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8 avril 2011 5 08 /04 /avril /2011 17:00

L'interrogatoireDans L'interrogatoire, publié chez Grasset ici, Jacques Chessex répond à un inquisiteur qui n'est autre que lui-même et qui ne lui fait pas de cadeaux. Ce n'est pas à proprement parler une introspection. L'auteur se connaît bien et il n'a pas vraiment besoin de fouiller profond en lui-même pour en extirper les secrets.

 

Cet interrogatoire ressemble plutôt à une confession publique où l'auteur joue les deux rôles, celui de l'interrogateur et celui de l'interrogé, avec autant de plaisir non dissimulé dans les questions que dans les réponses. Il s'agit moins d'ailleurs de se repentir de ses fautes que de les donner en spectacle, de s'en enorgueillir.

 

Tout y passe dans cet interrogatoire, des choses bien connues de ses lecteurs jusqu'aux replis les plus intimes. Il y a comme une jouissance chez l'interrogé à se dévoiler sans pudeur devant son interrogateur, à transgresser les interdits de son éducation protestante, qu'il revendique à juste titre, éducation qui le caractérise si bien et qui n'a pas été altérée, mais enrichie, par un séjour chez ses maîtres catholiques de Fribourg.

 

Cette éducation protestante explique son goût pour l'austérité et la luxure qui vont si bien de pair l'une avec l'autre, parce qu'elles sont toutes deux les formes exacerbées des intransigeants de la vie. Dans cette vision du monde il n'y a pas opposition entre extrêmes. Dieu et le sexe y font un curieux bon ménage, comme le corps est bien obligé de le faire avec l'âme, comme le vice frôle la sainteté.

 

Cet homme qui ne nous cache rien de ses pratiques sexuelles est fasciné par l'énigme du Christ et par le mystère d'une manière plus générale. Il a fait sienne une phrase d'Heidegger, que son appartenance au parti nazi et son esquive devant sa mise en cause ont toujours gêné. Cette phrase résume son sentiment le plus fréquent :

 

"Le simple préserve l'énigme."

 

Car pour garantir à un phénomène "sa puissance formidablement énigmatique" il faut de la simplicité.



L'écriture est la vie de Chessex. Il a l'impression souvent de trahir son métier en ne lui réservant pas l'exclusivité de ses travaux et de ses jours. La lecture fait aussi partie de sa vie parce qu'il a appris à lire "en faisant lire" quand il enseignait au Gymnase de Lausanne. C'est ainsi qu'il a pu sentir "les textes qui marchaient, Villon, Racine, Voltaire, Laclos, Rousseau, Constant, Baudelaire, Poe, Flaubert, Maupassant, Verlaine, Rimbaud, Proust, Gide, Céline, Giono,  Ramuz et le très protestant Ponge".

 

Que lit en somme cet assidu du remords ?

 

"Je lis ce qui me ressemble, je ressemble à ce que je lis, et le fond calviniste fait le reste."

 

 A la fin de L'interrogatoire Chessex évoque son dernier roman publié de son vivant, Un juif pour l'exemple [voir ici mon article du 12 janvier 2009]. Ce livre lui a valu d'être violemment attaqué le jour de son anniversaire le 1er mars 2009, lors du carnaval de Payerne, sa ville natale. Il y revient pour fustiger le mal qui l'a poussé à écrire cette histoire vraie :

 

"Le mal n'est pas tant l'injure à l'écrivain, que la manifestation explicite d'un autre mal autrement plus sale et dangereux, un mal qui rampe, qui se ramifie souterrainement, qui empoisonne le sol et l'air, qui insinue et laidement trouve le moyen d'exploser."

 

L'interrogatoire n'était pas achevé. Il l'a interrompu. De temps en temps il manque d'ailleurs des mots dans le texte, soulignés par l'éditeur. L'interrogé, dans une ultime réponse à l'interrogateur, dit :

 

"Je reviendrai."

 

Nous sommes vraisemblablement à quelques mois de sa mort, survenue le 9 octobre 2009 [voir ici mon article du 12 octobre 2009], et il écrit, dans le chapitre sur la peur, sur la peur de la mort en particulier, ce passage que je fais mien :

 

"Chaque matin, à chaque réveil, j'ai la surprise de pouvoir me dire que ce nouveau jour m'est donné par surcroît. C'est un cadeau qui n'a pas de prix." 

 

Francis Richard

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22 mars 2011 2 22 /03 /mars /2011 21:10

Camp des SaintsDébut 1973 paraissait un livre promis à un grand avenir éditorial en dépit du silence gêné qui devait entourer sa sortie et qui ressemblait à s'y méprendre à un enterrement de première classe, Le Camp des Saints, de Jean Raspail, paru chez Robert Laffont ici.

 

Je fus pourtant parmi les quinze mille lecteurs de la première édition, je ne sais trop pourquoi. Toujours est-il que ce livre m'avait ébranlé. J'avais encore 21 ans en ce début 1973, j'allais en avoir bientôt un de plus. Ce qui y était dit ne pouvait laisser quiconque indifférent, a fortiori le jeune homme que j'étais. 

 

Je suis maintenant à l'âge des relectures, 60 ans. C'est pourquoi je me suis décidé à relire ce livre incandescent, comme je me propose de relire prochainement Les Poneys Sauvages, revu et corrigé l'an passé par Michel Déon. Avant cette relecture j'ai d'abord pris en mains la première édition, celle de 1973, pour la comparer à celle de 2011, et j'ai constaté que cette dernière édition se distingue de la première par quatre points.

 

Le directeur actuel de Robert Laffont, Leonello Brandolini, ouvre le livre par une note d'éditeur où l'on peut lire entre autres :

 

"Jean Raspail connaît mon opinion qui n'est pas la même que la sienne. Il connaît surtout la volonté que j'ai de permettre aux auteurs de s'exprimer en toute liberté. La même volonté animait Robert Laffont en 1973 quand il voulait faire découvrir Le Camp des Saints."  

 

Le roman apocalyptique est également précédé d'une longue préface de l'auteur intitulée Big Other, allusion claire au Big Brother de George Orwell, qui est le personnage principal du roman d'anticipation de celui-ci, 1984, alors que la première édition était précédée de ce seul avant-propos :

 

"Je voulais écrire une longue préface, m'expliquer, montrer que tout cela n'est pas tellement utopique et que même si l'action symbolique peut paraître invraisemblable à certains, il s'en présentera, inéluctablement, une autre de même nature. Il suffit de se reporter aux effarantes prévisions démographiques de l'an 2000, soit dans 28 ans : sept milliards d'hommes, dont neuf cent millions de Blancs seulement.

 

Mais à quoi bon ?

 

Cependant, je me dois de signaler au lecteur que de nombreux textes prêtés à la parole ou à la plume de mes personnages, éditoriaux, discours, mandements, lois, reportages, déclarations en tout genre, sont textes authentiques. Peut-être les reconnaîtra-t-on au passage...Appliqués à la situation que j'ai imaginée, ils n'en deviennent que plus lumineux."

 

Des trois citations en exergue du livre, il n'en reste plus qu'une, celle tirée du XXe Chant de l'Apocalypse :

 

"Le temps des mille ans s'achève. Voilà que sortent les nations qui sont aux quatre coins de la terre et qui égalent en nombre le sable de la mer. Elles partiront en expédition sur la surface de la terre, elles investiront le camp des Saints et la Ville bien-aimée."

 

Les deux autres citations sont passées à la trappe :

 

"Mon esprit se tourne de plus en plus vers l'Occident, vers le vieil héritage. Il y a peut-être bien des trésors à retirer de ses ruines...Je ne sais." Lawrence Durell.

 

"A y regarder de l'extérieur, l'amplitude des convulsions de la société occidentale approche du point au-delà duquel cette société devient "métastable" et doit se décomposer." Soljenitsyne.

 

Enfin l'histoire se passe en un temps où le pape imaginé par Raspail s'appelle... Benoît XVI. L'auteur a tenu à préciser dans une note figurant à la fin de l'ouvrage que "le pape de fiction ici mentionné ne saurait d'aucune façon être confondu avec Notre Très Saint-Père le pape Benoît XVI, auquel je fais hommage de ma confiance et de mon respect."

 

Cette dernière note est curieusement datée de janvier 2006, alors que le livre a été réédité en 1978, en 1985 et en janvier 2011... 

 

Camp des Saints 1973Autrement, pas un mot n'a été changé. En le lisant on mesure le chemin parcouru en 38 ans. Aujourd'hui l'auteur ne pourrait plus écrire ce "livre impétueux, furieux, tonique, presque joyeux dans sa détresse, mais sauvage, parfois brutal et révulsif au regard des belles consciences qui se multiplient comme une épidémie", tel qu'il le décrit dans sa préface.

