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4 décembre 2019 3 04 /12 /décembre /2019 19:30
Le viol de Lucrèce, de William Shakespeare, au Théâtre du Nord-Ouest, à Paris

Sacha Guitry posait la question: Quoi de neuf? et répondait Molière. Mais, aujourd'hui, dans le contexte actuel, ne répondrait-il pas: Shakespeare?

 

En effet dans son long poème, Le viol de Lucrèce, inspiré de Tite-Live et d'Ovide, William Shakespeare donne la parole à une femme violée et... à son violeur.

 

Ce poème comprend 265 strophes de 7 vers chacune. Autant dire qu'il était nécessaire de l'adapter pour le théâtre. Ce que Jean-Luc Mingot a fait, en lui étant fidèle.

 

L'auteur du crime, Tarquin (Jean-Luc Mingot), fils de roi, et la victime, Lucrèce (Aïcha Finance), femme de Collatin, l'ami et parent de Tarquin, y monologuent et se parlent.

 

Le désir de Tarquin pour Lucrèce est aiguisé par l'éloge de sa pureté que lui en a fait Collatin. Il sait bien qu'il ne doit pas satisfaire à ce désir, ce qui serait se renier lui-même...

 

La pure Lucrèce ne peut imaginer que, derrière Tarquin - ce démon qui l'aime - à qui Collatin lui a demandé de faire bon accueil se cache un fourbe adorateur.

 

Cet impie de Tarquin, avant de commettre son crime, ose prier les cieux de lui permettre d'obtenir la proie qu'il convoite. Mais il ne se limite pas à cette impiété:

 

Le crime le plus noir est effacé par l'absolution, se dit-il pour se conforter dans sa résolution...

 

(The blackest sin is clear'd with absolution.)

 

Lucrèce, toute tremblante parce que menacée d'une arme par Tarquin venu dans sa chambre, se refuse à lui. Alors Tarquin, qui n'en est pas à une vilenie près, la fait chanter.

 

Si elle ne lui cède pas, il la tuera, il placera dans ses bras morts un vil serviteur, qu'il aura tué prétendant l'avoir vue l'embrasser, et lui fera perdre ainsi et l'honneur et la vie.   

 

Alors Lucrèce tente en vain de l'attendrir avec ses cris, ses soupirs et ses larmes, de lui faire entendre raison en lui disant qu'un prince tel que lui doit donner l'exemple:

 

Car les princes sont le miroir, l'école, le livre,

Où les yeux des sujets regardent, apprennent, lisent.

 

(For princes are the glass, the school, the book,

Where subjects'eyes do learn, do read, do look.)

 

Lucrèce violée, mais maîtresse de son destin, ne voit d'autre remède à son déshonneur que de verser son sang et d'obtenir que Tarquin soit pour son crime banni à jamais:

 

Un vainqueur captif qui a perdu en gagnant.

 

(A captive victor that hath lost in gain.)

 

Le mot de la fin revient à Lucrèce. Elle a l'âme pure, mais le corps souillé. Elle se tue parce que son excuse est la contrainte qu'elle a subie de la part de son prédateur:

 

"Non, non," dit-elle "non, jamais femme à l'avenir,

Ne pourra pour s'excuser, se prévaloir de mon excuse."

 

('No, no,' quoth she, 'no dame, hereafter living,

By my excuse shall claim excuse's giving.')

 

Ce mot de la fin est celui que Jean-Luc Mingot a également placé dans la bouche de Lucrèce au début de son adaptation. Il est l'alpha et l'oméga de cette tragédie...

 

Après quoi, ce 30 novembre 2019, le public, composé majoritairement de femmes, a applaudi les deux acteurs, puis a observé un long moment de silence avant de s'égailler...

 

Francis Richard

 

Adaptation, traduction, mise en scène et lumières: Jean-Luc Mingot

 

Lieu:

Théâtre du Nord-Ouest

13 rue de Faubourg Montmartre

75009 Paris

Métro: Grands Boulevards

 

Prochaines représentations:

Décembre:

6 à 18h30, 12 à 18h30, 19 à 18h30, 20 à 18h30, 27 à 18h30, 28 à 16h30, 29 à 18h30

 

Réservations:

Tél. : 00 33 (0) 1 47 70 32 75

https://www.billetreduc.com

https://www.fnacspectacles.com

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25 octobre 2019 5 25 /10 /octobre /2019 22:45
Pour en finir avec les comédiens, de Jean-Luc Jeener

Dans Pour en finir avec les comédiens, Jean-Luc Jeener dit qu'il aime les comédiens parce qu'il aime les hommes et qu'il n'y a pas plus homme que les comédiens: Ils sont la quintessence de l'humanité. Son amplificateur. Sa cristallisation.

 

Le comédien a choisi l'aventure, le risque, la densité de vie. Il prend la peau d'un autre pour mieux se plonger en soi-même. Il accepte l'éphémère pour mieux toucher à l'éternité. Il est un miroir dans lequel le contemporain se retrouve.

 

Bref le comédien exerce le plus beau métier du monde, bien que difficile, surtout s'il le conçoit comme Jean-Luc Jeener, c'est-à-dire comme une création, comme une incarnation réunissant en lui deux natures, une réelle et une fictive.

 

Jean-Luc Jeener compare cette réunion mystérieuse à ce que les théologiens appellent une hypostase, la réalisation en petit de l'incarnation du Christ, qui est réunion en une seule personne de deux natures, la divine et l'humaine.

 

Jean-Luc Jeener ne peut en finir avec les comédiens que parce qu'il parle d'expérience, ayant derrière lui 50 ans de théâtre et ayant monté plus de 150 spectacles, ayant travaillé avec un bon millier de comédiens de tous horizons.

 

Cela lui permet de dire qu'un comédien est un créateur et doit être l'instrument de sa création, que cela suppose d'être artiste plutôt qu'ouvrier, de jouer d'âme plutôt que de réflexion. Pour être bon comédien, il suffit d'être naturel... En revanche, pour devenir un très bon comédien, il faut avoir su développer son instrument.

 

Le metteur en scène est celui qui aide le comédien à réaliser au mieux du possible l'hypostase. Les répétitions sont faites pour cela. Il lui faut intégrer toutes ces données mystérieuses que sont le génie du texte, le génie du comédien, la nature de l'espace scénique.

 

Un spectacle au théâtre n'est jamais le même, il est unique. Il doit vivre sa vie de spectacle avec tous les incidents inhérents à chaque représentation. C'est, en quelque sorte, son inachevé qui fait sa richesse.

 

Le spectateur? Le théâtre est fait pour lui: Le théâtre est un lieu où circule l'amour. Et la violence de l'amour. Si le lien a été fort entre metteur en scène et comédiens, il doit l'être tout autant entre comédiens et spectateurs.

