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12 août 2011 5 12 /08 /août /2011 20:25

Le trottoir au soleilSi vous aimez que les choses les plus simples de la vie prennent des couleurs et qu'elles parlent à vos sens par la magie des mots, alors il faut que vous lisiez le dernier livre de Philippe Delerm, Le trottoir au soleil, publié chez Gallimard ici.

Quand les peintres utilisent leur palette pour reproduire sur leurs toiles les choses de la vie, il convient de désigner ces dernières par scènes de genre, qui n'ont de valeur dans leur simplicité que par le regard qu'ils leur portent et la forme personnelle qu'ils leur donnent.

 

Quand des écrivains se livrent à cet exercice je ne vois pas d'autre expression à employer pour les désigner que les choses de la vie, qui est aussi le titre d'un roman de Paul Guimard porté à l'écran par Claude Sautet.

 

On n'imagine pas ce que la vie de tous les jours peut avoir d'exceptionnel pour peu qu'on l'observe avec bonheur et qu'on sache traduire cette observation en des mots ou des images qui en rendent véritablement compte dans les plus petits détails qui ont leur importance.

Les textes de Philippe Delerm sont courts et les mots sont tous à leur place. L'auteur n'emploie pas de figures de style pour épater le lecteur. Le style paraît tout simple. Il semble couler de source. C'est justement à cela que l'on reconnaît une très grande maîtrise d'écriture. Car il n'est pas donné à tout le monde d'écrire naturel.

Les textes de ce livre sont encore plus courts que ne le seraient ceux d'un recueil de nouvelles. Ils suscitent tout de suite l'attention du lecteur et celui-ci n'a envie de se laisser distraire que par la saveur des images rendues par les mots. Cela permet au lecteur de faire des pauses et de laisser libre cours à sa fantaisie imaginative. 

Bien sûr chacun trouvera surtout son bonheur là où les choses de la vie le touchent au plus près. C'est ainsi qu'ayant franchi le cap des soixante ans avec quelques mois de retard sur l'auteur, je n'ai pu qu'être sensible à ce passage, dont il faudrait, pour bien faire, citer tout le contexte :

 

"A soixante ans on a franchi depuis longtemps le solstice d'été. Il y aura encore de jolis soirs, des amis, des enfances, des choses à espérer. Mais c'est ainsi : on est sûr d'avoir franchi le solstice."

Comme nous ne sommes pas des anges et que notre nature humaine fait de nous, dans le même temps, autre chose que des bêtes, nous ne nous contentons pas ressentir mais nous réfléchissons aussi au sens des mots qui viennent en renfort de nos émois :

 

"Mouiller c'est agir et s'abandonner. C'est actif et passif, un verbe singulier pour une action unique, dans un temps différent. Pour ce seul mystère, ce seul cadeau femelle, on renonce à la paix de devenir séraphin.

Dans le même registre :

"Toujours, l'émoi suscité est inversement proportionnel à la surface dénudée."

 

Ce qui, immanquablement, me fait souvenir du Nu vêtu et dévêtu de Jacques Laurent... 

L'auteur, professeur de lettres, aime lire. Pourtant il lui arrive, après avoir pris le vaporetto pour Burano et mangé des cerises noires, de se donner du répit sur un banc d'une esplanade, dans la chaleur du plein été, sans souci de l'heure du retour :

"Pas de livre en cours, et, je me le suis promis, pour quelques jours au moins pas même de vague idée de livre à commencer. Je le sens, je le touche ici, allongé sur mon banc, dans cette absence d'heure : c'est ça l'été, et les vacances devraient être toujours ainsi - une bulle d'éternité tranquille avant une sieste possible."

J'aime aussi ce passage où Philippe Delerm compare le fauteuil au lit quand on est bien fatigué :

"Dans un lit, le corps s'oublie, s'efface, s'engloutit. Dans le fauteuil, c'est bien plus ambigu : on veut tout relâcher sans se déprendre. On ne s'abolit pas. On éprouve sans cesse, on habite les formes. Le bien-être n'est pas fuite, il apprivoise le présent."

Comme dans un recueil de nouvelles, ce recueil de textes emprunte son titre à celui de l'un d'entre eux qui commence ainsi :

"- On traverse ?
- Pourquoi ?
- Pour prendre le trottoir au soleil.
Il faisait bon dans l'ombre, on ne cherche pas la chaleur. Un vrai soir d'été."

Une fois le livre terminé, on a envie de le reprendre, de relire des passages, de rêver un peu, de poétiser à partir du réel. Et cette fois je pense à Georges Haldas qui disait à propos des petites choses :

"[Elles] sont vécues par tous, c'est à partir d'elles qu'on fait son chemin vers les grandes. Si l'on saute cette étape on a l'air de faire l'abstraction du quotidien alors que tout y est inscrit."

Francis Richard

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5 août 2011 5 05 /08 /août /2011 19:15

OptimismeLe dernier livre de Thierry Saussez, Manifeste pour l'optimisme, édité chez Plon ici, ne pouvait que ravir l'éternel optimiste que je suis.

Ce qui ne veut pas dire que je sois comme le professeur Pangloss et que je trouve que "tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes". Mais je reste convaincu que le pessimisme est une disposition d'esprit qui ne permet pas de créer, d'innover, bref d'exercer son intelligence pour augmenter le nombre de ses talents.

 

Thierry Saussez part d'un constat énigmatique sur les Français :

 

"Nous sommes parmi les principaux pays du monde,  l'un de ceux qui se défient le plus des autres et qui considèrent que tout va toujours de plus en plus mal.

Nous sommes paradoxalement l'un des pays où l'on a individuellement le plus confiance en soi."

C'est pour tenter de résoudre cette énigme que Thierry Saussez a  entrepris la rédaction de ce livre qui se situe à l'opposé de la mentalité ringarde et pessimiste de l'Indignez-vous de Stéphane Hessel, dont le succès en France est révélateur.

 

Pour être optimiste il faut avoir confiance. Or la confiance est "complexe, subtile, fragile" :

 

"Elle se gagne parfois difficilement autant qu'elle peut se perdre en quelques instants." 

Selon Saussez la défiance propre aux Français est héritée de leur histoire. Il y a en France une passion pour l'égalité - génératrice d'envie - et un opprobre jeté sur l'argent - générateur de paresse - qui ne sont pas de nature à engendrer la prospérité qui est également affaire de mentalité. L'Eglise catholique, avec son mépris de l'argent et sa condamnation du prêt à intérêt, le marxisme, avec sa lutte des classes, et aujourd'hui l'Etat nounou ont leur responsabilité dans cette méfiance intrinsèque :

"A tout attendre de l'Etat, nous nous laissons aller à considérer qu'il n'en fait jamais assez. A avoir conduit l'Etat à devenir omnipotent, nous finissons par penser qu'il en fait trop."

Cette mentalité de méfiance, qui ne date pas d'hier, se traduit aujourd'hui par un incivisme, un étatisme et un corporatisme caractéristiques. Les médias télévisuels contribuent à l'entretenir. L'auteur fait un parallèle lumineux entre le traitement, sur un ton catastrophiste, fait par eux en France lors des épisodes neigeux de l'hiver dernier, et celui fait par leurs homologues nippons après le tremblement de terre, le tsunami et l'accident nucléaire survenus à Fukushima.

Les travers des médias sont amplifiés encore par Internet, où sont confondues information et communication, les médias finissant par considérer une information non vérifiée comme digne de ce nom par le seul fait qu'elle buzze. De la même manière des sondages effectués au rabais apportent leur pierre aux caricatures de l'opinion. Or les effets des médias, d'Internet et des sondages "se cumulent et s'amplifient dans un flot d'émotions à dominante négative".

