Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
7 mars 2019 4 07 /03 /mars /2019 22:30
Au-delà des frontières, d'Andreï Makine

Le bannissement concerne une quantité de personnes. La population française a diminué de moitié et ne compte plus que trente millions d'habitants. Cette contraction a déjà reçu un nom: le Grand Déplacement.

 

Ce passage est extrait d'un brûlot, un roman d'anticipation, Le Grand Déplacement, écrit par un jeune homme désespéré par le déclin de la France, Vivien de Lynden.

 

La mère de Vivien, Gaïa, a confié le manuscrit au narrateur, afin qu'il lui trouve un éditeur, mais éditer ce Grand Déplacement est le moyen de se faire haïr par tout le monde.

 

Tout le monde? Les Blancs, les Noirs, les antisémites, les racistes, les catholiques, les féministes, les créatifs, les journalistes, les politiques, les députés européens...

 

Car le Grand Déplacement c'est l'expulsion vers l'Afrique, plus précisément en Libye, de millions de personnes, des Français de souche pour la plupart, châtiés par l'exil pour refus d'assimilation.

 

Et chacun prend des coups bien assenés par cet auteur de vingt-sept ans, qui se fait le porte-parole d'un petit groupe de jeunes gens identitaires, qui se disent hussards.

 

Ces hussards rejetteraient Gaïa, hypocrite bobo, divorcée, engagée dans l'humanitaire, puis le journalisme mensonger, ayant pratiqué le vagabondage sexuel interethnique.

 

La rencontre de Vivien avec Gabriel Osmonde l'a ébranlé. Celui-ci fait partie de ceux qui se prénomment les diggers: ceux qui creusent, cherchent au-delà des mensonges de la société.

 

Mais cela n'a pas empêché Vivien de se suicider... Et sa mère est convaincue que Vivien voulait... montrer que le vrai "déplacement" est tout autre que cette expulsion en Libye...

 

Dans une clef USB, qui a appartenu à Vivien, le narrateur découvre des textes qui sont le résumé de ses discussions avec Gabriel Osmonde. Il écrit notamment ces lignes:

 

Je suis alors frappé par cette évidence: racisme et antiracisme, passéisme et révolution, laïcisme et fanatisme, cosmopolitisme et populisme sont deux moitiés d'une même scène où s'affrontent les acteurs, incapables de quitter ce théâtre. Or la vérité de l'homme est en dehors des tréteaux!

 

Les diggers veulent une refondation de l'humain, une rupture, une troisième naissance dans la vie (vingt ou trente mille jours), après les deux premières naissances, biologique puis sociale.

 

Dans Alternaissance, écrit par Osmonde, que lisent le narrateur puis Gaïa, cette rupture est expliquée. Elle passe par un jeu qui consiste à quitter cette vie sans avoir à mourir...

 

Ceux que Bernard Frank avait appelé les hussards avaient quitté la scène en se désengageant: ils s'étaient retirés sous leur tente selon l'expression de Philippe Héduy...

 

Francis Richard

 

Au-delà des frontières, Andreï Makine, 270 pages, Grasset

 

Livre précédent:

Le pays du lieutenant Schreiber, Grasset (2014)

L'archipel d'une autre vie, Seuil (2016)

Partager cet article
Repost0
27 février 2019 3 27 /02 /février /2019 23:00
Une famille, de Pascale Kramer

Une famille, celle que décrit Pascale Kramer dans son roman, est composée de Danielle et d'Olivier, des trois enfants qu'ils ont eus ensemble, Edouard, Lou et Mathilde, et de... Romain, qui avait quatre ans quand ils se sont rencontrés.

 

Romain est le fils de Danielle, femme d'espérance, et de Christian, qui avait disparu quelques mois avant sa naissance et n'avait refait signe qu'au bout de quelques semaines, d'une clinique où il assommait de chimie une insondable dépression.

 

La vie commune de Danielle et de Christian n'a duré que deux ans. Celle de Danielle et d'Olivier dure depuis trente-trois. Olivier est à la retraite. Danielle continue à suivre quelques patients après avoir vendu son cabinet de rééducation.

 

Lou, femme de Jean-Baptiste, va accoucher et accouche de Jeanne, leur deuxième enfant après Marie. Edouard et Aurore ont eu deux enfants, Thibaut et Clémence. Thibaut a été atteint par une grave maladie au moment de la naissance de sa cadette.

 

Mathilde a eu une aventure avec Lukas, un ami d'Olivier, de trente ans plus âgé qu'elle, puis est partie pour Barcelone. Dans cette famille conventionnelle, elle est la rebelle, qui débarque sans crier gare, par bus de nuit, pour voir le nouveau-né.

