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20 mai 2014 2 20 /05 /mai /2014 22:20
"Une histoire sans queue ni tête" au Pulloff Théâtres à Lausanne

Une histoire sans queue ni tête est une pièce adaptée par Pierric Tenthorey du roman de Lawrence Sterne, La vie et les opinions de Tristram Shandy, gentleman, roman anglais en neuf volumes, publié au XVIIIe siècle.

 

Lawrence Sterne s'est inspiré d'Alexander Pope, Johnathan Swift, John Locke, Miguel de Cervantes, François Rabelais... et des Essais de mon cher Michel de Montaigne.

 

La pièce, comme le roman, est faite de digressions autour de la vie de Tristram qui commence dès sa conception, les homonculi étant à l'époque ce que nous appelons aujourd'hui les spermatozoïdes...

 

Les personnages principaux sont le père et la mère, l'oncle Toby, la servante Suzanne et bien sûr Tristram, mais il n'y a qu'un comédien sur scène, muni d'un masque, Pierric Tenthorey... Et c'est la performance d'acteur qu'il faut saluer, parce que, sans pause, le spectacle dure tout de même plus d'une heure et demie.

 

Il faut saluer la performance parce que le texte part dans tous les sens et parce qu'il est truffé d'allusions, plus ou moins subtiles, que le spectateur doit saisir au bond s'il ne veut pas être laissé au bord de la scène et perdre tout le sel de ce texte jaillissant.

 

Pierric Tenthorey ne se contente d'ailleurs pas de parler, en variant les registres suivant les personnages qu'il incarne, mais il joue du violon, il danse et il mime. Et pour ceux qui n'auraient pas compris son mime du premier coup, il fait de temps en temps un retour en arrière en joignant des paroles explicites aux gestes.

 

Cette pièce est d'autant plus théâtrale que Pierric Tenthorey s'adresse directement aux spectateurs, disposés autour de lui, comme dans la meilleure tradition shakespearienne, ce qui est sans doute aussi la meilleure façon de faire participer le public à un spectacle vivant. 

 

Au beau milieu du deuxième acte, qui en comporte trois, Pierric Tenthorey fait saluer par le public l'assistant metteur en scène, Jérôme Giller, le régisseur, Nicolas Mayoraz, et la chargée de production, Jeanne Quatropanni. Comme cela, c'est chose faite. La pièce peut continuer et se terminer par l'entracte...

 

On ne s'ennuie pas tout le long de cette histoire foisonnante, qui est effectivement sans queue ni tête, mais qui n'est pas dénuée d'intérêt du fait des sujets divers et variés, abordés avec malice et tambour battant.

 

Et on rit beaucoup parce que c'est tout simplement... désopilant.

 

Francis Richard

 

Prochaines représentations:

 

Mercredi 21 mai 2014 à 20 heures

Jeudi 22 mai 2014 à 19 heures

Vendredi 23 mai 2014 à 20 heures

Samedi 24 mai 2014 à 19 heures

Dimanche 25 mai 2014 à 18 heures

Mardi 27 mai 2014 à 19 heures

Mercredi 28 mai 2014 à 20 heures

 

Adresse:

 

Pulloff Théâtres

Rue de l'Industrie 10

1005 Lausanne

 

Réservations:

 

tél: 021 311 44 22

ou sur http://www.pulloff.ch/

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15 mai 2014 4 15 /05 /mai /2014 22:55
"Le café des voyageurs" au Café-Théâtre de la Voirie à Pully

Dans une de ses nouvelles, Le café des voyageurs, Corinna Bille raconte l'histoire d'une femme qui, chaque année, à la date anniversaire de la mort de son fils dans un accident de train, envoie son cocher chercher à la gare un jeune homme pour partager avec lui le dîner manqué de ce jour fatidique.

 

Une année, le jeune homme que son cocher ramène ressemble tellement à son fils disparu qu'elle en est fortement troublée...

 

Coline Ladetto s'est librement inspirée de cette nouvelle pour écrire et mettre en scène une pièce éponyme.

 

Au début de cette comédie schizophrène à quatre personnages, un homme vêtu comme un majordome, prénommé Robert (René-Claude Emery), trace au sol, à la craie, le plan de l'appartement de Victoire (Anne -Frédérique Rochat), qui se trouve assise au beau milieu de ce tracé.

 

Cette première bizarrerie est suivie de deux autres. Tous deux parlent d'eux-mêmes à la troisième personne et leur visage est barré d'un trait oblique et rouge.

 

Nous sommes le 31 juillet. Il est onze heures du matin. Robert doit bientôt partir à la gare chercher Pierre, le fils de Victoire, ou du moins un jeune homme qui puisse le personnifier. Margot (Marika Dreistadt), la fiancée de Pierre, est là. Chaque année, elle dit que c'est la dernière fois qu'elle revient et qu'on ne l'y reprendra plus, mais chaque année elle revient tout de même.

 

Victoire est dans le déni complet de la disparition de son fils, mais elle est aussi dans le déni de la mort de l'enfant que portait Margot des fruits de Pierre. Tandis que Victoire s'obstine à dire à Margot que celle-ci est enceinte, Margot ne veut surtout pas se rappeler ce souvenir douloureux.

 

Au début de la pièce, Margot se rebelle donc et ne veut pas jouer le jeu que Robert et Victoire jouent. Puis, elle se résigne à son tour à parler à la troisième personne et laisse Robert lui dessiner avec un stylo sur le visage un trait oblique et rouge, rite obligé, semble-t-il, pour passer de la première à la troisième personne.

 

Cette année, comme dans la nouvelle de Corinna Bille, le jeune homme, Germain (Jean-Baptiste Roybon), que Robert a emmené chez Victoire contre son gré, ressemble étrangement à Pierre, ce qui ne laisse pas de troubler Margot.

 

Germain, qui vient de terminer ses études de droit - Pierre en avait lui aussi entrepris - et qui est maintenant avocat, ne compte pas se laisser faire et menace de porter plainte pour séquestration. Mais, n'étant pas indifférent aux charmes de Margot, il se laisse convaincre par elle de jouer lui aussi le jeu de parler à la troisième personne.

 

Margot a un peu plus de mal à dessiner un trait oblique et rouge au travers du visage de Germain effrayé et doit se verser un peu d'encre rouge dans la paume avant d'y tremper un doigt pour lui appliquer avec douceur le trait rituel.

 

La ressemblance de Germain avec Pierre est telle que Victoire n'arrive plus à rester dans le rite annuel des années précédentes et que les choses finissent par déraper complètement.

 

Il faut un certain temps au spectateur pour entrer dans ce jeu de fous. Puis il se laisse prendre à leur délire et ne voit pas le temps s'écouler. Les émotions le traversent. A certains moments il pourrait rire de tant de folie, à d'autres il pourrait pleurer devant les drames qui en sont l'origine ou qui en découlent.

 

Ces émotions sont bien évidemment transmises par les comédiens qui incarnent tellement bien leurs personnages et la folie qui les habitent que le spectateur le plus indifférent ne peut que se laisser toucher et qu'être ébloui d'avoir été ainsi transporté dans un autre monde, bizarre autant qu'étrange, l'espace d'une heure et demie de temps.

 

Francis Richard

 

Prochaines représentations:

 

Vendredi 16.05.2014 à 20:30

Dimanche 18.05.2014 à 17:00

Jeudi 22.05.2014 à 20:30

Vendredi 23.05.2014 à 20:30

Samedi 24.05.2014 à 20:30

 

Réservation:

 

http://www.regart.ch/th-voirie/

 

Adresse:

 

Café-Théâtre de la Voirie

Rue du Centre 10 - Case postale 442 - 1009 Pully
Tél. 076 324 34 52

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1 mars 2014 6 01 /03 /mars /2014 22:17
Yvonne, entourée de ses tantes

Yvonne, entourée de ses tantes

Yvonne, princesse de Bourgogne, est la première pièce écrite par Witold Gombrowicz, en 1938. Et ce n'est pas triste. Enfin, ce serait plutôt corrosif.

 

L'action se passe à la cour du roi Ignace (Julia Batinova). Son fils, le prince Philippe (José Lillo), est blasé. Il n'a plus très envie de courir les belles filles de la Cour, avec son ami Cyrille (Frédéric Lugon). Alors il jette son dévolu sur une pauvresse, doublée d'un laideron, Yvonne (Ilil Land-Boss).