"La mutation fondamentale est le passage de l'individu abstrait à l'individu concret, la reconnaissance de l'autonomie individuelle comme moteur de la société" écrit Thierry Saussez. Seulement les Français opèrent une dichotomie dans cette autonomie. S'ils revendiquent l'affirmation de leur identité, de leur droit à la différence, la prise en compte de leurs singularités, ils n'intégrent pas "l'autre face de l'autonomie, la responsabilité, la compétition, la concurrence" :

"Comme l'enfant, nous passons de la socialisation à l'autonomie, mais nous voulons garder tous les avantages de la socialisation sans payer le prix de l'autonomie qui nécessite de nous prendre totalement en charge, d'accepter la compétition."

Thierry Saussez est optimiste. Certes il constate que pour les Français "tout ce qui est local est meilleur" et que "tout ce qui est global est suspect", mais c'est pour mieux relativiser "le décalage entre une confiance individuelle forte et une confiance individuelle faible". Il remarque qu'ils compensent ce décalage en voulant s'extraire de la domination du système médiatique, qui est anxiogène : si dans le particulier ils sont compétents et authentiques, dans le général ils ne le sont pas et sont sous influence. 

Il y a deux angles de vue : les verres à moitié vides et les verres à moitié pleins. Thierry Saussez recommande évidemment le second angle de vue qui permet de ne plus considérer seulement un monde extérieur et virtuel chargé de tous les péchés :

"Regardons bien le monde réel : jamais, depuis longtemps, nous n'avons fait autant d'enfants, ce qui est singulièrement une preuve de confiance dans l'avenir. Jamais nous n'avons créé autant d'entreprises et d'activités, en particulier avec la création du statut d'autoentrepreneur, ce qui n'est pas non plus une marque de défiance. Notre produit intérieur brut par heure travaillée est au top mondial."

Alors que leurs seules vraies peurs sont intimes, la maladie et ce qui peut arriver à leurs enfants ou leurs parents, les sports nationaux des Français sont "exagérer les risques et les souffrances, entretenir le culte du compassionnel, chercher des boucs émissaires".

Aussi est-il grand temps que les Français se réveillent et ne se comportent plus en enfants gâtés,
qu'ils passent à l'âge adulte, c'est-à-dire :

 

- qu'ils acceptent "l'autonomie de compétition qui fait tourner le monde"

- qu'ils cessent "de tout voir au travers du prisme déformant de la défiance, du pessimisme et du déclinisme"

- qu'ils renoncent  "à tout attendre de l'Etat"

- qu'ils se rendent compte que l'Etat c'est eux

- qu'ils deviennent davantage acteurs à part entière et moins consommateurs de prestations ou spectateurs du théâtre politique

- qu'ils regardent le monde tel qu'il est et notamment qu'ils se rendent compte que "la mondialisation représente un progrès considérable de l'humanité"

Il y a du pain sur la planche...

  

Mais la nouvelle génération, contrainte à la lucidité et au réalisme, n'est-elle pas une chance ? 

Comme je suis optimiste et qu'il convient d'agir dans la vraie vie, j'aime bien la devise de Charles le Téméraire, reprise à son compte par Guillaume d'Orange : "Point n'est besoin d'espérer pour entreprendre, ni de réussir pour persévérer".

 

Francis Richard

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4 août 2011 4 04 /08 /août /2011 17:20

Ticket d'entréeAvec Ticket d'entrée, édité chez Grasset ici, de Joseph Macé-Scaron, nous nous retrouvons un peu plus de cinq ans en arrière. Nicolas Sarkozy est encore Ministre de l'Intérieur...

 

La France roupille en cette fin de règne de Jacques Chirac. La droite, qui se veut décomplexée, s'apprête à prendre la relève d'une droite qui n'en finit pas de se déliter. La gauche semble incapable d'offrir une véritable alternative.

Le héros, Benjamin Strada, signe des temps, est homo. Il ne nous épargne aucun des états d'âme et de corps, auxquels conduisent cette préférence sexuelle.

Eh oui les homos connaissent les peines de coeurs et les ruptures qui frappent les hétéros. Ils consultent aussi les psys, croyant trouver sur le divan remède à ce qui leur trotte dans la tête. En exergue d'un chapitre, l'auteur cite un Chesterton souvent bien inspiré :

 

"La psychanalyse est une confession sans absolution."

Les homos ne sont pas obligatoirement de gauche ni illettrés - Benjamin lit Proust, ce qui n'est d'ailleurs pas une exclusivité des homos éclairés. Quand ils ont perdu l'âme soeur, ils en retrouvent dix, voire plus, sans être pour autant comblés ni satisfaits, tout comme les hétéros. Don Juan en sait quelque chose...

Benjamin Strada est journaliste au Gaulois, le grand quotidien de droite. Il y est "chargé de dégoter des intellectuels pour alimenter les pages Débats". Il serait resté à cette place sans histoire s'il n'avait pas fait la connaissance, au sens biblique de Sodome, d'un personnage qui pèse sur la bonne marche du groupe de presse, comprenant le Gaulois Magazine, la Gauloise et le Gaulois Télé, toute ressemblance avec un groupe existant ne pouvant bien sûr qu'être fortuite.

Un tel ticket d'entrée ne préfigure pas pour autant comment se fera la sortie... Strada - promu grâce au canapé ? - devient rédacteur en chef du Gaulois Magazine, où pendant huit mois, il va insuffler un air nouveau, qui, s'il ne déplaît pas aux lecteurs - mais qui s'en soucie ? - ne va pas donner satisfaction à ceux qui l'ont placé au top, sans doute parce qu'il a un art consommé de faire l'idiot, quand on lui demande simplement d'être servile.  

Macé-Scaron, qui connaît bien son monde politico-médiatique français, nous fait pénétrer dans ce petit monde cynique et friqué, qui n'a pas d'autre objectif que de servir ses propres intérêts, et qui se préoccupe comme d'une guigne de ceux qu'ils seront un jour censés représenter, une fois conquis le pouvoir. Il le fait sur un ton volontiers ironique, multipliant les bons mots et les petites phrases qui claquent parfois comme des gifles bien assénées sur les bajoues.

Au final, malgré qu'on en ait, on ne peut que trouver jubilatoire cette liberté de se moquer de ceux qui tiennent le haut du pavé et que l'auteur, qui les a côtoyés, décrit si bien jusque dans les petits détails croustillants qui les tuent. Il n'est pas sûr que ces derniers apprécient tellement ce genre de moquerie. Tout le monde n'est pas capable d'auto-dérision, ni d'exercer avec bonheur cette faculté anglo-saxonne qu'on appelle l'humour.

Francis Richard  

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29 juillet 2011 5 29 /07 /juillet /2011 21:20

Nomade AyaanAyaan Hirsi Ali est une nomade. Elle a vécu en Somalie, en Ethiopie, au Kenya, en Arabie Saoudite, aux Pays-Bas. Enfin elle vit aux Etats-Unis. Dans Nomade, publié chez Robert Laffont ici, elle nous raconte cet itinéraire sans épilogue :

"Etre une nomade, dans une errance permanente, m'avait toujours paru romantique. Dans la pratique, être sans foyer et vivre sur une valise, c'était un petit avant-goût de l'enfer."

Car cette errance permanente n'est pas le fruit d'un choix délibéré. Sa famille quitte la Somalie pour des raisons politiques. A 22 ans elle refuse d'aller au Canada épouser l'homme qui lui est imposé par son père et s'installe aux Pays-Bas où elle devient parlementaire. Son opposition à l'islam radical la contraint à se réfugier aux Etats-Unis pour ne pas subir le sort réservé à son ami Theo Van Gogh par les fondamentalistes musulmans.

 

Qu'ont fait d'elle ses racines familiales dont elle s'est mise en quête pour se comprendre ? Une rebelle et, dans le même temps, une personne qui ne peut complètement s'en affranchir. Quand elle parle de sa famille à problèmes, elle ne peut s'empêcher de souffrir de ce que celle-ci est devenue, parce qu'elle reste sa famille. La raison n'empêche pas les sentiments.