 

Romain lui a donné l'exemple, en quelque sorte. Mais c'est un exemple fort puisqu'il a disparu pendant des années, avant de réapparaître, puis de disparaître à nouveau. Son problème, dévastateur pour lui-même et la famille, est l'alcoolisme. 

 

Le récit, au moment de l'heureux événement, est fait, tour à tour, du point de vue d'Olivier, de Mathilde, d'Édouard, de Danielle et de Lou. Par touches successives, le lecteur pénètre dans leur intimité et les connaît finalement mieux qu'eux-mêmes.

 

En effet, comme les sensibilités de ces protagonistes sont différentes mais que les faits sont les mêmes, il peut les approfondir et les comprendre. Au courant des pensées intimes et mis dans les secrets, il devient et, c'est prenant, un de leurs familiers.

 

Francis Richard

 

Une famille, Pascale Kramer, 192 pages, Flammarion

Partager cet article
Repost0
25 février 2019 1 25 /02 /février /2019 22:45
Les corps glorieux, d'Auguste Cheval

Mougeolle, un grimpeur de légende, la soixantaine, raconte à trois jeunes cyclistes, une fille et deux garçons, qui passent régulièrement devant chez lui, le voyage de trois coursiers.

 

A l'époque (qui n'est pas précisée mais doit être lointaine), un début octobre, ces coursiers, Cervoisier, Pierre et Edmond, partent en train pour Istanbul, via Zurich et Munich, avec leur vélo.

 

Cervoisier a appris que sur un marché de la ville turque le tabac se vend à sept francs suisses le kilo, peut-être moins: ce serait une bonne affaire que d'en rapporter chacun une quantité.

 

Le voyage de retour à vélo jusqu'à Lausanne leur prendrait environ deux à trois semaines et, discrètement, ils emprunteraient les frontières montagneuses, celles où le trafic ne passait plus...

 

Pierre laisse derrière lui son amie Juliette, le trio un autre coursier, Fontaine, chargé par eux de dire au bureau qu'ils seront absents pendant tout ce temps et qu'il faudra les remplacer.

 

Le périple que le trio entreprend est une véritable épreuve physique, que vont pimenter quelques tribulations. Mais il n'y aura pas là de quoi les décourager vraiment, sinon douter un peu.

 

Car, comme les trois jeunes gens qui écoutent le récit que leur en fait Mougeole, les trois anciens sont mus par une amitié forte, par l'amour qu'ils vouent au corps, à l'effort et au vélo.

 

Le vélo les met aux prises avec les éléments:

 

Si l'on ne saurait rien du vent sans le message des arbres, sans le mouvement des branches, sans la danse des feuilles, il serait impossible de connaître le vent sans le vélo.  

 

Le vélo les révèle à eux-mêmes:

 

Ils comprenaient à nouveau que c'est à l'air libre, dans le libre mouvement de leur corps que leur pensée fonctionnait au mieux, que le corps et l'esprit devaient réfléchir ensemble et qu'ils devaient n'accorder foi à aucune pensée qui serait née un jour où le corps était entravé.

 

Le vélo leur aura fait faire de belles rencontres sans qu'ils les aient cherchées. Peut-être cet apprentissage humain y prédispose-t-il et les bonheurs qu'il procure sont-ils communicatifs... 

 

Francis Richard

 

Les corps glorieux, Auguste Cheval, 134 pages, Éditions de la Marquise

Partager cet article
Repost0
23 février 2019 6 23 /02 /février /2019 20:50
La Voisine, de Yewande Omotoso

Il était de notoriété publique que les deux femmes partageaient une haine et une haie, qu'elles élaguaient l'une comme l'autre avec une ardeur qui démentait leur âge.

 

Les deux femmes, octogénaires, s'appellent Hortensia James et Marion Agostino. Elles habitent toutes deux Katterijn Avenue, l'une au n°10, l'autre au n°12, dans une banlieue chic du Cap. L'une est en quelque sorte La Voisine de l'autre:

 

En vérité elles ne pouvaient être plus opposées. Hortensia, Noire, menue, Marion, Blanche, corpulente. Le mari de Marion, décédé, celui d'Hortensia, pas encore. Marion et ses quatre enfants. Hortensia sans progéniture.

 

Hormis les domestiques, Hortensia est la seule Noire du quartier. Elle occupe une maison dont Marion est l'architecte et que celle-ci n'a jamais réussi à acheter à chaque fois qu'elle a été mise en vente, au point d'en être toujours obsédée.

 

Marion a fait des études d'architecte à une époque où les filles de familles blanches d'Afrique du Sud ne faisaient pas de telles études, réservées aux hommes. Hortensia, originaire de la Barbade, a fait à Londres des études de design.

 

Marion a été éduquée dans un monde de Blancs où les Noirs n'étaient bons que pour les tâches serviles. Hortensia - c'est scandaleux - a épousé un Blanc, un riche Anglais, avec lequel elle s'est retirée au Cap après avoir vécu au Nigeria.