 

Ce brûlot serait "impubliable aujourd'hui, à moins d'être gravement amputé.", souligne-t-il dans cette même préface. Pour preuve, en annexe, est publié l'index des 87 motifs (relevés par deux avocats) de poursuites judiciaires qui pourraient être engagées contre lui en vertu des lois Pleven, Gayssot, Lellouche et Perben, si elles étaient rétroactives, lois qui empêchent les questions de fond, notamment celle de l'immigration, d'être débattues librement et favorisent la montée des extrêmes. 

 

Si en 1973 j'ai été ébranlé, en 2011, 38 ans plus tard, j'ai, par moments, été choqué par la violence du ton et séduit, dans le même temps, par la qualité du style. Aurais-je changé ? Aurais-je été contaminé par la bête dont parle Raspail, ce Big Other qui empêche les occidentaux de se défendre pour leur survie et fait voter des lois pour mieux les en empêcher et les réduire au silence ?

 

L'intrigue est simple. Il y a d'une part le paradis occidental et de l'autre une multitude d'hommes du Gange complètement démunis. Spontanément ces derniers sont près d'un million à embarquer sur une centaine de bateaux qui pourront tout juste accomplir le trajet de l'Inde jusqu'aux rivages méditerranéens du sud de la France, pour mettre un terme à ce triomphe occidental indécent auquel ils opposent "la force triomphante de la faiblesse" :

 

"[Les] armes [de cette flotte d'envahisseurs] sont la faiblesse, la misère, la pitié qu'elle inspire et la valeur de symbole qu'elle a prise dans l'opinion universelle."

 

Car, pendant le trajet qui dure soixante jours, ces hommes, femmes et enfants, qui souffrent et qui puent, suscitent la compassion humanitaire de la plupart des habitants du monde occidental qui voient en eux "l'apport de la civilisation du Gange à l'accomplissement de l'homme" et ne comprendront que trop tard ce que leur réserve réellement cette invasion, c'est-à-dire la servitude.

 

Seuls quelques uns d'entre eux ont compris que cette "armada de la dernière chance" allait détruire leur civilisation et préféreront résister à cette invasion, sans se faire aucune illusion, et mourir pour ne pas subir le joug et les humiliations qui leur sont promis.

 

Pour qualifier les pays occidentaux Jean Raspail parle à plusieurs reprises de peuple des Blancs. Il ne faut toutefois pas se méprendre. Il entend par là les "fils spirituels des Grecs, des Latins, des moines judéo-chrétiens et des Barbares de l'Est".

 

A la fin du livre il précise d'ailleurs par la bouche d'un noir de Pondichéry qui fait partie de la poignée d'irréductibles, voués à la mort plutôt qu'à la soumission :

 

"Etre blanc, à mon sens, n'est pas une couleur de peau. Mais un état d'esprit."

 

Pour donner une idée de la violence de certains passages du livre, je me risque à en citer un, qui n'est pas le plus violent. Sur la route de "l'armada de la dernière chance", la Commission de Rome décide de la ravitailler à la hauteur de São Tomé sans se douter d'ailleurs que les européens essuieront de la part de la flotte une véritable rebuffade :

 

"On montrerait à ces malheureux et au monde entier, le vrai visage de la race blanche ! Sur l'aérodrome de São Tomé, ce fut aussitôt la ruée. Le carrousel de la charité, cent avions attendant leur tour d'atterrir sous le ciel plombé de l'équateur. La curée ! Un morceau de choix de bons sentiments. Une pièce montée d'altruisme. Un chef d'oeuvre de pâtisserie humanitaire, fourré d'anti-racisme à la crême, nappé d'égalitarisme sucré, lardé de remords à la vanille, avec cette inscription gracieuse festonnée en guirlandes de caramel : mea culpa ! Un gâteau particulièrement écoeurant." 

 

Comme on le voit, Jean Raspail force le trait, ne fait pas dans la dentelle. C'est comme un cri de rage qu'il pousse, parce que ce pessimiste pense que le monde ancien qu'il a connu ne peut qu'inéluctablement disparaître et qu'il ne peut pas s'y résoudre. Aujourd'hui il ne se renie pas. Agé de 85 ans, il emploie ses dernières forces à lutter contre cette disparition qu'il considère pourtant comme inévitable, démographie oblige.

 

La question qui se pose est la suivante : Jean Raspail a-t-il raison de prophétiser ainsi le déclin de l'Occident, en entendant par là la fin de sa civilisation ? Force est de constater qu'aujourd'hui la richesse du monde se trouve encore entre les mains de cette minorité d'hommes, qui l'ont certes créée par leurs mérites, leurs labeurs, en suant sang et eau, mais qui ne peuvent que susciter l'envie de ceux qui n'ont pas eu la chance de naître sous de tels cieux, baignés dans une telle civilisation.

 

D'un côté les hommes qui se pressent aujourd'hui à Lampedusa, qui se pressaient hier à Melilla, semblent donner raison à Raspail, de même que tous les immigrés extra-européens, hermétiques aux valeurs judéo-chrétiennes, qui se trouvent déjà en Union européenne et qui pourraient bien être majoritaires dans quelques décennies, démographie oblige.

 

De l'autre il ne faut pas oublier que d'autres hommes, dans des pays gigantesques, comme le Brésil, l'Inde ou la Chine, sortent peu à peu de la misère en prenant leur destin en mains. Ils prouvent qu'il est possible d'en sortir mais que cela ne peut se faire que par l'exercice de libertés d'agir toujours plus grandes, semblables à celles qui ont fait prospérer naguère l'Occident. Lequel devrait comprendre qu'il est de son intérêt de ne pas empêcher les pays pauvres, par des protections à sens unique, de commercer avec lui.

 

Et puis, on peut rêver : si les occidentaux se remettaient à faire des bébés ...

 

Francis Richard 

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12 mars 2011 6 12 /03 /mars /2011 22:45

l'enfant prodigueLes lecteurs assidus des Carnets de JLK ici ne seront pas déçus, ou alors en bien, par le dernier opus de Jean-Louis Kuffer, L'enfant prodigue, paru aux Editions d'Autre Part ici. Il mérite cependant de dépasser largement ce cercle de happy few, dont je fais partie, même si ce cercle n'est pas négligeable pour et sur la Toile.

 

L'enfant prodigue est un roman, comme peut l'être La recherche. C'est-à-dire qu'il ne s'agit pas d'un roman où les amateurs d'intrigue seront servis. Il s'agit d'un roman où l'intériorité prime et où les souvenirs prennent une forme rêvée, laissant de surcroît une large place à la créativité du lecteur, qui peut lui aussi partir à cheval sur le rêve.

 

Il n'y a rien d'étonnant à cela puisque l'auteur fait partie de ces rêveurs allumés qui suivent une ligne brisée, irrégulière, avec une cohérence confondante. Il nous mène en son bateau ivre et nous en sommes ravis. Il nous fait emprunter des détours pour arriver au but, mais nous y parvenons.

 

Georges Haldas, dans ses Chroniques de la petite fontaine, ne définissait-il pas ainsi, au détour d'une phrase, de manière indirecte, l'Etat de Poésie qui lui était si cher :

 

"Le propre, dans l'Etat de Poésie, c'est de ne pas nommer directement les choses, pour que, par un détour, elles deviennent plus présentes."

 

Nous retrouvons une partie des personnages du Pain de coucou dans ce nouvel ouvrage, mais il faut dire d'emblée que le ton n'est plus le même à un quart de siècle de distance. Le style a lui aussi changé, il s'est fait plus onirique encore si c'était possible, ce qui prouverait que la maturité n'empêche pas, au contraire, de devenir un éternel enfant, prodigue de ses vagabondages.

 

Le monde de JLK est peuplé de livres, de mots, d'oeuvres d'art, de couleurs, de personnages rencontrés, tout comme de portraits et de photos de famille. JLK est insatiable, curieux de tout, d'une chose et de son contraire. D'ailleurs il reconnaît lui-même qu'il est double. Il y a deux moi en lui, "moi l'un" et "moi l'autre" qui sont loin d'être d'accord l'un avec l'autre, mais qui cohabitent tout de même sous le même crâne.

 

N'est-ce pas d'ailleurs le propre de tout homme d'être double, comme Janus, même si nous ne nous en faisons pas volontiers l'aveu ? "Tout homme est une guerre civile" disait Thomas Edward Lawrence dans Les sept piliers de la sagesse...

 

La plongée dans l'enfance et les émois de l'adolescence, avant et après le sperme chez les garçons, avant et après le sang chez les filles, ne sont pas prétexte à nostalgies. Ils sont quête, qui restera sans réponses définitives, mais qui permettront de reconstituer vaille que vaille ce que nous sommes devenus, ce que nous sommes. La réminiscence des amours mortes ressortit de la même quête qui ne nous rapporte que quelques pièces du puzzle, mais c'est déjà beaucoup et prometteur. 