  

La charia incorporée à la loi clanique pèse lourdement sur les membres de cette famille. Ayaan se rend compte douloureusement des conséquences tragiques qui en résultent. L'amour filial qu'elle éprouve pour son père qui ne comprend pas sa fille aujourd'hui apostate prouve qu'il est bien difficile de se départir des liens que la nature tisse entre les êtres.

 

Qu'il s'agisse de sa mère, de sa demi-soeur, de son frère, de ses cousins ou de sa grand-mère, elle montre par le récit que le fatalisme religieux est une bonne excuse pour ne pas prendre sa vie en main et  pour ressasser indéfiniment ses échecs, considérés comme des punitions, des flagellations, des lapidations, infligées en conséquence de ses propres fautes ou de celles des autres membres du clan.

Quand les non-occidentaux vivent dans les pays occidentaux, ils ne sont pas encouragés à se départir de leurs traditions, bien au contraire. Il en est ainsi notamment de la polygamie dont les ravages sont dévoilés crûment par Ayaan qui les a vécus de l'intérieur. De ce fait-là ils ne peuvent qu'échouer, faute d'être capables de partager un jour les valeurs des pays qui les accueillent, tout en les adoptant en apparence :

 

"Au coeur du choc des valeurs entre la culture tribale de l'Islam et la modernité occidentale, il y a des passions humaines universelles : le sexe, l'argent et la violence."

Si dans la modernité occidentale le sexe, l'argent et la violence sont du ressort de la responsabilité individuelle et relèvent des tribunaux quand il y a atteinte à la liberté, à la propriété ou à l'intégrité de l'autre, il n'en est pas de même dans la culture tribale de l'Islam.

 

La sexualité des femmes dépend du bon vouloir des hommes du clan, voire de la tribu. Leur mariage est forcé, arrangé. Elles ne sont que de simples possessions matérielles. Leurs ventres sont des incubateurs. Elles ne doivent pas connaître le plaisir, mais enfanter, d'où les mutilations génitales telles que l'excision du clitoris ou des petites lèvres du sexe, sans parler de la couture de l'ouverture du vagin.

Si elles ont des relations sexuelles hors mariage, elles méritent la mort parce qu'elles sont un déshonneur pour les hommes de leur clan. Ayaan donne l'exemple récent de tels meurtres pour l'honneur commis aux Etats-Unis par un frère ou par un père etc.

L'argent est destiné au clan, voire à la tribu. Les membres qui se trouvent dans les pays occidentaux pensent d'abord à envoyer de grosses sommes d'argent à ceux qui sont restés au pays. Pour ce faire ils empruntent sans vergogne, sans savoir comment ils pourront rembourser. Pour la galerie ils dépensent sans compter et se couvrent de dettes en abusant des cartes de crédit mises à leur disposition etc. 

La violence fait partie de l'éducation dans la culture tribale. Les punitions sont acceptées : il n'y a pas de remise en cause, comme il n'y a pas de remise en cause de la véracité et de la valeur du Coran aussi bien de la part des musulmans modérés que des fondamentalistes. On apprend aux enfants musulmans la violence, à la perpétuer, "à souhaiter la violence contre les infidèles, les juifs, le Satan américain". 

 

Les punitions sont principalement des châtiments corporels qui permettent aux uns d'affirmer leur autorité sur les autres. La loi du plus fort est toujours la meilleure. La violence est la méthode usuelle de résolution des conflits. C'est aussi pour les hommes un moyen de prévenir la désobéissance des femmes etc.

Ayaan Hirsi Ali a déjà décidé de quitter les Pays-Bas pour occuper une place de chercheuse à l'AEI, American Enterprise Institute et de renoncer à son mandat de député au Parlement néerlandais quand elle est déchue de la nationalité néerlandaise par une collègue de son propre parti, le parti libéral, où elle est membre d'une cellule de réflexion politique.

 

Le motif invoqué pour cette déchéance ? Elle a menti quand elle a immigré dans le pays en disant qu'elle était persécutée pour des motifs politiques. Ce mensonge, elle ne l'a pourtant pas caché par la suite. Elle l'a même évoqué lors d'entretiens avec des médias. Juste avant qu'elle ne quitte son dernier foyer perdu et ne reprenne son errance, sa citoyenneté néerlandaise lui est cependant rendue...

Au début Ayaan va sillonner les Etats-Unis pour y faire des conférences et mesurer à quel point ce pays est immense. Elle va en quelque sorte rester nomade. Quand elle prend le temps de faire une pause, elle découvre une spécificité de ce pays qui est enthousiasmante, avec la faculté de passer rapidement à autre chose quand cela ne marche pas :

 

"Pour moi, c'est cela l'Amérique : une vaste famille à laquelle n'importe qui peut appartenir, dès lors que vous en acceptez les valeurs."

Seulement les musulmans d'Amérique n'accepte pas vraiment ces valeurs. Ils jettent le discrédit sur ce que dit Ayaan Hirsi Ali dans ses conférences. Même si la situation des femmes musulmanes est meilleure en Amérique qu'en Europe, encore qu'elle se dégrade, pour les jeunes musulmans de là-bas, les mutilations génitales subies par elles, leur statut inférieur de demi-personnes juridiques, les mauvais traitements qui leur sont infligés sont exagérés ou des vues de l'esprit de la part de quelqu'un qui ne ferait montre que d'un ressentiment personnel.

Quels remèdes pour que l'esprit musulman aille vers l'ouverture ? Selon Ayaan seules les valeurs issues des Lumières sont à même de le faire : "la liberté de questionnement, l'éducation universelle, la liberté individuelle, l'interdiction de la violence privée et la protection des droits de propriété de l'individu".

 

Encore faut-il que demeure la liberté d'expression qui, selon elle, "inclut le droit de blasphémer et d'offenser" et que l'auto-censure ne prenne pas sa place pour ne pas faire de peine ou ne pas s'exposer à des représailles.

Encore faut-il que les féministes ne ferment pas les yeux sur les droits bafoués des femmes musulmanes sous prétexte de respecter une autre culture que la leur et qu'elles ne fassent pas de fausses comparaisons avec le sort encore inégal des femmes occidentales.

Encore faut-il que cessent les luttes intestines entre athées et agnostiques, chrétiens et juifs, protestants et catholiques.

Encore faut-il que les athées, les libéraux classiques, les chrétiens éclairés luttent ensemble contre cet ennemi commun qu'est l'islam. 

 

Encore faut-il que le Vatican et les églises protestantes ne croient pas que le dialogue interconfessionnel amènera "l'islam dans le giron de la civilisation occidentale":

 

"Les Eglises devraient faire tout ce qui est en leur pouvoir pour remporter cette bataille des âmes en quête d'un Dieu compatissant - ces âmes qui découvrent maintenant qu'un Allah impitoyable leur est plus accessible."

Dans sa conclusion Ayaan relate une histoire contée par sa grand-mère. Un lutteur et un poète rivalisent. Le lutteur accepte le défi de composer un poème qui n'est pas à la hauteur de celui du poète. Il perd donc et est discrédité. Le poète, plus intelligent, n'aurait pas accepté de rivaliser avec les muscles de son adversaire...

S'il n'y a pas d'épilogue réel à son errance, l'auteur imagine celui d'enfanter une fille, comme le lui a conseillé Oriana Fallaci, rencontrée peu de temps avant sa mort

 

Elle s'adresse à sa fille dans une lettre où elle s'engage à ne surtout pas lui infliger l'éducation qu'elle a reçue. Elle lui enseignera trois valeurs : la responsabilité, le devoir et la réflexion critique. Elle la mettra en garde contre le ressentiment. Elle aura pour elle un amour inconditionnel tellement plus puissant que celui de la foi en Allah...
   