 

Quand Peter meurt, Hortensia apprend par le notaire qu'elle n'est pas la principale bénéficiaire des biens de son mari: c'est une fille qu'il a eue avec sa maîtresse. Quant à Marion, son mari, Max, lui a surtout laissé des dettes à volonté.

 

Hortensia est depuis des années habitée par une colère permanente, qui l'a rendue désagréable avec tout le monde. Marion n'a guère meilleur caractère et se montre incompétente comme mère et, même, comme être humain tout court.

 

Dans ce roman, Yewande Omotoso donne réellement vie à cet antagonisme rassurant pour les deux femmes: elles s'affrontent verbalement à fleurets non mouchetés, destinés à blesser, comme un jeu entre elles, cruel et amusant.

 

Le lecteur comprend finalement le pourquoi de la citation de Simone Weil, tirée de La pesanteur et la grâce et mise en épigraphe de ce roman habilement mené: Le mur est ce qui les sépare, mais aussi ce qui leur permet de communiquer. 

 

Francis Richard

 

La voisine, Yewande Omotoso, 288 pages, Zoé (traduit de l'anglais par Christine Raguet)

Partager cet article
Repost0
21 février 2019 4 21 /02 /février /2019 23:00
Les poupées de chiffon, de Nadia Boehlen

Seize des dix-sept nouvelles qui composent le recueil de Nadia Boehlen, ont paru en revue - Amnesty, Journal des Bainsterra cognita. Une seule donc est inédite et se laisse découvrir par le lecteur.

 

Dans la nouvelle-titre du recueil, Les poupées de chiffon, la narratrice raconte sa mère, une orpheline, élevée chez des religieuses, et qui a toujours refusé de se plier aux conventions:

 

Elle n'a jamais cherché à correspondre à l'image d'une bonne mère ou d'une épouse modèle. Elle a toujours conservé des goûts simples détachés de toute référence culturelle.

 

Dans Lucio (le prénom de son cousin, futur possédant), la narratrice parle de sa mère, élevée au Tessin, un monde de dureté, mais non sans joies, avec [des] rires et [des] jeux simples. 

 

Les filles ne faisaient pas d'études. Elle, elle en a fait. Elle enseigne même à Lausanne et se demande ce que deviennent les valeurs issues des Lumières quand il s'agit de migrants.

 

Dans Le bruit des tirs et l'odeur des roses, la narratrice est une réfugiée de Syrie en Suisse: son mari a disparu vingt jours plus tôt. Elle découvre qu'elle est enceinte juste avant de s'en aller.

 

Au début, médecin, Nizan a volontairement disparu pour prodiguer des soins aux civils pris au piège du conflit. Puis il a disparu pour de bon. Les choses ont mal tourné. Elle est partie, comme convenu.

 

Dans "Inscris toi au gymnase", elle et son frère Marcio sont café au lait. Ils ont quitté Salvador de Bahia avec leur mère pour la Suisse, laissant au Brésil, leur père, un musicien noir.

 

S'ils travaillent bien en classe, ils pourront s'inscrire au gymnase: cette voie secondaire, dans le canton de Vaud, n'est pas comme l'apprentissage soumise à autorisation; elle est donc sans risque.

 

Ces premières nouvelles du recueil, parues dans Amnesty, indiquent bien quels sont les sujets humains qui tiennent à coeur à l'auteure: les migrants, les mariages mixtes, les différences sociales, la condition féminine.

 

Dans celles parues dans le Journal des bains, le rejet des convenances est présent dans les trois histoires: un pied de nez à la vertu, une place acquise sans manoeuvrer, un goût à la vie donné par l'eau.   

 

C'est peut-être, Recommencer, la nouvelle inédite, qui est la plus aboutie du recueil, sans doute parce qu'elle est plus intime et que la narratrice y cherche à ne plus penser à Eric, s'y efforce de rencontrer un autre:  

 

Pour déplacer les sentiments.

 

Mais lui est-il vraiment possible de recommencer et de ne pas s'ennuyer avec un autre que lui?

 

Francis Richard

 

Les poupées de chiffon, Nadia Boehlen, 128 pages, Slatkine

Partager cet article
Repost0
14 février 2019 4 14 /02 /février /2019 22:45
Ostwald, de Thomas Flahaut

Une usine ferme. La ville qu'elle faisait vivre agonise. La ville meurt.

 

L'usine, c'est Alstom, la ville, Belfort.

 

En fait, Alstom est parti. L'usine s'est vidée de ses humains. Mais la ville n'est pas morte.

 

Les parents de Félix et de Noël travaillaient chez Alstom. Ils ont divorcé: leur père a été licencié et vit à Ostwald, dans la banlieue de Strasbourg; leur mère a accepté une mutation et est restée à Belfort.