 

Parmi les personnages rencontrés il y a Alonso Ferrer, que votre serviteur a bien connu en son temps, mais que JLK a quelque peu modifié pour des raisons romanesques évidentes. Il y a Georges Simenon qui se rendait chez un traiteur de la place Saint-François à Lausanne, dont le nom a également été changé pour les besoins de la cause. Le Monsieur Lesage de la librairie du Rameau d'Or emprunte ses traits à diverses personnes que les initiés reconnaîtront. La silhouette de Georges Haldas fait une courte apparition, comme un clin d'oeil amical...

 

Pas davantage que dans La recherche, le décryptage n'a réellement d'importance. Ce qui importe, ce sont les multiples facettes de la vie qu'il est donné au lecteur de retrouver ou de découvrir à travers ces diverses rencontres. Je suis même sûr qu'il n'est pas besoin d'avoir approché ni de près, ni de loin, tel ou tel des personnages rencontrés par JLK pour en apprécier tout le charme et toute la singularité, tels qu'ils nous sont rapportés par lui.

 

Toutes les familles de ma génération ont leurs portraits, sépia ou noir et blanc, ou les deux suivant le temps remonté. Celle de JLK ne fait pas exception. Tous ces portraits sont les masques derrière lequels des vies réelles ou rêvées nous contemplent. De leur foisonnement jaillit la vie tout simplement. A partir de leur évocation nous sont restitués les liens auxquels même les enfants fugueurs, prodigues, sont tentés de se raccrocher pour mieux savoir ce qu'ils sont vraiment, c'est-à-dire à partir d'où ils viennent.

 

Les ascendants, les collatéraux, ne sont pas les seuls miroirs qui nous renvoient l'image de la vraie vie qui nous ressemble. Il y a aussi l'Enfant, pareil aux autres enfants, avant que son rire n'éclate pour s'en distinguer :

 

"Le rire de l'enfant est la preuve qu'on n'est pas rien : qu'on est Quelqu'un."

 

JLK, sur l'Enfant devenu enfant sans majuscule, une fois qu'il est personnalisé par un prénom, écrit de véritables pages d'anthologie qu'il faudrait pouvoir reproduire in extenso.

 

Ceux qui se posent encore des questions, comme les enfants devant le monde qu'ils découvrent, ceux qui restent interloqués par les contradictions de la vie, ceux qui ont baigné peu ou prou dans l'évangile de Luc, à un moment de leur existence, apprécieront ces questions que pose JLK et qui resituent bien les choses dans le contexte de notre condition humaine :

 

"Est-ce parce que tous nous baissons, tous tant que nous sommes, que nous ressentons de mieux en mieux la valeur et la beauté des choses ? Faut-il vraiment baisser pour s'élever un peu, ou n'est-ce pas dès l'enfance que nous nous élevons, et par l'enfance subsistée en nous qu'en baissant nous ne cessons de nous élever, riches de nos expériences et de l'affinement de nos sentiments ?"

 

Francis Richard 

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26 février 2011 6 26 /02 /février /2011 15:15

tresordamourPhilippe Sollers est un personnage agaçant, envers lequel j'avais jusqu'à présent beaucoup de prévention et un peu d'aversion.

 

Quand cet histrion, comme il se présente lui-même, apparaissait sur un plateau de télévision pour y parler de l'un de ses livres, je me disais qu'il me serait impossible d'en lire jamais un seul.

 

Peut-être, parce que je ne l'ai pas vu vanter Trésor d'amour, publié aux Editions Gallimard ici, ai-je enfin surmonté cette petite aversion qu'il m'inspire.

 

Il faut ajouter en outre que je m'étais laissé dire que Philippe Sollers y parlait de Stendhal. C'était le mot de passe pour me décider à  franchir le Rubicon de mes préjugés à son égard.

 

En fait il faut toujours se méfier de l'auteur. Sur le petit écran il apparaît tantôt à son avantage, tantôt à son désavantage. Il peut être aussi bien embobineur que repoussoir.

 

Trésor d'amour serait un roman. Il est vrai que sous ce terme il est possible de comprendre beaucoup de façons. Le roman est une auberge espagnole qui permet à l'auteur d'y mettre à volonté ce qui lui passe sous le clavier ou sous la plume, après l'avoir produit dans son esprit. Dans nombre de romans d'aujourd'hui l'intrigue est réduite à la portion congrue. Elle est ténue et n'est qu'un prétexte pour enfourcher des dadas.

 

Trésor d'amour appartient à cette dernière catégorie. Amateurs d'histoires rondement menées, fabriquées en série, à rebondissements, qui vous scotchent du soir à l'aube, s'abstenir. Ce qui ne veut pas dire que vous n'aurez pas la tentation et l'envie de le lire tout d'une traite. Sa facture classique, et désordonnée à la fois, foisonnante, ne vous empêchera certainement pas de lui faire un tel sort.

 

Minna est professeur de littérature à l'université de Milan. Elle a publié un brillant petit essai sur les Souvenirs d'égotisme. Sa spécialité est Stendhal, dont elle pourrait être sans difficulté l'un des personnages. Elle correspond bien d'ailleurs à un personnage secondaire de La Chartreuse, Anetta Marini :

 

""Une petite fugure brune, fort jolie, et dont les yeux jetaient des flammes."

Des flammes n'exagérons rien, mais du lumineux, c'est sûr.

Plus précis :

"Elle a un petit air décidé, bien prise dans sa petite taille."

Et surtout :

"Ses yeux, comme on dit en Lombardie, semblaient faire la conversation avec les choses qu'ils regardaient.""

  

Le narrateur est l'auteur, qui ne manque pas, par moments, dans cette autofiction, d'être aussi agaçant que sur les plateaux télé, tant il semble avoir une haute idée de lui-même, tant, avec un dédain qui se veut aristocratique, il se fait donneur de leçons sur notre époque, tant il se fait paon en souvenir de ses bonnes fortunes :

  

"J'ai été très heureux avec quelques Européennes, Chinoises, Noires, Colombiennes ou Portoricaines, dragues faciles et sans histoires, aux antipodes des puits de névroses des Américaines, ces grandes malades du blocage mondial."  

 

L'intérêt du livre n'est donc pas dans l'intrigue qui se résume à quelques récits et réflexions sur l'amour entre Minna et l'auteur-narrateur, ni dans le narcissisme de ce dernier, encore que je comprenne son souci d'établir des correspondances entre Minna, Stendhal et lui. Il est dans la réelle connaissance que Sollers a d'Henri Beyle. Il a la générosité de nous en faire profiter et de nous donner envie de replonger dans cette oeuvre singulière qui a accompagné mes émois d'adolescent.

 

Il met ainsi en lunière des aspects oubliés de la vie de l'écrivain qui ne s'est pas suicidé "de peur de se faire mal" ... Des extraits des oeuvres de Stendhal, particulièrement les intimes, telles que La vie d'Henry Brulard, Le Journal, Souvenirs d'égotisme, sont l'occasion pour lui de les replacer dans leur contexte. Et pour tous ceux qui s'interrogent encore sur l'amour-passion - j'en fais partie -, De l'amour reste, comme on dit de nos jours, le livre incontournable.  

  

Commentant l'épitaphe que Stendhal aurait aimé voir inscrite en milanais sur sa tombe, Sollers lâche ce commentaire approprié :

  

"La vraie tombe de Stendhal est cette inscription : "Je vis, j'écris, j'aime." Dans cet ordre, et pas autrement. Tout le poids de cette déclaration ternaire porte sur aime. De quoi déconcerter les siècles des siècles, et pas de Panthéon, en tout cas.

 

Il faut insister : c'est parce qu'il vit et qu'il écrit qu'il aime, et non pas parce qu'il vit et qu'il aime qu'il écrit. Il y a la vie, l'écriture, l'amour. Ou encore : l'amour naît de la vie qui s'écrit."

 

Certes on peut imaginer que Stendhal n'aurait pas eu les pensées que Sollers lui prête à travers les époques, particulièrement la nôtre, mais le modeste stendhalien que je suis le remercie cependant de lui ouvrir, ce faisant, de nouvelles perspectives. Il le remercie surtout de parler de Stendhal tout simplement, ce dont je ne me lasse pas :

 

"Magré sa gloire y a-t-il encore quelque happy few pour lire vraiment Stendhal ? Je veux dire : sans cinéma ? Dans le rythme, la phrase, les idées, l'esprit ?"