Francis Richard

Ayaan Hirsi Ali a créé en 2008 une fondation, AHA ici, pour faire prendre conscience des pratiques violentes exercées contre les femmes aux Etats-Unis, les informer et les assister.

 

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27 juillet 2011 3 27 /07 /juillet /2011 10:30

Nouvelles RufinEn fait je suis ravi que la nouvelle, qui n'est pas un genre mineur, soit un peu plus souvent à l'honneur aujourd'hui. Je garde la nostalgie des véritables petits bijoux que savait si bien sertir Paul Morand et qui emportait la conviction en quelques pages bien troussées. 

 

Jean-Christophe Rufin vient de faire la démonstration éclatante avec Sept histoires qui reviennent de loin, publiées chez Gallimard ici, que ce genre n'était décidément pas mort. L'auteur s'y montre aussi excellent dans cet exercice qu'il le fut quand il écrivit son pavé, Rouge Brésil , Prix Goncourt 2001.

L'écrivain, voyageur et médecin, nous fait vivre à chaque fois un épisode différent et dramatique de la vie d'aujourd'hui qui se déroule dans un lieu du monde. Il s'agit en effet de sept histoires qui à partir de l'ordinaire font une singularité et se terminent de façon inattendue pour le lecteur qui, du coup, est mis en appétit pour la nouvelle suivante.

Les histoires que nous content Jean-Christophe Rufin ont pour cadre la chambre d'un hôtel, problablement parisien, une île de l'hémisphère austral - l'île Maurice ? -, un restaurant d'un village situé dans les Dolomites, le service de garde d'un hôpital de l'Assistance publique, le Lourenço Marques colonial devenu Maputo, Colombo sous l'ombre projetée de la guerre civile ou un train corail à destination des Ardennes.

Les personnages sont une jeune Kirghize qui a une passion pour le français, des créoles dont l'univers s'écroule, un guide de montagne qui pousse trop loin l'exigence alpine, des fiancés qui se séparent pendant des décennies sans jamais cesser de s'aimer, un fils de déporté tourmenté par les tragédies actuelles et passées, une belle Malienne qui ne veut pas perdre son bel Allemand dont les proches veulent l'écarter.

L'ensemble de ces histoires compose une véritable mosaïque, esquisse de représentation de notre monde contemporain. Au dépaysement que nous vaut d'être transportés en des lieux différents, dans des situations différentes, où se débattent des personnages en définitive hauts en couleur, s'ajoute, pour nous combler, un réel bonheur d'expression.

 

Francis Richard   

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13 juillet 2011 3 13 /07 /juillet /2011 19:05

L'armée furieuseEn dehors des auteurs anglo-saxons je lis peu de romans policiers, à l'exception des livres de trois auteurs français, Fred Vargas, Maxime Chattam et Jean-Christophe Grangé, qui écrivent dans des registres fort différents, la première, héritière du polar à la française, les seconds, beaucoup plus proches de leurs confrères d'outre-Manche ou d'outre-Atlantique, par l'horreur et le frisson qui imprègnent leurs romans.

 

Je parle bien entendu d'auteurs vivants de polars français. Sinon, sans parler de Georges Simenon, qui d'ailleurs était belge, je garde toujours une place dans mon coeur pour l'ami ADG, dont, de temps en temps, je relis un opus, histoire de cultiver la nostalgie d'une amitié défunte avec sa disparition. Il s'appelait Alain Fournier et cultivait les clins d'oeil impertinents, jusque dans les titres de ses livres, tel Le Grand Môme, par exemple, et il était d'une gentillesse à toute épreuve.

L'Armée furieuse, publiée chez Viviane Hamy ici doit son titre à une histoire qui remonte au mois de janvier 1091, à hier en quelque sorte. Une troupe d'hommes en armes s'empare de quatre hommes, ci-après dénommés les saisis. Seuls trois d'entre eux sont reconnaissables. Ils sont tous coupables de méfaits, qui logiquement doivent entraîner leur mort. C'est ce sort qu'en dehors de la justice humaine leur réserve cette Armée furieuse, cette Grande Chasse, connue aussi sous le nom de La Mesnie Hennequin.

 

Dans les environs d'Ordebec, en Normandie, par la suite, et par deux fois au moins, l'Armée furieuse a été vue par des témoins, emportant quatre hommes destinés au trépas, en 1777 et, semble-t-il, aujourd'hui. Comme cette vision s'est déjà révélée prémonitoire dans le passé, le commissaire Adamsberg prend l'actuelle très au sérieux et la suite prouvera qu'il n'a pas tort, d'autant que la visionnaire attire également son attention par une poitrine avantageuse et par un caractère bien trempé...

 

Adamsberg va très vite être chargé de l'enquête après la mort effective du premier désigné, sans qu'il l'ait vraiment demandé - il ne saura d'ailleurs pourquoi qu'à la fin. Ce sont ses méthodes, inhabituelles - il a surtout du flair et l'art de faire des rapprochements inattendus -, qui vont lui permettre d'élucider l'affaire, au grand dam de celui qui, dans les coulisses, a cru tirer les ficelles et tout fait pour le fourvoyer d'un bout à l'autre.

 

Parallèlement à cette affaire Adamsberg va en débrouiller une autre, qui se passe sur ses terres, c'est-à-dire à Paris. Un jeune immigré, Mo, coutumier du méfait incendiaire, est en effet accusé à tort d'avoir mis le feu à une voiture avec son propriétaire dedans. Le problème est que la victime, Clermont-Brasseur, est un magnat de l'industrie et qu'il est difficile de mener une enquête sur ceux à qui profite peut-être le crime, en l'occurrence ses rejetons. Mo est le coupable idéal, trop aux yeux d'Adamsberg, qui saura démêler les fils.

 

Indépendamment de l'intrigue double, voire multiple, ce qui rend ce polar intéressant c'est l'ambiance qui y règne. L'équipe du commissaire Adamsberg, lui-même policier atypique, est composée de personnages hauts en couleur qui n'échappent pas aux rivalités bien humaines, mais finissent par former vaille que vaille une manière d'équipe efficace tout de même. Les habitants d'Ordebec sont des vestiges d'une France provinciale où le châtelain et les manants continuent de jouer leurs rôles.

 

Bref, ce polar, qui va de rebondissement en rebondissement, est non seulement un livre d'agrément mais aussi un livre bien écrit, par un auteur qui, très fine mouche, comprend très bien la mentalité masculine et ne prend pas ses lecteurs pour des idiots, sans pour autant leur prendre la tête avec des considérations oiseuses.

 

Francis Richard

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5 juillet 2011 2 05 /07 /juillet /2011 13:55

Céline GodardHenri Godard est l'actuel éditeur de Céline dans la bibliothèque de La Pléiade. Il vient de publier une biographie de cet auteur, au titre sans ambiguité, Céline - il n'y a qu'un Céline -, chez Gallimard ici.

 

Henri Godard s'est attaché à reconstituer la vie de Céline à travers ses écrits, sa correspondance, des témoignages de proches, des biographies antérieures. Le résultat est une biographie à dominante littéraire, qui consacre une large part à la genèse des romans et des pamphlets.

D'ordinaire je ne suis pas très friand des biographies consacrées à des écrivains. Je suis plutôt proustien à cet égard.

 

L'oeuvre, dans bien des cas, à mes yeux, se suffit à elle-même. Mais, en l'occurrence, il est bien difficile de dissocier l'oeuvre de l'auteur, d'autant que Céline et ses écrits sentent le même souffre. Le ministre de la culture français, Frédéric Mitterrand, en se pinçant le nez, l'a même retiré du recueil des célébrations nationales 2011 ici, alors que le 1er juillet dernier correspond au cinquantenaire de sa mort.