 

Au début il s'agit pour Philippe d'une plaisanterie, pour se distraire. Pour narguer ses parents, le roi Ignace et la reine Marguerite (Greta Gratos), il va jusqu'à la présenter comme sa fiancée. Or, Yvonne ne dit pas un mot et ne respecte pas le protocole qui voudrait qu'elle fasse des courbettes à ses majestés.

 

Le mutisme d'Yvonne a le don d'exaspérer tout le monde, à l'exception de Philippe qui, dans un deuxième temps, en tombe amoureux. Aussi décide-t-il de l'épouser vraiment au grand dam de ses parents, qui comprendraient qu'il ait une passade avec une beauté, mais qui n'acceptent pas qu'il se soit entiché de cette "mollichonne"... qui passe son temps assise ou plantée comme un piquet

 

Comme Yvonne est de basse extraction, tout est permis à son égard et tout ce beau monde ne se prive pas de la malmener, d'autant plus qu'elle reste tout aussi muette qu'une carpe et ne se plaint jamais. Personne ne tient compte de ses regards énamourés ou de ses yeux de chien battu.

 

A la fin, cette inertie permanente d'Yvonne donne des envies de meurtre au roi, dont le chambellan (Elidan Arzoni) s'avère de bon conseil en la matière, à la reine et même en définitive à Philippe, qui s'éprend de la belle Isabelle (Olivia Seigne), autrement plus sexy que la promise qu'il s'est choisie sur un coup de tête.

 

Tous ces personnages ne sont guère reluisants et les circonstances créées à la Cour par l'irruption d'Yvonne, qui n'est pas de leur milieu, permettent de révéler leurs turpitudes dissimulées très hypocritement jusque-là. Le crime projeté sur la personne d'Yvonne n'est tout au plus considéré par eux que comme une extravagance.

 

Cette pièce mélange les genres. C'est tout à la fois une tragédie avec de longs monologues du roi, de la reine et du prince, et une comédie, voire une farce, qui en utilise tous les ressorts comiques. Le fond très grinçant démontre souvent par l'absurde la superficialité de ce monde de la Cour dont il suffit de gratter le vernis pour le mettre à nu et le tourner en dérision, ce que réussit très bien à faire cette satire, par moments déjantée. Amateurs de théâtre trop sérieux, s'abstenir...

 

Comme la pièce dure deux heures et quart sans interruption, le rythme soutenu de la mise en scène de Geneviève Guhl rend heureusement cette durée supportable. Il y a dix-huit personnages, et seulement neuf comédiens. C'est dire que les comédiens ne soufflent pas beaucoup et qu'il faut saluer le jeu enlevé qu'ils arrivent à conserver jusqu'au bout. Quant à celle qui joue Yvonne et qui doit prononcer trois mots, en tout et pour tout, son visage expressif parle magnifiquement à sa place.

 

Francis Richard

 

Prochaines représentations à la Grange de Dorigny:

 

Dimanche 2 mars à 17 heures

Mardi 4 mars à 19 heures

Mercredi 5 mars à 20 heures 30

Jeudi 6 mars à 19 heures

Vendredi 7 mars à 20 heures 30

Samedi 8 mars à 19 heures

 

Tournée:

 

Du 8 au 11 avril à la Comédie de Genève

Le 5 mai au Théâtre de Valère à Sion

Les 9 et 10 mai à La Belle Usine à Fully

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15 février 2014 6 15 /02 /février /2014 08:10

Face au mur CRIMPDamien Gauthier est un metteur en scène qui ne recule pas devant les difficultés. Il met en scène des auteurs de théâtre contemporains nés dans les années 1950, qui sont de très bons crus, comme chacun sait...

 

Après avoir monté, il y a un peu plus d'un an, Et jamais nous ne serons séparés de Jon Fosse, qui était joué au Pulloff Théâtres de Lausanne, il vient de monter un trityque de Martin Crimp au Théâtre du Moulin-Neuf à Aigle.

 

En effet, le titre double adopté, Face au mur, tout va mieux, résume bien les deux premières pièces mais en cache une troisième, courte comme les deux autres, puisque l'ensemble ne dure qu'un peu plus d'une heure.

 

Quand le spectateur arrive, il se demande sur quel chantier il a débarqué. En effet les quatre comédiens du triptyque (Sarah Anthony, Catherine Delmar, Sébastien Gautier et Virginie Kaiser) s'en prennent à de malheureuses piles de journaux: ils les entassent, ils les déplacent, ils les dispersent, ils jouent avec au chamboule-tout...

 

Ce jeu de construction et de déconstruction est à l'image des trois textes.

 

Dans les deux premiers textes, il s'agit de faits divers, tels qu'on l'entend d'ordinaire, où narration et interprétation de personnages se mêlent à des interventions en direct des médias. Dans le troisième, il s'agit peut-être tout de même d'un fait divers puisqu'il s'agit du ... mariage, et conséquences, d'une très jeune femme shootée par un paparazzi.

 

Dans le premier un homme apparemment sans problèmes surgit dans une école, abat tour à tour la réceptionniste, un maître d'école, puis plusieurs enfants, un par un, en leur logeant une balle en pleine tête.

 

Dans le deuxième un enfant sur fond d'émeute et de voitures brûlées tente de gravir un escalier et d'attraper la clé à utiliser en cas d'urgence.

 

Dans le troisième texte une jeune femme se demande si elle ne commet pas une erreur en se mariant aussi jeune. Onze ans plus tard, est-elle vraiment convaincue d'avoir obtenu de la vie les choses qui valent la peine d'être vécues?

 

Dans les trois textes, illustrés de digressions nécessaires, le propos directeur se construit de phrases en phrases, reprises comme des antiennes, et augmentées à chaque sentence, jusqu'à l'explosion à laquelle mène inéluctablement la tension qu'elles véhiculent.

 

Chacun de ces textes met en valeur une des trois interprètes féminines. Dans l'ordre: Sarah Anthony, Virginie Kaiser et Catherine Delmar. L'interprète masculin est toujours là, en support, comme pour maintenir toujours un lien avec elles.

 

Sans doute les propos sont-ils graves, mais ils sont mis en perspective avec beaucoup d'humour grinçant, c'est-à-dire en faisant des rapprochements antagonistes improbables qui relativisent tout d'un coup les choses et les font regarder avec distance. On rit donc, et il ne faut pas se gêner de le faire...

 

Le tout donne le sentiment d'une machine bien huilée, dès la première, ce qui est de très bon augure pour la suite...

 

Francis Richard

 

Prochaines représentations:

 

Théâtre du Moulin-Neuf, Avenue du Chamossaire 12, 1860, Aigle, tél.: 024 466 54 46

 

Samedi 15 février 2014 à 20h

Dimanche 16 février 2014 à 18h

 

Maison de Quartier de la Jonction

Avenue Sainte-Clotilde 18bis, CP 204, 1211 Genève 8, tél.: 022 545 20 20

 

Mercredi 2 avril 2014 à 20h

Jeudi 3 avril 2014 à 20h

Vendredi 4 avril 2014 à 20h

Samedi 5 avril 2014 à 20h

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7 février 2014 5 07 /02 /février /2014 00:20

A-qui-ma-femme-FEYDEAU.jpgQue faire quand on a un peu de vague à l'âme? S'offrir une bonne pinte de rire. Où? Au théâtre. Mais en n'allant pas voir une pièce de  n'importe quel auteur. Pour que le rire soit garanti, il faut que l'auteur soit une valeur sûre, par exemple, pris au hasard, Georges Feydeau, un maître de la comédie hilarante.

 

Comme le hasard fait bien les choses, j'ai appris incidemment que la compagnie des Exilés jouait une pièce inédite de cet auteur les 6 et 7 février 2014, à 20h30, à la Salle des Remparts à La Tour-de-Peilz. A qui ma femme? n'a en effet jamais été jouée du vivant de son auteur. Alors, je n'ai pas résisté à la tentation d'assister à la représentation donnée hier soir.

 

Marcassol (Steve Riccard) est propriétaire d'un immeuble. Parmi ses locataires il y a Trémollet (Dominique Rudaz), dont l'agence matrimoniale bat de l'aile, ce qui ne lui permet plus d'honorer les termes de son loyer; Sonia Kaskoff (Fabienne Barras), dont Marcassol se croit être l'unique amant, ou du moins être celui qui a définitivement pris la place de ce benêt de Lagaulardière (Olivier Zerbone).