 

Sans être en aussi parfaite communion d'esprit et d'idées que Sollers avec Stendhal, le style sec et précis, comme le Code civil de Napoléon, rapide et nerveux, de ce dernier, non dépourvu de nuances, ne laisse pas de me séduire et je me réjouis de cette magnifique piqûre de rappel, que nous inocule Sollers, qui m'incite à relire Stendhal, toujours vivant, encore et encore, pour apprendre un peu à MFCDT.  

 

Francis Richard 

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5 février 2011 6 05 /02 /février /2011 21:10

le prix à payerLa liberté religieuse est un bien qu'on ne mesure pas à sa juste valeur quand nous en disposons sans avoir à lutter, comme c'est le cas dans nos pays occidentaux.

 

Un homme, Joseph Fadelle, a souffert cruellement de cette absence de liberté dans son pays d'origine, l'Irak. Il nous le raconte dans un livre qui fait froid dans le dos.

 

Cette autobiographie est intitulée Le prix à payer et a été publiée l'an passé aux éditions de L'Oeuvre ici. La première édition date de mars 2010, la deuxième de novembre 2010. 

 

Moammed est le fils de Fadel-Ali, chef tout-puissant du clan irakien des Massaoui. Bien que n'étant pas l'aîné des fils, Moammed a été désigné par Fadel-Ali pour lui succéder à la tête du clan. Moammed a donc tout pour lui sur Terre, et plus précisément le pouvoir et l'argent, qui forcent le respect à ceux qui n'en ont pas.

 

A 23 ans, en ce début de 1987, il part à Bassorah pour accomplir son service militaire de trois ans dans l'armée du sunnite Saddam Hussein, qui a entraîné l'Irak dans une guerre contre l'Iran. Avant de partir, son père lui a demandé de repérer les lieux, de lui dire s'il est exposé aux zones de combat, auquel cas il le fera exempter, grâce à la longueur de son bras.

 

Son service sous les drapeaux commence sous de bien mauvais auspices. Lui, le chiite, et fier de l'être, va devoir partager sa chambre de la caserne avec un chrétien, un modeste agriculteur dénommé Massoud,  qui ne devrait même pas être conscrit à son âge, 44 ans.

 

Les choses se passent cependant mieux que de prime abord. Massoud est en effet un homme bon et cultivé. Ils discutent. Moammed raconte sa courte vie avec suffisance. Massoud l'écoute avec bienveillance.

 

Lors d'une absence de Massoud, Moammed déniche, dans la chambre, dans le coin du chrétien, sur une étagère, un livre intitulé Les miracles de Jésus. Moammed le dévore littéralement et au retour de Massoud il lui avoue son forfait. Sa curiosité piquée, il aimerait en savoir plus sur ce Jésus qui accomplit des miracles. Car ce personnage lui "procure une joie bienfaisante".

 

Massoud, méfiant, répond laconiquement aux questions que Moammed lui pose sur les chrétiens. Alors que Moammed se fait fort de démontrer à Massoud la supériorité de l'islam sur le christianisme, ce dernier l'incite, avant de lui apporter l'Evangile, à relire le Coran, qu'il lit pourtant chaque année pendant le Ramadan, "en essayant vraiment d'en déchiffrer le sens avec son intelligence", en étant honnête, sans tricher.

 

Moammed se prête à l'expérience et il tombe de haut. Le musulman observant qu'il était ne peut plus l'être après cette lecture qui lui dessille les yeux sur la réalité de l'islam. Il découvre avec son intelligence un islam dépourvu d'amour que son observation machinale et aveugle ne lui permettait pas de découvrir.

 

Cette désillusion ne le conduit certes pas à rejeter l'existence de Dieu, dont il est convaincu de la bonté, mais à émettre des doutes sur toutes les religions, y compris celle de Massoud, ce qui aurait pour avantage d'épargner à son amour-propre d'être complètement blessé pour s'être fourvoyé ainsi ausi longtemps.

 

Un matin il se réveille et se souvient d'un rêve qu'il a fait dans la nuit. C'est la première fois que cela lui arrive de se souvenir d'un rêve. Il en est tout heureux. Dans ce rêve un bel homme aux yeux bleu gris, à la barbe peu fournie, aux cheveux mi-longs lui a dit cette parole énigmatique :

 

"Pour franchir le ruisseau, tu dois manger le pain de vie."

 

Ce jour-là Massoud lui tend enfin l'Evangile, car le moment est venu d'en prendre connaissance. Il commence par celui de Jean alors que Massoud lui a conseillé de commencer par celui de Mathieu. Au chapitre 6 il tombe en arrêt sur un passage où Jésus dit :

 

"Je suis le pain de vie, celui qui vient à moi n'aura plus jamais faim..."

 

C'est la même expression mystérieuse qu'il a entendu en rêve et qu'il n'a pas comprise.

 

Son destin est scellé. Il se rend. Il ne s'agit plus de convertir Massoud à l'islam. C'est Massoud, au contraire, qui ,"par des images simples, tirées de son bon sens paysan", va lui enseigner les mystères de la foi chrétienne. Les tribulations vont pouvoir commencer et Joseph Fadelle va nous faire le récit tout au long de ce livre du prix qu'il devra payer, lui le musulman, pour s'être converti.

 

Massoud disparu, Moammed va connaître ainsi le rejet de l'Eglise qui se méfie de lui, puis a peur de l'accueillir en son sein. En terre d'islam on ne badine pas avec le prosélytisme. Lui-même est en danger de mort du fait de sa conversion.

 

Sa famille finit par découvrir son secret dans lequel il a conduit femme et fils. Elle le rejette et le fait mettre en prison, où il est torturé et dont il ne sort, amaigri, qu'après seize mois de tourments. La leçon doit être suffisante pour le ramener à la raison.

 

En fait la leçon a porté d'une tout autre manière. Il a compris qu'il ne pourrait vivre, libre d'exercer sa religion chrétienne, qu'en quittant l'Irak et qu'en prenant le chemin de l'exil. Il finit par gagner la Jordanie avec femme et enfants - une petite fille est née entre-temps.

 

L'Eglise a fini par les aider. C'est elle qui a organisé leur fuite, qui va les aider à survivre en Jordanie où la mort guette tout autant qu'en Irak les musulmans convertis. La famille de Moammed finit même par l'y retrouver. Son oncle Karim va même ouvrir le feu sur lui et il n'en réchappe que par miracle.

 

Il n'est plus possible pour lui et sa petite famille de demeurer en Jordanie. Jusqu'au dernier moment les embûches se dressent sur leur route et ils ne les surmontent qu'avec l'aide de Dieu par une de ses interventions improbables, par ses petits coups de pouce dont Il a le secret et qui changent un destin.

 

Le 15 août 2001 un avion se pose à Paris. Il y a à bord une petite famille qui ne connaît pas un mot de français, mais dont les membres portent des prénoms chrétiens depuis qu'ils ont été baptisés en Jordanie. Moammed a choisi Jean pour prénom de baptême mais se fait prénommer Youssef, puis Joseph. Sa femme, Anouar, est devenue Marie. Leur fils, Azhar, Paul, et leur fille, Miamy, Thérèse.

 

Joseph sait que lui et les siens ne retourneront pas dans leur pays tant qu'y régnera la charia :

 

"L'islam et la société qui émane de cette religion m'auront privé de la plus élémentaire liberté. Elle seule m'aurait permis de vivre en paix sur cette terre d'Orient qui est aussi celle des chrétiens."

 

Francis Richard

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5 janvier 2011 3 05 /01 /janvier /2011 00:40

La désinformation VendéeLe 25 septembre 1993, Alexandre Soljenitsyne prononçait un discours aux Lucs-sur-Boulogne, lors de l'inauguration du Mémorial de Vendée, aux environs duquel 564 villageois avaient été massacrés le 28 février 1794, page tragique, parmi une multitude d'autres, du véritable génocide perpétré, deux siècles plus tôt, contre la population vendéenne. 

 

J'ai cité un court extrait de ce discours dans mon article du Nouvel An de cette année ici. L'internaute peut le lire en version intégrale ici. Le grand écrivain russe y fait le parallèle saisissant entre la Révolution française et la Révolution russe et regrette qu'il n'y ait personne ce jour-là pour parler de la Chine, du Cambodge et du Vietnam... 

 

Cette lecture m'a conduit à lire enfin le livre dans lequel Reynald Secher raconte comment, pour avoir osé parler de "génocide vendéen", il a vu sa carrière universitaire brisée net. Il n'est pas bon de dire la vérité, même si elle rend libre. Il n'est pas bon de toucher à l'histoire officielle, car il y a toujours des historiens serviles, tenants du dogme, prêts à justifier l'injustifiable, ne serait-ce que pour défendre leurs propres intérêts.

 

Dans La désinformation autour des guerres de Vendée et du génocide vendéen, paru il y a un peu plus d'un an, Reynald Secher rappelle tout d'abord que le soulèvement de la Vendée avait pour objectif la défense des libertés individuelles, qui me sont chères, et notamment la liberté de croyance. 