 

Il est également difficile de dissocier les romans des pamphlets. En effet Louis-Ferdinand, dans les uns comme dans les autres, transpose la langue parlée dans la langue écrite et fait entendre une musique qui n'avait jamais été composée de cette manière avant lui.

 

Le résultat, très efficace, est obtenu en s'affranchissant des règles grammaticales, en juxtaposant des séries d'expressions, en forgeant de nouveaux mots, en introduisant des pauses sous la forme de points de suspension et en juxtaposant des sonorités qui font mouche à l'écrit et sont, curieusement, difficiles à apprécier oralement.

Tous les livres de Céline ont pour point commun d'avoir soulevé des scandales, mais ces scandales se sont traduits par des réussites bien différentes. Si Le voyage au bout de la nuit, qui ne peut que scandaliser les bourgeois, a connu une grande fortune d'édition quand il est paru, il n'en a pas été de même de Mort à crédit, qui lui est pourtant supérieur et qui est d'une veine encore plus scandaleuse.

 

Céline, qui était très conscient de son talent et de la révolution littéraire qu'il apportait, aurait très mal pris le sort que la critique et les lecteurs avaient réservé à son deuxième roman. Il en aurait conçu une rancune tenace, une véritable haine, contre tous ceux qui l'avaient ou ignoré ou dénigré.

L'origine des pamphlets antisémites serait donc à trouver à la fois dans le milieu familial dans lequel il avait grandi, dans l'antisémitisme manifeste qui imprégnait l'époque, dans la dinguerie de l'auteur et dans cette frustration de ne pas être reconnu à sa juste valeur, les juifs devenant, parmi d'autres, mais principalement, les boucs émissaires de sa vanité blessée.

 

Henri Godard fait un sort à l'interprétation erronée selon laquelle Céline aurait souhaité l'extermination des juifs. Le massacre dont il est question dans Bagatelles pour un massacre ne vise pas les juifs mais la guerre franco-allemande qui se profile. Cela n'enlève rien au caractère insupportable des pamphlets où Céline déverse des tombereaux d'injures sur les juifs dont il souhaite explicitement l'expulsion du pays.

 

Le talent de Céline est indéniable et c'est même ce talent qui rend ses pamphlets efficaces, alors qu'il serait vain d'y chercher une base idéologique au racisme furieux qui les sous-tend.

 

Ces attaques délirantes contre les juifs laissent aujourd'hui pantois mais leur irrationalité pouvait alors trouver un large écho chez les plus vils de ses lecteurs enthousiastes, parce qu'ils réveillaient en eux de bas instincts sans doute trop légèrement endormis.

 

Aussi faut-il vaincre sa répulsion pour découvrir de ci, de là, au milieu de tant de haine, des pépites d'écriture qui étonnent d'autant plus, par contraste; pour relever les propos hygiénistes du médecin qui s'afflige des dégâts que cause notamment l'alcool dans les couches misérables de la population.

 

L'école des cadavres n'aura pas le même tirage que Bagatelles. Les beaux draps, qui paraîtront pendant l'Occupation, auront encore moins d'excuses d'être publiées dans de telles circonstances. Il en sera longtemps puni par le dégoût et le désintérêt que la critique et les lecteurs lui témoigneront dans l'immédiate après-guerre.

 

Céline ne renouera avec le succès qu'avec D'un château l'autre, où il peindra comme il sait le faire de manière hallucinante l'atmosphère qui régnait à Sigmaringen où la fine fleur de la Collaboration avait trouvé un refuge artificiel et précaire.

 

Son oeuvre ne commencera à être publiée dans La Pléiade que quelques mois après sa mort. Il n'aura jamais connu de son vivant la consécration du prodigieux écrivain qu'il était et dont il n'était que trop conscient. Mais ses outrances l'auront finalement empêchée.

 

Henri Godard pense que les pamphlets seront inévitablement republiés un jour :

 

"En confrontant les lecteurs qui ne les connaissent encore que de seconde main à leurs pages les plus insupportables mais en leur révélant des morceaux qui sont du meilleur Céline, cette réédition les amènera à clarifier les idées qu'ils se font des rapports de la littérature et de la morale."

La levée de l'interdiction de leur republication faite par Céline lui-même - quel aveu ! - permettrait effectivement à ceux, qui n'ont pas pu se les procurer chez les bouquinistes des quais de la Seine, de se rendre compte que le talent ne va pas toujours de pair avec les bonnes intentions. 

Francis Richard

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22 juin 2011 3 22 /06 /juin /2011 21:55

Les sphères silencieusesIl n'est pas nécessaire d'être d'accord en tous points avec quelqu'un pour l'estimer et lui rendre hommage. C'est ainsi que j'ai beaucoup d'estime pour Philippe Barraud et que je rends hommage à sa plume, alors que sur bien des points je suis en désaccord avec lui. Sur son site Commentaires.com ici ce journaliste anticonformiste fait preuve d'une indépendance d'esprit, que, m'a-t-on dit, il paie au prix fort. Raison de plus pour l'estimer.

 

Au talent du journaliste libre il faut ajouter celui du romancier, que je ne lui connaissais pas. Aussi, quand j'ai vu l'autre jour chez Payot Les sphères silencieuses, publié par les Editions de l'Aire ici, ai-je aussitôt jeté mon dévolu sur ce livre que j'ai lu d'une traite sans me laisser distraire. Car ce journaliste au tempérament littéraire se double d'un scientifique, qui a une prédilection pour l'astronomie.

Un beau jour Christophe se promène avec son Grand-Pierre et fait la découverte dans les Alpes suisses d'une étrange plaque de métal, de bonne dimension enserrée dans la roche. Or son Grand-Pierre, en fait son grand-père, n'est autre que Pierre Corajoux, un éminent géologue à la retraite, qui va prendre à raison très au sérieux cette découverte.

 

Il faut dire que cette plaque est on ne peut plus mystérieuse et qu'elle ne laisse pas d'intriguer le scientifique. Elle émet de fortes radiations, qui, d'ailleurs, vont altérer gravement la santé de Christophe. Elle est de plus d'un métal inconnu, particulièrement résistant. Il s'avère enfin qu'elle est en fait une toute petite portion d'une sphère gigantesque, enfouie là peut-être depuis des dizaines de millions d'années.

Cette découverte ne va pas longtemps rester secrète. Pierre Corajoux va envoyer un e-mail à un jeune professeur d'exobiologie du Lausanne Institute of Technology, Jean-Philippe Cheseaux. Cette nouvelle va être interceptée par les services de renseignements occidentaux grâce au fameux programme Echelon qui permet d'analyser les échanges d'e-mails à travers le monde à partir de mots-clés. Et l'affaire est lancée.

 

Philippe Barraud qui connaît bien son monde politique, médiatique et économique - il a traîné ses guêtres à la Gazette de Lausanne, à L'Hebdo et au Temps - nous montre comment tout ce petit monde économico-politico-médiatique s'empare très rapidement de cette nouvelle pour servir ses intérêts.

 

Certes on retrouve au passage les préoccupations de l'auteur telles qu'il les exprime sur Commentaires.com, mais cela n'est pas le moins du monde rédhibitoire. Il ne s'agit pas en l'occurrence pour lui de convertir, mais de montrer tout simplement, en laissant le lecteur juge de la comédie humaine telle qu'elle se joue aujourd'hui sous nos yeux, avec pour décor les dernières inventions technologiques.

A la fin du livre la sphère, qui a des soeurs sur d'autres planètes, ne livre pas ses secrets. Elle reste silencieuse sur elle-même, comme les autres, après avoir généré beaucoup de bruit autour d'elle et beaucoup d'effervescence. Très poètiquement au fond l'auteur nous parle d'elle et de ce qui advient d'elle, à travers les yeux de Christophe, de Grand-Pierre et de Claudia, une femme sensible et courageuse, qui vit dans les parages avec sa fille et qui s'est jointe au duo originel.

