira de Shakespeare:

 

Le monde entier est un théâtre, et tous les hommes et les femmes sont seulement des acteurs. Ils ont leurs entrées et leurs sorties. Et un homme dans sa vie joue plusieurs rôles...

 

Ralph dit ça, mais il ignore quel est son rôle dans la vie. Pour lui, la vie n'a pas de sens. C'est pourquoi il veut se flinguer. Au préalable, il téléphone à sa mère, Anna (Anne-Schlomit Deonna). Il est libre de se flinguer, lui répond-elle, mais elle est contre...

 

Comment se fait-il que Ralph veuille régulièrement mettre fin à ses jours? Anna n'aurait-t-elle pas raté sa naissance par hasard? A la réflexion, elle dit que oui. Le spectateur saura pourquoi plus tard, après bien des développements.

 

Lors d'une tentative de suicide, Ralph fait la rencontre de Tiffany, (Fanny Pelichet, qui joue aussi le rôle d'une infirmière) qui, comme lui, s'apprêtait à se jeter du pont Butin. Or, au lieu de sauter, ils tombent dans les bras l'un de l'autre.

 

Leur étreinte n'est pas sans fruit. Tiffany découvre un jour qu'elle est enceinte. Elle pousse un cri. Elle a une vie finalement bien remplie et elle fait l'inventaire de tout ce à quoi elle va devoir renoncer. Mais peut-être est-elle tout de même "faite pour toucher du mou"...

 

Tiffany doit annoncer la chose à Ralph. Elle craint qu'il ne tressaille. De fait sa réaction n'est pas une joie sans mélange. Il va être père - ne faut-il pas qu'il s'en réjouisse? - mais il sera "un père sans repères" - ce qui n'est guère enthousiasmant.

 

Anna a accouché de Ralph dans la même clinique que deux autres femmes, qui avaient comme elle plus de 40 (Céline Goormaghtigh et Maud Faucherre), l'une optimiste (elle est toujours satisfaite), l'autre pas du tout (le monde actuel est horrible).

 

Ensemble elles ont connu les affres des examens pré-nataux (ce qui donne lieu à des scènes assez potaches) et des diagnostics médicaux (ce qui pose la question des possibles difformités), et combattu la culpabilité qu'engendre l'état de grossesse.

 

A partir de ces éléments Sarah Marcuse traite de la Naissance avant, pendant et après. Elle le fait avec les ingrédients qui lui sont chers: la philosophie - on naît un jour avec la perspective de mourir un autre -, l'humour - on rit souvent, sans retenue -, la chorégraphie - on assiste même à un kata...

 

Bref, dans Maybe, la naissance n'est pas un sujet traité banalement. Cet événement violent et risqué se produit dans la peur et dans la douleur: "Le coeur se fend en deux". Dans le même temps, la venue au monde d'un petit être, d'un petit peut-être, autrement dit d'un petit maybe, ne peut-elle pas s'avérer un heureux événement?

 

A défaut de se trouver un rôle, lorsque l'enfant paraît, l'homme ne peut-il pas au moins s'apercevoir qu'il a sa place aux côtés de celle qui donne vie à leur petit maybe? 

 

Francis Richard

 

Adresse:

 

Théâtre du Loup, Chemin de la Gravière 10, 1227 Les Acacias - Genève

 

Représentations:

 

Du 4 au 20 mars 2016:

 

Mardi, jeudi, samedi à 19h

Mercredi, vendredi à 20h

Dimanche 17h

Lundi relâche

 

Réservations:

 

+41 22 301 31 00

ou http://billetterie@theatreduloup.ch

Partager cet article
Repost0
4 mars 2016 5 04 /03 /mars /2016 23:55
Un air de famille, de Jaoui et Bacri, au Théâtre des Trois Quarts, à Vevey

Après une reprise d'Un air de famille, au Teatro Comico à Sion, du 14 au 23 janvier, dans une mise en scène de Viviane Bonelli, la Compagnie El Diablo entame une tournée en Suisse romande de cette pièce écrite par Agnès Jaoui et Jean-Pierre Bacri. Première étape: ce soir, au Théâtre des Trois Quarts, à Vevey.