 

Puis il rappelle que deux conceptions historiques se sont affrontées jusqu'il y a vingt-cinq ans. Apparemment antogonistes elles ne rendaient compte ni l'une ni l'autre du caractère réel et innovateur de la répression révolutionnaire.

 

L'histoire, dite conservatrice, avec Jacques Crétineau-Joly "sert avant tout à illustrer et consolider la vision sublimée qu'en ont les Vendéens martyrs". L'histoire, dite officielle, avec Jules Michelet réduit le soulèvement "à une simple guerre civile dont l'origine est à porter à la responsabilité exclusive des Vendéens, paysans arriérés et manipulés par leur clergé et leur noblesse".

 

En 1985, le 21 septembre, à l'Université de Paris IV-Sorbonne, Reynald Secher, dont le directeur de thèse est Jean Meyer, soutient une thèse de doctorat d'Etat intitulée Contribution à l'étude du génocide franco-français : la Vendée-Vengé, qui obtient la plus haute mention possible, c'est-à-dire "très honorable".  

 

A sujet exceptionnel, jury exceptionnel : il est composé de sept historiens parmi les plus éminents de l'époque, à savoir Jean Meyer, Pierre Chaunu, Jean Tulard, André Corvisier, Jean-Pierre Bardet, Louis-Bernard Mer et le recteur Yves Durand.

 

Alors que commençaient les préparatifs de la commémoration du bicentenaire de la Révolution française :

 

"Entre autres, ce travail démontrait, documents à l'appui, que la Vendée correspondait à un système proto-industriel légal d'anéantissement et d'extermination d'une partie du peuple de France non pas en raison de ce qu'elle faisait, mais de ce qu'elle était." 

 

Il n'en fallait pas davantage pour que l'auteur de cette thèse subisse un véritable lynchage médiatique dont la gauche a le secret pour assurer la défense des grands ancêtres. Pour son outrecuidance Reynald Secher sera présenté comme un antisémite, un extrémiste de droite, un négationniste...

 

Dans ces cas-là les droits de réponse et les articles favorables sont automatiquement refusés par les éditeurs... et l'on passe sous silence les éléments qui profitent à l'accusé, tels que, dans le cas de Secher, la publication en 1991 d'un livre intitulé Juifs et Vendéens, d'un génocide à l'autre, la manipulation de la mémoire

 

Parler de génocide vendéen était et est pourtant justifié. A l'impératif du conventionnel Bertrand Barrère qui demandait à la tribune, en avril 1793, d'exterminer les Vendéens, répondent trois lois votées à l'unanimité par la Convention, cette assemblée de furieux : 

 

- La loi du 1er août 1793 qui "conceptualise l'anéantissement matériel de la Vendée et la déportation des femmes, des enfants, des vieillards.

 

- La loi du 1er octobre 1793 qui a pour objectif de "régler définitivement la question vendéenne"

 

- La loi du 7 novembre 1793 qui débaptise la Vendée, laquelle devient le département Vengé

 

Le Tribunal international de Nuremberg, tout comme le code pénal français [article L121-1], énonce deux conditions pour qu'il y ait génocide :

 

- une volonté, manifestée par la conception, ou la réalisation ou la tentative d'extermination d'un groupe humain

 

- l'appartenance à ce groupe humain étant déterminée à partir d'un critère arbitraire [code pénal français] ou ce groupe humain étant de type ethnique, racial ou religieux [Tribunal international de Nuremberg].

 

Dans la grande presse, un grand journaliste prendra toutefois la défense de Reynald Secher. C'est Jean-François Revel, dans Le Point [n°728 du 18 août 1988], ce qui ne surprendra pas ceux qui sont épris de liberté :

 

"Il est très français que cette thèse d'Etat, coup de maître d'un historien de 30 ans, ait suscité, avant tout, une querelle de vocabulaire. Le premier mouvement a-t-il été pour soupeser l'intérêt d'archives mises au jour après deux siècles de cellier ? Mesurer l'ampleur des nouveaux renseignements fournis ? Evaluer le progrès accompli dans la compréhension des faits ? Que non ! Toutes affaires cessantes, les docteurs se sont empoignés sur la question de savoir si l'auteur était fondé à user dans son titre du terme de "génocide"."

 

Cette querelle de vocabulaire a coûté très cher personnellement à Reynald Secher, qui a dû renoncer à une carrière universitaire prometteuse et se faire éditeur ici pour que ses propres livres paraissent.

 

Plus grave, selon lui, est le dommage, difficile à mesurer, causé à la vérité, mais aussi à la prise de conscience et à son "rôle dans la mémoire des peuples pour faire en sorte, autant que possible, que ce genre de crime d'Etat ne se reproduise pas".

 

Pour ne pas avoir à juger un système et à définir des responsabilités, la technique consiste à ne livrer que quelques noms emblématiques en pâture, qui sont des boucs émissaires bien opportuns...

 

Francis Richard 

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30 décembre 2010 4 30 /12 /décembre /2010 11:30

La Cour des Grands BovardDans une librairie de Morges, il y a dix jours, j'ai rencontré Jacques-Etienne Bovard, qui m'a dédicacé La Cour des grands, publié chez Bernard Campiche Editeur ici. Il partageait sa table avec Jean-Michel Olivier et Mélanie Chappuis, auteurs respectivement de L'Amour nègre et Des baisers froids comme la lune [dont j'ai fait une recension ici et ici], avec lesquels j'ai pu faire plus ample connaissance. Il était donc en bonne compagnie. Ce fut l'occasion de découvrir cet écrivain vaudois que je ne connaissais pas, à ma grande honte.

 

L'éditeur Bernard Campiche était présent, assis donc derrière deux de ses auteurs, plongé...dans un livre. Ce qui m'a donné l'occasion de le féliciter pour la qualité des livres qu'il édite. Ce sont en effet de véritables oeuvres d'art, qui se tiennent agréablement dans les mains. Les couvertures, le papier, sans oublier le contenu bien sûr, comme il me l'a tout de suite fait remarquer, ne peuvent que ravir le lecteur. Car ce dernier va tout de même habiter ces objets magiques quelques heures durant, en général nocturnes, pour ce qui me concerne. Autant que ce soit pour le plaisir des yeux, du toucher et de l'intellect. 

 

Xavier Chaubert, la trentaine, est moniteur de judo. Cette voie de la souplesse a certainement été une bénédiction pour lui et le meilleur des apprentissages de la vie, sur laquelle il s'agit pour tout un chacun de "crocher". Après avoir été champion international et avoir fait le pèlerinage obligé au Japon, il a pu, grâce à elle, acquérir une humilité de bon aloi et une résistance aux vicissitudes et aux injures des hommes et du temps. Cet art martial lui rendra un signalé service au cours de l'histoire qui nous est contée par lui et lui permettra à la fin de rebondir, comme on dit de nos jours.

 

Les arts martiaux, à tout âge, permettent en effet de forger le corps puis l'esprit, l'esprit puis le corps, comme ce fut le cas pour votre serviteur qui a pratiqué la voie de la main nue, le karaté do, pendant une quinzaine d'années. Si cet art m'a appris à ne pas esquiver les difficultés mais à y faire face, le judo lui ressemble comme un frère, en creusant un autre chemin, que le narrateur dépeint en ces termes :

 

"Ce que la voie de la souplesse a de mieux à nous apprendre, et qu'elle nous enseigne même en premier, n'est-ce pas à céder avant de casser, à tomber, puis à se relever ?"

 

Pour nourrir cet homme qu'il est devenu, Xavier Chaubert, sous le pseudo transparent d'Alexis Berchaut, écrit ce qu'il est convenu d'appeler, un peu trop dédaigneusement à mon goût, des romans de gare, dans la collection Effort des éditions Weekend. Ces romans sont en quelque sorte fabriqués. Ils suivent un schéma immuable qui se prête à de multiples variations. Ils répondent à l'attente d'un public qui ne cherche pas à se prendre la tête mais à se divertir. Ses héros sont à son image des sportifs de haut niveau, malmenés par un accident de l'existence.

 

Francophones sans frontières est une association qui a pour objet de faire "découvrir des écrivains de langue française au-delà des cloisonnements, centralismes ou réseaux d'influence." A cette fin elle organise chaque année une Escapade sur plusieurs jours, avec au programme "séances de dédicaces, lectures, conférences, rencontres et débats". L'année qui nous occupe, la Suisse est l'invitée de cette manifestation, qui va se dérouler du 14 au 17 juin à Strasbourg, Verdun, Reims, Château-Thierry et Paris. 