Philippe Barraud apparaît donc sous un autre jour que celui du journaliste aux formules qui font mouche et ce n'est pas à son désavantage. S'il nous parle en effet de technologie savamment, il nous parle aussi bien avec tendresse de ces montagnes alpines où il passe lui-même une partie de son temps.

Francis Richard

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20 juin 2011 1 20 /06 /juin /2011 22:45

Chroniques Occident nomadeLundi 6 juin 2011, quand je me suis rendu à Genève au Théâtre du Loup pour écouter des extraits de L'embrasure de Douna Loup, j'ai aperçu Aude Seigne en grande conversation avec l'auteur et ai pu mesurer du regard cette grande fille blonde - un mètre quatre-vingt cinq - dont les yeux étaient habillés ce soir-là d'une paire de lunettes.

 

Je n'avais pas encore lu ses Chroniques de l'Occident nomade, publié aux Editions Paulette, dont voici l'adresse : CP 5312, CH 1002 Lausanne (le lien internet ne fonctionne pas...), que vous pouvez trouver aussi bien dans les librairies Payot qu'à la FNAC ou commander dans toute bonne librairie. J'ignorais à ce moment-là que cette jeune femme de 26 ans recevrait six jours plus tard à Saint-Malo le prix Nicolas Bouvier 2011... lors du Festival des Etonnants Voyageurs ici.

Aussi ne me suis-je pas approché d'elle. Je ne voulais surtout pas être influencé par sa personne avant de lire ses chroniques de voyage. J'essaie toujours - ce qui n'est pas toujours possible - , même lorsqu'il s'agit d'un livre où l'auteur est amené à se livrer personnellement, de faire abstraction le plus possible de l'écrivain pour apprécier l'oeuvre en elle-même.

Ne vous attendez pas à lire des récits de voyage pleins de descriptions, pleins de détails que vous pouvez trouver dans n'importe quel guide. Ce n'est pas du tout le propos de cette jeune femme qui, de ses 15 ans jusqu'à ses 23 ans, a parcouru le monde, sac à dos, à raison de deux à trois mois par an. Le monde ? La Réunion, l'Australie, l'Europe de l'Est et l'Inde, sans parler de la Syrie, de la Bosnie, de l'Italie, de la Grèce ou du Burkina Fasso.

Ne vous attendez pas non plus à des chroniques rangées bien sagement dans un ordre chonologique ou focalisées sur un même lieu. Aude Seigne établit au contraire des correspondances improbables entre les êtres et les lieux de différents points du globe qu'en dépit de leur éloignement elle réunit judicieusement, en de subtils rapprochements. Elle le fait avec une grande liberté de ton qui caractérise si bien le nomade, au physique comme au mental, ce qui n'exclut évidemment pas les détails intimes et une certaine crudité.

Pour celui qui ne part jamais nulle part sans un livre dans une de ses poches trouées, il est réconfortant d'apprendre que cette jeune femme a toujours un livre à portée de main et que le voyage ne signifie pas pour elle d'avoir les poches vides de toute cargaison littéraire. Elle lit donc L'idiot de Dostoïevski à Ouagadougou et L'éducation sentimentale de Flaubert à Adelaïde. Elle cite avec à-propos Rimbaud, Bouvier ou Michaux.

Lire ne va pas sans écrire et réciproquement. Voyager ne va pas sans aimer et inversement. Aimer, lire, écrire, voyager, Aude combine ces quatre verbes avec bonheur comme un artiste les couleurs de la palette ou les notes de la musique. Elle aime aussi certains mots comme ravissement ou éperdu. Des noms de villes l'émeuvent avant de les connaître. Elle nous dit tout cela avec des phrases courtes, mais chargées d'émotions.

Il est toutefois un temps où cette vie d'évasion, de somnolence, de liberté sans entraves, de lascivité, n'est plus possible. Force lui est de retourner à la vie réelle, sédentaire, après s'être construite dans l'état nomade plusieurs mois par an. Il faut retourner sur terre après l'avoir parcourue dans tous les sens. Mais cela ne se décrète pas. Il y faut un changement qui se prolonge pour vous intimer l'ordre de jeter l'ancre. Car, dit-elle :

 

"J'avais toujours pensé que je voyagerais toute ma vie, que j'aurais des amants aux quatre coins du monde, et que cela me conviendrait très bien."

 

C'était compter sans le verbe aimer au singulier qui ne souffrirait plus de se combiner au verbe voyager au pluriel. Cherchez l'homme...

 

Depuis deux ans, une éternité, Aude a posé son sac à Genève.

 

Francis Richard   

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16 juin 2011 4 16 /06 /juin /2011 22:45

Portrait d'EricEric Werner, l'auteur de Portrait d'Eric, édité par Xenia ici, nous prévient d'entrée, dans son avant-propos. Il ne s'agit pas d'une autobiographie, ni de confessions. Amateurs de sensations fortes s'abstenir. L'auteur a eu une vie somme toute assez calme. D'écrire les textes de ce livre l'a juste aidé à faire mieux passer son passé qu'il n'avait pas encore vraiment digéré.

Le premier texte est une explication détaillée du tableau qui fait la couverture du livre et qui représente l'auteur il y a quarante ans. C'est une oeuvre du peintre polonais Joseph Czapski, un des 79 rescapés du massacre de Katyn perpétré par les Soviétiques au début de la seconde guerre mondiale. Dans son film sur Katyn Andrzej Wajda évoque cet artiste dans la bouche d'un personnage.
   
L'auteur a littéralement enseveli pendant des décennies ce portrait de lui-même, qui le représente, le front baissé, alors qu'il donne un cours à l'Université de Genève. Aujourd'hui, maintenant qu'il se connaît mieux lui-même, il pense que ce portrait le représente dans sa réalité profonde, celle que ses proches ne veulent surtout pas voir à l'époque, parce qu'en apparence elle ne lui correspond pas, alors que les autres textes du livre la corroborent.

Le deuxième texte est le récit des "transgressions" commises par
Eric Werner.

 

Première transgression, il écrit avec Jan Marejko un livre, pas bien méchant, intitulé De la misère intellectuelle et morale en Suisse, mais qui lui permet d'être exclu carrément du système politico-médiatique, de manière "immédiate, totale et définitive", ce qui est le but recherché par lui, mais certainement pas par le co-auteur du livre, qui, au contraire, cherchera toujours à être considéré comme un "interlocuteur valable".

 

Deuxième transgression, alors qu'il est d'origine protestante, il rejoint pendant un temps assez long les rangs du catholicisme intransigeant d'Ecône. Sans doute est-ce dû à "l'attrait du neuf, de l'étrange". Mais c'est une des choses qu'il regrette le plus aujourd'hui, parce qu'en réalité, au fond de lui-même, il n'est pas un "absolutiste de droite" mais un libéral au sens "poppérien" du terme, c'est-à dire "adepte de l'idée selon laquelle le tout est au service des parties et non l'inverse".

 

Troisième transgression, élu sur une liste d'extrême-droite au Grand Conseil vaudois, n'aimant pas les chasses aux sorcières, il prend la défense d'une enseignante d'histoire, une dame Paschoud, qui a perdu son emploi après avoir assisté à une réunion de révisionnistes à Paris. Il flirte avec la ligne rouge mais ne la franchit pas. Il écrit un livre, De l'extermination,  qui le gêne aujourd'hui parce qu'il est révélateur d'"une sécheresse de coeur". Même s'il pense toujours que "ce n'est pas au législateur, encore moins à la justice d'écrire l'histoire".