 

Si Marcassol est allé chercher bonne fortune ailleurs, juste à l'étage du dessous, c'est que sa femme Clarisse (Carole Epiney) a bien changé en un an de mariage. De diable elle est devenue mouton, voire pot-au-feu... Au moins l'amour avec Sonia n'est pas triste... et il aimerait bien le filer parfaitement avec elle. Seulement cela n'est possible que s'il est libre. Alors, il cherche à caser sa femme pour le redevenir.

 

A qui marier sa femme? Telle est la question. Pour cela Marcassol est prêt à donner quittance de ses loyers en retard à Trémollet s'il lui trouve un mari... à sa femme. Car, quand ils se sont mariés, les Marcassol ont convenu que leur union était provisoire et qu'elle serait rompue dès que Clarisse trouverait l'homme de ses rêves.

 

La chance semble sourire à Marcassol. En effet, surgi du passé de Clarisse, un ami d'enfance, Edgar Fréminet (Olivier Lambelet), devenu riche, réapparaît opportunément dans la vie de cette dernière, qui, en fait, s'est habituée ... à son mari et s'en trouve fort aise. Fréminet est, en tout cas, un candidat autrement plus sérieux que Lagaulardière, qui, évincé par Sonia, en pince pour Clarisse.

 

Evidemment les choses ne se déroulent pas comme prévu par Marcassol. Dans la plus pure tradition du vaudeville, les rebondissements se succèdent et Jenny, la femme de chambre de Clarisse (Pauline Klaus), y met son grain de sel.

 

Mise en scène par Steve Riccard, assisté de Jean-Philippe Weiss, dans des décors de Jacques Vassy, la pièce a le rythme trépidant qui convient à ce genre d'histoire délirante. Aussi très vite disparaît l'appréhension qu'auraient pu faire naître un éventuel manque de rythme et l'interrogation  que suscite tout inédit.

 

On rit donc de bon coeur, et cela fait du bien. Mais, si on rit de bon coeur, c'est que tout le monde sur scène joue  brillamment sa partition.

 

Francis Richard

 

Réservation au 079 411 50 59 ou sur le site du Théâtre du Château

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1 février 2014 6 01 /02 /février /2014 07:00

Soiree-Lapin-Vert-31.01.2014.jpgHier soir avait lieu à Lausanne une soirée consacrée au théâtre. Cette soirée était organisée par deux associations: Tulalu!? et Poudre d'âmes. Tulalu!? est une association qui a pour objet de promouvoir la littérature suisse romande, Poudre d'âmes de jouer les textes d'auteurs de théâtre suisses romands contemporains.

 

Ces deux associations, qui ont des objets différents mais complémentaires, ont des liens entre elles. En effet, elles se retrouvent pour défendre les textes des auteurs suisses romands et elles sont présidées par une seule et même personne, la dynamique Carole Dubuis, dont la tête est suffisamment grande pour se coiffer des deux casquettes.

 

Avec Sylvie Blondel, Carole Dubuis a d'ailleurs coiffé une troisième casquette hier soir, celle d'animatrice de la soirée, au Théâtre du Lapin-Vert, aimablement prêté pour la circonstance par La Société de Belles-Lettres.

 

En mai dernier, ces deux associations lancent un concours de piécettes de théâtre, avec pour thème Petites misères en Suisse romande. Une quinzaine d'auteurs participeront à ce concours. Quatre d'entre elles auront pour récompense d'être lues en public par des comédiens professionnels. Six, dont les quatre qui seront lues, seront publiées dans Le Persil, journal aux destinées duquel préside l'écrivain Marius Daniel Popescu.

 

Hier soir donc, les quatre piécettes, sélectionnées par un jury composé d'Anne-Frédérique Rochat, auteur de théâtre et comédienne, Emmanuelle Ricci, comédienne, et Joseph Voeffray, directeur artistique du Puloff Théâtres ont été lues brillamment par Sofia Verdon, Laurence Morisot, René-Claude Emery et Simon Romang, tous quatre habillés sobrement d'une blouse blanche et d'un pantalon.

 

L'amateur de théâtre que je suis a alors pu mesurer le saut que constitue le passage de la lecture de ces textes qu'il a faites en avant-première, seul, dans le silence de son chez soi, à la lecture faite par des comédiens qui leur donnent chair et voix...

 

Ces piécettes écrites par Adrienne Bovet, Guy Chevalley, Alexandre Friederich, Giancarlo Copetti, Natacha Astuto et Marie-Claire Daul, figurent dans le numéro double du Persil de janvier 2014 (n° 76-77), chez Marius Daniel Popescu, avenue Floréal 16, 1008, Prilly, Suisse, mdpecrivain@yahoo.fr, tél.: 00 41 21 626 18 79.


Sylvie-Blondel-et-Carole-Dubuis-au-Lapin-Vert-31.01.2014.jpgAprès une pause, un débat a réuni sur scène trois intervenants, acteurs de la vie théâtrale romande: Nadège Reveillon, auteur de théâtre et éditrice de théâtre (Kazalma Editions), Cyril Kaiser, metteur en scène et directeur du Théâtre du Saule Rieur, Olivier Chiacchiari, auteur de théâtre.

 

Il ressort de ce débat que les auteurs de théâtre suisses romands existent - hier soir, j'en ai rencontrés -, mais qu'ils ont bien du mal à se faire jouer. Or un auteur qui n'est pas joué n'a pas beaucoup de chances d'améliorer ses textes...

 

Cette difficulté de se faire jouer tient, semble-t-il, au petit marché que représente la Suisse romande, laquelle est elle-même subdivisée en autant de petits marchés que de cantons, dont les frontières ne sont pas toujours pénétrables.

 

Monter une pièce de théâtre demande beaucoup d'efforts, notamment financiers. Ces efforts sont d'autant plus volontiers consentis par les mécènes - ils ont ma préférence de libéral -, par les villes ou les cantons, qu'il y a en perspective un nombre conséquent de représentations... Du coup la manne va plutôt au théâtre classique, à l'audience, en principe, assurée, qu'au théâtre de création...

 

Dans le passé, lointain, les auteurs de théâtre, tels que Shakespeare ou Molière, étaient leurs propres metteurs en scène et jouaient eux-même leurs pièces. Plus récemment, auteurs et metteurs en scène, tels que Giraudoux et Jouvet, formaient des binômes à succès. Aujourd'hui les auteurs de théâtre n'ont d'autre solution que de faire du réseautage, auprès des metteurs en scène plutôt, d'ailleurs, qu'auprès des directeurs de théâtre, et auprès de ceux qui tiennent les cordons de la bourse...

 

La grande leçon est donc que l'auteur de théâtre en Suisse romande doit non seulement écrire ses textes mais s'investir beaucoup, lui-même, dans leur promotion, d'autant qu'il a maintenant pour concurrents les auteurs de plateau...

 

Francis Richard

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29 novembre 2013 5 29 /11 /novembre /2013 18:30

Le journal d'une femme de chambre NORD-OUESTLe journal d'une femme de chambre est un roman d'Octave Mirbeau qui a fait du bruit quand il a paru, d'abord en feuilleton en 1891-1892 dans l'Echo de Paris, puis, toujours en feuilleton, dans une version profondément remaniée, en 1900, dans la Revue blanche.

 

Ce roman a été porté à l'écran plusieurs fois, adapté pour le théâtre un plus grand nombre de fois. Cette année, le Théâtre du Nord-Ouest en offre une toute nouvelle version, dans une adaptation et mise en scène de Nicolas Luquin, avec dans le rôle de Célestine, la femme de chambre, la belle et talentueuse Isabelle Hollensett.

 

Célestine a occupé plusieurs places en peu d'années avant de se retrouver chez ses nouveaux patrons, les Lanlaire, dans un bourg normand. Elle a donc une grande expérience de la bourgeoisie de l'époque, qui n'a rien d'exaltant ni de très moral.

 

Sa nouvelle patronne n'est pas des plus aimables et lui donne des "ma fille", qui l'agacent profondément, au lieu de l'appeler par son prénom. Le patron lui fait des avances qui ne la ravissent pas non plus. Pour se préserver, elle s'est elle-même, comme elle dit, condamnée à la chasteté...

 

Ce que Célestine aime en fait, c'est être femme de chambre. C'est-à-dire, comme le nom l'indique, être dans la chambre d'une patronne, s'occuper d'elle, l'aider à s'habiller et à se déshabiller, être sa confidente. Chez les Lanlaire, elle n'est tout au plus qu'une bonne à tout faire...