 

Par "erreur informatique", Berchaut, ainsi que deux autres auteurs maison de chez Weekend, Charlène Mohave et Armand Duchêne, pseudo de Roger Borloz, est invité à ce périple pour représenter la Suisse française aux côtés de Dessibourg, professeur honoraire de l'Uni de Lausanne, maître d'oeuvre de l'édition des Oeuvres complètes de Cendrars dans La Pléiade, et surtout de Pierre Montavon, le célèbre écrivain, dont le nom est évoqué pour le prochain Nobel de littérature et qui vient de faire paraître chez Gallimard une autobiographie titrée Le Sacre, en toute modestie.

 

Le problème est que Pierre Montavon ne supporte pas la promiscuité de ceux qu'il appelle les "pitres", ces trois forçats de l'écriture dont les livres paraissent chez Weekend . Qu'y a-t-il de comparable en effet entre son oeuvre encensée partout et les minables opus de Charlène, dont l'héroïne, Karen Cochise, parcourt le monde, et ceux de Borloz, le pornographe, dont les personnages s'ébattent dans toutes les positions techniques que leurs corps sont capables de prendre ? Que viennent faire ces folliculaires dans la Cour des grands ?

 

L'Escapade promise ne s'avère donc pas être une promenade de santé pour les protagonistes. Tout au long, l'auteur ne nous ménage pas les rebondissements. Les personnages s'affrontent durement, tombent, se relèvent, lors de scènes d'anthologie. Ils dévoilent au passage leurs forces autant que leurs faiblesses. Les échanges vont du fleuret moucheté, ou du venimeux, à la goujaterie éthylique, ou à la prise de corps qui laisse des traces à l'âme comme dans la chair. L'auteur joue donc sur plusieurs registres et une fois refermé le livre, dont la couverture représente des gouttières anonymes, nous nous interrogeons sur le bien-fondé de la Cour des grands, à laquelle d'aucuns aimeraient accéder.

 

Francis Richard 

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23 décembre 2010 4 23 /12 /décembre /2010 23:10

Le mariage d'amour de BrucknerIl y a un an, dans Le Paradoxe amoureux, Pascal Bruckner analysait les rapports amoureux de notre époque et soulignait plus particulièrement l'improbable aspiration des hommes et des femmes d'aujourd'hui de vouloir concilier attachement et liberté.

 

Il soulignait dans ce livre que l'on était passé d'un extrême à l'autre et que de suspecte la jouissance était devenue obligatoire. Il notait avec Robert Musil "l'importance qu'avait pris le mot de partenaire en lieu de mari et femme : relation contractuelle qu'on peut dissoudre par convention mutuelle". Il constatait que les couples mouraient "non de déception mais d'une trop haute idée d'eux-mêmes".

 

On retrouve bien évidemment ces observations dans son livre Le mariage d'amour a-t-il échoué ?, publié chez Grasset ici. A propos duquel j'avoue avoir du mal à démêler s'il s'agit d'un développement ou d'un chapitre oublié du livre précédent.

 

Le mariage sous sa forme classique - particulièrement sous sa forme indissoluble prônée par l'Eglise catholique - était accusé de tous les maux et notamment de favoriser l'adultère et la prostitution, d'où la législation permettant le divorce, censé y remédier et rendre au mariage toute sa dignité.

 

Sous sa forme contemporaine, basé sur le consentement, l'amour tarifé et l'infidélité n'ont pourtant guère disparu. Le mariage était d'intérêt et de raison, il est maintenant d'inclination, "qui confère à un simple contrat civil une sacralité supérieure à la cérémonie religieuse". De chaste il est devenu voluptueux. Ces inversions dans l'ordre des choses ont  eu pour résultat  que :

 

"Tout ce qui était jadis difficile est devenu plus simple, on devient désormais amants après quelques jours ou quelques semaines mais tout ce qui allait de soi est devenu problématique : on déploie des subtilités de talmudiste pour savoir si l'on va ou non emménager ensemble et selon quelles modalités, si l'on va accepter les clefs que l'autre vous propose ou prendre la clef des champs. La peur de perdre son indépendance prévaut sur la "pudeur" d'antan".

 

Entre-temps le nombre des mariages n'a cessé de diminuer en Europe, tandis que le nombre des divorces a explosé :

 

"Ce sont les femmes qui rompent en majorité (près de 70%) [en France] : ayant acquis pour la plupart leur indépendance financière et la maîtrise de la contraception, elles ont moins besoin des hommes."...

 

Pascal Bruckner développe l'idée, présente dans son livre précédent, que les couples souffrent surtout d'avoir une trop haute idée d'eux-mêmes, qu'ils ont la folie "de vouloir tout concilier, le coeur et l'érotisme, l'éducation des enfants et la réussite sociale, l'effervescence et le long terme" :

 

"Chaque femme se doit d'être à la fois maman, putain, amie et gagnante, chaque homme père, amant, mari et gagneur : gare à ceux qui ne remplissent pas ces conditions ! "

 

Ce qui ne peut que conduire à une insatisfaction généralisée, à des divorces en pagaille, qu'il convient de dédramatiser : on se marie de nos jours "pour le meilleur sinon tant pis"... 

 

Par ailleurs l'allongement de la durée de vie permet de la recommencer si l'on s'est trompé :

 

"Les jeux ne sont pas faits jusqu'au dernier jour, ce pourquoi le deuxième ou troisième mariage est en général plus réussi que le premier."

 

Car :

 

"Aujourd'hui on est jeune jusqu'à ce qu'on devienne vieux : l'âge adulte a disparu dans cette opération.[...] La sagesse ne croît plus avec le nombre des années, le démon de midi frappe jusqu'au seuil du trépas." 

 

Pascal Bruckner met le doigt sur ce qui a changé :

 

"Nous sommes moins que jamais rassasiés de plaisirs, tout semble possible à tout instant."

 

Ce qui est une illusion.

 

Pascal Bruckner aimerait bien au passage que la jeunesse ne soit pas "gangrenée par le double discours du romantisme de pacotille et du film X " :

 

"Il est bon d'apprendre la reproduction au collège, il serait encore mieux de lire et de relire des poètes, des romanciers, des moralistes pour faire de l'attrait des coeurs autre chose qu'une addition de trémolos ou la conjonction bâclée de deux épidermes."

 

Pascal Bruckner pense qu'il ne faut pas exagérer la dissolution morale. Il n'en veut pour preuve que la mort du mariage, "dans un triomphe resplendissant" :

 

"Voyez en France le Pacs et son succès inattendu : à l'origine destiné aux seuls homosexuels pour garantir la transmission des biens d'un partenaire à l'autre, il est devenu, plus de dix ans après, presque l'équivalent des fiançailles pour une majorité d'hétéros." 

 

Que faut-il donc faire Docteur Bruckner pour sauver le mariage d'amour ?

 

"De même qu'un mariage d'affaires peut se muer en mariage d'amour, un mariage d'amour doit se teinter, s'il veut persévérer, de quelque raison; pourvu que ces accommodements soient choisis par les époux et non imposés par la famille."

 

Une petite prière, mon révérend, pour terminer ?

 

"Pardonnons-nous nos faiblesses respectives,

Ne blessons pas ceux que nous chérissons.

Rendons-leur grâce d'exister, de nous accepter tels que nous sommes."

 

Amen.

 

Francis Richard

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19 décembre 2010 7 19 /12 /décembre /2010 13:20

Dans la tête d'un réacVous en avez assez d'entendre des gens insipides, sérieux, graves, intellos, ennuyeux, pesants, sans panache, branchés, modernes, progressistes, qui pensent tous pareil, bref de gauche, alors lisez Dans la tête d'un réac d'Eric Brunet, paru chez NiL Editions, un des départements de Robert Laffont ici. Vous respirerez un autre air que celui que vous soufflent dans les narines, à longueur de journées, les médias du temps.

 

Vous voulez savoir ce qui se passe sous le crâne d'un réac, content et fier de l'être, né dans une famille de gauchistes bon tient - comme le gros rouge qui tache -, tôt rebellé contre ce milieu sectaire, obligé au début de sa vie professionnelle de cacher ce qu'il est, puis de faire des piges mal payées pour survivre, membre d'une "minorité invisible" mais présente, et qui mérite d'exister, alors lisez Dans la tête d'un réac d'Eric Brunet.

 

Eric Brunet ne vous prend pas par surprise. D'entrée il vous donne une longue liste de personnes physiques et morales, de lieux, à qui le livre n'est pas dédié et une liste tout aussi longue à qui il l'est. Ce n'est pas triste. Ainsi, par exemple, le livre n'est pas dédié à Manu Chao, à Hugo Chavez, aux bobos, à Philippe Sollers, à Emmanuelle Béart, à Olivier Besancenot ou à Karl Marx, mais il l'est à d'Artagnan, à Georges Brassens, à Michel Audiard, à Raymond Aron, à Alexis de Tocqueville, à Roger Nimier, à Charles de Gaulle et à Pierre Desproges.