 

Le comédien a une mission dans la société: Il est l'Homme dans toutes ses catégories, dans tous ses attributs, dans toutes ses différences, dans tous ses âges, dans toutes ses joies et ses folies... A condition qu'il l'incarne pleinement et réellement.

 

Le théâtre incarné que Jean-Luc Jeener conçoit ne peut être aujourd'hui qu'un théâtre pauvre, car il n'a besoin que d'un texte, une scène, des comédiens, des spectateurs et un metteur en scène pour donner chair à tout cela. Mais, malheureusement, même un théâtre pauvre a besoin de quelques moyens pour exister...

 

A la fin de ce très dense manuel de savoir-vivre au théâtre, à l'usage des metteurs en scène, comédiens et spectateurs, Jean-Luc Jeener conclut:

 

Le comédien de théâtre, lui, passe, comme passe le théâtre, comme passe la vie. "Rose, il a vécu ce que vivent les roses, l'espace d'un matin" comme écrirait Malherbe.

C'est sa grandeur.

 

Francis Richard

 

PS

 

Depuis le 15 octobre 2019 jusqu'au 2 février 2020, la première partie de l'Intégrale Shakespeare est donnée au Théâtre du Nord-Ouest (que dirige Jean-Luc Jeener).

Le Théâtre du Nord-Ouest se situe au 13 rue du Faubourg Montmartre, Paris IX, Métro: Grands Boulevards (Tél.: 01 47 70 32 75).

 

Pour en finir avec les comédiens, Jean-Luc Jeener, 160 pages, Atlande (à paraître)

 

Livre précédent:

 

Pour en finir avec les intermittents du spectacle (2012)

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14 octobre 2019 1 14 /10 /octobre /2019 06:30
Stationnement alterné, de Ray Cooney, au Douze Dix-Huit, au Grand-Saconnex

Avant que la pièce ne commence, des images de Paris défilent sur les panneaux du décor.

 

Au centre de la scène, un canapé. De chaque côté, un guéridon avec posé dessus un téléphone. Côté jardin, comme côté cour, une porte, un porte-manteau et une corbeille à papier.

 

Quand la lumière s'allume, les panneaux côté cour sont bleus et côté jardin roses (le spectateur pourra y voir un symbole). De chaque côté de la scène une femme déambule nerveusement.

 

Les deux femmes décrochent ensemble le téléphone, s'asseyent côte à côte sur le canapé, composent en même temps un numéro et, inquiètes, demandent si c'est bien le commissariat et si on n'a pas des nouvelles de leur mari.

 

La rousse, côté jardin, s'appelle Charlotte Martin (Laurence Morisot), la brune, côté cour, Mathilde Martin (Julie Despriet). Et leur mari, Jean, Jean Martin...

 

C'est là que le spectateur comprend qu'elles sont mariées au même homme, puisque leur description de lui est la même, qu'il porte le même prénom et qu'il exerce le même métier, chauffeur de taxi.

 

Charlotte et Jean habitent au 117 rue Michelet à Ivry-sur-Seine. Mathilde et Jean, au 135 rue Parmentier à Montreuil-sous-Bois. Les deux domiciles de Jean ne sont donc pas très éloignés l'un de l'autre.

 

Le titre de l'adaptation française, Stationnement alterné, est donc très bien trouvé (en anglais, c'est Run for your wife) puisque, chauffeur de taxi, Jean stationne en alternance à Ivry-sur-Seine et à Montreuil-sous-bois.

 

En fait, si Jean (Sarkis Ohanessian) est en retard (il devait être à 2 heures du matin à Montreuil et à 7 heures 30 à Ivry), c'est qu'il a eu un accident et a dû être hospitalisé... à l'hôpital de Montreuil.

 

Au matin du 26 mai 1989 il est d'abord reconduit à Montreuil par l'inspecteur Tréguier (Laurent Baier), qui, opiniâtre, essaie d'éclaircir une zone d'ombre: Jean a donné initialement son adresse d'Ivry, puis celle de Montreuil...

 

Les mensonges de Jean commencent... et ne s'arrêteront plus, créant des situations inextricables. D'autant qu'il aura sur le dos deux inspecteurs, non seulement, celui de Montreuil, mais celui d'Ivry, l'inspecteur Pontarlier (Fausto Borghini), qui s'avère toutefois plus crédule que son confrère, et... ses deux femmes.

 

En fait son accident a complètement bouleversé son planning très serré: il le tient dans un agenda où il utilise des codes: MAC, matinée avec Charlotte, AMAM, après-midi avec Mathilde.

 

Jean aura pour complice malgré lui, dans ses mensonges, son voisin du dessus à Montreuil, Gilbert Jardinier (Christian Baumann). Comme ces mensonges seront de plus en plus tirés par les cheveux, ils donneront lieu à des quiproquos de plus en plus inouïs.

 

Les réparties, le jeu, la mise en scène, tout est réuni pour faire de cette pièce une comédie où les rires de la salle vont crescendo et culminent même avec le mot de la fin.

 

Si vous voulez passer une bonne soirée, il faut donc que vous alliez voir cette pièce admirablement bien jouée, menée tambour battant, avec une pause salutaire d'un quart d'heure au milieu.

 

Cela vous changera certainement d'un monde crispé où les invectives pleuvent davantage que les propos amènes...

 

Francis Richard

 

Jeu (dans l'ordre de gauche à droite de l'affiche):

 

Charlotte Martin: Laurence Morisot

Inspecteur Pontarlier: Fausto Borghini

Gilbert Jardinier: Christian Baumann

Jean Martin: Sarkis Ohanessian

Inspecteur Tréguier: Laurent Baier

Mathilde Martin: Julie Despriet

 

Mise en scène: Tony Romaniello

Scénographie: Célia Zanghi

Régie: Yannis Marti

Administration: Florane Gruffel

 

Prochaines représentations:

Mercredi 16 octobre 2019 à 20h

Jeudi 17 octobre 2019 à 20h

Vendredi 18 octobre 2019 à 20h

Samedi 19 octobre 2019 à 20h

Dimanche 20 octobre 2019 à 18h

 

Lieu:

Théâtre Le Douze Dix-Huit

9 chemin du Pommier

1218 Le Grand-Saconnex

 

Réservations:

https://etickets.infomaniak.com/

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11 octobre 2019 5 11 /10 /octobre /2019 08:30
Qui rapportera ces paroles?, de Charlotte Delbo, au Pulloff Théâtres, Lausanne

Dans la pénombre, avant que la pièce ne commence, on discerne des formes claires entrelacées, couchées sur une grande palette, et une forme claire, debout, qui les domine.