 

Le patron lit la Libre Parole d'Edouard Drumont et est farouchement antisémite. Le jardinier-cocher de la maison, Joseph, est dessiné sur le même modèle. Ces envies de tueries antijuives de l'un et de l'autre ne sont pas sans effrayer Célestine, qui ne comprend pas qu'ils puissent avoir tant de haine envers les juifs.

 

Une fois par an, l'argenterie est sortie pour être nettoyée par les domestiques. Autrement elle est soigneusement rangée et ne sert jamais.

 

Si Célestine a refusé ses faveurs à son patron, elle finit par les accorder à Joseph, qui l'attire et lui fait peur tout à la fois, parce qu'elle le soupçonne d'avoir violé et tué une petite fille et qu'il est un homme plutôt violent.

 

Joseph vole l'argenterie des Lanlaire et la revend. Pour ne pas éveiller les soupçons Célestine et Joseph font tout pour s'attirer les bonnes grâces de leurs patrons, qui sont tout contrits, quand l'un après l'autre ils donnent leur congé.

 

Avec le produit de la vente de ce vol, Joseph achète un café à Cherbourg où Célestine devient patronne à son tour...

 

Isabelle Hollensett est seule sur scène pendant soixante-quinze minutes. C'est un véritable one woman show. Elle restitue avec beaucoup d'allant un monde pourtant ancien et poussiéreux, qui n'est ni regrettable, ni regretté, et elle contrefait excellemment les voix de Madame, de Monsieur et de son coquin, et peu recommandable, Joseph...

 

Francis Richard

 

Le Théâtre du Nord-Ouest se trouve au 13, rue du Faubourg Montmartre, dans le 9ème arrondissement de Paris.

 

Prochaines représentations à 19 heures:

 

Les 30 novembre, 5 décembre, 11 décembre et 19 décembre 2013, les 8 janvier, 10 janvier, 15 janvier, 18 janvier, 7 février, 19 février et 21 février 2014.

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8 novembre 2013 5 08 /11 /novembre /2013 18:50

 

Michel-de-Montaigne.jpgMarie de Gournay était "la fille d'alliance" de Michel de Montaigne. A dix-huit ans, elle avait lu les deux premiers livres des Essais et avait été transportée d'admiration pour son auteur et le lui avait écrit.

 

Marie n'a rencontré Michel, semble-t-il, qu'une fois, à Paris, en 1588. Elle avait alors 23 ans et lui 55...

 

Puis ils ont correspondu jusqu'à la mort de Michel en 1592. A la demande de la femme de ce dernier, c'est elle qui a préparé l'édition posthume des Essais de 1595.

 

Un après-midi dominical de septembre, j'étais désoeuvré. Eh oui, cela m'arrive...

 

J'ai voulu rendre hommage à l'auteur dont je lis tous les jours un passage, en guise de nourriture spirituelle.

 

Cet hommage se présente sous la forme d'un petit dialogue injouable, mais lisible, entre un certain Michel Montagne et une certaine Marie Gourmet.

 

Leur unique rencontre se situe au Starbucks St François, à Lausanne. Où, contrairement à toute vraisemblance, un serveur, dénommé Etienne Laborie, ami de Montagne, vient prendre les commandes des consommateurs...


LA TRANSMISSION

  Petit dialogue injouable, mais lisible.

Personnages

ETIENNE LABORIE, serveur, 57 ans

MICHEL MONTAGNE, écrivain, 61 ans

MARIE GOURMET, enseignante, 30 ans

Au milieu de l’après-midi, Michel Montagne s'est installé à une table d’où il peut surveiller les entrées et sorties de l’établissement.

 

ETIENNE LABORIE

Alors, Michel, tu ne veux toujours rien boire en attendant ?

 

MICHEL MONTAGNE

Non, merci. Ne t’inquiète pas, Etienne. Je consommerai, même si elle ne vient pas.

 

ETIENNE LABORIE

Elle ? Tu attends une femme.

MICHEL MONTAGNE

Oui. Une jeune femme même.

ETIENNE LABORIE

Dis donc. Cela fait bien longtemps que je ne t’ai pas vu avec une femme. Et en plus, elle est jeune. Qu’est-ce qui t’arrive ?

MICHEL MONTAGNE

De quoi je me mêle ! Tu n’as pas d’autres clients à asticoter ?

ETIENNE LABORIE, s’en allant

Si, si. En tout cas, cela ne te rend pas aimable d’attendre quelqu’une …

MICHEL MONTAGNE, en lui-même

C’est bien ma veine. Elle est en retard. Moi qui suis impatient et ne supporte pas d’attendre ! A ma connaissance, et c’est une consœur, il n’y a qu’une seule femme qui stresse vraiment quand elle n’est pas à l’heure, c’est Amélie Nothomb.

En fait je suis un peu fou. Un jour Marie m’a demandé de devenir mon amie sur mon profil officiel Facebook. Comme elle était déjà amie de plusieurs de mes amis, j’ai accepté, d’autant plus volontiers qu’elle avait un joli minois…

D’habitude je refuse ce genre de demandes. Non pas que je sois misogyne, mais il s’agit souvent de profils factices qui vous entraînent là où vous ne voulez pas aller.

Cette fois, c’était différent. En allant sur son profil j’ai vu que, sur son journal, elle partageait des articles de son blog et qu’il s’agissait, uniquement, de critiques littéraires.

En allant alors sur son blog, j’ai vu que, quelques mois auparavant, elle avait consacré un article à mon dernier essai, paru il y a près d’un an.

Cet article était élogieux. J’étais bien sûr flatté, mais surtout j’ai constaté qu’elle avait très bien compris où je voulais en venir dans ce livre, ce qui n’est pas toujours le cas, loin s’en faut, de tous les commentateurs.

Tiens, quand on parle de la louve, on en voit la… tête.

Michel se levant et serrant la main de Marie

Bonjour Marie, comment allez-vous ?

MARIE GOURMET

On se tutoie sur la Toile !

MICHEL MONTAGNE

C’est vrai. Désolé. Vous, tu…Comment vas-tu ?

MARIE GOURMET

Bien. Et toi ? Ravie d’enfin te rencontrer.

Ils s’assoient

Tu viens souvent ici ?

MICHEL MONTAGNE

Oui. Autrefois cet établissement s’appelait Nyffenegger. Mais, quand j’étais étudiant, je préférais aller au Café Romand, juste à côté, avec le secret espoir d’y voir la silhouette massive de Jacques Chessex. Il avait publié deux livres provocateurs aux Cahiers de la Renaissance Vaudoise, « Portrait des Vaudois » et, surtout, « Carabas ». Les as-tu lus ?

MARIE GOURMET

Non. Tu sais. Je n’aime pas tellement Chessex. Il est vraiment trop morbide et… trop obsédé.

Etienne s’est matérialisé à côté de leur table

ETIENNE LABORIE

Que puis-je servir à ces messieurs-dames ?

Michel fait un geste courtois de la main invitant Marie à parler en premier

MARIE GOURMET

Un capuccino, s’il vous plaît.

ETIENNE LABORIE

Et toi, Michel ?

MICHEL MONTAGNE

Un ristretto, s’il te plaît.

Etienne s’éloigne

MARIE GOURMET

Tu sais, je suis bien contente de faire ta connaissance en chair et en os. Bien sûr, je t’ai vu à la télé. La dernière fois, c’était même dans l’émission de Darius Rochebin, « Pardonnez-moi », où tu t’es  beaucoup livré, mais ce n’est pas la même chose que de te voir en vrai.

Après plus d’une année d’échanges sur la Toile, je me rends compte que je ne te connaissais pas vraiment et que j’avais hâte de te voir. En même temps, je me dis que je suis chanceuse que tu aies déjà bien voulu répondre à mes messages privés.

MICHEL MONTAGNE

Dis-donc, tu me places sur un piédestal ! Ce que je ne mérite pas. Comme tu peux voir, je suis un homme tout simplement. Vieux et usé.

MARIE GOURMET

Qu’est-ce que tu racontes ? Tu dis ça pour que je te contredise.

MICHEL MONTAGNE

Non. C’est la vérité. Tu ne pourras pas changer le fait que j’ai trente ans de plus que toi et que je suis maintenant sur le retour.