 

Le ton est donné dans le prologue et il est le même tout du long :

 

"Les réactionnaires voyagent léger : pas de fonds dogmatique commun, pas de rituels sacrés, pas de jargon. Juste une propension à l'urticaire. Les réacs ne sont pas homothétiques des progressistes : la démangeaison guide leur conscience. Pendant que l'Homo modernus repense le monde tous les matins, l'Homo reactus se gratte."

 

Pour fêter la première victoire présidentielle de François Mitterrand les parents d'Eric, qui a 16 ans à l'époque, font péter le champagne. Manque de pot le bouchon part tout droit dans son oeil droit, lui déchire la rétine et le condamne à porter des lunettes toute sa vie : il est la première victime du 10 mai 1981...

 

Peu de temps après il avoue à ses parents qu'il est de droite... Il a une théorie à ce sujet :

 

"Au départ on n'est pas de droite parce que, on est de droite à cause. Une réaction viscérale, tripale. Chaque personne de droite possède son "à cause" intime."

 

Lui, c'est... à cause de la morgue des professeurs du collège Aragon de Nantes, soixante-huitards qui "ne doutent jamais".

 

Très vite il s'est rendu compte qu'il ne cherchait pas à être différent : il était différent. Et il n'a pas attendu que les règles de la balistique s'appliquent à un bouchon de liège pour que ses options politiques de réac se logent dans sa tête. 

 

La révélation lui est venue avec la visite de Charles de Gaulle au Canada, où le Général, sale farceur pour le Commonwealth, plein d'amour pour les descendants des Français abandonnés au XVIIIe siècle par Paris, lance son célèbre : Vive le Québec libre !

 

Ses lectures d'adolescent ?

 

"Gatsby le magnifique de Scott Fitzgerald, Les Jeunes Filles de Montherlant, Rêveuse bourgeoisie de Pierre Drieu La Rochelle : il n'y avait pas de message social dans cette littérature-là. Ces pages sentaient la poudre." 

     

Ce n'est pas au collège Aragon qu'il aurait étudié François Mauriac, Paul Morand, Jules Barbey d'Aurevilly, Michel DéonJean Anouilh...ou été simplement invité à lire Jacques Chardonne, Marcel Jouhandeau, Alexandre Vialatte ou René de Chateaubriand...

 

Je dois dire que ce n'est pas bien de la part d'Eric de déboulonner au passage les statues de Victor Hugo, "d'une soumission sans faille aux pouvoirs qui s'étaient succédé au XIXe siècle" ou d'Ernesto Guevara, surveillant "les exécutions des prétendus ennemis du régime castriste" dans la prison qu'il dirigeait à Cuba. Ce n'est pas bien non plus de démythifier les républicains espagnols de Madrid qui, pendant la guerre civile, ont liquidé plusieurs dizaines de milliers de suspects emprisonnés et c'est encore moins bien d'évoquer les charniers républicains du petit village de Paracuellos...

 

En tout cas les lectures d'Eric et de son ami Antoine les "propulsaient dans un monde de droite, un contre-monde, amoureux de l'usage et des principes" : 

 

"En ces temps vulgaires, nous affichions un mépris aristocratique pour les révolutionnaires et leurs cousins fascistes."

 

Leurs valeurs ? Celles des héros d'Alexandre Dumas : la fidélité et l'insolence.

 

Ce qui conduit tout droit à apprécier ces inclassables que sont Louis-Ferdinand Céline, Marcel Aymé, Michel Audiard, Léon Bloy... 

 

Jusqu'au jour où les deux amis font une découverte enchanteresque :

 

"Nous tombâmes, planqué au fond d'un rayon de la bibliothèque du vieux d'Antoine, sur Le Hussard bleu de Roger Nimier !

- Nimier, c'est un hussard, me murmura Antoine.

- Un hussard, un soldat de Napoléon ?

- Non, des mecs de droite, qui faisaient chier Sartre."

 

Ce qui les conduit cette fois à lire Antoine Blondin, Jacques Laurent, Michel Déon, les trois autres hussards historiques et, dans leur lignée, Kléber Haedens, Félicien Marceau et quelques autres. Autant d'auteurs qui, dans leurs livres, se refusent à s'engager et ne visent qu'à une chose : à plaire. Comme Molière...

 

Eric Brunet ne parle pas seulement de littérature dans ce livre, même si elle revêt une grande importance pour lui. Nous le suivons dans ses pérégrinations professionnelles, où ses options politiques, d'abord dissimulées, puis transparentes, enfin affichées, se révèlent être un sérieux handicap, surtout après la publication de ses deux livres précédents :

 

- Etre de droite, un tabou français, paru chez Albin Michel en 2006

- Etre riche, un tabou français, paru chez Albin Michel en 2007

 

Son CV n'en demeure pas moins impressionnant : sous-marin à réaction à l'école de journalisme, stagiaire à Valeurs Actuelles, présentateur du journal régional à France 3 Bretagne, présentateur d'une émission de défense des consommateurs à France 3 Ile-de-France, intermittent du spectacle audiovisuel [contre son gré], animateur de conventions d'entreprises, réalisateur de l'émission Le plus grand musée du monde sur France 3 et TV5 monde, conseiller en communication d'hommes politiques de "droite" comme de gauche.

 

Il n'est pas sûr que le reste de sa carrière sera facilité par la tendresse qu'il éprouve pour les artistes, et surtout pour les cinéastes :

 

"Pauvres cinéastes sans histoires. Pauvres mauvais élèves dont personne n'a voulu (à l'exception de l'industrie du cinéma). Pauvres victimes de 68, et de la méthode globale."

 

Selon lui,

 

"Il faut redonner du sens et des histoires au cinéma français, ce territoire occupé par une armée de derniers de la classe, qui s'autoprotègent, s'autocongratulent, en couinant inlassablement contre la bêtise du cinéma américain."

 

Il suggère même quelques histoires, tirées de l'histoire occidentale :

 

"La vie hallucinante de Jacques Coeur"

"Les Croisades"

"L'incroyable voyage de Charles IX à travers la France"

"La vie tragique de Nissim de Camondo"

"La fin du Cap Arcona"

 

Si l'économie de marché et les avatars du monde US ne l'enthousiasment pas, il aggrave tout de même son cas en ne crachant pas sur les riches :

 

"Je ne soutiens pas les riches. Je soutiens le bon sens contre l'idéologie : pour l'emploi, les riches sont plus précieux dans nos campagnes que dans un paradis fiscal. Un riche dans une petite commune, c'est plus utile qu'une agence de Pôle emploi. Le bon sens, c'est la bible des réactionnaires."

 

En bon Français, voire franchouillard, qualificatif employé par les adeptes de l'autoflagellation, il est gentiment anglophobe :

 

"Dans notre petit viatique du parfait réac, pensons toujours à nous défier du monde anglo-saxon. Avec courtoisie et mesure. Méprisons les Rosbifs avec bienveillance, à la manière d'Eric Tabarly ou de Jean-Pierre Rives. Vous voyez l'esprit : une camaraderie mâtinée de distance soupçonneuse." 

 

Il est vrai que les réacs sont une minorité proche de l'extinction, une espèce menacée de disparition. Eric Brunet pense qu'il viendra bien un jour où "les anthropologues parqueront les derniers spécimens dans des réserves" et qu'ils y attendront la venue sur terre d'un sauveur "pour restaurer l'honneur bafoué des réactionnaires".

 

Ce jour-là il se passera des choses impensables aujourd'hui. Par exemple :

 

"Les dandies hétérosexuels retrouveront grâce aux yeux des jeunes filles"

"Les théâtres subventionnés joueront enfin les pièces de Montherlant"

 

Que fera l'auteur ce jour-là ?

 

"Ce jour-là, j'allumerai des clopes dans tous les lieux publics."

"Ce jour-là, dans des MJC [Maisons des jeunes et de la culture] difficiles, j'irai lire la Chanson de Roland à des jeunes français issus de l'immigration."

"Ce jour-là, je serai un garçon à réaction, insouciant et libre."

 

On peut rêver... N'est-ce pas ?

 

Francis Richard

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7 décembre 2010 2 07 /12 /décembre /2010 23:00

Bleu MagrittePourquoi choisit-on de lire tel livre plutôt que tel autre ? C'est par excellence de la discrimination, au sens étymologique du terme. On distingue un livre parmi une multitude et on jette son dévolu sur lui, aux dépens d'autres que l'on n'aura jamais le temps de lire et que l'on ne regrettera même pas, ne serait-ce que par ignorance.