 

Quand la lumière s'allume, on voit que la forme debout est une femme en blanc et que les autres formes entremêlées sont également des femmes en blanc, ou beige.

 

Le décor est minimal. Il n'y a que cette grande palette au milieu de la scène, qui fait penser à un radeau sur lequel se serrent des rescapées pour se tenir chaud au corps et au coeur.

 

On pense aussi que cette grande palette est faite pour les transporter, comme de petites choses échevelées et bouches bées, pour on ne sait quelle destination funeste.

 

Ces femmes sont au nombre de huit. Elles sont de toutes les générations. Elles se trouvent dans le quartier des femmes du camp d'Auschwitz, qui en compte au total 15000.

 

Il fait froid. C'est le mois de février. Au bout de dix jours, sur les deux cents Françaises arrivées dans ce camp où la mort est au rendez-vous, elles sont les seules survivantes.

 

On ne connaît que leurs prénoms:

 

Françoise (Christine Vouilloz),

Renée (Joëlle Fretz),

Mounette (Mali Van Valenberg),

Gina (Emmanuelle Reymond),

Denise (Aurore Faivre),

Claire (Lola Erard),

Marie (Nora Vernacchio)

et Yvonne (Anne Vouilloz).

 

Françoise, celle qui était debout, est à bout. Elle veut mettre fin à ses jours. Claire lui dit qu'elle n'a pas le droit: comment feront les petites si elle n'est plus là pour être l'exemple?

 

Les petites? Denise n'a pas vingt ans et a perdu sa mère. Marie n'en a que seize, mais elle a encore la sienne, Renée, qui est là, captive comme elle, et qui la soutient quand il le faut.

 

Celles qui reviendront pourront témoigner de ce qu'elles se sont dit. Car, ce qui les tient, ce sont les paroles qu'elles échangent pour passer le temps qui s'écoule ici lentement.

 

Ces paroles permettent de tenir. Car, pour tenir, il faut se soutenir. Et les paroles sont tout ce qu'il leur reste.

 

L'héroïsme ordinaire dans le camp c'est recevoir des coups mortels à la place d'une autre, comme Claire à la place de Marie.

 

L'héroïsme ordinaire c'est aussi refuser, comme Gina, d'être complice des bourreaux (pour obtenir un sursis de trois mois en se salissant les mains et l'âme) et préférer mourir.

 

Quand il fait froid, qu'il fait faim, qu'il fait soif, il est difficile de tenir, sinon ensemble, par des paroles communicatives, qui permettent de se sentir et de rester vivantes.

 

Celles qui tiendront jusqu'au bout ne seront pas celles que l'on croyait dans cet univers de fin des temps. Elles auront choisi d'employer le futur plutôt que le conditionnel...

 

Il n'est pas besoin de préciser que l'auteur des paroles rapportées dans cette pièce, Charlotte Delbo, est une rescapée d'Auschwitz et que dans cette oeuvre elle fait dire à une de ses femmes l'indicible.

 

Après qu'elle a survécu à un tel enfer, comment peut-elle en effet être crédible pour les autres, qui n'ont pas la moindre idée de ce que c'était. Ses paroles pourtant le prouvent...

 

Car ses paroles sont empreintes d'une telle authenticité qu'on ne croit pas, mais on sait qu'elles sont vraies et ce n'est pas parce que leur transmission théâtrale sonne juste.

 

Tout - la mise en scène, les huit femmes, la sobriété du décor, etc. - tout sonne juste et contribue à remuer jusqu'au fond de l'âme ceux qui voient ces femmes et les entendent.

 

Francis Richard

 

Mise en scène : Anne Vouilloz et Roland Vouilloz
Dramaturgie : Giuseppe Merrone
Assistanat : Ange Fragnière
Lumières : Jean-Pierre Potvliege
Costumes : Nicole Mottet et Camille Roduit, assistante
Coiffures & maquillages : Johannita Mutter
Technique et régie : Patrick Guex
Photographie : Anne Voeffray
Graphisme : Marc-Antoine de Muralt

Voix d’homme : Roland Vouilloz

 

Prochaines représentations:

Vendredi 11 octobre 2019 à 20h

Samedi 12 octobre 2019 à 19h

Dimanche 13 octobre 2019 à 18h

 

Lieu:

Pulloff Théâtres

Rue de l'Industrie 10 - 1005 Lausanne

 

Réservations:

Tél.: 021 311 44 22

http://www.pulloff.ch/reservations/

Photos tirées du journal Facebook de la Compagnie Anne Vouilloz
Photos tirées du journal Facebook de la Compagnie Anne Vouilloz

Photos tirées du journal Facebook de la Compagnie Anne Vouilloz

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4 septembre 2019 3 04 /09 /septembre /2019 22:45
Au revoir, suivi de, Le Nègre gelé du Diemtigtal, d'Antoine Jaccoud

Au revoir et Le Nègre gelé du Diemtigtal sont deux monologues inspirés par l'air du temps.

 

Dans Au revoir, le monologueur est père de deux fils, qui partent pour Mars, un aller sans retour assuré, afin d'y établir une colonie.

 

C'est un projet que poursuivait Mars One de Bas Lansdorp et que poursuit toujours SpaceX d'Elon Musk, sauf que ce dernier, lui, prévoit, en principe, un retour.

 

Dans ce monologue, Antoine Jaccoud parle d'une durée de croisière de six mois, si, toutefois, toutes les conditions sont remplies...

 

Bien que chagrin, le père comprend ses fils et se demande s'il les reverra un jour. En tout cas, ils ont eu raison de partir, car, pour lui, il ne fait plus bon vivre sur Terre:

 

Nous avions comme un jardin ici-bas.

Nous l'avons laissé se dégrader.

Nous avions des informations sur les catastrophes à venir, nous nous sommes contentés de les regarder venir.

 

Il n'est pourtant pas sûr que Mars soit paradisiaque, puisque la planète rouge est vraisemblablement inodore et sans bruit. Il souhaite surtout qu'ils ne fassent pas là-haut ce qui a été fait ici-bas...

 

Dans Le Nègre gelé du Diemtigtal, l'auteur part d'un fait d'hiver. En février 2009, un Africain, trentenaire, a été retrouvé gelé devant un chalet d'alpage de l'Oberland bernois.

 

A partir de là, Antoine Jaccoud imagine que cet homme, du fait de sa différence, a été sinon nettement rejeté par les habitants du lieu, du moins a éprouvé leur indifférence.