 

Une pièce peut en cacher une autre. La pièce qui aurait dû être jouée ce soir dans cette petite salle, Inconnu à cette adresse, a en effet été réexpédiée à Paris, où elle avait été montée. Il ne fallait pas qu'un petit théâtre suisse fasse de l'ombre à une grande production française...

 

Les Veveysans n'ont évidemment rien perdu au change, puisqu'une comédie, où les membres d'une famille se disputent allègrement, s'est substituée à une pièce dramatique où deux amis, un Juif américain et un Allemand, s'écrivent des lettres, horriblement, pendant les heures les plus sombres du siècle passé.

 

Un air de famille se passe dans le cadre du Père tranquille, un bistrot sans prétention, tenu par le fils Ménard, Henri (Frédéric Lugon), aidé par un serveur, Denis (Steve Riccard). Comme tous les vendredis soirs, toute la famille Ménard s'y retrouve avant d'aller au restaurant gastronomique du coin, à l'enseigne des Ducs de Bretagne.

 

Dans la famille Ménard, je demande le père. Désolé, mais il n'est plus de ce monde. Mais il y a la mère (Carol de Quay), pantalon et veste assortis, et elle est bien là. Elle a deux fils, Henri donc, et Philippe (Sébastien Deront), et une fille, Betty (Viviane Bonelli), envers lesquels elle n'est pas avare de bons conseils, agaçants. 

 

Philippe, costume cravate, est le préféré de sa mère. Il est le numéro quatre d'une entreprise et a réussi. Il est marié, à Yolande (Carole Epiney), et ils ont deux fils. Henri, Riri, gilet cravate, à côté de Philippe, fait pâle figure. Il est marié à Arlette, et ils n'ont pas d'enfants. Le nom de son bistrot est à son image.

 

Quant à Betty, 30 ans, elle ne se maquille pas, est habillée comme un garçon, pantalon, bottes et veste de cuir, et dit des grossièretés... Pas de quoi accrocher le monsieur... D'autant qu'elle ne ménage pas la gent masculine, comme le dénote son comportement agressif à l'égard de Denis, le serveur...

 

Ce vendredi, est en principe jour de fête. C'est en effet le trente-cinquième anniversaire de Yolande,  chemisier et jupe sages, dite Yoyo, que son Philippe de mari ne traite pas avec beaucoup de considération. Il faut dire qu'elle met souvent les pieds dans le plat avec un naturel désarmant... et touchant.

 

Ce vendredi, Philippe est passé à la télé pendant deux minutes, dans une émission régionale, pour vanter les mérites de l'entreprise qui l'emploie et où travaille sa soeur. Laquelle y a été embauchée sur sa recommandation.

 

Ce vendredi, Betty a justement dit son fait à Benito, le numéro trois de l'entreprise, un con autoritaire, qui doit son surnom à la consonance de son patronyme avec celui du Duce. Philippe en rêvait, Betty l'a fait. Sans se préoccuper des conséquences pour elle ou pour son frère...

 

Ce vendredi, Henri apprend que sa femme, Arlette, est partie. Pris par son boulot, il ne s'occupe pas assez d'elle. Elle souffre de ce manque de considération. Elle est donc partie passer une semaine chez une amie, pour réfléchir.

 

C'est cette absence d'Arlette à la réunion familiale du vendredi soir qui déstabilise les choses et leur fait prendre un tour inattendu, sans lequel il n'y aurait évidemment pas d'histoire et sans lequel les personnages n'apparaîtraient pas sous un jour quelque peu caricatural.

 

De fait ces personnages typés ne sont au fond pas si caricaturaux que ça. Car tout dans cette pièce est bien vu, bien observé, bien dit. Dans cet air de famille, joué avec naturel par des comédiens qui savent lui donner un ton décidément comique, souvent même hilarant, il y a en effet des notes dans lesquelles toutes les familles peuvent se reconnaître peu ou prou.