 

Dans le troisième texte il parle de son père avec lequel il ne s'est jamais entendu. Sa trahison catholique - son père est membre de la Compagnie des pasteurs  de Genève - et son refus d'effectuer ses périodes militaires après avoir été à l'école de recrues ne font rien pour susciter la compréhension paternelle. L'affaire Jousson aurait pu les rapprocher, mais elle n'a pas intéressé Eric Werner à ce moment-là. En 1960 son père, sans être anti-militariste, a en effet pris la défense d'un objecteur de conscience, un dénommé Jousson, condamné à six mois de prison...

Dans le quatrième texte Eric Werner nous raconte qu'après avoir habité Genève, puis Lausanne, il s'est établi à La Tour de Peilz, sur des lieux où se déroule La  Nouvelle Héloïse de Jean-Jacques Rousseau qu'il met sur le même plan que Les Confessions. C'est pour lui l'occasion de nous dire tout ce qu'il doit à l'écrivain genevois et de nous donner son interprétation de cette autofiction avant l'heure.

Eric Werner place le cinquième et dernier texte sous la présence tutélaire de Saint Marc. Trois concomittances l'y conduisent : le 25 mars 2005 il assiste à Fribourg à une exécution de La passion selon saint Marc de Bach, le 4 avril 2005 il découvre sur le bureau de son père, décédé quelques heures plus tôt, un livre sur saint Marc, et le 25 avril 2005, fête de saint Marc, une messe est dite à Lausanne pour le repos de l'âme de son père.

 

Dans l'évangile de saint Marc le Christ apparaît toujours en mouvement et sa vie semble se refermer en un cercle - parti de Galilée il retourne en Galilée. Mais ce n'est pas réellement un cercle puisqu'il y a un écart, le tombeau vide, qui change tout. Cet écart est "caractéristique de la spirale par opposition au simple cercle qui se referme".

 

La spirale est l'image même de la vie d'Eric Werner, qui semble s'éloigner par moment d'une position pour épouser la position contraire, mais qui continue à tourner, à chaque fois avec un décalage par rapport au cycle précédent, apprenant quelque chose à chaque tour, jusqu'au jour où le cercle finira bien par se refermer pour de bon.

 

Francis Richard  

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13 juin 2011 1 13 /06 /juin /2011 10:00

un roi desarzensIl y a des semaines comme cela. Sans le vouloir ma semaine écoulée a pris des couleurs africaines et a été marquée du sceau de l'asile. En effet, après avoir lu le magnifique livre de Douna Loup, Mopaya, consacré à l'histoire véridique d'un requérant d'asile d'origine congolaise qui est parvenu en Suisse et qui s'y est établi, un livre de Corinne Desarzens, édité chez Grasset ici, m'a emmené en Ethiopie pour y rencontrer Un roi.

 

La narratrice, qui ressemble à l'auteur et qui enseigne le Français à des requérants d'asile, accomplit trois voyages en Ethiopie. Le sort réservé en Suisse à des Erythréens, venus y chercher refuge après bien des vicissitudes, l'a incitée à se rendre dans le pays voisin de l'Erythrée pour mieux comprendre les contrées, d'où ses élèves sont partis, afin d'échapper à une mort probable ou à un sort guère enviable.

 

Le livre commence d'ailleurs à l'ouest, dans nos contrées. Pour être sûr que les requérants d'asile ne gêneront pas, ils sont mis à l'isolement dans un abri atomique, sous terre, sans lumière du jour et sans contact avec l'extérieur, où ils attendent la sentence qui leur dira de rester ou d'être expulsés vers le pays de l'Union européenne, sur le sol duquel ils ont fait leurs premiers pas, en vertu des accords de Dublin.

 

Ce traitement provoque l'indignation de la narratrice. Elle reproche aussi le ton employé pour parler de ces réfugiés et la description qu'elle donne de la conseillère fédérale qui dirige le Département fédéral de Justice et Police du pays, facilement reconnaissable aux traits lancés contre elle, est à mettre au compte d'une réaction émotionnelle incontrôlée, si elle est compréhensible :

 

"Madame la conseillère a une tête de grenouille, des yeux globuleux, des paupières lourdes, une prunelle qui rêve, en apnée, dessous, et des lèvres qui ne dévoilent jamais les dents. Même quand la photo est nette, on a l'impression de voir la ministre à travers un sac en plastique."

 

Le durcissement des règles de l'asile provoque l'ire de l'enseignante. Il n'est pas besoin d'approuver cette colère pour désapprouver les mauvais traitements infligés à ceux qui requièrent l'asile. Il n'empêche que faciliter l'asile n'est pas non plus une solution. En attendant que les pays d'origine de ces requérants deviennent des pays de libertés, faute de pouvoir accueillir toute la misère du monde, il faut bien gérer une situation délicate. Encore faudrait-il le faire avec humanité...

 

La narratrice accomplit donc trois voyages en Ethiopie, ce qui lui permet d'égratigner au passage ses compagnons du premier voyage au nord du pays, qui font du tourisme ordinaire et qui, après avoir "fait" d'autres pays du monde, "font" l'Ethiopie, attentifs davantage aux paysages qu'aux hommes qui les peuplent et qui tout aussi bien pourraient ne pas exister, ce qui serait évidemment plus commode.

 

La narratrice s'intéressent surtout aux hommes. C'est même pourquoi elle est venue. Comme elle est loin d'être de marbre, elle va tomber amoureuse et aimer un homme de là-bas, plus jeune qu'elle - elle a cinquante sept ans, lui en a vingt sept - qui a le comportement, l'allure et la démarche d'un roi, et lui est apparu un beau jour de novembre. Les deux derniers voyages se feront avec lui dans les deux autres directions du pays, au sud et à l'est, jusqu'alors inexplorés par elle.

 

Cet amour illumine le récit. Commencé sur un ton indigné, il se poursuit sur celui de la passion digne d'une femme et d'un homme. L'endroit où ils se rencontrent en est tout transformé. Il devient un univers parce que la femme qui s'y meut fait la connaissance d'un de ses habitants qui l'émeut. Leur différence d'âge n'a pas d'importance. Ils la savent bien cette différence mais ils se situent bien au-delà d'elle :

 

"Il y a un âge où une femme doit être belle pour être aimée, ensuite vient le temps où elle doit être aimée pour être belle."

 

La narratrice est femme de lettres. Sur l'endroit elle a lu Arthur Rimbaud, Michel Leiris, Evelyn Waugh, Joseph Kessel, Henry de Monfreid, puis Jean-Claude Guillebaud et Raymond Depardon. Mais elle a ses mots à elle pour dire ce qu'elle voit, ce qu'elle ressent, ce qu'elle vit et qu'elle ne pourra jamais oublier tout en s'obligeant à le faire. Le lecteur sent qu'elle n'a pu que faire le déplacement et y vivre pour s'exprimer ainsi.

 

Si l'indignation de l'auteur-narratrice n'est pas complètement convaincante, parce qu'elle manque de nuances, elle se manifeste avec tellement de fougue et de bonheur de style qu'on finit par la partager en partie. Comme ne pas s'indigner avec elle des critères subjectifs retenus pour décider du rejet d'une requête :

 

"L'humeur du fonctionnaire, sa vie personnelle, son enfance, son envie de plaire ou de mordre."

 

Francis Richard

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3 juin 2011 5 03 /06 /juin /2011 15:45

Piano chinois BarilierAu dernier Salon du Livre de Genève il m'avait fallu faire un choix. Sortant d'une opération au ventre, il m'était difficile de porter un trop grand poids de livres. La mort dans l'âme j'avais donc renoncé ce jour-là à faire l'acquisition d'un certain nombre de livres, parmi lesquels le Piano chinois d'Etienne Barilier, édité chez Zoé ici.