 

Tantôt le monologueur donne la parole au Nègre nomade et le fait s'exprimer à la première personne, tantôt il le raconte à la troisième et tente de se rassurer en se disant qu'il ne devait pas être malheureux, qu'il devait même se sentir bien, tantôt il le tutoie - et c'est dérisoire parce que cliché:

 

Quand on t'a trouvé en février,

Quand le gendarme t'a trouvé,

tu portais six paires de pantalons les uns sur les autres

pour te protéger du froid.

Non pas deux, ou même quatre, mais six paires.

C'est ça la débrouille.

C'est ça la débrouillardise des nomades.

C'est ça la débrouillardise du Nègre.

 

Ils sont donc bien dans le triste air du temps ces deux monologues, l'un reflétant le catastrophisme irrationnel ambiant et l'autre le manque d'humanité qui résulte de la disparition d'échanges où l'on se comprend et de solidarités naturelles où l'on se soucie de ses semblables.

 

Francis Richard

 

N.B.

Au revoir a été créé le 21 novembre 2017 au festival La Fureur de Lire, à Genève, où Mathieu Amalric lui prêtait sa voix. Ce dernier l'a également lu le 19 juillet 2019 au Festival d'Avignon (voir l'enregistrement diffusé sur France Culture le 1er septembre 2019).

 

Au revoir suivi de Le Nègre gelé du Diemtigtal, d'Antoine Jaccoud, 64 pages, BSN Press (sortie le 5 septembre 2019)

 

Livres précédents aux Éditions D'autre Part:

Country (2016)

Adieu aux bêtes (2017)

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12 juin 2019 3 12 /06 /juin /2019 18:00
Une ombre au tableau - suivi de - Écoute, de Carole Dubuis

Lire une pièce de théâtre? Oui, mais à condition qu'il y ait un vrai texte à se mettre sous les yeux et... des didascalies pour guider un tant soit peu son imagination.

 

Les deux pièces de Carole Dubuis se prêtent à cette lecture qui permet au lecteur de se faire son théâtre à lui, à partir de choses qui lui sont familières, dites autour de lui.

 

Car ces deux pièces ne sont pas seulement des spectacles, elles donnent matière à réflexion existentielle, sauf peut-être à celles ou ceux qui sont pétris de certitudes.

 

Dans Une ombre au tableau, les personnages se posent ainsi la question du hasard ou de la nécessité. Dans le tableau de la pièce il y a bien une ombre. Laquelle?

 

Le tableau de l'histoire, peint par Brunetti, comprend en effet trois personnages et quatre ombres. Ces trois-là ressemblent à trois des personnages de la pièce.

 

Après des années ils se retrouvent de manière tout à fait improbable devant ce tableau qui se trouvait dans l'église Santa Maria Novella et qu'ils avaient entrepris de restaurer.

 

L'expression une ombre au tableau a une connotation négative, là il ne s'agit pas d'un défaut, mais d'une énigme: est-ce l'ombre d'une statue ou celle de Dieu?

 

Dans Écoute, les personnages parlent beaucoup mais ne s'écoutent guère ou plutôt s'écoutent eux-mêmes. Ils ont du mal à trouver une oreille attentive à leurs soucis.

 

L'un d'entre eux, Arthur, a quelque chose d'important à dire à ses amis: à Henri, son colocataire, à Claire, son ex, à Paul, son collègue, et à Laure, soeur de Claire et psychiatre.

 

Mais il a beau demandé qu'ils l'écoutent, il ne pourra le leur dire qu'à la fin de la pièce, après que les personnages se sont dit des paroles peu amènes les uns aux autres.

 

Si de telles pièces sont faites bien sûr pour être jouées, il ne faut pas bouder le plaisir de pouvoir, par leur lecture, faire des retours en arrière pour en savourer les bons mots...

 

Car, comme le dit Raphaël Aubert dans sa préface, Carole Dubuis appartient à cette génération de dramaturges qui entend redonner pleinement sa place au texte en le replaçant au centre.

 

Francis Richard

 

Une ombre au tableau - suivi de - Écoute, Carole Dubuis, 224 pages, Les Éditions Romann

 

Le 26 juin 2019, une mise en lecture de ces deux pièces aura lieu, de 19h à 21h, au Théâtre du Lapin Vert, Ruelle du Lapin Vert 2, 1005, Lausanne.

 

(Compte-rendu de la représentation d'Une ombre au tableau du 2 octobre 2015: ici)

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11 mai 2019 6 11 /05 /mai /2019 15:00
Venise sous la neige, de Gilles Dyrek, au Théâtre Montreux Riviera

Nathalie (Carole Epiney) et Jean-Luc (Vincent Babel) forment un couple harmonieux, et bêtifiant. Ils vont bientôt se marier, le 22, en grandes pompes. Ils s'appellent l'un l'autre Chouchou.

 

Jean-Luc rencontre Christophe (Nicolas Mueller), un copain de fac, qu'il n'a pas revu depuis 10 ans et qui forme avec Patricia (Céline Goormaghtigh) un couple en crise, en pleine crise.

 

Jean-Luc invite Christophe et Patricia à dîner pour ses retrouvailles avec Christophe. Seulement Patricia ne desserre pas les dents, si bien que les chouchoux pensent qu'elle est étrangère.

 

Chaque fois que, seule avec Christophe, Patricia veut s'en aller, Jean-Luc ou Nathalie survient et les surprend alors qu'ils sont l'un près de l'autre comme s'ils s'embrassaient, et, bon public, s'extasie.

 

Patricia ne parvient pas à s'en aller. Elle met à exécution sa décision, si elle reste, de faire vivre un enfer à Christophe, d'autant qu'elle croit au début que leurs hôtes la prennent pour une tarée.

 

Quand la mutique Patricia comprend que ces derniers la prennent pour une étrangère, alors elle a une idée cynique de génie pour accomplir son dessein: elle débite des mots dans une langue inconnue.

 

Inconnue? Et pour cause, c'est une langue qu'elle invente, de même qu'elle invente le pays d'où elle vient: la Chouvénie, pied de nez aux chouchouteries que se font Jean-Luc et Nathalie.

 

A partir de là les quiproquos s'enchaînent pour le plus grand bonheur des spectateurs, car ils ont un effet comique imparable, surtout quand l'auteur les pousse à l'extrême sur un mode caritatif...

 

Comme les comédiens jouent parfaitement leurs rôles jusqu'au bout, de crédules ou de manipulateurs, cette satire des relations de couple est une parfaite réussite, rires garantis, jusqu'à la choute finale...