 

Francis Richard

 

Représentations et réservations:

Théâtre des Trois Quarts à Vevey (VD), avenue Reller, 7

Le 4 mars à 20h

Les 5 mars à 19h

Le 6 mars à 17h30

http://www.troisquarts.ch/public/main.php?rubrique=affiche&srubrique=detail&ID=186

Théâtre de l'Odéon à Villeneuve (VD), Grand-Rue, 43

Le 11 et 12 mars à 20h30

http://www.theatre-odeon.ch/contact.php

Théâtre La Tuffière à Corpataux-Magnedens (FR), rue du Centre, 59

Le 19 mars à 20h30

http://www.latuffiere.org/saison-15-16/un-air-de-famille.htm

Partager cet article
Repost0
2 mars 2016 3 02 /03 /mars /2016 23:55
Caligula d'Albert Camus, au Pulloff Théâtres, à Lausanne

La pièce d'Albert Camus, Caligula, est une illustration du pouvoir totalitaire que peut exercer un homme sur les autres. Mais le pouvoir totalitaire, on le sait, n'est pas seulement, loin de là, pouvoir personnel, il est souvent pouvoir collectif.

 

Caligula a disparu pendant trois jours après la mort de Drusilla, sa soeur et maîtresse. Tous le cherchent et croient qu'il a fait une fugue par chagrin d'amour. A commencer par les patriciens, c'est-à-dire ceux qui ont quelque chose à perdre. Tous se trompent lourdement. Cette mort "est seulement le signe d'une vérité qui [lui] rend la lune nécessaire"...

 

Autrement dit, Caligula ressent désormais "le besoin d'impossible ", puisque rien ne dure en ce monde, que le monde d'ailleurs est sans importance et que le reconnaître tel quel rendrait libre... En prenant au sérieux son rôle d'empereur, en tout cas, il prend "en charge un royaume où l'impossible est roi."

 

Caligula adopte dès lors une logique imperturbable, qui n'est pourtant que pur sophisme: "Si le Trésor [public] a de l'importance, alors la vie humaine n'en a pas." Au nom de cette logique tous les détenteurs de fortune doivent tester en faveur de l'Etat. Si leur argent l'intéresse, leur vie ne compte pas.

 

Aussi, en raison des besoins - et ils sont infinis puisqu'il s'agit de réaliser l'impossible -, Caligula les fera-t-il mourir, tous ces nantis, les uns après les autres, "dans l'ordre d'une liste établie arbitrairement". La réflexion cynique qu'il fait alors prend une tout autre résonance à notre époque d'Etats obèses:

 

"Il n'est pas plus immoral de voler directement les citoyens que de glisser des taxes indirectes dans le prix de denrées dont ils ne peuvent se passer. Gouverner, c'est voler, tout le monde sait ça. Mais il y a la manière. Pour moi, je volerai franchement."

 

Cette logique suppose que tous les volés soient coupables (mais ne le sont-ils pas?). Elle justifie tous les meurtres, qui ne sont que des moyens pour parvenir à cette fin, l'impossible. Elle n'est applicable qu'à condition d'avoir atteint l'insensibilité corrélative à cette prétendue liberté dont Caligula se targue.

 

D'un acte l'autre, le Caligula d'Albert Camus pousse toujours plus loin cette logique. Il connaît évidemment la fin que connaissent la plupart des tyrans, quand, las de subir servitude, humiliations et prédations, quelques têtes se relèvent et finissent par frapper celui qui ne leur a apporté que de l'insécurité.

 

Jean-Gabriel Chobaz, qui a fait la mise en scène, souligne cette progression dans la violence avec le changement qu'il fait intervenir dans l'habillement des personnages: après quelque temps, les hommes portent des brassards décorés d'un insigne sur leurs costumes; après s'être déguisé en Venus pour être adoré ou avoir mis un tutu pour faire des pas de danse et être admiré, Caligula porte vêtements noirs et bottes de cuir...

 

Frank Michaux, dans le rôle de Caligula, est plus vrai que nature. C'est bien simple: il fait peur. Il faut dire que, pour son Caligula, Camus a su trouver les mots et lui prêter les ruses qui font de ce personnage lunatique et retors un tyran redoutable et redouté. Et Frank Michaux incarne réellement ce tyran, toujours plus agressif, pendant 1h45...

 

Il y a donc de quoi frémir, d'autant que Caligula malmène ou violente tous ceux qui lui sont proches, Caesonia (qui est amoureuse de lui jusqu'au bout), Cherea (le littérateur qui lui résiste), Helicon (l'esclave affranchi, qui lui est pourtant fidèle) et Scipion (le poète, qui pourtant le comprend), sans parler des autres personnages qui rampent devant lui...

