Vous en avez assez d'entendre des gens insipides, sérieux, graves, intellos, ennuyeux, pesants, sans
panache, branchés, modernes, progressistes, qui pensent tous pareil, bref de gauche, alors lisez Dans la tête d'un réac d'Eric
Brunet, paru chez NiL Editions, un des départements de Robert Laffont ici. Vous respirerez un autre air que celui que vous soufflent dans les narines, à longueur de journées, les médias du
temps.
Vous voulez savoir ce qui se passe sous le crâne d'un réac, content et fier de l'être, né dans une famille de gauchistes bon
tient - comme le gros rouge qui tache -, tôt rebellé contre ce milieu sectaire, obligé au début de sa vie professionnelle de cacher ce qu'il est, puis de faire des piges mal
payées pour survivre, membre d'une "minorité invisible" mais présente, et qui mérite d'exister, alors lisez Dans la tête d'un
réac d'Eric Brunet.
Eric Brunet ne vous prend pas par surprise. D'entrée il vous donne une longue liste de personnes physiques et
morales, de lieux, à qui le livre n'est pas dédié et une liste tout aussi longue à qui il l'est. Ce n'est pas triste. Ainsi, par exemple, le livre n'est pas dédié à Manu
Chao, à Hugo Chavez, aux bobos, à Philippe Sollers, à Emmanuelle Béart, à Olivier Besancenot ou à
Karl Marx, mais il l'est à d'Artagnan, à Georges Brassens, à Michel Audiard, à Raymond Aron, à
Alexis de Tocqueville, à Roger Nimier, à Charles de Gaulle et à Pierre Desproges.
Le ton est donné dans le prologue et il est le même tout du long :
"Les réactionnaires voyagent léger : pas de fonds dogmatique commun, pas de rituels sacrés, pas de
jargon. Juste une propension à l'urticaire. Les réacs ne sont pas homothétiques des progressistes : la démangeaison guide leur conscience. Pendant que l'Homo modernus repense le
monde tous les matins, l'Homo reactus se gratte."
Pour fêter la première victoire présidentielle de François Mitterrand les parents d'Eric, qui a 16 ans à
l'époque, font péter le champagne. Manque de pot le bouchon part tout droit dans son oeil droit, lui déchire la rétine et le condamne à porter des lunettes toute sa vie : il est la
première victime du 10 mai 1981...
Peu de temps après il avoue à ses parents qu'il est de droite... Il a une théorie à ce sujet :
"Au départ on n'est pas de droite parce que, on est de droite à cause. Une
réaction viscérale, tripale. Chaque personne de droite possède son "à cause" intime."
Lui, c'est... à cause de la morgue des professeurs du collège Aragon de Nantes, soixante-huitards qui
"ne doutent jamais".
Très vite il s'est rendu compte qu'il ne cherchait pas à être différent : il était différent. Et il n'a pas attendu
que les règles de la balistique s'appliquent à un bouchon de liège pour que ses options politiques de réac se logent dans sa tête.
La révélation lui est venue avec la visite de Charles de Gaulle au Canada, où le Général, sale farceur pour
le Commonwealth, plein d'amour pour les descendants des Français abandonnés au XVIIIe siècle par Paris, lance son célèbre : Vive le Québec libre !
Ses lectures d'adolescent ?
"Gatsby le magnifique de Scott Fitzgerald, Les Jeunes Filles de Montherlant,
Rêveuse bourgeoisie de Pierre Drieu La Rochelle : il n'y avait pas de message social dans cette littérature-là. Ces pages sentaient la poudre."
Ce n'est pas au collège Aragon qu'il aurait étudié François Mauriac, Paul Morand,
Jules Barbey d'Aurevilly, Michel Déon, Jean Anouilh...ou été simplement invité à lire Jacques Chardonne, Marcel
Jouhandeau, Alexandre Vialatte ou René de Chateaubriand...
Je dois dire que ce n'est pas bien de la part d'Eric de déboulonner au passage les statues de Victor
Hugo, "d'une soumission sans faille aux pouvoirs qui s'étaient succédé au XIXe siècle" ou d'Ernesto
Guevara, surveillant "les exécutions des prétendus ennemis du régime castriste" dans la prison qu'il dirigeait à Cuba. Ce n'est
pas bien non plus de démythifier les républicains espagnols de Madrid qui, pendant la guerre civile, ont liquidé plusieurs dizaines de milliers de suspects emprisonnés et c'est encore moins bien
d'évoquer les charniers républicains du petit village de Paracuellos...
En tout cas les lectures d'Eric et de son ami Antoine les "propulsaient dans un monde de
droite, un contre-monde, amoureux de l'usage et des principes" :
"En ces temps vulgaires, nous affichions un mépris aristocratique pour les révolutionnaires et
leurs cousins fascistes."
Leurs valeurs ? Celles des héros d'Alexandre Dumas : la fidélité et l'insolence.