Ai-je besoin de te rappeler ce que dit Jacques dans « Comme il vous plaira », de Shakespeare :

Fermant les yeux, il récite :

« Le sixième âge porte un maigre pantalon,

D’où sortent des pantoufles,

Les lunettes au nez, le bissac au côté,

Les hauts-de-chausses qu’il avait dans sa jeunesse

Avec soin conservés, sont trop larges d’un monde

Pour ses mollets ratatinés.

Et sa voix qui jadis était forte et virile

Revenant au fausset de l’enfance, module

Un son siffleur. Et voici la scène finale

Qui met un terme au cours de cette étrange histoire,

Il redevient enfant, l’enfant qui vient de naître,

Sans mémoire, sans dents, sans yeux, sans goût, sans rien. »

 

Marie-de-Gournay.jpgMARIE GOURMET, éclatant de rire et, bon public, applaudissant

 

Bravo ! Mais tu te fous de moi. Tu n’as pas les mollets ratatinés ! Loin de là !

 

ETIENNE LABORIE, apportant les consommations

 

Ces messieurs-dames sont servis.

 

MICHEL MONTAGNE, une fois Etienne reparti

 

Comment sais-tu que je n’ai pas les mollets ratatinés?

 

MARIE GOURMET

 

Je t’ai vu. Elle ajoute, espiègle : Nananère !

 

MICHEL MONTAGNE

 

Comment ça ?

 

MARIE GOURMET

 

Qui court au bord du lac, du Château d’Ouchy jusqu’au Port des Pierrettes à Saint-Sulpice, quasiment tous les matins, qu’il fasse beau, qu’il vente ou qu’il neige ?

 

MICHEL MONTAGNE

 

Tu m’espionnes ?

 

MARIE GOURMET

 

Que vas-tu chercher là ! Non. Un jour, je t’ai vu en passant en voiture avenue de Rhodanie. Le lendemain, rebelote, tu courais également, mais cette fois j’étais installée à une table du Petit Port de Saint-Sulpice et je t’ai vu faire demi-tour. De fil en aiguille, j’ai reconstitué tout le puzzle et j’ai connu ton parcours entier. Et je me suis dit que tu tenais une sacrée forme pour ton âge. Oh ! Pardon !

 

MICHEL MONTAGNE

Tu vois. Tu ne peux pas t’empêcher de penser à mon âge, même si les apparences sont trompeuses.

A mon âge, justement, on commence gentiment à collectionner les petites misères physiques. Rien de grave. Mais il y a des signes qui ne trompent pas.

Ce n’est un secret pour personne. Je me plains d’avoir une mauvaise mémoire. Eh bien cela ne s’arrange pas du tout. Je te passe les autres détails. Ma maman, quand j’étais petit, m’a appris qu’il ne fallait pas embêter les autres avec ses petits problèmes de santé…

Je ne vais tout de même pas te chanter à la manière de Gaston Ouvrard que « Je ne suis pas bien portant »…

MARIE GOURMET

Gaston Ouvrard ?

MICHEL MONTAGNE

Laisse tomber ! Gaston Ouvrard a dû mourir alors que tu n’étais pas née, à plus de nonante ans. Ce qui ne me rajeunit pas…

Quoi qu’il en soit, j’ai tenu à te rencontrer parce que mes petites misères physiques ne sont pas sans incidence sur ma façon d’écrire maintenant.

MARIE GOURMET

Quel rapport avec notre rencontre ?

MICHEL MONTAGNE

Je vais te demander un service, mais d’abord il faut que je te dise pourquoi j’ai confiance en toi pour me le rendre.

MARIE GOURMET

Tu m’intrigues…

MICHEL MONTAGNE

Il faut que je t’avoue une chose. Au début de notre relation sur la Toile, je me suis dit : cette jeune femme écrit très bien. Elle comprend mes livres. Mais pourquoi devrais-je répondre à ses messages qui n’ajouteront rien de plus à ce qu’elle écrit et pense de moi, et qui me feront perdre un temps précieux.

Seulement, tu as su trouver les mots qu’il fallait pour faire sortir l’ours que je suis de sa caverne.

Je me suis rendu compte que je vivais en fait dans une manière de tour d’ivoire et que j’avais bien besoin d’être gentiment malmené par une jeune personne pour reprendre pied sur terre.

Au fil du temps nous avons tissé une belle amitié, sans ambiguïté. Pourtant il y avait un risque.

Je pourrais être ton père, mais je ne voulais surtout pas jouer ce rôle, n’ayant pas le moins du monde la fibre paternelle. Et je ne voulais pas non plus jouer le rôle d’un « sugar daddy », comme on dit de nos jours, à qui tu aurais fait la charité de baiser avec.

Sans que je ne le dise explicitement, tu as respecté les termes de notre amitié et je t’en sais gré.

MARIE GOURMET

Michel, tu sais, puisque nous en sommes aux confidences, je n’ai pas manqué, moi aussi, de me poser des questions à notre sujet.

Tu es toujours bel homme.

Michel fait non de la tête

Si, si. Tu vis seul. On ne te connaît pas de femme attitrée, bref la place est libre. De plus, tu es sportif. Tu as toute ta tête. Tu es rassurant avec tes belles tempes grises. Tu as l’expérience et la maturité. En somme, tu es à la fois séduisant par le corps et par l’esprit.

Je sais qu’une femme ne doit jamais dire ça à un homme, parce qu’après, il ne se sent plus pisser, pour dire les choses vulgairement. Mais c’est l’exacte vérité.

Tout cela pour te dire que j’ai été tentée d’aller plus loin dans notre relation, en dépit de la différence d’âge qui existe bel et bien entre nous deux et qui te pose plus de problèmes qu’à moi, si tu veux tout savoir.

Mais, tout bien réfléchi, je suis arrivée à la conclusion que d’aller plus loin sur ce terrain mouvant serait une grave erreur, et que nous gâcherions tout ce que nous avons intellectuellement bâti ensemble pendant la dernière année écoulée.

Notre relation d’amitié entre un homme et une femme, qui aurait pu être celle d’un père et  de sa fille, est rare et précieuse. Le sentiment que nous éprouvons l’un pour l’autre est au-delà d’une relation de sang. Elle est également différente de celle de deux amants, parce qu’elle est au-delà de quelque relation charnelle que ce soit et certainement plus solide, peut-être parce que n’est pas fréquent de renoncer au sexe.

Lecture de MontaigneMICHEL MONTAGNE

Les femmes pensent que les hommes ont à cet égard un grand avantage sur elles puisqu’ils peuvent procréer beaucoup plus longtemps qu’elles, mais elles oublient une chose qui n’est pas négligeable, les hommes, même s’ils ne veulent pas le reconnaître, perdent de leur vigueur avec l’âge, encore qu’il y ait quelques exceptions…

Les choses sont donc bien claires entre nous et je te remercie de ta franchise sur un sujet délicat, qui aurait pu changer les choses entre nous.

Cela me rend la tâche plus facile pour te dire que je souffre réellement, de plus en plus de pertes de mémoire…

Marie proteste silencieusement

Si, je t’assure. Une de mes petites misères. La seule qui ait de l’importance en l’occurrence. Et c’est là que tu interviens. Enfin… si tu acceptes.

Comme tout le monde je me suis mis à utiliser un traitement de textes pour écrire mes livres, mais j’ai gardé mes mauvaises habitudes de naguère, du temps où j’écrivais encore tout d’une plume bleutée sur du papier vélin.

Maintenant, après avoir créé mon tapuscrit électronique, j’imprime mes textes. C’est alors que je m’aperçois que j’ai oublié de consigner telle ou telle idée. Alors, j’annote mes textes, je les surcharge à la main, dans tous les sens, jusqu’à occuper tous les espaces de la page, au fur et à mesure que le disque dur de ma mémoire veut bien me restituer les données oubliées.

Le résultat, c’est un véritable salmigondis, dans lequel je finis par ne plus m’y reconnaître tout en sachant que peu à peu toute la matière s’y trouve, oubliant la raison de mes ajouts.

C’est pourquoi j’ai vraiment besoin de toi. Mais peut-être as-tu d’autres occupations ou préoccupations. Seulement, tu es la seule à comprendre dans quel esprit je conduis mon œuvre. Tu me l’as prouvé. J’ai besoin de toi.

MARIE GOURMET

Que veux-tu que je fasse ?

MICHEL MONTAGNE

J’aimerais - enfin, si tu veux bien, tu vois, j’use de précautions -, j’aimerais que tu … remettes en forme ces textes. Bien sûr, je te rémunérerai et ton nom apparaîtra sur la couverture, précédé de la mention : « avec la participation de ».