 

Francis Richard

 

Texte: Gilles Dyrek

Mise en scène: Michel Toman

Scénographie et costumes: Jean-Luc Taillefert

Coiffure et maquillage: Sonia Geneux

Créations Lumière: Thierry Bürgle

Vidéo mapping: Yannick Appenzeller

Direction technique TMR: Patrick Staub

Décors, régie, lumière/son TMR: Yannick Appenzeller, Thierry Bürgle

Venise sous la neige, de Gilles Dyrek, au Théâtre Montreux Riviera

Prochaines représentations jusqu'au 26 mai 2019:

Vendredi, samedi: 20 h

Dimanche: 17 h

Lundi: relâche

Mardi, mercredi, jeudi : 19h

 

Lieu:

Théâtre Montreux Riviera

Rue du Pont 36

Montreux, Suisse

 

Réservations:

+41 21 961 11 31 (de 13h à 18h)

https://cmtrx-tmr.shop.secutix.com/list/events

 

Le texte est disponible à L'avant-scène théâtre :

Venise sous la neige, de Gilles Dyrek, au Théâtre Montreux Riviera
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4 novembre 2018 7 04 /11 /novembre /2018 22:45
Mimosa et le pêcheur de chagrins, de Florence Balvay, au Café-Théâtre de la Voirie, à Pully

Créée le 15 septembre 2018 au Théâtre Rennweg 26, à Bienne (BE), cette pièce a été représentée le 6 octobre 2018 à L'Espace culturel du Soleil, à Saignelégier(JU), hier et aujourd'hui au Café-Théâtre de la Voirie, à Pully (VD), avant qu'elle ne le soit dans des établissements scolaires du Jura et du Jura bernois ce mois-ci.

 

Florence Balvay imagine qu'il existe un métier inédit, celui de pêcheur de chagrins. Il consiste à pêcher toutes sortes de choses, mais surtout à pêcher des chagrins de toutes sortes:

 

- les petits et les moyens:

ceux qui aident à construire,

ceux qui aident à grandir,

ceux qu'il faut,

après un doux mot d'amour,

rejeter à la mer.

 

- les gros chagrins:

ceux qui détruisent,

[...]

le genre de chagrins

qu'il faut bien retenir dans son filet.

 

Ce métier exige une seule chose:

il faut du coeur

comme celui, d'un rouge ardent, qui orne la joue droite de la comédienne.

 

C'est en effet le coeur qui permet de se rendre compte du bien ou du mal que l'on fait aux autres:

 

Tout le monde en a

du coeur,

là,

il suffit

juste

de s'arrêter

et d'écouter.

 

Autrement dit il suffit d'être attentif à ce que l'on fait et attentif aux autres.

 

Pour illustrer ses propos, Le pêcheur de chagrins, qu'interprète Florence Balvay, raconte l'histoire des chagrins de Mimosa (personne ne sait pourquoi tout le monde l'appelle ainsi, alors qu'elle se prénomme Magalie...).

 

Les chagrins de Mimosa - l'histoire le montre - sont dus d'une part à la mauvaise interprétation par ses parents des avanies qu'elle subit et qu'ils attribuent à son manque d'attention:

Quand vas-tu faire un peu attention?

Soit un peu plus attentive.

 

Ils sont dus d'autre part aux méfaits de ses camarades d'école qui ne se rendent pas tous compte du mal qu'ils lui font si l'un d'entre eux, au contraire, le fait avec le sourire:

Ce qui le fait sourire

c'est le malheur des autres,

c'est de faire mal.

 

Et l'on peut faire mal avec des mots qui entraînent des soupirs:

Les soupirs sont des maux,

l'écume des vagues

des larmes.

 

Cette pièce destinée aux petits et grands - l'âge conseillé pour la voir est de 8 ans - est au fond un conte, assorti d'une morale universelle : il faut s'expliquer pour dissiper les malentendus, surtout s'ils sont nombreux.

 

Peut-être d'ailleurs les maux, que l'auteure dénonce, seraient-ils moindres si le mal et le bien n'étaient pas relativisés comme ils le sont aujourd'hui...

 

Quoi qu'il en soit, Florence Balvay fait magnifiquement passer son message sur scène, où elle monologue avec une conviction communicative, comme elle l'a fait ce soir pendant plus d'une heure, sans répit, certainement parce que le sujet lui tient ... à coeur.

 

Francis Richard

 

Auteure et interprète: Florence Balvay
Mise en scène: Mirko Bacchini
Régie:Tom Häderli
Scénographie: Nicolas Houdin (les Bâtisseurs d’instants), Xavier Lacoste
Habillage sonore: Oliver Brand

Production: Compagnie Un plus Un

Le texte de la pièce, sorti en librairie le 6 septembre 2018, est édité par BSN Press :

Mimosa et le pêcheur de chagrins, de Florence Balvay, au Café-Théâtre de la Voirie, à Pully
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29 septembre 2018 6 29 /09 /septembre /2018 16:30
Histoire du soldat, d'après C.F. Ramuz et I. Stravinsky, à l'Opéra de Lausanne

Hier avait lieu, cent ans, jour pour jour, après la création, dans le même lieu, le Théâtre municipal devenu Opéra de Lausanne, la première représentation de l'Histoire du soldat, dans une version revue et corrigée par le metteur en scène Alex Ollé.

 

Il vaut mieux lire le texte d'Histoire du soldat (dans son édition de 1946, tel que publié aujourd'hui par Plaisir de lire) après avoir vu cette représentation de la pièce musicale du duo Ramuz-Stravinsky. Cela évitera au lecteur d'être grandement déçu...

 

Car le metteur en scène prend des libertés avec le texte, ce qu'il appelle pompeusement réaliser un travail dramaturgique, avec des ajouts plus ou moins contemporains. Son but a été avec ses comparses Valentina Carrasco, Ramon Simo et Julia Canosa:

 

- de le doter d'une plus grande envergure scénique

- de raconter au public une histoire qui, pour être réelle, revêt de la valeur à l'époque actuelle.

 

Fort bien, mais le résultat est de faire d'une oeuvre intemporelle, une oeuvre datée et complaisante, excessive, ce qui lui enlève toute réelle signification en profondeur... avec, de plus, quelques scènes de mauvais goût, voire grand-guignolesques...

 

Les décors étaient les bords d'un ruisseau, la campagne avec un clocher de village à distance et une chambre princière. Ils sont devenus, par exemple, une chambre d'hôpital et de violentes images de la guerre d'Irak projetées sur un mur à catelles.

 

L'argument du livret, inspiré de deux contes d'Alexandre Afanassiev, est au fond très faustien: le soldat, qui a déserté, échange avec le diable son violon sans valeur contre un livre qui dit les choses avant le temps et lui apportera fortune et bonne fortune.

 

En fait le soldat va de déconvenues en déconvenues. D'être riche ne l'empêche pas d'être mort parmi les vivants, ne lui apporte pas le bonheur. Si bien qu'il se rend compte qu'il a été dupé par le diable et qu'il se demande comment faire pour ne rien avoir...