Ce qui conduit tout droit à apprécier ces inclassables que sont Louis-Ferdinand Céline, Marcel
Aymé, Michel Audiard, Léon Bloy...
Jusqu'au jour où les deux amis font une découverte enchanteresque :
"Nous tombâmes, planqué au fond d'un rayon de la bibliothèque du vieux d'Antoine, sur Le
Hussard bleu de Roger Nimier !
- Nimier, c'est un hussard, me murmura Antoine.
- Un hussard, un soldat de Napoléon ?
- Non, des mecs de droite, qui faisaient chier Sartre."
Ce qui les conduit cette fois à lire Antoine Blondin, Jacques Laurent, Michel
Déon, les trois autres hussards historiques et, dans leur lignée, Kléber Haedens, Félicien Marceau et quelques autres. Autant d'auteurs qui, dans leurs
livres, se refusent à s'engager et ne visent qu'à une chose : à plaire. Comme Molière...
Eric Brunet ne parle pas seulement de littérature dans ce livre, même si elle revêt une grande importance pour lui. Nous le
suivons dans ses pérégrinations professionnelles, où ses options politiques, d'abord dissimulées, puis transparentes, enfin affichées, se révèlent être un sérieux handicap, surtout
après la publication de ses deux livres précédents :
- Etre de droite, un tabou français, paru chez Albin Michel en 2006
- Etre riche, un tabou français, paru chez Albin Michel en 2007
Son CV n'en demeure pas moins impressionnant : sous-marin à réaction à l'école de journalisme, stagiaire à
Valeurs Actuelles, présentateur du journal régional à France 3 Bretagne, présentateur d'une émission de défense des consommateurs à
France 3 Ile-de-France, intermittent du spectacle audiovisuel [contre son gré], animateur
de conventions d'entreprises, réalisateur de l'émission Le plus grand musée du monde sur France 3 et TV5 monde,
conseiller en communication d'hommes politiques de "droite" comme de gauche.
Il n'est pas sûr que le reste de sa carrière sera facilité par la tendresse qu'il éprouve pour les artistes, et
surtout pour les cinéastes :
"Pauvres cinéastes sans histoires. Pauvres mauvais élèves dont personne n'a voulu (à l'exception
de l'industrie du cinéma). Pauvres victimes de 68, et de la méthode globale."
Selon lui,
"Il faut redonner du sens et des histoires au cinéma français, ce territoire occupé par une armée
de derniers de la classe, qui s'autoprotègent, s'autocongratulent, en couinant inlassablement contre la bêtise du cinéma américain."
Il suggère même quelques histoires, tirées de l'histoire occidentale :
"La vie hallucinante de Jacques Coeur"
"Les Croisades"
"L'incroyable voyage de Charles IX à travers la France"
"La vie tragique de Nissim de Camondo"
"La fin du Cap Arcona"
Si l'économie de marché et les avatars du monde US ne l'enthousiasment pas, il aggrave tout de même son cas en ne crachant pas
sur les riches :
"Je ne soutiens pas les riches. Je soutiens le bon sens contre l'idéologie : pour l'emploi, les
riches sont plus précieux dans nos campagnes que dans un paradis fiscal. Un riche dans une petite commune, c'est plus utile qu'une agence de Pôle emploi. Le bon sens, c'est la bible des
réactionnaires."
En bon Français, voire franchouillard, qualificatif employé par les adeptes de l'autoflagellation, il est gentiment
anglophobe :
"Dans notre petit viatique du parfait réac, pensons toujours à nous défier du monde anglo-saxon.
Avec courtoisie et mesure. Méprisons les Rosbifs avec bienveillance, à la manière d'Eric Tabarly ou de Jean-Pierre Rives. Vous voyez l'esprit : une camaraderie mâtinée de distance
soupçonneuse."
Il est vrai que les réacs sont une minorité proche de l'extinction, une espèce menacée de disparition. Eric Brunet pense qu'il
viendra bien un jour où "les anthropologues parqueront les derniers spécimens dans des réserves" et qu'ils y attendront la venue sur terre d'un sauveur
"pour restaurer l'honneur bafoué des réactionnaires".
Ce jour-là il se passera des choses impensables aujourd'hui. Par exemple :
"Les dandies hétérosexuels retrouveront grâce aux yeux des jeunes filles"
"Les théâtres subventionnés joueront enfin les pièces de Montherlant"
Que fera l'auteur ce jour-là ?
"Ce jour-là, j'allumerai des clopes dans tous les lieux publics."
"Ce jour-là, dans des MJC [Maisons des jeunes et de la
culture] difficiles, j'irai lire la Chanson de Roland à des jeunes français issus de l'immigration."
"Ce jour-là, je serai un garçon à réaction, insouciant et libre."
On peut rêver... N'est-ce pas ?
Francis Richard