Timidement

Acceptes-tu ?

MARIE GOURMET

Comment te dire ? Je suis sans voix… Rien ne pourrait me faire plus plaisir que de t’aider, mais je suis moins sûre que toi que j’en suis capable.

MICHEL MONTAGNE

Ecoute, je t’ai apporté mon dernier essai, « Issue de sortie ». Jette un œil et dis-moi.

Se penchant, il tire un épais dossier du dessous de la table et le lui tend

Voilà !

MARIE GOURMET, le prenant

Dis-donc, il est bien lourd.

Ouvrant le dossier, elle s’exclame

Ouh là là ! Cela ne va pas être coton !

Refermant le dossier avec un claquement sec, elle marque un temps d’arrêt, puis lâche 

J’accepte. Mais, à une condition.

MICHEL MONTAGNE

Laquelle ?

MARIE GOURMET

Que tu me fasses entière confiance. Ce qui va être bien difficile pour un macho comme toi !

MICHEL MONTAGNE, se levant, vient l’embrasser et se met à chantonner, fou de joie

« Dans la vie, faut pas s’en faire

Moi je ne m’en fais pas.

Toutes mes petites misères

Sont bien passagère

Tout va s’arranger. »

Francis Richard

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31 octobre 2013 4 31 /10 /octobre /2013 21:10

Nul n'a le droit de mourir iciDepuis la nuit des temps, les hommes cherchent le moyen de retrouver leur jeunesse ou de prolonger leur vie.

 

De nos jours, la chirurgie esthétique permet de rajeunir les visages et la petite pilule bleue permet de ranimer la vigueur sexuelle de messieurs en débandade. Mais ne sont-ce pas là des simulacres de jouvence?

 

Sur ce thème de la recherche d'une jeunesse sinon éternelle, du moins retrouvée ou prolongée, Yan Walther a écrit et mis en scène une pièce, Nul n'a le droit de mourir ici.

 

 

Trois intrigues parallèles se déroulent sur scène et, de temps en temps, se rejoignent à la faveur d'une géométrie qui n'a rien d'euclidienne. 

 

Le docteur Serge Voronoff (Bernard Escalon) est mort en 1951 au Lausanne-Palace, mais son fantôme y rôde encore.

 

Dans les années 1920 il a greffé des tissus de testicules de jeunes animaux sur de vieux animaux et leur a redonné à la fois vigueur sexuelle et physique. Pendant la représentation une feuille est d'ailleurs distribuée aux spectateurs sur laquelle on voit un vieux bélier en 1918 avant une telle greffe et le même, complètement revigoré, cinq ans et demi plus tard après la greffe.

 

Sont insérés dans la pièce des extraits de l'oeuvre de Voronoff intitulé Vivre. Etude sur les moyens de relever l'énergie vitale et de prolonger la vie.

 

Serge Voronoff est surtout célèbre pour avoir greffé sur les testicules de centaines d'hommes fortunés des tissus de testicules de singes. Au cours de la pièce est décrite par le menu une telle transplantation...

 

Serge Voronoff était-il un charlatan ou un visionnaire? Les résultats positifs de ses interventions ont été attribués à l'effet placebo. Ce à quoi il répondait:

 

"L'autosuggestion, l'imagination, l'espoir, la foi ne sauraient pas remplacer une glande endocrine déficiente."

 

Un couple de personnes fortunées s'est fait ravalé la façade dans une clinique de chirurgie esthétique. Ils occupent la suite impériale du palace lausannois où est mort le docteur Voronoff d'une chute dans sa baignoire.

    

Habillés de robes de chambre, ils apparaissent la tête dissimulée sous des bandages au début de la pièce et n'arrêtent pas de se disputer, même après que leurs bandages ont été retirés...

 

Les flèches qu'envoie la femme (Monica Budde) à son mari (François Florey) sont venimeuses. Cependant, si elles manquent leur cible, elles ne manquent pas de provoquer, par leur venin particulier, l'hilarité des spectateurs.

 

Quant au mari, il n'est pas avare de citations d'auteurs qui sont devenues de véritables lieux communs. Il se croit spirituel, mais ses plaisanteries tombent à plat et ne font rire que lui, en tout cas pas sa femme.

 

Tandis que sa femme s'ennuie, il lit Les contes et légendes du Japon et finit par lui raconter à sa façon le conte du bûcheron Yoshida et de sa femme qui ont retrouvé leur jeunesse en buvant l'eau d'une source magique.

 

Un jeune couple (Mélanie Foulon et Laurent Baier) met au lit d'essai toutes les chambres du même palace lausannois, où ils sont employés. C'est le deal. Après, leur histoire sera finie.

 

Lui aimerait bien pourtant, par un renversement des rôles traditionnels de l'homme et de la femme, qu'ils continuent de vivre ensemble et qu'ils fondent un foyer...

 

Comme ils sont jeunes encore et fougueux, après s'être dévêtus à plusieurs reprises - elle se retrouve alors en soutien-gorge et petite culotte noirs en dentelle et lui en slip à rayures -, ils se livrent à des ébats vigoureux et sonores, dissimulés sous un drap ou sous un lit, dont ils secouent toute la structure.

 

Ce qui provoque inévitablement les rires de la salle, tant c'est caricatural...

 

Cette pièce est donc un mélange de sérieux et de drôlerie.

 

Hier soir, le parterre était, pour l'essentiel, composé d'une classe de jeunes filles en fleurs. Elles ont ri de bon coeur aux disputes du vieux couple et aux parties de jambes en l'air du jeune. Elles étaient beaucoup plus silencieuses quand le docteur Voronoff, dessins à l'appui, parlait avec force détails techniques de sa méthode...

 

Cette douche écossaise, voulue par l'auteur et metteur en scène, présent ce soir-là, est magnifiquement administrée par le jeu des comédiens.

 

C'est certainement un trait de notre époque que de vouloir non seulement trouver d'une manière ou d'une autre l'élixir de la jeunesse sexuelle, physique et mentale, mais aussi de ne pas vouloir regarder la mort en face... au point de s'accrocher, parfois ridiculement, à la vie...

 

Francis Richard

 

Nul n'a le droit de mourir ici se joue au Pulloff Théâtres, Rue de l'Industrie 10 à Lausanne (1005), jusqu'au 17 novembre 2013:

 

me/ve 20h30

ma/je/sa 19h00

di 18h00

 

Et sera jouée au Petithéâtre de Sion, Rue du Vieux-Collège à Sion (1950) les 21, 22 et 23 novembre 2013:

 

je 19h00

ve 20h30

sa 19h00

 

Présentation rapide de la pièce sur Youtube:

 

 

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20 octobre 2013 7 20 /10 /octobre /2013 14:00

Fabrice_Luchini_2013.jpgSi j'avais eu quelque talent, j'aurais aimé faire du théâtre... J'avais peut-être la voix, mais il me manquait de toute façon la mémoire, sans laquelle il me semble que le stress ne peut être surmonté.

 

Mon père et mes deux fils sont montés sur les planches. Ils ont eu ce bonheur que je ne connaîtrai jamais que par procuration, en regardant les autres jouer et donner vie aux mots d'auteurs.

 

Il y a trois semaines, de passage à Paris, où mon plaisir insatiable est d'aller au théâtre, mon fils aîné m'a fait écouter l'émission de RuquierFabrice Luchini était invité.

 

Fabrice Luchini est un contemporain. Nous sommes du même millésime: je suis du 19 mars, il est du 1er novembre.Cela crée des liens, qui permettent de nous retrouver, même si nous ne sommes pas sortis du même milieu...

 

Un jour, nos routes se sont croisées. Je sortais du Théâtre de la Gaîté à Paris où Luchini jouait du Céline - l'arrivée de Bardamu à New York, qui aurait dû faire rire l'assistance -, quand j'ai été abordé par un personnage encapuchonné, au nez chaussé de lunettes. C'était Fabrice.

 

Pendant un quart d'heure nous avons échangés sur le trottoir, qui miroitait sous la pluie, au milieu de badauds qui faisaient cercle autour de nous deux. Fabrice se plaignait de l'apathie de la salle et je renchérissais, lui disant que, lâchement, je m'étais retenu de rire devant tant d'inertie. Notre dialogue était étincelant, grâce à lui, et je ne me suis pas reconnu à lui donner la réplique, ce qui ne correspond pas à mon manque ordinaire d'à-propos.

