André Ourednik est de ceux qui pensent que la dégradation de l'environnement naturel et l'émergence des intelligences artificielles peuvent conduire à un désastre.
Ce n'est toutefois que des intelligences artificielles dont il s'agit dans cet essai. Elles ne seront pas désastreuses à la condition qu'elles ne se développent pas en dehors de la nature.
LA MISE À DISTANCE DE LA NATURE
Quelle que soit ce que les hommes pensent de la nature depuis des milliers d'années - qu'ils croient qu'elle ait été créée ou qu'elle se crée elle-même -, ils l'ont mise à distance.
(ce n'est pas le cas de ceux qui se sont construits sans construire des villes: celui qui ne cherche pas à tenir la "nature" à distance n'a aucune raison de la nommer)
La parole serait la première forme d'intelligence artificielle et l'écriture [...], sa première incarnation matérielle: une intelligence collective et une création collective, sans poursuite de but précis.
Les nombres, eux, auraient accentué la mise à distance de la nature, car contrairement à la nature, les mathématiques se déploient dans un monde désincarné et invariant avec l'échelle.
L'ALIÉNATION DE L'HOMME
Pour couronner le tout, depuis deux siècles, l'homme aurait cru échapper à la nature en produisant quelque chose à partir d'elle et aurait la satisfaction d'en être propriétaire.
Or, pour André Ourednik, c'est en réalité une aliénation - terme qu'il reprend à Karl Marx - à laquelle les dimensions du monde numérique offrent l'opportunité d'être [...] infinie...
Cette aliénation de l'homme ne serait heureusement pas inéluctable. Il faudrait que l'intelligence artificielle s'émancipe de ses buts pour devenir une intelligence créative:
Pour se confondre dans la nature, l'intelligence artificielle doit cesser d'être une robo-raison pour devenir une robo-poïèse.
LA POÏÈSE
À partir de ce qu'il y a, la raison conçoit des techniques, avec une méthode établie, dans un but déterminé, tandis que la poïèse crée une chose que l'on ne connaît pas encore:
La méthode d'une poïèse n'est jamais figée: elle évolue dans un rapport dialectique avec les résultats successifs de sa création.
La nature, avant toute chose, est dotée d'une telle capacité de poïèse. Elle est même dotée d'autopoïèse, c'est-à-dire de la capacité de se créer soi-même.
Il faudrait que le programme (qui anime une robopoïèse) crée une chose pour laquelle il n'a pas été initialement conçu et qu'il y est de la place laissée à l'impensé.
Il faudrait donc ne pas réduire la part de l'impensé du concepteur, ne pas demeurer une civilisation de problèmes et de leurs solutions, ne pas transformer la nature en un univers de tâches.
UNE INTELLIGENCE ARTIFICIELLE AUTONOME
Même s'il sait que les paramètres d'entrée sont définis par le concepteur, il sait qu'existent déjà des réseaux non supervisés et des réseaux créatifs adverses qui sont neuromimétiques.
Il imagine donc que pourrait bientôt naître une intelligence artificielle autonome, qui inventerait des lois, tenant compte des désirs individuels et des contraintes systémiques, et des conséquences de ces désirs à long terme.
Dans un éclair de lucidité, il termine ainsi son essai:
Sachant que la nature nous donna le plaisir d'exister mais aussi la maladie et la mortalité, une nouvelle question se pose: que fera une intelligence artificielle décidant de nos vies et redevenue nature?
Francis Richard
Robopoïèses, André Ourednik, 216 pages, La Baconnière (sortie le 2 mars 2021)
Livres précédents:
Hypertopie, 78 pages, La Baconnière (2019)
Atomik submarine, 216 pages, Art & Fiction (2018)
Omniscience, 276 pages, La Baconnière (2017)
Les cartes du boyard Karienski, 280 pages, La Baconnière (2015)
Contes suisses, 184 pages, Éditions Encre Fraîche (2013)