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15 mai 2025 4 15 /05 /mai /2025 08:15
Insurrection des particularités, de Chantal Delsol

La particularité est première dans l'espace comme dans l'esprit. Chacun naît seul, dans une solitude jamais guérie. Le travail de l'amour qui crée les communautés est second. Il tente de remédier au manque creusé par la solitude, si l'on croit, d'Aristote à Confucius, que l'être humain ne s'accomplit que dans les relations.

 

Dans ce livre, Chantal Delsol traite du particularisme, qui a succédé à l'universalisme occidental et qui est, selon elle, lié à l'individualisme.

 

LA MORALE ET L'ÉGALITÉ

 

Il y a une évolution de la morale. La morale visait le bien de l'autre, désormais, elle viserait le bien de soi. Auparavant, sous la chrétienté et la morale naturelle, le bien était ce qui unissait et le mal, ce qui séparait. La morale était objective, définie par le lien entre les individus. Elle est devenue subjective, définie par la souffrance de l'individu.

 

Désormais, l'égalité ontologique se transpose en égalité mondaine et sociale, c'est le passage du plan spirituel au plan temporel et mondain:

  • L'égalité chrétienne est une égalité ontologique: les humains sont tous aimés de Dieu.
  • L'égalité communiste est une élimination des hiérarchies, qui ne cessent de renaître.
  • L'égalité, dans la révolution culturelle chinoise, est une entreprise d'égalisation totale.
  • L'égalité dans la culture woke est une nouvelle tentative d'égalité complète.

 

L'universalisme est inégalitaire. Il englobe et hiérarchise. Vouloir l'égalité ici et maintenant, autrement dit l'égalitarisme, ne peut que se déployer en particularisme exacerbé.

 

Ainsi va-t-on privilégier l'origine et non plus la compétence, remplacer le bien par l'inclusion, rejeter la norme, au lieu de la rejoindre par intégration: tout le monde est normal.

 

L'auteure pense que l'égalitarisme des Occidentaux est la conséquence d'une désillusion, celle de ne pas avoir amélioré le monde, une idée qui leur avait été léguée par les religions du salut puis par les idéaux des Lumières.

 

Comme le communisme a échoué, que les États se sont révélés inefficaces, que les institutions religieuses se sont effondrées, c'est l'individu qui est devenu l'artisan et le bénéficiaire de la morale. Ce qui se traduit par:

Respectez-moi dans toutes mes volontés et mes envies.

 

Et par:

Désormais, le bien, c'est l'égalité, et le mal, la domination.

 

LE MAL, C'EST LA DOMINATION

 

Qu'est-ce que la domination?

  • Pour Michel Foucault: la volonté de domination est partout et la guerre idem.
  • Pour Karl Marx: c'est la domination de classe, aussi faut-il éradiquer les coupables.
  • Pour Mao: c'est la domination culturelle, contre laquelle il faut lutter en dressant une partie de la population contre l'autre.
  • Pour les combattants woke, ce sont les catégories malfaisantes, dépersonnalisées, contre lesquelles il faut lutter.

 

LE BIEN, C'EST L'ÉGALITÉ

 

Comme le bien, c'est l'égalité, alors seul le moi est bon, autrement dit l'individu, qui existe contre. Il se préoccupe de lui-même; il est passé du social au sociétal, pour se libérer de la famille traditionnelle, des carcans, des tabous multiples concernant les moeurs.

 

La vision du monde change: Les distinctions sexuelles (homme/femme), les distinctions pédagogiques (maître/élève), ou même les distinctions généalogiques (parents/enfants) tendent à s'effacer dans un vaste mouvement de récusation des frontières entre les catégories.

 

Comme les humains ont besoin de sociabilité et que, désormais, ils contestent la plus petite différence entre eux, ils recherchent la compagnie des mêmes. Autrement dit, ils se regroupent en catégories sommaires, en identités. Et jugent le comportement des autres d'après l'identité qu'ils leur attribuent: les normes ne sont plus applicables à tous.

 

La conséquence (et tentation) est alors le chaos, puisqu'il n'y a plus ni but ni finalité et qu'il ne doit plus y avoir de dominations. L'individu n'est plus considéré comme une personne, séparé qu'il est de ses groupes d'appartenance. Le mal est systémique et s'incarne dans les institutions:

Dans la vision classique, le mal est diffus, [...] dans la vision systémique, le mal se réfugie dans les systèmes.

 

LA RAISON ET LA VÉRITÉ

 

Est remise en cause la raison. Là encore, il y a désillusion par rapport aux pouvoirs illimités attribués à la raison par les Lumières, après l'effacement de la religion traditionnelle, selon laquelle la nature avait des lois que la raison permettait de découvrir.

 

Mais cette désaffection pour la science provient également de celle pour la vérité que nul ne peut prétendre détenir au point de pouvoir l'imposer: La vérité se quête et ne se détient pas. En effet, la religion, puis les idéologies, enfin les technocraties, ont fait de fausses utilisations de la vérité.

 

La science doit être indépendante des pouvoirs mais soumise aux faits, universelle et élitiste. Or les pouvoirs, quels qu'ils soient, idéologiques, religieux, ou politiques, veulent avoir le dernier mot et n'entendent pas que les résultats de la science puissent gêner leur prédominance. 