 

Les musiciens sont en surplomb de la scène, et c'est très bien. Car, comme commente Philippe Girard dans l'actuelle édition de Plaisir de lire, Stravinsky, en composant sa musique originale et cohérente, organise les sons comme le poète organise les mots...

 

Alex Ollé explique d'ailleurs: Alors que le soldat gît dans un lit d'hôpital dans la partie inférieure de la scène, donnant du poids au côté terrestre du personnage, la musique souligne ses états émotionnels et surgit d'un monde pour ainsi dire spirituel...

 

Dans la pièce musicale originelle il y avait trois personnages parlant: le lecteur, le soldat et le diable; et un muet: la princesse. Hier il y avait trois personnages parlant en un, interprété par Sébastien Dutrieux, qui monologue donc pendant une heure et demie.

 

Le chroniqueur musical de 24 Heures, Matthieu Chenal donne une clé de cette fusion (ou confusion): Le propos d'Alex Ollé de la compagnie catalane La Fura dels Baus parle d'un monde aujourd'hui globalisé, où le soldat et le diable ne font qu'un.

 

Six autres personnages figurent sur scène, tous muets. Ils contribuent à faire de ce conte un grand spectacle, conforme aux ambitions du metteur en scène qui, au-delà des intentions des auteurs, invite à réfléchir sur le drame de l'homme écrasé par le système...

 

Francis Richard

 

Accès:

Opéra de Lausanne

12, avenue du Théâtre

1005 Lausanne

 

Représentations:

Ve 28 septembre 2018: 20h

Sa 29 septembre 2018: 15h

Sa 29 septembre 2018: 18h

Di 30 septembre 2018: 11h

Di 30 septembre 2018: 15h

 

Réservations: http://www.opera-lausanne.ch

 

Jeu: Sébastien Dutrieux

Septuor instrumental: François Sochard, Marc-Antoine Bonanomi, Davide Bandieri, Axel Benoit, Nicolas Bernard, Alexandre Faure, Arnaud Stachnick

Mise en scène:Àlex Ollé (La Fura dels Baus)

Collaboration mise en scène: Ramon Simó et Valentina Carrasco

Décors et costumes: Lluc Castells

Vidéo: Emmanuel Carlier

Lumières:  Elena Gui et Urs Schönebaum

Son: Josep Sanou

Dramaturges: Àlex Ollé, Valentina Carrasco, Ramon Simó, Júlia Canosa

Assistante mise en scène: Sandra Pocceschi

Assistante décors: Mercè Lucchetti

Assistantes costumes: Mercè Lucchetti et Maria Armengol

 

Livret (édition de 1946) et commentaires sont publiés chez Plaisir de lire:

Histoire du soldat, d'après C.F. Ramuz et I. Stravinsky, à l'Opéra de Lausanne
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6 septembre 2018 4 06 /09 /septembre /2018 21:50
Les Hommes, de Joseph Incardona, au Pulloff Théâtres, à Lausanne

Les Hommes raconte l'histoire d'une âme en transit, celle de Poupée, accidentée de la route...

 

Poupée (Anne Vouilloz), pendant ce transit, est confrontée à elle-même (elle a près de la soixantaine...) et aux hommes qui ont marqué sa vie.

 

Après son accident, où elle a plié sa Ford Mustang, blessée, elle aboutit à une station-service, qui est en piteux et poussiéreux état et où il est encore possible de s'accouder à ce qui reste d'un bar et de faire jouer des airs à un juke-box antédiluvien.

 

Le téléphone sonne: c'est le conducteur (Jean-Paul Favre) qui a provoqué son accident. Il se soucie, au début de leur conversation, moins de ce qui lui est arrivé que de l'état de sa voiture...

 

Dans ce local délabré, où traînent des jantes, des disques de frein, des pneus, des sièges, une banquette, tout un chenil, Poupée revoit Max (Frédéric Polier), son premier amour.

 

Max l'aimait à en mourir quand ils étaient ados, mais il fallait qu'elle voie, qu'elle explore:

 

La jeunesse, c'est fait pour ça, non? Pour se tromper...

 

Sur l'écran d'une vieille télé, qui jonche le sol de la station-service, apparaît Ken (Edmond Vuilloud), son mari, son connard d'amour, dont elle a voulu se libérer en partant au volant de la Mustang dont il lui a fait cadeau...

 

Un garçon (Martin Bochatay) se profile derrière les carreaux, dont nombre sont cassés. C'est son père jeune: lors d'un tel transit, il n'est plus de chronologie qui tienne. Ce père d'avant sa naissance dit à Max:

 

Tous les pères devraient l'être [reconnaissants] envers les hommes qui aiment leur propre fille.

 

Un film Super-8 muet défile sur le mur. Cette fois, c'est son père adulte (Roland Vouilloz) qui joue avec elle, petite fille (Adèle Bochatay).

 

L'homme le plus terrible enfin, c'est l'agresseur (Antonio Buil), qui sait mettre en opposition le corps et la raison de Poupée.

 

Chez tous Les hommes de Poupée, il y a, quoi qu'il en soit, quelque chose d'ambigu qui ressemble à l'amour et qui n'est en tout cas pas l'amour d'une midinette:

 

Il faut se soumettre. Non pas à l'ordre, mais au sens. Il faut se soumettre. Non pas à la peur de perdre, mais au risque de tout perdre.

 

La quête de Poupée n'est pas finie que survient l'ange noir (Lucien Merrone)...

 

Fin, ou presque, du transit... et de la performance d'Anne Vouilloz à laquelle ses comparses, criants de vérité, servent de bel écrin.

 

Francis Richard

 

Accès:

Pulloff Théâtres

Rue de l'Industrie 10
CH-1005 Lausanne

 

Réservations:

Tél. : 021 311 44 22
www.pulloff.ch
 

Mise en scène: Anne Vouilloz et Joseph Incardona

Jeu:

Sur scène: Anne Vouilloz, Frédéric Polier, Antonio Buil, Martin Bochatay et Lucien Merrone

A l'écran: Edmond Vullioud, Roland Vouilloz et Adèle Bochatay

Au téléphone: Jean-Paul Favre

Séquences filmées:  Cyril Bron

Scénographie: Célia Zanghi

Lumières: Jean-Pierre Potvliege

Costumes: Sophie Haralambis

Coiffures et maquillages: Johannita Mutter

Régie: Patrick Guex

Assistant à la mise en scène: Giuseppe Merrone

Photographie: Anne Voeffray

Graphisme: Marc-Antoine de Muralt

 

Prochaines représentations:

 

Du 7 au 23 septembre 2018

Mardi, jeudi, samedi: 19h

Mercrdi, vendredi: 20h

Dimanche:18h

 

Le texte de la pièce est sorti le 4 septembre 2018, le jour même de la première de cette création, et est publié par BSN Press:

Les Hommes, de Joseph Incardona, au Pulloff Théâtres, à Lausanne
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30 avril 2018 1 30 /04 /avril /2018 21:45
Anticyclone, de Carole Dubuis et Stéphanie Klebetsanis, au Pulloff Théâtres, à Lausanne

Anticyclone a été jouée du 17 au 29 avril 2018, avec un seul jour de relâche, le lundi 23 avril 2018, au Pulloff Théâtres, à Lausanne. Autrement dit, il y a eu douze représentations devant une salle quasiment pleine tous les soirs. Hier soir, en tout cas, c'était complet.