 

Francis Richard 

 

Distribution:

 

Paola Landolt, Raphaël Bilbeny, Julien Opoix, Frank Michaux, Jean-Marc Hérouin, Stéphane Rentznik, Matthieu Sesseli, Daniel Vouillamoz, Leslie Rudolf et Nicolas Leoni.

 

Représentations:

 

Du 1er au 20 mars 2016

Les mercredis et vendredis à 20h

Les mardis, jeudis et samedis à 19h

Les dimanches à 18h

 

Réservations:

 

http://www.pulloff.ch/ticketing/clients/subscription

ou

tél. +41 (0) 21 311 44 22

Partager cet article
Repost0
27 février 2016 6 27 /02 /février /2016 08:15
Kate, de Pauline Epiney, au Théâtre Les Halles, à Sierre

Dans le monde antique, elles vont par trois, les Grâces ou les Parques. Trois, chiffre représentatif de la famille traditionnelle, des dimensions de l'espace, des parties du jour, de la dialectique hégélienne... et de la substance divine des chrétiens.

 

Elles sont trois sur scène: Laetitia Barras, Carole Epiney et Claire Nicolas. Elles représentent des femmes. Par opposition à la femme, c'est-à-dire à Kate, comme Kate Moss. Qui en serait le parangon indépassable et universellement admis, du moins dans nos contrées.

 

Kate serait en effet la femme parfaite, le modèle (dans les deux acceptions du terme), mince et jeune (sans une ride) et qui entend le rester. Par la grâce de soins corporels, qui ne seraient pas seulement cosmétiques, mais gymnastiques, et qui ne seraient pas accomplis pour se sentir bien, mais pour plaire.

 

Sur scène, les trois comédiennes, dans un premier temps, minaudent, entretiennent leur corps pour être fit, corps qu'elles dévoilent en partie (comme on leur a appris ou comme elles l'ont vu faire), en n'étant plus vêtues que de dessous affriolants, ou qu'elles font transpirer, en petite tenue de sport.

Claire Nicolas, Laetitia Barras et Carole Epiney

Claire Nicolas, Laetitia Barras et Carole Epiney

Les trois se demandent si, avec tous leurs efforts, elles en font assez et sont bien conformes au modèle, si elles sont en somme bien formatées pour séduire les hommes. Mais, à un moment donné, trop c'est trop. Elles n'en peuvent plus. Alors elles se lâchent, elles ne sont plus qu'un cri de révolte.

 

Etre libres de leur corps et de leur esprit n'est en effet pas considéré aux yeux des autres, femmes ou hommes, de la même manière que si elles étaient de ce dernier genre. Aimer baiser, par exemple, les fait qualifier immanquablement de chiennes et les trois comédiennes en font la démonstration en haletant comme si elles étaient en chaleur...

 

Cette performance est destinée aux femmes, pour que certaines d'entre elles sachent, si elles ne le savent pas, qu'elles ne sont pas seules à ressentir ce qui s'exprime ici et qui résulte de leur conditionnement; aux hommes, pour qu'ils prennent conscience, si ce n'est déjà fait, de ce que des femmes peuvent ainsi ressentir, parfois jusqu'au ressentiment.

 

A la toute fin, l'auteur, Pauline Epiney, fait savoir que l'accomplissement de soi n'a rien à voir avec le sexe. Et c'est vrai, qu'il n'est pas à proprement parler sexuel. Mais dire qu'il n'a rien à voir avec le sexe, est peut-être un déni de réalité, un déni de ce que sont les femmes et les hommes au moment de leur atterrissage.

 

Etre des êtres humains, les unes comme les uns, c'est-dire des semblables, n'empêche pas d'être différents et de suivre une voie qui n'est ni celle conforme aux moules du passé, ni à ceux d'aujourd'hui, en réaction avec ce passé. Devenir soi-même n'est pas obligatoirement renier ce que nous sommes au départ.