 

Marie, Félix et Noël forment un trio. Il semble que Marie soit en couple avec Félix, mais, hébergée par Noël, dans son studio de Strasbourg, elle passe la nuit avec lui, sans qu'il y ait pour autant ménage à trois...

 

Un peu plus tard, alors que Félix et Noël se trouvent à Belfort chez leur mère partie à Marseille pour son travail, un incident grave se produit à la centrale nucléaire de Fessenheim, située loin au nord-est.

 

Ils n'ont donc rien à craindre. Mais leur mère préférerait qu'ils la rejoignent à Marseille. Cependant ils n'en auront pas le temps parce qu'auparavant l'ordre d'évacuer le territoire de Belfort [est] donné.

 

Avec d'autres réfugiés, Félix et Noël partent en camion pour un camp, un gymnase de verre perdu entre une forêt et un étang. Noël, le narrateur de Thomas Flahaut se souvient d'y être déjà venu avec son père:

 

La forêt n'avait pas encore été trouée pour accueillir le gymnase. Ce devait être en automne, la base nautique était déserte. Je me souviens du vert-brun des algues d'eau douce recouvrant le béton du déversoir d'où l'eau de l'étang glissait lentement vers le calme glauque d'un marécage préhistorique...

 

A l'étang de Brognard, situé à une quinzaine de kilomètres au sud de Belfort, le risque est déclaré moindre. On devrait le croire. Nous sommes en sécurité. C'est ce que nous disent les radios et les transistors:

 

Ces objets antiques, sortis d'une cave ou d'un grenier, ont été apportés par des gens plus avisés que nous, des campeurs aguerris sans doute, qui s'étaient préparés sans le savoir à leur vie de réfugié dans ce gymnase.

 

Félix n'a qu'une hâte, celle de partir du camp, conscient que s'ils restent on les laissera y pourrir. Quand les choses se gâtent et que l'opportunité se présente, ils s'en vont à vélo, direction Belfort, puis Ostwald:

 

La zone évacuée qu'il faut traverser pour y arriver doit être vide, et ce vide nous rassure.

 

La fin du périple des deux frères est prévisible. Le salut ne pourra se trouver que dans la fuite et une nouvelle séparation, tandis que le monde ancien qu'ils ont connu vole partout, autour d'eux, en éclats.

 

Francis Richard

 

Ostwald, Thomas Flahaut, 176 pages, Éditions de l'Olivier

Partager cet article
Repost0
9 février 2019 6 09 /02 /février /2019 16:45
Ambassadrice de la marque, de Joséphine de Weck

Marie, après son bac (un préalable du paternel), a deux ans pour tout tenter. Elle entre dans une école de théâtre en Belgique, puis rentre en Suisse, un master d'interprétation dramatique en poche...

 

Si le démarrage de sa carrière de comédienne n'est pas désespérant, il y a tout de même des trous de plusieurs mois. L'idée d'être hôtesse au Salon de l'auto de Genève germe alors d'un de ces trous.

 

Après un entretien d'embauche et une formation intensive, elle se retrouve Ambassadrice de la marque, en uniforme (baskets blanches, jupe-tailleur bleu marine et blazer gris), potiche devant cabriolet.

 

Condamnée à disserter sur la vitesse d'ouverture de la capote et le coloris beige, elle va devoir passer une dizaine de jours sans fin, tout de même bien payés, à faire du SBAM tout le long de la journée:

 

SOURIRE - BONJOUR - AU REVOIR - MERCI.

 

Elle doit feindre d'être heureuse d'être là pour accueillir le chaland et donc lui sourire, mais ce ne doit pas être un petit sourire: elle doit arborer un sourire BANANE. Dans ses cordes de comédienne...

 

Il s'en passe des choses pendant ces dix jours du salon et Joséphine de Weck en fait le récit satirique et humoristique. Et son héroïne n'est pas un simple pot de fleurs, puisque, objet animé, elle pense:

 

Dépendre du désir des autres m'est insupportable. Que ce soit au théâtre ou au salon, au fond, cela ne change rien. Il faut plaire, être un produit intéressant, séduisant. Existe-t-il un endroit où l'on peut être soi-même, sans concession? A y réfléchir, le monde de la vente est moins hypocrite que celui des arts. Dès le départ, on sait qu'on est utilisé pour vendre.

 

Le slogan du salon est: Votre rêve devient réalité. C'est un oxymore très fort, mais, au bout de l'histoire, Marie, qui le prend ironiquement à son début, voit-elle vraiment ses cauchemars devenir certitudes?

 

Francis Richard

 

Ambassadrice de la marque, Joséphine de Weck, 88 pages, L'Âge d'Homme

Partager cet article
Repost0
7 février 2019 4 07 /02 /février /2019 22:00
Novembre, de Jean Prod'hom

Novembre, c'est un nom qui sent la vanille et les feux de brindilles, un poème de fin de saison. Ses jours ont la faculté de ralentir et de rester aussi éloignés de décembre que la sensible de la dominante...