 

Pour le moment, aucune autre représentation n'est programmée. Et c'est bien dommage. Aussi n'ai-je pas de regret du tout d'avoir au moins assisté à la dernière, faute d'avoir pu me rendre libre les soirs précédents.

 

Le soir de la première, le 17 avril 2018, la représentation était suivie du vernissage du livre, édité par BSN Press. Ce soir-là, à n'en pas douter, a dû être mémorable. Et je gage que de nombreux spectateurs ont eu à coeur de faire l'acquisition du texte.

 

Celles et ceux qui n'ont pas vu la pièce représentée pourront donc la lire, en attendant qu'elle soit rejouée ici ou là. Mais il leur manquera le jeu des comédiennes et comédiens admirablement mis en scène par Caroline Guignard-Moret.

 

L'histoire se passe dans un petit village suisse, idéalement en Valais. Il fait beau, et bon chaud, sans doute sous l'influence de l'anticyclone des Açores, cette zone subtropicale de haute pression et de bonne température, connue sous ce nom en Europe.

 

Marcel, le boucher et président du village, est mort juste avant le 1er août, la fête nationale helvétique. Comme le dit à un moment son fils aîné Patrick (Yves Jenny) : Mourir juste avant la fête nationale, avoue que c'est quand même con pour un patriote...

 

La pièce commence la veille du 1er août et de l'enterrement de Marcel. Irène (Claudine Berthet), la veuve de Marcel, et leur employé Amir (Jean-Paul Favre) sont occupés aux préparatifs des festivités dans le vaste frigo de la boucherie.

 

Toute la pièce se déroule dans ce frigo. Le cercueil de Marcel y a été entreposé en raison de la chaleur estivale et d'une dispute avec le père Aymon au sujet d'Amir de confession musulmane... Lequel a embaumé le corps à la place d'Aymon.

 

Au début, tous les proches sont là à défiler dans le frigo, à l'exception de Gilles (René-Claude Emery), le fils cadet de Marcel et d'Irène, parti on ne sait où. Il arrivera cependant pile-poil pour enterrer [son] père, à qui il avait tellement de choses à dire...

 

Ainsi y a-t-il Christian (Jean-Marc Hérouin), un ami d'enfance des deux fils, et même la petite, Marion (Michèle Grand), leur cousine venue spécialement de Miami. En dépit de leur différence d'âge, Christian et Marion en pincent l'un pour l'autre, mais c'est... compliqué.

 

Lors d'un décès se pose toujours le problème de la succession, et des disputes qui vont avec. La famille du boucher n'y échappe pas, d'autant que les dernières volontés du défunt vont faire monter la température dans le frigo et servir de catalyseur...

 

Peut-être aurait-il fallu écouter Irène qui, avec sagesse, avait dit: Papa n'est plus là. Ce qui compte, c'est nos vies maintenant...

 

Francis Richard

 

Régie: Patrick Guex

Création lumières et scénographie: Eric Moret

Costumes: Diane Grosset

Anticyclone, de Carole Dubuis et Stéphanie Klebetsanis, au Pulloff Théâtres, à Lausanne
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7 mars 2018 3 07 /03 /mars /2018 23:30
Les névroses sexuelles de nos parents, de Lukas Bärfuss, à l'Oriental, à Vevey

Dans sa version française (due à Bruno Bayen), la pièce de Lukas Bärfuss, Les névroses sexuelles de nos parents, a été créée au Théâtre de Vidy le 18 janvier 2005 par son traducteur. Elle est reprise ces jours par la Compagnie Tête en l'Air à l'Oriental-Vevey. Ce soir avait lieu la première devant un public conquis.

 

Le décor est simple: quelques chaises autour de la scène, quatre panneaux blancs pivotants. Ce qui permet au spectateur d'imaginer les six lieux où se déroule l'histoire: un stand de primeurs, un appartement bourgeois, un cabinet de médecin, une chambre d'hôtel, un hall de gare, un terrain de camping.

 

Sur scène, trois femmes, trois hommes. Enfin, c'est vite dit, parce que l'une des femmes n'est encore qu'une toute jeune fille. Et c'est cette jeune fille, Dora (Carole Epiney), livrée à elle-même, qui va être le révélateur de ce que sont réellement et égoïstement les grandes personnes de son entourage proche.

 

Dora travaille sur le stand de primeurs de son chef (Arthur Arbez), dont la petite entreprise connaît la crise, dans l'ombre de sa mère, la femme (Anne Salamin). Dora croit tout ce que dit son père (Jacques Maitre) et dit OK à sa mère (Rebecca Bonvin), même quand elle lui dit d'arrêter les médocs prescrits pour la calmer.

 

Grâce à l'arrêt de ces pilules, la mère de Dora croit retrouver sa fille: de mutique elle se met en effet à faire des phrases, d'apathique elle aurait plutôt maintenant un trop-plein de vie. Elle ne peut soupçonner qu'elle va en quelque sorte lui ôter tous ses freins, d'autant que candidement Dora ne voit pas le mal là où les autres le voient:

 

Il n'y a pas de mal à ça, répète-t-elle sur tous les tons...

 

C'est pourquoi elle se laisse séduire par l'homme délicat (Anthony Gerber), qui n'est pas si délicat que ça avec elle... du moins au début de leur relation. C'est pourquoi aussi, par exemple, sont très nature et très directes ses réponses aux questions que lui pose le médecin qui lui parle en voix off et en écho (Jean-Luc Wey).

 

Sans porter de jugement, Lukas Bärfuss, via Dora, cette petite personne, cette femme-enfant (qui en a encore quelques comportements), souligne les interdits de la société, révèle les non-dits des parents, pose les problèmes que sont l'avortement et l'eugénisme: il remue en somme tous ceux qui se donnent un peu trop bonne conscience.