 

Francis Richard

 

Représentations:

 

Les 18, 19, 20, 25 et 27 février 2016 à 19h30

Le 26 février 2016 à 19h

Les 21 et 28 février à 17h

 

Réservations:

 

www.reservation.tlh@sierre

ou

tél. +41 (0) 27 452 02 97

Partager cet article
Repost0
3 octobre 2015 6 03 /10 /octobre /2015 15:50
Une ombre au tableau de Carole Dubuis, au Théâtre de l'Oxymore, à Cully

L'ancienne alliance est rompue; l'homme sait enfin qu'il est seul dans l'immensité indifférente de l'Univers d'où il a émergé par hasard. Non plus que son destin, son devoir n'est écrit nulle part. À lui de choisir entre le Royaume et les ténèbres.

 

C'est ainsi que se terminait Le hasard et la nécessité, le livre de Jacques Monod, grand biologiste devant l'Éternel. Cette conclusion, irréfutable, d'un grand scientifique, ne l'était donc pas. Car il n'y a pas de réponse définitive à cette interrogation que l'homme se pose depuis toujours, qu'il continuera de se poser jusqu'à sa fin individuelle, inéluctable, et dont il connaîtra alors, ou pas, le fin mot.

 

Le hasard est justement le thème d'Une ombre au tableau, la dernière pièce de Carole Dubuis, qui est montée par la Compagnie En-Visages, au Théâtre de l'Oxymore, à Cully, et que j'ai vue hier soir, dans une salle comble, où la cinquantaine de spectateurs se sentaient proches les uns des autres et des quatre comédiens, sous une voûte noire, en demi-arc de cercle, celle d'un caveau.

 

Diane (Tiphanie Chappuis) et Jean (Yves Scheuner) sont deux restaurateurs de tableaux. Ils ne se sont pas vus depuis un bon moment. Ils viennent de se rencontrer par hasard dans une petite ville italienne où ils ont travaillé ensemble. Mais est-ce vraiment par hasard? Le destin n'y est-il pas pour quelque chose? Diane en doute, Jean le croit. Est-il seulement possible de les départager?

 

Diane et Jean effectuaient dans l'église de cette ville, Santa Maria Novella, la restauration d'un tableau de Brunetti. Cette toile représente trois personnages, une femme et deux hommes, et quatre ombres... On ne sait de qui ou de quoi cette dernière ombre au tableau est le nom. Les historiens et les commentateurs disputent encore de l'interprétation qu'il convient de lui donner.

 

Quand la pièce commence, une femme inquiète et dévote (Catherine Forestieri), toute de noir vêtue, écoute le premier des six messages qui se trouvent sur la messagerie de son téléphone portable. Il est recommandé au spectateur d'y prêter attention, parce que ces six messages de Marco (Ricardo Henriques), son fils disparu, sont comme la ponctuation de la progression de l'intrigue.

 

Après leur rencontre, Diane et Jean visitent Casa Luce, une maison concurrente. Il ne reste plus que deux éléments pour que cette histoire singulière se mette en place. Diane et Jean, qui auraient pu s'aimer, y découvrent d'abord, sous un linge, le tableau qu'ils restauraient ensemble. Puis, de sous un autre linge, surgit, comme un diable, Marco, le stagiaire qui les assistait à l'époque.

 

Le trio de naguère est donc reconstitué, de même que sont mis à jour les trois personnages du tableau de Brunetti, qui sont comme leurs reflets, avec leurs ombres portées, auxquelles s'ajoute comme une intruse cette ombre qui provient de nulle part. Pourquoi sont-ils réunis ce jour-là? Peu à peu, leur histoire, pleine d'incertitudes, qui se déroule sans temps morts, le précise, de même que les liens qui les unissent.

 

Très vite les caractères du trio se dessinent dans leur diversité. Diane est analytique et, tout en étant désirante et désirable, garde les pieds sur terre. Jean est sentimental, mais, aventureux, il a vécu, et sa raison tempère tout de même ses ardeurs. Marco a, au contraire, l'ardeur de la jeunesse et son impétuosité, ce qui lui fait bousculer les lignes. Sa mère, à raison, s'inquiète pour lui et se réfugie dans la prière.

 

Bien que le thème soit grave, il ne pèse pas sur la pièce, laquelle ouvre des perspectives. Les frontières de l'existence y sont habilement franchies, mine de rien, ce qui permet de pousser très loin les interrogations. Si chacun des personnages, incarnés pleinement par les comédiens, réagit à sa manière, les spectateurs ne peuvent que faire de même. Car cette pièce donne matière à réflexion, sans accabler, grâce à l'élégance du texte.