 

Rayé des cadres de la fonction publique, autrement dit retiré du monde et de ses affaires, Jean Prod'hom s'y sent attaché comme jamais peut-être. Son Novembre en apporte la preuve.

 

Un samedi de fin octobre, il apprend que S., un homme de près de quatre-vingts ans, auquel il rend visite dans un EMS, Chantemerle, n'en a plus pour longtemps, pris qu'il est d'un mal soudain.

 

S. préfère que personne ne vienne le distraire et lui déclare qu'il a certainement mieux à faire que de [s']occuper de lui. Il accepte de s'éloigner de lui et de se rapprocher du monde que son ami va quitter...

 

Il entreprend donc, en ce mois de novembre, un périple de dix jours, d'Orbe à Soleure, dans le pays des Trois-Lacs:  La mort prochaine de mon ami m'incita à sortir et aller au-devant des choses.

 

Et son programme est tout tracé: Ces dix jours j'avais à les vivre de mon côté, sans non plus perdre de vue la mort si loin qu'elle fût, mais en marchant sur l'autre versant, la vie à portée de main.

 

La vie, c'est l'histoire des hommes et des lieux; ce sont les rencontres, les chardonnerets, les pierres erratiques (témoins de l'ère glaciaire), les corrections des défauts des terres, des eaux et des hommes...

 

Les voyages ne sont plus ce qu'ils étaient et les notes prises route faisant non plus: Les tablettes ont remplacé le papier et le stylo, qu'on égarait au moment même où on en avait le plus besoin.

 

Ce voyage nourrit sa réflexion sur la sauvegarde des milieux naturels et de leurs hôtes. Il ne s'agit pas d'offrir un refuge à ceux qui en manquent par générosité mais parce qu'ils nous sont essentiels:

 

Nous ne serions rien si nous n'éprouvions physiquement les limites mystérieuses que les autres êtres tracent autour de nous, les joies et les peines qu'induisent nos mitoyennetés.

 

Francis Richard

 

Novembre, Jean Prod'hom, 320 pages, éditions d'autre part

Partager cet article
Repost0
3 février 2019 7 03 /02 /février /2019 23:55
L'oracle des loups, d'Olivier Beetschen

L'homme avait posé les mains à plat sur le zinc. Ses paumes couvraient la largeur du comptoir. [...] Son gabarit était si large qu'on ne remarquait pas sa hauteur.

 

Ce colosse, René Sulic, est inspecteur de police et le cauchemar des dealers. Il vient d'être transféré des Stups vers la Crim', en raison de ses méthodes musclées qui déplaisent à sa hiérarchie.

 

Sulic est l'homme d'un livre (ce qui n'est pas toujours à craindre). Après une première lecture, il a su que cet opuscule, les Poésies choisies de François Villon, deviendrait un inséparable compagnon de vie...

 

Pour ses débuts à la Crim´ il va être servi. Parce que lui et l'inspecteur Verdon, qui sera son mentor, vont devoir résoudre une énigme à partir de trois éléments: un incendie, un cadavre, une légende.

 

Sulic se trouve au bistro du Belvédère, dont la terrasse surplombe la Basse-Ville de Fribourg, quand il entend une déflagration. Cette explosion est à l'origine de l'incendie d'un studio à la Grand-Rue 35.

 

24 heures plus tard, un cadavre est découvert au pied du pont de la Motta: une tête non pas découpée mais arrachée et, plus haut, un corps dépecé, supplicié, [trahissant] la jubilation ressentie à détruire un être...

 

La légende remonte à la bataille de Morat (1476) entre les troupes de Charles le Téméraire et les Confédérés. Parmi lesquels, les frères Aloys et Johan Denervaud, des Griffons Rouges, jouent un rôle décisif. 

 

Quels liens peut-il y avoir entre ces trois éléments? Très habilement Olivier Beetschen les tisse pour le lecteur de L'oracle des loups, qu'il lance sur de fausses pistes, tout en convoquant d'autres personnages.

 

La solution de l'énigme passe en fait par un vers de Villon, Écho, parlant quand bruit on mène, tiré de la Ballade des Dames du temps jadis, et par la réponse que Sulic donne à la question qu'il en déduit:

 

Qui est l'écho de qui?

 

Francis Richard

 

L'oracle des loups, Olivier Beetschen, 304 pages, L'Âge d'Homme

 

Livre précédent:

La Dame Rousse (2016)

Partager cet article
Repost0
31 janvier 2019 4 31 /01 /janvier /2019 22:45
Pourquoi Berlin ?, de Marie Perny

Pourquoi Berlin?