 

Surtout j'avais renoncé à me présenter à l'auteur, seul derrière sa pile de livres, pour lui dire que je voulais bien discuter avec lui mais qu'il fallait qu'il attende avant que je ne le lise... Je savais bien pourtant que ce ne serait que partie remise et que je n'ignorerais pas longtemps son livre paru cette année.

 

En flânant chez Payot, à Lausanne, l'autre jour, au sommet d'une gondole, ce livre m'a en quelque sorte tendu les bras et je les ai saisis, sans vergogne, ne regrettant pas aujourd'hui ce geste compulsif, et bien conforme à ma vie faite d'engouements successifs, après avoir habité quelques heures ce livre à la bonne facture : c'est un bel objet et il est remarquablement écrit.

 

Un récital de musique classique a lieu dans le midi de la France, à La Roque d'Anthéron, le 25 juillet 2010. Une jeune Chinoise, Mei Jin, y interprète des oeuvres du répertoire européen. Deux critiques musicaux assistent à la représentation. Tous deux tiennent un blog et relatent ce qu'ils ont vu et entendu ce jour-là. L'un tire sur la pianiste, l'autre la porte aux nues.

 

Ces deux critiques signent chacun d'un pseudonyme. Tous deux rivalisent de connaissances techniques sur le sujet. Celui qui porte aux nues l'interprète adopte un ton sérieux et docte. Celui qui tire sur elle se veut volontiers potache et séditieux. Dans un premier temps ils ignorent chacun ce qu'écrit l'autre. Mais, sur Internet, il est rare d'ignorer longtemps ceux qui s'expriment sur un même sujet.

 

Aussi, dès que chacun apprend ce qu'écrit l'autre sur la jeune Chinoise au joli minois, les deux critiques s'invectivent-ils d'abord  publiquement, d'un blog à l'autre, puis dans un échange de courriels privés, où ils passent rapidement des arguments techniques aux coups bas, aux attaques ad hominem, de préférence en dessous de la ceinture.

 

Au fil de cette bagarre faite de bons et de mauvais mots, on apprend que l'un fut le maître de l'autre et que, en tant qu'aîné, il ne supporte pas que le cadet se regimbe, veuille lui en remontrer. A l'issue de cette lutte homérique, au cours de laquelle deux styles étincelants et bien différents s'affrontent, un dénouement inattendu se produit qui permettra aux belligérants de vider leur querelle de sa substance.

 

Il ne faut pas se laisser impressionner par la culture musicale de l'auteur, si, comme moi, l'on n'est qu'un amateur mal éclairé de l'art dont Euterpe est la muse. Le propos de l'auteur n'est pas en effet d'en faire étalage, mais de débattre de l'aura de la musique occidentale sur l'orient et de montrer que les critiques sont des hommes comme les autres avec leurs travers et leurs défauts et que les conflits entre générations finissent par se résoudre quand chacun accepte de faire la part des choses.

 

Au fond c'est très intelligent, très moral et très réconfortant.

 

Francis Richard 

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24 mai 2011 2 24 /05 /mai /2011 06:10

Tout passe CommentLa nouvelle n'est pas un genre mineur. Il est même très exigeant, car il s'agit d'emporter la conviction en un petit nombre de pages, ce qui suppose une qualité d'écriture et un talent de conteur plus soutenus que dans un roman. Chaque nouvelle doit ressembler à un petit bijou logé dans un écrin.

 

On pourrait dire que la nouvelle est un concentré de roman. Elle ne peut pas et ne doit pas décevoir le lecteur. Il lui faut le faire avec une économie de mots et de temps. Car il s'agit au plus vite de laisser une empreinte et de graver dans la mémoire ne serait-ce qu'une impression. 

 

Bernard Comment, dans son recueil de nouvelles intitulé Tout passe, publié chez Christian Bourgois ici, met en scène tour à tour plusieurs personnages qui ont pour point commun de se mettre à considérer le côté éphémère de l'existence et le peu de choses qui en reste, quelques moments, parfois un secret que l'on garde pour soi et qui disparaîtra ou non avec soi, quelques manies.

 

Une mère goûte, à la faveur du flottement de son corps dans l'eau d'une piscine, quelques instants de bonheur en laissant monter à la surface quelques menus souvenirs.

 

Un fils, qui n'a pas connu son père et n'a rien de commun avec lui, et pour cause, assiste à son enterrement et se découvre tout de même son héritier.

 

Un entraîneur de football, 45 ans, amateur de Schubert, fait une escapade dans un zoo voisin, pendant la fin d'un match de son équipe, et se met hors jeu pour prendre du recul, rompre avec l'habitude, laisser libre cours à son imagination en suivant un jeune couple des yeux, mais il n'échappe pas vraiment à son passé, à ses scories.

 

Une jeune femme vit isolée dans un chalet. Un ami de passage se trouve avec elle, avant de repartir. Un autre ami, d'enfance celui-là, lui rend visite au même moment sous un faux prétexte. Il aimerait abolir l'occasion qu'ils ont manquée tous deux. Mais peut-on réparer le passé ?

 

Un veuf a développé l'entreprise de son beau-père. Lui et sa femme n'appartenaient pas au même monde. Après son décès il ne veut rien laisser à leurs enfants ni à leur descendance, qui ressemblent à son épouse. Il décide d'enterrer sa fortune sous la forme d'espèces périssables.

 

Un homme se voit annoncer une maladie incurable. Il imagine ce qui se passera après sa disparition et ne le supporte pas. Il commet l'irréparable. Pour rien, puisque justement son corps ne souffrait de rien de malin.

Un homme vit en mer depuis trois ans sur un cargo échoué, gardien de son précieux chargement de tungstène. Une ex débarque lors d'un ravitaillement. Il ne lui reste plus que lui au monde. Elle a échappé à une menace. Que faire d'elle après tant d'années ?

Un grand écrivain n'a pas publié depuis quinze ans. Il a vendu tous ses manuscrits à une compagnie américaine, en viager. Il a toujours écrit à la machine. Il ne veut pas les décevoir. Patiemment il reconstitue ses manuscrits, avec plein de corrections, anachroniques, au feutre rouge.

Un vieillard se trouve dans un bibliothèque numérique au moment d'une panne de courant. Il a pour voisine de table de travail une jeune femme désoeuvrée, puisqu'il n'y a plus d'accès. Elle le regarde avec des yeux ronds quand il lui parle des milliers de volumes qu'il a chez lui. La panne se prolonge. Une complicité s'instaure.

 

Les nouvelles ont le grand avantage de permettre d'embrasser plusieurs destins en un seul volume. En l'occurrence les nouvelles de Bernard Comment permettent de mesurer le temps qui passe, car tout passe. Il n'est qu'une façon de le retenir un peu, c'est de le retrouver par bribes singulières. Ce que l'auteur autorise ses personnages à faire, avec l'art et la manière.

 

Francis Richard

 

Le 3 mai 2011, le Prix Goncourt de la nouvelle a été décerné pour Tout passe à Bernard Comment

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Présentation

  • : Le blog de Francis Richard
  • : Ce blog se veut catholique, national et libéral. Catholique, il ne s'attaque pas aux autres religions, mais défend la mienne. National, il défend les singularités bienfaisantes de mon pays d'origine, la France, et celles de mon pays d'adoption, la Suisse, et celles des autres pays. Libéral, il souligne qu'il n'est pas possible d'être un homme (ou une femme) digne de ce nom en dehors de l'exercice de libertés.
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Profil

  • Francis Richard
  • De formation scientifique (EPFL), économique et financière (Paris IX Dauphine), j'ai travaillé dans l'industrie, le conseil aux entreprises et les ressources humaines, et m'intéresse aux arts et lettres.
  • De formation scientifique (EPFL), économique et financière (Paris IX Dauphine), j'ai travaillé dans l'industrie, le conseil aux entreprises et les ressources humaines, et m'intéresse aux arts et lettres.

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