J'écris l'Iliade est un récit. Peut-être. Acceptons-en l'augure. Mais la direction principale est l'Iliade, c'est-à-dire Homère. Deux mots résument le propos: guerre et amour, sexe compris. Pierre Michon ne fera pas la guerre mais l'amour. C'est ce qu'il exprime dans ce volume qui comprend quatorze textes.
Le premier, Hoplite 1, confirme d'emblée l'assertion: convoqué pour ses trois jours 2, Pierre, 26 ans, ne s'est pas encore fait un nom dans le monde littéraire, mais il en rêve. Il est bien déterminé à ne pas être bon pour le service et il sera effectivement réformé définitif. Dans le train qui le conduit à Lyon, il a une aventure ferroviaire avec une Italienne...
Le rêve d'Homère est celui où le vieil aède, aveugle, sent une présence, une odeur. Ce sont celles d'Hélène, la femme mythique qu'il a inventée. Il n'en croit pas ses sens, mais elle lui prouve qu'ils ne le trompent pas en lui racontant les combats de la Guerre de Troie et en lui manifestant toute sa lubricité...
La bataille d'Éryx est peut-être une fantaisie de Flaubert. Après l'avoir raconté à Danièle, en Sicile, à l'été 1973, le récitateur se réconcilie avec elle sur le tapis de sol de la tente qu'il a dressée au cap d'Eryce, à l'extrême nord-ouest, et qui est, comme le temple visité plus tôt, exposé à tout va, c'est-à-dire aux yeux de leurs deux compagnons de route, Arlette et le Zouave...
Ces trois exemples montrent ce que Pierre Michon signifie quand il dit qu'Homère est le héros de ce livre. On y retrouve les mythes grecs, la sensualité grecque, les dieux grecs, que ce drôle de paroissien, toujours vert, qui se dit catholique, ressuscite sous sa plume en quelque endroit ou quelque époque que ce soit, si bien qu'on y croit.
Le récitateur n'est pas toujours Pierre Michon lui-même, mais, par exemple, un littérateur, comme ce tocard de Sylvain Delille dans Une langue pure. Que Michon voit souvent à La Baule et auquel il donne des conseils pour le texte qu'il doit écrire, Autour d'un personnage d'Homère, en l'occurrence Circé, et dans lequel il expose sa thèse sur les deux langages, un dans chaque sexe...
Jusque dans leur titre, on retrouve ce mélange homérique et divin de guerre et d'amour dans d'autres textes: Éloge de la blancheur, J'invente un dieu, La déesse vient, Hélène revient, Casque, Le rêve d'Alexandre... Pierre Michon a sa façon bien à lui de traiter ses personnages en faisant fi de la chronologie, puisqu'après tout Homère est bien vivant pour leur donner chair...
Daphné, dans Vergina, après un corps à corps brutal, un simulacre de viol avec le narrateur, nécessaire à son plaisir à elle, ne dit-elle pas: J'aime la guerre, car voilà ce qu'est la guerre, pour une femme. Il ajoute: Elle concède que son être raisonnable refuse la guerre, elle est humaniste; mais sourd aux bonnes raisons, son désir veut la guerre.
Le dernier texte, qui donne son titre au livre, J'écris l'Iliade, est apocalyptique. Après qu'il a tout détruit chez lui par des autodafés (mon brûlot n'avait été que redondance du passage accéléré du temps), Pierre Michon se donne pour tâche de tout refaire à la main:
Je vais tout ressortir de mémoire. Il y aura des variantes et des lacunes énormes, tout un siècle, parfois, des langues entières. Mais quelle oeuvre ! elle m'occupera jusqu'au cadavre. Et si je vis cent ans, j'écrirai la suite. Je reviendrai au Niagara de la production littéraire.
Et il reprend par le commencement: l'épopée-fleuve; celle qui n'est pas une description de la bataille, mais qui est la bataille. Et il appelle la déesse, c'est-à-dire Hélène: si elle est chienne, elle est la plus pure des femmes. Elle bouge comme une déesse. Elle est catastrophique et somptueuse.
Bref, il écrit l'Iliade, comme promis.
Francis Richard
1 - Un hoplite était un soldat grec dans l'Antiquité.
2 - Quand l'armée française était encore une armée de conscription, les trois jours étaient destinés à évaluer l'aptitude à servir.
J'écris l'Iliade, Pierre Michon, 274 pages, Gallimard
Livres précédemment chroniqués:
Tablée suivi de Fraternité, L'Herne (2017)
Les deux beunes, Verdier (2023)