 

J'ai envie de revenir à Berlin, parce que j'espère y rencontrer une femme inconnue qui vit au fond d'une cour et qui a offert à ma fille un collant made in Germany.

 

A quoi les choses tiennent? A ce genre d'intuition. Parce que revenir Berlin, c'est comme faire un pèlerinage aux sources. Quand on est mère, on n'en a pas moins été fille...

 

La narratrice est la mère de Lucie, un beau bébé de dix-huit ans au moment où commence cette histoire en trois actes, deux intermèdes, un prologue et un final.

 

La narratrice ne l'est d'ailleurs pas tout le temps. Marie Perny parle d'elle à son tour, à la troisième personne donc, en prenant un peu de distance, juste ce qu'il faut.

 

En mars 2015, la protagoniste se rend à Berlin pour voir sa fille chérie, pendant deux jours seulement. En fait, c'est pour elle une escapade bienvenue, où elle fera de longues marches:

 

Berlin est une ville qui éprouve le touriste. A Paris, il s'énerve. A Venise, il se console. A Berlin, il est contraint de penser à de graves questions sans réponses et doit se souvenir d'atroces images en noir et blanc.

 

Lucie y est depuis janvier, pour six mois, pour parfaire son bon allemand, après y être allée l'année précédente pendant un séjour de trois semaines, dont elle est revenue enchantée.

 

La protagoniste est comédienne et répète un spectacle intitulé "Qu'est-ce que la politique tsoin tsoin! Farce tragico-musicale". Mais cela ne tourne pas rond chez elle.

 

Elle ne sait pas bien pourquoi mais elle se sent vide. Elle doute d'elle-même. Elle a besoin de faire une pause, de se reprendre, de prendre l'air. C'est d'abord pourquoi Berlin.

 

En juillet, à son retour, Lucie lui a raconté que Katerina, une vieille folle habitant la cour de son immeuble à Berlin, lui a donné un collant, un truc horrible, made in West Germany.

 

Cette histoire de collant agit sur elle comme un déclic. Elle doit retourner à Berlin. Ce qu'elle fait en novembre où elle va rester une semaine, avant et après les attentats de Paris.

 

Avant de se raconter, Katerina lui a dit: C'est la tristesse dans tes yeux qui te sauve. Tu es triste. C'est rassurant. Cette rencontre sera décisive, si bien qu'elle pourra dire:

 

A Berlin, j'ai mué. Mourir, renaître, muer. C'est Berlin.

 

Francis Richard

 

Pourquoi Berlin?, Marie Perny, 104 pages, Éditions de l'Aire.ch

 

Livre précédent:

Les Radieux (2014)

Partager cet article
Repost0
30 janvier 2019 3 30 /01 /janvier /2019 22:45
La belle Fanny, de Pedro Lenz

Elle a tout, Fanny, elle a la grâce, elle a la profondeur, elle a de l'humour, elle a quelque chose de mystérieux, elle a la chaleur, elle a du style.

 

Louis, le peintre, décrit ainsi Fanny à Frank, l'écrivain, qui se fait appeler Jackpot. Mais ce dernier n'a pas besoin de ça pour en être tombé raide amoureux quand elle est sortie de chez Louis après y avoir posé nue.

 

Jackpot a enfin trouvé le fil rouge de son roman en cours. Sa littérature se nourrit de la réalité, celle de parieurs, comme lui. Louis lui conseille toutefois de transformer la réalité, comme l'art doit toujours le faire, sinon il sert à rien.

 

En allant voir son frère à Bâle, où celui-ci travaille dans la pharma, Jackpot croise cette fois Fanny à la gare d'Olten... Son frangin a un joli boulot, un joli bureau. Et comme Frank est fauché, il lui verse de quoi voir venir.

 

Quand il revoit Fanny à un vernissage, Jackpot échange trois mots avec elle. Il n'en revient pas d'avoir rendez-vous avec elle le lendemain dimanche pour rendre visite à un autre ami peintre, Grunz, hospitalisé.

 

Après cette visite, ils vont ensemble au Musée des Beaux-Arts. Jackpot est jaloux que Fanny pose nue, mais, elle, elle n'est pas gênée le moins du monde: J'aime bien m'montrer, du moins à quelqu'un qui sait regarder.

 

Tout au long de cette histoire d'amour (et d'humour) qui commence ainsi, Jackpot va faire preuve d'une terrible jalousie, alors qu'il n'a aucun droit sur Fanny et qu'elle n'appartient à personne (elle s'appartient à elle seule):

 

La jalousie est un poison qui se répand dans tout le corps, comme une grippe, mais en général elle y reste plus longtemps...

 

Cette histoire, faite surtout de dialogues, est aussi celle de l'amitié, celle de peintres, tels que Louis ou Grunz, ou de musiciens, tels que Gégé ou Henry, qui, de loin les aînés de Jackpot, se retrouvent souvent avec lui au bistrot.