 

Depuis, je voue un culte à ce contemporain hors du commun qui a su, l'espace d'un quart d'heure, me faire sortir de mes gonds pour libérer mon esprit.

 

C'est dire combien j'ai apprécié son passage chez Ruquier et que je ne résiste pas - je l'ai fait tout de même pendant trois semaines -, à le partager ici aujourd'hui, comme je n'ai pas résisté à le réécouter plusieurs fois ces derniers temps.

 

Francis Richard

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15 mai 2013 3 15 /05 /mai /2013 07:15

Game lover BOESCHLa pièce de théâtre Game Lover utilise l'argument des jeux- vidéos pour nous faire réfléchir tout en nous divertissant.

 

La publicité pour cette pièce de Gaspard Boesch n'est donc pas mensongère:

 

"Les jeux-vidéos, on les déteste ou on les adore, mais cette fois on va en rire!"

 

Au lever de rideau, Clara Fox (Laurence Morisot), à la rousse chevelure, tourne le dos à la salle. Bottée, toute de cuir vêtue, pantalon et bustier moulants et sexy, pistolets aux hanches, elle se retourne et exécute des mouvements de kung-fu.

 

En fait Clara, qui fait fantasmer des milliers de joueurs en ligne, est l'héroïne d'un jeu-vidéo auquel se livre Simon (Gaspard Boesch). Dès qu'il a un moment ce dernier joue. A la maison, comme au bureau... Un véritable accro.

 

Ce que Simon voit sur son écran, le spectateur le voit donc sur scène. C'est lui qui fait mouvoir Clara et la faire se débarrasser d'ennemis qui apparaissent sur une grande toile en fond de scène.

 

Simon vient d'accéder au niveau 4 de son jeu-vidéo, quand celui-ci est interrompu. C'est la femme de Simon, Anaïs (Catherine Guggisberg), qui a tiré la prise.

 

Nous sommes le 31 au soir, un dimanche. Simon et Anaïs doivent sortir, mais, rivé à son ordi, Simon n'est pas prêt. Anaïs le secoue,  lui donne l'ordre comme à un petit garçon de ranger ses affaires, et pas n'importe comment, comme elle le lui a demandé maintes fois, et de changer de chemise... 

Habillée pour sortir d'un tailleur gris classique, jupe et veste, et d'un chemisier blanc, Anaïs travaille dans une clinique. Coiffée d'un chignon un peu trop sage, binoclarde, c'est elle qui porte la culotte. De garde trois dimanches sur quatre, c'est justement son dimanche de libre...  

 

Au dernier moment Simon, qui travaille dans une société financière dirigée par son beau-père, prétexte de devoir effectuer un short-selling pour obtenir d'Anaïs de s'éclipser au bureau, situé à deux pas, pendant trente minutes, pas plus. En fait il va en profiter pour jouer à son jeu-vidéo favori et y passer la nuit...

 

Son collègue Samir (Philippe Cohen) arrive au bureau sur ces entrefaites. Il devine tout de suite que Simon est encore en train de jouer. Une certaine Clarisse doit venir évaluer les deux brokers. Il y a de la compression de personnel dans l'air. Or, curieusement, Simon a de bons résultats et Samir pas.

 

Le secret de la réussite de Simon est d'avoir relié son jeu-vidéo au programme de gestion des achats et ventes en bourse que Samir a peine à utiliser. Simon gagne de l'argent tout en jouant... Ce qui est immoral et incompréhensible aux yeux de Samir... Mais Simon fait une fausse manoeuvre et Clara quitte le monde virtuel pour le monde réel...

 

Le premier quiproquo se produit alors. Samir croit dur comme fer que Clara n'est autre que Clarisse, et il ne veut pas se rendre à cette non-évidence qu'il y a méprise, d'autant que Clara, quand le mode autonome est activé, devient incontrôlable et est, de fait, incontrôlée par Simon...

 

Toujours incrédule, Samir, Doudou pour les intimes, rentré chez lui, raconte l'histoire à sa femme, Vanessa (Jade Amstel), Boubou pour les intimes, qui lui dit que tout ça, c'est bien possible. Elle l'a lu dans Cosmopolital (elle a une tendance magnifique à transformer les noms propres et à déformer les lieux communs, ce qui est d'un effet immanquablement des plus comique).

 

Simon, rentré chez lui, subit une scène de la part d'Anaïs qui ne croit pas non plus que Clara soit une femme virtuelle. Il s'ensuit des quiproquos révélateurs sur les relations du couple qu'ils forment.

 

A partir de là le spectateur est entraîné dans un tourbillon de péripéties incroyables, et qui déclenchent le fou rire. Le spectacle, trépidant, dure une heure et demie, qu'il ne voit pas passer.

 

A chaque changement de scène, une barre de chargement apparaît sur la toile du fond. Quand Simon joue, le monde virtuel y apparaît. Quand Clara donne des coups, ils ne sont certes pas portés (heureusement parce que l'actrice qui joue Clara est sportive), mais ponctués par un bruitage au millimètre. Le théâtre peut, avec profit, la preuve, être renforcé par des effets spéciaux...

 

La mise en scène de cette pièce, jouée une première fois en 2004, est de Lorenzo Gabriele. Le décor, les accessoires et musiques de Lambert Bastar. Les effets vidéo de Lionel Rudaz. Le son et lumières de Thierry von Osselt. Les costumes de Trina Lobo et Marion Schmid. Il convient de les citer parce qu'eux tous, au service des acteurs, de l'auteur et des spectateurs, contribuent à faire de ce spectacle une véritable réussite dans le genre.

 

Vous avez envie de rire, ce qui n'est pas du luxe en cette période de crise, allez voir cette pièce qui est à la fois une satire de la société d'aujourd'hui (notamment des relations de couple et des fantasmes masculins et féminins), et un spectacle authentique, où tous les ingrédients (particulièrement l'interprétation époustouflante des comédiens) sont réunis pour passer une excellente et réjouissante soirée.

 

Francis Richard

 

Game Lover, comédie de Gaspard Boesch, se joue au Casino Théâtre de Genève, 42 rue de Carouge, 1205.

 

Les représentations ont lieu jusqu'au 26 mai 2013: les mardi et vendredi à 20h00, les mercredi et jeudi à 19h00, le samedi à 21h00 et le dimanche à 19h00, relâche le lundi.

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10 mars 2013 7 10 /03 /mars /2013 22:00

Sako-POUCHAIN.jpgMartine Pouchain a écrit un livre, Sako, qui a été adapté au théâtre sous le titre de... Sako.

 

Sako est publié chez Oskar Editions, une maison d'éditions spécialisée dans les livres pour la jeunesse.

 

Sako est une pièce de théâtre tous publics, à partir de 10 ans.

 

Et, comme je suis resté un grand enfant - pas grand par la taille, mais par le coeur -, ce spectacle est tout ce qu'il fallait à mon âme en cet après-midi de chien et je ne regrette donc pas d'avoir fait un aller-retour express Lausanne-Neuchâtel pour y assister.

 

Mado (Christiane Margraitner) a 80 ans. Elle habite un coquet pavillon de banlieue avec jardin. Elle a bien un fils, Patrice, et des petits-enfants, mais ils ne viennent troubler sa solitude qu'une fois l'an.

 

De l'autre côté de la haie du jardin de Mado, qu'elle entretient péniblement, il y a un terrain privé, ou plutôt un terrain communal destiné à la construction de logements sociaux. En attendant s'y trouvent des caravanes déglinguées qui servent d'habitations d'infortune à des immigrés africains.

 

Ce voisinage ne laisse pas d'inquiéter Mado, qui se rassure en se disant que, si ces voisins avaient voulu lui faire un mauvais sort, ils l'auraient fait depuis longtemps. Et puis, qu'a-t-elle à perdre à son âge, à part la vie?

 

Sako (Sarah Anthony) est une petite fille de dix ans et demi. Elle et sa maman, Niouma (Christine Brammeier), viennent de Kayes, au Mali. La France est imaginée là-bas comme le paradis terrestre. Toutes deux doivent accomplir une mission pour grand-père, oncles et tantes, leur envoyer de France quelque argent pour vivre mieux au Mali.

 

Mais la France n'est pas tout à fait ce qui s'y disait et elles se heurtent aux incohérences de l'administration française qui exige que les immigrés aient des papiers pour travailler et qui ne les leur accordent que s'ils ont déjà travaillé plusieurs années...