 

Les détracteurs de la science profitent du fait que la science est tâtonnante, [qu'elle] peut se tromper et changer d'avis. De même les détracteurs de la vérité disent-ils qu'elle est fasciste, alors que la vérité ne se donne pas, elle se cherche.

 

L'INDIVIDUALISME

 

L'individualisme, tel que conçu par l'auteure, s'oppose à la science:

  • La vérité est la même pour tous ou elle n'est pas.
  • Une proposition est vraie ou elle n'est pas.

 

Si tout est considéré comme socialement construit, puisque ce sont les dominants qui ont façonné le monde humain, alors tout peut être refait autrement.

 

La vérité n'est plus universelle, n'est plus valable pour tous et partout. En conséquence, c'est la passion particulière qui règne, attachée à un individu ou à un groupe, à un lieu. Le particularisme revêt dès lors deux formes:

  • Nationalisme, ou impérialisme.
  • Narcissisme.

 

Parmi les passions de l'époque, l'avidité, ou passion des biens matériels, ne connaît pas de frein. En face d'elle, demeure la passion de la solidarité, sans le support d'aucune morale construite. Comme le souci égalitaire, d'origine chrétienne ou socialiste, n'a pas disparu, le ressentiment naît des inégalités persistantes.

 

Sinon deux autres passions émergent, le désespoir et la peur: la belle confiance dans la découverte de solutions à tous les maux a disparu. Elles résultent de la diminution du bien-être et de la sécurité. Diminution qui est ressentie d'autant plus cruellement que le sens de la vie et de la spiritualité élémentaire ont été perdus avec le matérialisme. Sans parler du catastrophisme écologiste...

 

AVANT DE CONCLURE

 

Avant de conclure, Chantal Delsol fait deux remarques judicieuses:

  • L'immortalité personnelle, que d'aucuns recherchent, et espèrent pour bientôt, est inévitablement reliée au refus de descendance:

Les mêmes humains, sans descendance, occuperaient la terre pour toujours...

  • La quête de l'universel n'a pas disparu; elle réapparaît avec la quête du bonheur individuelle, une idée élastique, qui convient à tous les hommes:

Il s'agit [...] faute de pouvoir découvrir l'universel dans les faits, de le supposer dans l'être - faute de le découvrir culturel, de le supposer ontologique.

 

CONCLUSION

 

Les Occidentaux sont dans un moment de transition:

Le présent est impossible à vivre et le futur impossible à penser raisonnablement. C'est là tout à fait ce qui nous arrive, écartelés que nous sommes entre les post-humanistes et les écologistes.

 

Bref, ils ne trouvent plus de sens à leur existence personnelle ou collective et, comme la raison ne permet plus de décider, ils sont guidés par sentiments et passions.

 

Chantal Delsol n'est guère optimiste:

Le fait que nos sociétés soient divisées entre des humanistes à l'ancienne et des post-humanistes qui souhaitent évincer l'humain de sa place centrale indique des clivages insondables dont nous ne savons pas ce qu'il va advenir. À défaut de pouvoir annoncer un nouvel ordre, au moins peut-on tenter de décrire ce chaos.

 

Pour contredire cette conclusion pessimiste, le lecteur réaliste diffusera la clé du bonheur d'Yves Roucaute qui permet de retrouver le sens du commun sans s'oublier:

Aime éperdument, aime-toi et aime les autres, crée!

 

Ce qui rejoint le postulat évangélique de base, mis en lumière par Charles Gave dans Un libéral nommé Jésus, à savoir la liberté individuelle, qui n'est évidemment pas incompatible avec le commandement nouveau donné par le Christ:

Aimez-vous les uns les autres. Comme je vous ai aimés, vous aussi, aimez-vous les uns les autres.

 

Francis Richard

 

Insurrection des particularités, Chantal Delsol, 320 pages, Les éditions du Cerf

 

Livres précédemment chroniqués:

 

Les pierres d'angle Éditions du Cerf (2014)

Populisme - Les demeurés de l'histoire Éditions du Rocher (2015)

La haine du monde - Totalitarismes et postmodernité Éditions du Cerf (2017)

Le crépuscule de l'universel Éditions du Cerf (2020)

La fin de la chrétienté Éditions du Cerf (2021)

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commentaires

J
La magnifique explication de texte proposée par Francis Richard pour ce livre, qu'il faut certainement lire, fait bien sûr penser à la non moins excellente recherche du bonheur proposée par Yves Roucaute.
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Présentation

  • : Le blog de Francis Richard
  • : Ce blog se veut catholique, national et libéral. Catholique, il ne s'attaque pas aux autres religions, mais défend la mienne. National, il défend les singularités bienfaisantes de mon pays d'origine, la France, et celles de mon pays d'adoption, la Suisse, et celles des autres pays. Libéral, il souligne qu'il n'est pas possible d'être un homme (ou une femme) digne de ce nom en dehors de l'exercice de libertés.
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  • Francis Richard
  • De formation scientifique (EPFL), économique et financière (Paris IX Dauphine), j'ai travaillé dans l'industrie, le conseil aux entreprises et les ressources humaines, et m'intéresse aux arts et lettres.
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