 

Cette équipe aime bien Jackpot et le charrie. Le narrateur de la belle Fanny de Pedro Lenz fait lui-même dans l'autodérision, marri de perdre la raison parce qu'amoureux, même si, dans Carmen, Mérimée parle de la bêtise de l'amoureux:

 

Je sais pas si les femmes perdent la tête à ce point, quand elles tombent amoureuses. Pour moi y a que les hommes pour se rendre aussi ridicules...

 

Francis Richard

 

La belle Fanny, Pedro Lenz, 180 pages, Éditions d'en bas (traduit du bernois par Ursula Gaillard)

Partager cet article
Repost0
27 janvier 2019 7 27 /01 /janvier /2019 23:55
L'âme déracinée, de Manuela Ackermann-Repond

Ma particularité la plus marquante est d'avoir été baptisé trois fois, d'avoir endossé autant d'identités, chacune différant des autres.

 

Angelo Lagannà, surnommé Anniu, est né à la fin des années 1920, en Calabre. Il vit une enfance heureuse dans un petit village de la province de Cosenza, Borgo Sant'Emilio.

 

Il est le troisième de sept enfants. Quand ses parents et ses deux frères aînés partent dans le nord pour travailler, il reste avec ses grands-parents et ses petits frères et soeurs.

 

Puis vient un jour où, à son tour, il doit les rejoindre, non plus dans le nord, mais en France, dans la région de Bordeaux, où ils travaillent à la vigne.

 

Quoi qu'il arrive, Angelo promet à sa petite soeur Maria, à laquelle il est très attachée et avec laquelle il partage quelques secrets, de ne jamais l'abandonner...

 

Dans la rue à Bordeaux, alors qu'il vend des journaux (il n'est pas assez costaud pour les travaux de la vigne) il est remarqué pour sa beauté par un couple fortuné, qui veut parler à ses parents.

 

M. et Mme Fabbre veulent adopter Angelo. En contrepartie ils versent à ses parents une avance et s'engagent à leur verser un montant mensuel jusqu'à ses dix-huit ans.

 

Angelo Lagannà devient Ange Fabbre. Après avoir vécu quelques semaines à Bordeaux, les Fabbre partent avec Ange pour Paris où ils ont un hôtel particulier dans un quartier huppé.

 

Au collège, les débuts sont difficiles pour Ange parce qu'il n'est pas du même monde que les autres et qu'il est en butte à leurs moqueries.

 

Alors, pour se faire respecter, il devient un élève modèle, à qui, de plus, il ne faut pas chercher querelle, car il fréquente un club de boxe...

 

Pendant la guerre ses parents adoptifs l'envoient sur la Riviera suisse. A la fin de la guerre, de retour à Paris, il passe son baccalauréat.

 

Quand il retourne voir les siens en Calabre, il est désormais considéré comme un étranger. Sa chère petite Maria, notamment, ne le reconnaît plus...

 

Pour ses dix-huit ans, ses amis emmènent Ange dans un bordel clandestin (Marthe Richard vient d'obtenir la fermeture des maisons closes à Paris).

 

Au Palais des Délices, Ange fait la connaissance de Myosotis, la fille en bleu, dont il tombe amoureux et qui n'est pas indifférente à son charme.

 

Il y est remarqué par un client, Ernest Michel, qui, après l'avoir entendu déclamer des poèmes aux filles de joie de l'établissement, le convainc de passer une audition pour un film.

 

Myosotis disparaît, mais il s'intéresse désormais à la gent féminine, ce qui n'était pas le cas jusque-là et commence, au grand dam de Sylvie Fabbre, une carrière d'acteur de cinéma.

 

Ernest Michel, devenu son agent, souhaite pour lui un pseudonyme anglophone. Ange Fabbre devient donc Angel Finley (patronyme trouvé sur une carte routière d'outre-Atlantique).

 

L'enfant de Borgo Sant'Emilio a donc trois identités, mais, au lieu de se substituer successivement les unes aux autres, elles cohabitent en lui et l'empêchent d'avoir l'âme en paix.

 

Tout le restant de sa vie, ces trois facettes, Angelo et ses remords, Ange et ses bonnes manières, Angel et ses prétentions, cesseront-elles jamais de se bousculer et de l'épuiser moralement?

 

Comment harmoniser le petit Calabrais, le dandy parisien et la vedette de cinéma ensemble, respirant d'un même souffle et apaisés tous les trois?

 

Comme son coeur est finalement ligoté de plusieurs liens différents, il se pose également cette question intemporelle: [Peut-on] vraiment n'aimer qu'une seule et même personne tout au long d'une vie?