 

Comme un formulaire l'indique, il faut que l'immigré, s'il veut rester en France, n'ait plus de lien avec le pays dont il est originaire. Aussi Niouma fait-elle cette recommandation à Sako:

 

"Mets le Mali au fond de ton coeur, tout au fond, et recouvre-le-bien. Recouvre-le avec des mots français."

 

En clair cela signifie a fortiori qu'elle ne doit surtout plus parler bambara...

 

Niouma et Sako s'installent sur le terrain communal voisin du jardin de Mado.

 

Sako a soif d'apprendre et veut devenir médecin. Niouma veut bien faire les travaux que les Français ne veulent plus faire - manutentionnaire de caisses dans un supermarché, puis "technicienne de surface" -, mais elle se heurte à ceux qui ont des papiers, qui payent la sécu et qui lui reprochent de leur ôter le pain de la bouche ...

 

Mado a de la prévention à l'égard de la petite Sako qui est décidément bien noire et qui a le toupet de la regarder, à travers la haie, se servir de sa binette pour cultiver son jardin et soigner ses framboisiers. Très vite, cependant, elle se rend compte que Sako est une gentille fille, qu'elle est jolie et qu'elle peuple sa solitude.

 

Sako, très nature, s'adresse sans détour à Mado et lui rend des services. En contrepartie Mado lui donne des livres, puis un petit chien qui marche tout seul, un jouet dont ne se soucie plus son fils de 40 ans. Sako et Mado s'entendent si bien qu'elles font naître de la prévention de la part de Niouma qui se demande ce que la vieille dame veut faire de sa fille...

 

L'histoire se termine comme dans un conte pour enfants. Ce qui me convient très bien.

 

A un moment donné Mado voulait jeter un vieux pot de fleurs qui semblaient bien mortes. Sako lui avait suggéré d'égayer le pot en le mettant vis-à-vis d'une feuille ornée de découpages aux couleurs vives, qu'elles avaient faits ensemble. A la fin de la pièce, le pot donne des fleurs et Sako peut dire:

 

"Je savais bien qu'il fallait lui donner sa chance."...

 

Christine Brammeier, qui interprète Niouma, est un grand brin de fille, nettement plus grande que Sarah Anthony, qui interprète Sako. Cette différence de taille rend crédible que l'une soit la mère de l'autre. Christiane Margraitner, vieillie pour la circonstance, est une vieille dame réussie, mais le spectateur a du mal pour son dos de le voir ainsi courbé tout le temps ...

 

Toutes trois jouent très bien cette comédie, qui dure 75 mn, mais il faut reconnaître que Sarah Anthony crève la scène, si je puis employer cette expression consacrée d'ordinaire - et de manière plus appropriée -, à l'écran de cinéma. Elle incarne avec un naturel désarmant cette petite fille, avec ses gestes de gamine, son grand sourire et sa petite voix d'enfant, et surtout sa fraîcheur inébranlable, qui ravit non seulement la vieille Mado, mais le public, de petits et grands.

 

Francis Richard

 

Prochaines représentations au Théâtre du Concert: jeudi 14 et vendredi 15 mars 2013 à 20 heures, samedi 16 et dimanche 17 mars 2013 à 17 heures.

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1 novembre 2012 4 01 /11 /novembre /2012 19:30

Et jamais nous ne serons séparés FOSSE 001Au Pulloff Théâtres de Lausanne, depuis avant-hier soir jusqu'au 18 novembre prochain, se donne la première pièce de l'auteur de théâtre norvégien Jon Fosse, qui fut montée et publiée pour la première fois en 1994 dans son pays.

 

En exergue de la pièce figurent ces vers de Dante:

 

"Je ne mourus pas, et ne restai pas vivant:

juge par toi-même, si tu as fleur d'intelligence,

ce que je devins, sans mort et sans vie."

 

Ils sont tirés du dernier chant de L'Enfer.

 

Ces vers ne sont pas anodins. Ils sont une des clés permettant de tenter de comprendre cette pièce qui, selon le jeune metteur en scène, Damien Gauthier, emprunte autant à Beckett qu'à Edgar Poe.

 

Une jeune femme (Anne-Frédérique Rochat), installée sur son canapé, attend son ami (Jean-François Michelet) dans leur appartement. Elle a préparé le repas et choisi le vin qu'il aime. Elle dresse la table et sort de beaux verres et une belle vaisselle. Elle se fait une joie de sa venue. Ils pourront être ensemble. Il pourra la tenir dans ses bras.

 

Seulement son ami tarde. Elle répète alors des phrases simples sur tous les tons, tantôt se réjouissant qu'il vienne, tantôt s'irritant de son retard, tantôt riant de son impatience, tantôt se satisfaisant d'être seule.

 

Comme le ferait une petite fille qui se rassure elle-même de la sorte, elle chantonne même par moment ces mêmes phrases qu'elle répète sans fin, en en changeant l'ordre, simplement. Au cours de cette autosuggestion elle se dit "grande, et forte, et belle".

 

L'étrange commence quand elle se réjouit que son ami soit arrivé alors que sa place reste vide à côté d'elle sur le canapé. Elle lui parle comme s'il était réellement là. Quand plus tard il est réellement là, assis à côté d'elle, fatigué après une rude journée, elle ne le voit pas, s'impatiente et lui reproche son absence.

 

Voyons-nous toujours ce que nous avons sous les yeux? Ne croyons-nous pas voir ce que nous espérons?

 

Comme ce serait trop simple qu'elle le voit quand il est absent et qu'elle ne le voit pas quand il est là, pendant de courts moments, ils se retrouvent l'un l'autre, ils se répondent ou, curieusement, ne se répondent pas, chacun poursuivant alors son monologue.

 

Elle finit par se demander et par se plaindre, tour à tour, qu'il ait "disparu, comme dans la mort".

 

A-t-il abandonné son amie pour une autre? C'est bien possible. Car, une autre jeune femme (Sarah Anthony), à un autre moment, parle avec lui derrière la porte du séjour, puis y pénètre toujours avec lui, après avoir accroché leurs deux manteaux l'un sur l'autre, comme ils seront bientôt dans les bras l'un de l'autre, en sa présence à elle qui ne les voit pas.

 

L'attente a du bon. La vie n'est-elle pas qu'attente? D'en être arrivée à cette conclusion la rassure. Elle se persuade qu'elle est bien "intelligente et brillante". A la fin elle s'assit à nouveau sur son canapé. La lumière peut s'éteindre à nouveau, sans que le spectateur n'ait pu vraiment démêler le vrai du faux. Mais est-ce important? Faut-il toujours chercher à tout comprendre?

 

L'héroïne est-elle morte? Est-elle vivante? Est-elle ni vivante ni morte? Si elle est vivante, a-t-elle des hallucinations? Quelles sont alors les parts de rêve et de réalité qui la hantent? Si elle est morte, se trouve-t-elle en enfer? Si elle n'est ni l'un ni l'autre, dans quel état se trouve-t-elle?

 

Toutes ces questions sont ouvertes comme les discussions d'après spectacle, autour de bons verres de vin rouge, bien réels, entre spectateurs gagnés par le trouble que suscitent inévitablement les mystères qui entourent notre existence terrestre.

 

Anne-Frédérique Rochat, qui occupe la scène pendant quasiment toute la durée du spectacle, réussit là un véritable tour de force, parce que les mêmes phrases du texte se répètent indéfiniment, dans un désordre apparent, qui brise tous les repères, passant avec naturel par toutes les humeurs qui traversent son personnage. Ses deux comparses ont d'autant plus de mérite de lui donner la réplique avec beaucoup de justesse.

 

Francis Richard

 

Et jamais nous ne serons séparés! de Jon Fosse au Pulloff Théâtres de Lausanne, jusqu'au 18 novembre 2012

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  • : Le blog de Francis Richard
  • : Ce blog se veut catholique, national et libéral. Catholique, il ne s'attaque pas aux autres religions, mais défend la mienne. National, il défend les singularités bienfaisantes de mon pays d'origine, la France, et celles de mon pays d'adoption, la Suisse, et celles des autres pays. Libéral, il souligne qu'il n'est pas possible d'être un homme (ou une femme) digne de ce nom en dehors de l'exercice de libertés.
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  • Francis Richard
  • De formation scientifique (EPFL), économique et financière (Paris IX Dauphine), j'ai travaillé dans l'industrie, le conseil aux entreprises et les ressources humaines, et m'intéresse aux arts et lettres.
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