 

Francis Richard

 

Représentations:

 

Du 24 septembre au 4 octobre 2015:

Les jeudi, vendredi et samedi à 20h30

Le dimanche à 17h00

 

Réservations:

 

www.oxymore.ch

ou

tél. +41 (0) 76 410 10 82

Partager cet article
Repost0
11 septembre 2015 5 11 /09 /septembre /2015 19:15
Bérénice de Racine, au Théâtre Interface, à Sion

Hier soir avait lieu la première d'une création au Théâtre Interface, à Sion, celle de Bérénice de Jean Racine. Peut-on créer encore une telle pièce? On peut. Parce que, justement, cette pièce appartient au répertoire classique et qui dit classique, au contraire de l'image d'ennui et de convenu que le terme semble recouvrir (en souvenir de sujets d'études scolaires), dit éternelle jeunesse, c'est-à-dire éternelle possibilité de créer.

 

La Bérénice de Jean Racine est en ce sens au plus haut point classique. Non seulement cette pièce parle d'amour entre trois personnes qui occupent un rang élevé dans la société, d'où naissent des obligations réciproques que le commun des mortels ne connaît pas, mais elle le fait avec des mots simples, éternels, toujours les mêmes, hormis quelques mots peut-être qui n'appartiennent plus au vocabulaire d'aujourd'hui.

 

Titus (Raphaël Bilbeny) vient de perdre son père Vespasien, ce qui fait de lui le nouvel empereur de Rome. Depuis cinq ans, il aime Bérénice (Carole Epiney), reine de Palestine, qui le lui rend bien. Antiochus (Olivier Lambelet), roi de Comagène, est un ami de Titus, mais il aime en secret Bérénice, en feignant d'être seulement son ami. Il s'est tu pendant les cinq années qui viennent de s'écouler. La perspective du proche mariage de Titus et de Bérénice l'accable profondément.

 

Même si Titus le sait depuis longtemps, son amour pour Bérénice est tellement fort qu'il n'a pas voulu voir qu'il lui serait impossible d'épouser Bérénice une fois devenu empereur. En effet un empereur romain ne peut épouser une reine sans enfreindre une loi fondamentale qui l'interdit absolument. Cette loi, même des prédécesseurs sur le trône peu soucieux d'observer les lois de l'empire n'ont jamais osé l'outrepasser, parce qu'ils savaient que le peuple ne l'accepterait pas.

 

Quand la pièce commence, Antiochus s'entretient avec son confident Arsace (Pauline Epiney). Il lui demande d'aller voir Bérénice pour obtenir d'elle un dernier entretien. Il est en effet décidé à s'en aller de Rome, mais non pas sans l'avoir vue une dernière fois et lui avoir fait l'aveu des sentiments qu'il éprouve pour elle. Bérénice le reçoit donc avec sa confidente Phénice (Pauline Epiney) et, outragée par l'aveu d'Antiochus, ne le retient pas: il part "plus amoureux que jamais".

 

Au début du deuxième acte, Titus demande à son confident Paulin (Damien Gauthier) ce que le peuple penserait s'il épousait Bérénice. Dans un premier temps, Paulin lui dit qu'il peut tout, aimer ou cesser d'être amoureux. Quand Titus exige qu'il soit honnête, il le détrompe: il ne pourra pas sans offenser les regards "faire entrer une reine au lit de nos césars". A force de persuasion Paulin parvient à convaincre Titus de renoncer à son amour pour Bérénice, à faire triompher le devoir sur l'ardeur.

 

La suite de la pièce est une succession de retournements dus aux volte-face et à la lâcheté de Titus, qui n'arrive tout de même pas à trancher entre devoir et ardeur, et se lamente:

Je puis faire les rois, je puis les déposer.

Cependant de mon coeur je ne puis disposer.

 

Ces palinodies donne par moments de faux espoirs à Antiochus et, à d'autres moments, le mettent en rage:

Tous mes moments ne sont qu'un éternel passage

De la crainte à l'espoir, de l'espoir à la rage.