 

Francis Richard 

 

L'âme déracinée, Manuela Ackermann-Repond, 392 pages, Slatkine (sortie le 29 janvier 2019)

 

Livre précédent:

La Capeline écarlate (2017)

Partager cet article
Repost0
26 janvier 2019 6 26 /01 /janvier /2019 21:55
Sois toi-même, tous les autres sont déjà pris, de David Zaoui

Ça s'appelle de l'aide simienne. Ils ont fait l'expérience auprès de personnes handicapées, aux États-Unis et en Amérique du Sud, au sein de plusieurs maisons de retraite, mais aussi à domicile. Des singes capucins très gentils, apprivoisés et parfaitement dressés, sont capables d'accompagner les personnes âgées dans leur vie quotidienne. 

 

La mamie d'Alfredo Scali, Daisy, est atteinte de la maladie d'Alzheimer. Son neurologue recommande, pour lui venir en aide, une association, L'Acolyte utile, qui s'occupe de singes, des capucins. 

 

Quelques semaines plus tard, un responsable de l'association vient chez Daisy avec un capucin, une femelle de trois kilos, de quarante centimètres, éduquée pour l'aide simienne, totalement autonome.

 

Ce singe va changer la vie de Daisy, puis d'Alfredo. Comme Daisy est une fan de la série Derrick, elle aimerait donc appeler ainsi cet acolyte utile à tous points de vue, mais Alfredo trouve que c'est nul.

 

Finalement, la primate s'appellera Schmidt, comme le personnage auquel fait allusion l'inspecteur Derrick dans une réplique d'un épisode que Daisy est en train de regarder à la télévision...

 

Alfredo est au chômage. Il est artiste-peintre. Il ne peint pas n'importe quoi: l'inconscient des animaux pendant leurs rêves. Il a une sérieuse excuse: son père est un passionné d'animaux...

 

Son conseiller Pôle Emploi, Bertrand Bubard, lui propose tout autre chose, des petits boulots, parce que peintre ce n'est pas un métier: il n'y a d'ailleurs aucun code ROME concernant cette activité.

 

Quand Alfredo propose ses toiles à des galeristes, il se fait jeter. Quoi qu'il écrive à Bertrand Bubard, celui-ci lui fait invariablement la même réponse, qui revient à renoncer à ses ambitions artistiques.

 

Heureusement Alfredo a deux amis, en manque de réussite comme lui: Casimir, expert en assurances, qui a des ambitions littéraires, et Serge, artiste-peintre lui aussi, qui fait le portrait de touristes.

 

Ces deux amis l'encouragent à leur manière et ressemblance à persévérer, le premier en lui recommandant d'être volontiers opportuniste, le second d'être puriste, c'est-à-dire sans compromis.

 

Schmidt va changer la vie d'Alfredo, parce qu'il va la prendre chez lui après que sa mamie, dont le mal empire, a voulu la mettre dedans son bouillon de poulet et que Schmidt n'a rien voulu savoir.

 

David Zaoui voulait lire un roman qui comporterait une dose d'humour, de folie, d'émotion, d'originalité et qui soit en prise sur son temps. Le libraire n'avait pas un tel roman en rayon et lui a conseillé de l'écrire...

 

Comme on n'est jamais si bien servi que par soi-même, David Zaoui a donc écrit Sois toi-même, tous les autres sont déjà pris, qui remplit tous ces critères réjouissants et dont le titre est une sage et drôle sentence.

 

Mais Alfredo n'aurait certainement pas adoptée cette sentence sans l'aide simienne involontaire de Schmidt (qui ne se contente pas d'imiter les humains) et sans l'aide inattendue de son paternel.

 

Francis Richard

 

Sois toi-même, tous les autres sont déjà pris, David Zaoui, 306 pages, JC Lattès (en librairie le 30 janvier 2019)

 

Livre précédent:

Je suis un tueur humaniste, 248 pages, Paul & Mike (2017)

Partager cet article
Repost0

Présentation

  • : Le blog de Francis Richard
  • : Ce blog se veut catholique, national et libéral. Catholique, il ne s'attaque pas aux autres religions, mais défend la mienne. National, il défend les singularités bienfaisantes de mon pays d'origine, la France, et celles de mon pays d'adoption, la Suisse, et celles des autres pays. Libéral, il souligne qu'il n'est pas possible d'être un homme (ou une femme) digne de ce nom en dehors de l'exercice de libertés.
  • Contact

Profil

  • Francis Richard
  • De formation scientifique (EPFL), économique et financière (Paris IX Dauphine), j'ai travaillé dans l'industrie, le conseil aux entreprises et les ressources humaines, et m'intéresse aux arts et lettres.
  • De formation scientifique (EPFL), économique et financière (Paris IX Dauphine), j'ai travaillé dans l'industrie, le conseil aux entreprises et les ressources humaines, et m'intéresse aux arts et lettres.

Références

Recherche

Pages

Liens