 

Dans cet exercice, non dépourvu d'humour, le jeu des comédiens est primordial et le pari est tenu dans cette mise en scène de Jacques Maitre: tous, autour de Dora, y contribuent, et Dora elle-même, qui n'a pas tant que ça de fêlure aux étages supérieurs est confondante de naturel et de franc-parler. Et cela n'est pas sans portée...

 

Francis Richard


Accès:

Oriental-Vevey

Rue d’Italie 22
CH-1800 Vevey

 

Réservations:

Tél. : 021 925 35 90
www.orientalvevey.ch
e-mail : info@orientalvevey.ch

 

Mise en scène: Jacques Maitre

Jeu: Arthur Arbez, Rebecca Bonvin, Carole Epiney, Anthony Gerber, Jacques Maitre, Anne Salamin

Collaboration artistique: Carole Epiney

Création lumière: Aurélien Cibrario

Scénographie: Stéphanie Lathion

Ambiance sonore: Julien Wey

Voix off: Jean-Luc Wey

Administration: Steve Riccard

 

Prochaines représentations:

 

Du 8 au 11 mars 2018 à l'Oriental de Vevey

Jeudi et vendredi: 20h

Samedi:19h

Dimanche:17h30

 

Du 22 au 25 mars 2018 au Petithéâtre de Sion

Jeudi à 19h

Vendredi à 20h30

Samedi à 19h

Dimanche à 17h

 

Du 3 au 9 mai 2018 au Pulloff Théâtres à Lausanne

Mardi à 19h

Mercredi à 20h

Jeudi à 19h

Vendredi à 20h

Samedi à 19h

Dimanche à 18h

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26 janvier 2018 5 26 /01 /janvier /2018 23:55
Onéguine, de Pouchkine et Tchaïkovski, au Théâtre de la Madeleine, à Genève

Mathilde Reichler a mis en scène ce spectacle, composé par elle de Fragments pour Onéguine, c'est-à-dire de fragments du roman en vers d'Alexandre Pouchkine et de l'opéra de Piotr Tchaïkovski issu de ce roman singulier.

 

Ce spectacle en trois actes, comprenant six tableaux chacun, dure deux heures et demie, comme l'opéra, mais il est plus fidèle à l'oeuvre. Car, dans Eugène Onéguine, Pouchkine ne se contente pas de raconter l'amour décalé entre Eugène et Tatiana...

 

Alexandre Pouchkine s'adresse au lecteur, fait des digressions, ironise, fait de l'humour, partage, mine de rien, ses convictions, comme dans ce passage repris dans le spectacle, où il dépeint avec facétie un Onéguine qui lui ressemble:

 

Son coeur, vide de grandes passions, était sourd aux voix de la poésie, et malgré tous ses efforts, il ne put jamais distinguer le vers iambique du vers choréen. Homère et Théocrite  excitaient ses dédains, mais il lisait Adam Smith...

 

Ce spectacle est plus fidèle au roman que l'opéra parce qu'il est variation, richesse d'expressions, c'est-à-dire qu'il en utilise plusieurs modes: la narration, la lecture, les dialogues tout autant que la musique, le chant ou la danse.

 

Ce spectacle est plus fidèle au roman que l'opéra parce qu'il brouille malicieusement les cartes: le poète-pèlerin Lenski n'est pas si opposé que cela au grand lecteur Onéguine, Tatiana n'est pas si différente que cela de sa soeur Olga.

 

Harmonieusement les langues russe et française se mêlent. Et pour ceux qui n'entendent rien à la langue russe, au-dessus de la scène, en sur-titres, la traduction française apparaît, en lettres à la fois lumineuses et discrètes ...

 

Si la part belle est donnée au roman, la musique de Tchaïkovski n'est pas pour autant absente du spectacle, loin de là. Il comporte notamment une scène entière de son opéra, comme pour rappeler qu'il s'agit d'une histoire tragique...

 

Pour les amateurs de pure musique, un des grands moments du spectacle est sur-titré romance sans paroles, en prologue à l'acte II: elle est interprétée, en duo, sur deux pianos différents, par Ludmilla Gautheron et par Sacha Michon...

 

Sur scène il y a quatre femmes et un homme. Hormis Larissa Rosanoff qui joue le rôle de Tatiana, les autres comédiens (Ludmilla Gautheron, Elzbieta Jasinska, Régina Bikkinina et Sacha Michon) en jouent plusieurs.

 

Régina Bikkinina interprète même à la fois des rôles féminins et des rôles masculins, si bien que le seul homme dans cette aventure aux accents féminins n'est tout de même pas tout seul dans son genre, grâce à cette troublante ambiguïté...

 

Mathilde Reichler dans sa Note d'intention écrit:

La mort de Lenski peut difficilement ne pas apparaître comme une tragique prémonition de la mort de Pouchkine, emporté dans des circonstances similaires, quelques années après la publication de son roman...

 

C'est peut-être cette prémonition qui hante tout du long le spectateur qui le sait... et qui ne peut qu'être ravi qu'un tel hommage soit rendu au grand poète disparu. Et comme ces Fragments sont ovationnés par le public, il se sent moins seul et moins sujet à la handra ...

 

Francis Richard

 

Accès:

Théâtre de la Madeleine
Rue de la Madeleine 10
1204 Genève

 

Réservation:

tél.: 079 397 25 40

http://www.sallecentrale.ch/

 

Jeu:  Larissa Rosanoff, Sacha Michon, Ludmilla Gautheron, Elszbieta Jasinska et Régina Bikkinina

Adaptation et mise en scène: Mathilde Reichler

Costumes: Chloé Gindre

Scénographie et accessoires: Claire Peverelli et Gaëlle Chérix

Lumières: Renato Campora

Régie générale: Valérie Tacheron

 

Prochaines représentations:

Au Théâtre de la Madeleine : le 27 janvier 2018 à 20h00

A la salle Jean-Jacques Gauthier, Chêne-Bougeries: le 13 septembre 2018 à 20h00

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Présentation

  • : Le blog de Francis Richard
  • : Ce blog se veut catholique, national et libéral. Catholique, il ne s'attaque pas aux autres religions, mais défend la mienne. National, il défend les singularités bienfaisantes de mon pays d'origine, la France, et celles de mon pays d'adoption, la Suisse, et celles des autres pays. Libéral, il souligne qu'il n'est pas possible d'être un homme (ou une femme) digne de ce nom en dehors de l'exercice de libertés.
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  • Francis Richard
  • De formation scientifique (EPFL), économique et financière (Paris IX Dauphine), j'ai travaillé dans l'industrie, le conseil aux entreprises et les ressources humaines, et m'intéresse aux arts et lettres.
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