 

Quant à Bérénice, elle pense tantôt qu'elle peut encore plaire à Titus, tantôt que tout est perdu et elle lui reproche alors son ingratitude et, surtout, sa cruauté:

Ne l'avez-vous reçu, cruel, que pour le rendre,

Quand de vos seules mains ce coeur voulait dépendre?

 

Il est inutile de dire à ceux qui l'auraient oublié, ou ne l'auraient jamais su, comment se termine cette tragédie non sanglante, où tout le tragique se situe au sein de coeurs malmenés.

 

Bérénice est écrite en alexandrins, un peu plus de mille cinq cents vers. Or la mise en scène (Steve Riccard) et le jeu des acteurs font qu'ils ne sont pas dits comme des vers. Ils sont dits avec naturel ce qui leur donne cette fluidité qui résulte de la composition poétique singulière de Racine. Ce n'est qu'occasionnellement que le spectateur ressent qu'il s'agit bien d'alexandrins, quand, notamment, la métrique des phrases impose une disposition des mots inhabituelle.

 

Le décor scénographique (Stéphanie Lathion) est sobre: une toile de fond blanche, éclairée par derrière, des piliers rouges qui s'élèvent dans les cintres sans les toucher, des bancs aux arêtes droites, en dégradés, qui forment un cercle au milieu duquel les lettres T comme Titus et B comme Bérénice s'enlacent comme sur des festons. Les costumes (Marianne Braconnier) sont intemporels: robes longues et élégantes pour les femmes, manteaux longs et sans apparat pour les hommes. 

 

Les trois protagonistes, par les voix et les attitudes qu'ils adoptent, qu'il s'agisse de Carole Epiney, de Raphaël Bilbeny ou d'Olivier Lambelet, transmettent l'émotion qui les étreint, comme si ce n'était pas un jeu, mais une vérité qui se déroulait devant le public, auquel les larmes montent aux yeux comme elles le font aux leurs. Les confidents, Pauline Epiney et Damien Gauthier, les aiguillonnent avec justesse et les poussent, comme il faut, dans leurs retranchements.

 

Hier soir, c'est ainsi que s'est opérée la magie d'un théâtre bien vivant, où l'espace d'une heure et demie, deux heures, la fiction et la réalité ont fini par se fondre et se confondre. Et le public, ravi, a été transporté hors du temps, tout en reconnaissant en ces amours éternelles, qui tourmentent le trio, ce qui pourrait très bien affecter aujourd'hui des trios semblables, pour peu qu'ils se conforment à la lettre de traditions qui ont perdu l'esprit.

 

Francis Richard

 

Représentations à Sion:

 

Du 10 au 13 septembre 2015:

Le jeudi à 19h00

Les vendredi et samedi à 20h30

Le dimanche à 19h00

 

Réservations:

 

www.theatreinterface.ch

ou

tél. +41 (0) 27 203 55 50

 

Adresse:

 

Théâtre Interface

Route de Riddes 87 - Sion

 

Autres représentations, à la Tour de Peilz:

 

Du 2 au 3 octobre 2015 à 20h00

 

Réservations:

 

www.theatre-du-chateau.ch

ou

Tél: 079 411 50 59

 

Adresse:

 

Théâtre du Château

Rte du Château 7 - La Tour de Peilz

Partager cet article
Repost0

Présentation

  • : Le blog de Francis Richard
  • : Ce blog se veut catholique, national et libéral. Catholique, il ne s'attaque pas aux autres religions, mais défend la mienne. National, il défend les singularités bienfaisantes de mon pays d'origine, la France, et celles de mon pays d'adoption, la Suisse, et celles des autres pays. Libéral, il souligne qu'il n'est pas possible d'être un homme (ou une femme) digne de ce nom en dehors de l'exercice de libertés.
  • Contact

Profil

  • Francis Richard
  • De formation scientifique (EPFL), économique et financière (Paris IX Dauphine), j'ai travaillé dans l'industrie, le conseil aux entreprises et les ressources humaines, et m'intéresse aux arts et lettres.
  • De formation scientifique (EPFL), économique et financière (Paris IX Dauphine), j'ai travaillé dans l'industrie, le conseil aux entreprises et les ressources humaines, et m'intéresse aux arts et lettres.

Références

Recherche

Pages

Liens