 

En l'occurrence, le titre, Bleu Magritte, la couverture où un visage - celui de l'auteur ? - se lit entre les lignes, le papier agréable au toucher, la rencontre qui a lieu à Bruxelles, m'ont convaincu qu'il me fallait absolument lire ce livre de Louise Anne Bouchard, publié aux éditions de L'Aire ici. Le livre est un objet qui possède une âme, façonnée par les correspondances... 

 

Belge à moitié, ce demi-atavisme me porte à aimer les artistes du plat pays qui n'est pas tout à fait le mien. Magritte est un de ces peintres facétieux, au dessin sûr et net, élégant, qui me font rêver et m'ouvrent des perspectives inattendues par leur sens de la représentation décalée de la réalité.

 

Louise Anne Bouchard écrit, juste avant une scène dramatique qui met aux prises l'enseignant Welter et son élève, le chéri de l'héroïne, à qui elle s'adresse : 

 

"Imagine un tableau de Magritte. Imagine le bleu du ciel. Imagine un soleil jaune inflexible et coupant. Imagine un carré de fenêtre déposé sur ce bleu, suspendu dans le ciel de Bruxelles, dans le quartier de Schaerbeek."

 

J'imagine...

 

Mais cela fait quelques pages déjà que je me trouve transporté dans l'Uccle où se passe la rencontre, sans laquelle il n'y aurait tout simplement pas d'histoire, comme je n'aurais pas d'histoire non plus si Uccle, quartier chic à la lisière de Bruxelles, n'existait pas et ne m'avait pas vu naître.

 

Nous sommes en septembre, un an après mai 1968. Douce est la fille d'un criminologue canadien venu à Bruxelles suivre une formation post-doc, tous frais payés. Elle a dix ans. Pour s'occuper d'elle et l'instruire, ses parents ont pris une jeune fille au pair, une Flamande de bonne humeur, Tersia, grande, blonde, ronde, qui sent le biscuit et qui veut pèleriner à Lourdes pour y dégoter un mari, un bon tant qu'à faire.

 

Devant une vitrine un petit garçon, bien plus grand qu'elle par la taille, quatre ans de moins qu'elle pourtant, contemple une merveille, un télescope, dont le prix est astronomique mais pas inatteignable pour ceux qui vivent dans le monde qui est le sien. A l'issue d'une querelle d'enfants, elle tombe amoureuse de ce petit roi en devenir, bel étranger, qui sent "le savon de Marseille et la craie pour tableau noir".

 

La rencontre est interrompue par la mère du gamin. Pour échapper à la baffe qui menace de s'abattre sur lui, il se précipite sur Douce pour lui donner un baiser sur la bouche, de sa "bouche aux lèvres closes". Emporté vivement par sa mère, il a encore le temps de lancer une dernière effronterie et de laisser tomber un indice qui permettra à Douce de retrouver sa trace dans la grande ville.

 

Le sort en est jeté. Pendant dix mois ces deux-là vont vivre une véritable histoire d'amour d'enfance, qui laisse des traces indélébiles. Les parents du garçon, dont le nom est composé de quatre lettres - nous n'en saurons pas davantage -, ont fini par accepter les visites de Douce à leur rejeton, jusqu'au moment où Douce devra retourner au Canada avec les siens.

 

Trente ans s'écoulent. Ils ont fréquenté l'humanité séparément. Il est marié. Elle est divorcée. Ils se retrouvent intacts, cependant. Ils habitent par hasard à quatre-vingts kilomètres l'un de l'autre. Il travaille à Genève "à guider à bon port des navires qui vont alimenter des régions en kérosène". Elle ? Il lui faut voyager... et regarder des chefs-d'oeuvre dans des musées. Car, malgré qu'elle en ait, elle a peur :

 

"Notre différence d'âge, ce n'est rien, c'est juste. Mais notre origine, c'est cela qui ne sera jamais résolu entre nous. Ce que nous sommes devenus aussi et pourquoi nous y sommes arrivés, de cette manière. Ai-je vraiment, vraiment l'intention de te laisser intact dans ton mariage ? Me laisseras-tu intacte dans ma mémoire de contexte ? "

 

Elle devrait pourtant savoir "que les âmes soeurs ne se perdent jamais de vue, qu'elles s'habitent au jour le jour". C'est pourquoi il lui reviendra. C'est pourquoi il lui suffira d'aimer.

 

La fin du livre est un véritable hymne à l'amour que Douce porte à son homme, qui est le plus beau, comme de bien entendu.

 

Je ne sais si tous les hommes et toutes les femmes ont connu de véritables amours d'enfance, mais, immanquablement ce livre, écrit avec le coeur, plein d'espérance et de bonheur rêvés, ne peut que faire remonter à la surface de la mémoire de telles amours d'antan, quelles que soient les décennies écoulées depuis lors. Sans que cela ne tire forcément aux mêmes conséquences que pour Douce et celui qu'elle aime et qui l'aime...

 

Francis Richard   

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1 décembre 2010 3 01 /12 /décembre /2010 15:00

Eloge des frontièresFaire l'Eloge des frontières, à l'heure de la globalisation, de la part de Régis Debray, c'est aller délibérément à contre-courant, à rebrousse-poil et provoquer à coup sûr des réactions de toutes parts, pas toujours amènes à son égard. L'ancien compagnon de combat du Che ne finira pas de me surprendre, de me décevoir en bien, comme on dit ici, en Pays de Vaud.

 

Comme j'aime ceux qui ne pensent pas comme les autres, par esprit de contradiction sans doute, qui m'est véritablement chevillé au corps, je me suis fait un devoir de lire ce petit livre iconoclaste, publié chez Gallimard ici. Qui est en fait la reprise du "texte d'une conférence donnée à la Maison franco-japonaise de Tokyo le 23 mars 2010".

 

Dire que ce livre est petit doit donc être pris dans le sens de sa dimension matérielle. Ce qualificatif n'est nullement péjoratif. Le devoir initial que je m'étais assigné, par curiosité, s'est mué très vite, je dois l'avouer, en plaisir de l'esprit, tant il est vrai que Régis Debray excelle à employer les mots avec grande précision et justesse, et que son style est brillant et percutant. Ce qui ne peut que ravir l'amateur de belles lettres, qui sommeille toujours en moi.

 

Il n'est pas besoin de partager toutes les vues d'un auteur pour en apprécier la pensée. C'est bien le cas avec la pensée qui émane de ce livre, dont le principal mérite est de susciter la réflexion, dans un monde où la tendance à simplifier ce qui est complexe, comme la vie, est devenue comme une seconde nature humaine. Ce qui est évidemment plus commode que de se heurter à la réalité :

 

"Il est pénible de reconnaître le monde tel qu'il est, et plaisant de le rêver tel qu'on le souhaite."

 

Alors que la Terre apparaît comme "liftée, toutes cicatrices effacées, d'où le Mal aurait miraculeusement disparu", il n'y a pas eu autant de créations de frontières, ni autant de conflits frontaliers graves entre Etats, au cours des vingt dernières années, que pendant les cinquante années précédentes :

 

"Le réel, c'est ce qui nous résiste et nargue nos plans sur la comète. Fossile obscène que la frontière, peut-être, mais qui s'agite comme un beau diable."

 

A la globalisation répondent dans le même temps de nouvelles lignes de partage :

 

"L'horizon du consommateur se dilate, celui des électeurs se recroqueville."

 

Pourquoi les frontières existent-elles ? Parce qu'elles sont dans la nature des choses et parce qu'elles tiennent à une loi d'organisation infrangible :

 

"La vie collective, comme celle de tout un chacun, exige une surface de séparation."

 

Cette surface de séparation s'appelle la peau chez l'être humain :

 

"Interface polémique entre l'organisme et le monde extérieur, la peau est aussi loin du rideau étanche qu'une frontière digne de ce nom l'est d'un mur. Le mur interdit le passage; la frontière le régule."

 

Cependant :

 

"L'avantage de l'enveloppe se paye d'un léger inconvénient, la mort."

 

Beaucoup de choses se font de nos jours à grande échelle. Cela n'empêche pas, au contraire, les petites échelles de faire leur réapparition. Un réflexe autoprotecteur, auquel n'échappent pas les Occidentaux industrialisés et qui se traduit par la réinvention de traditions :

 

"C'est comme s'il existait une sagesse du corps, le social y compris, comme si le besoin d'appartenance avait son thermostat caché. Quand on ne sait plus qui l'on est, on est mal avec tout le monde - et d'abord avec soi-même. Aussi, à chaque bond dans le futur, l'appétence à retrouver la grand-mère, ou ce qu'on croit qu'elle fut, monte d'un cran. Deux pas en avant, un pas en arrière."

 

Régis Debray énonce alors ce qu'il appelle l'axiome d'incomplétude :

 

"Aucun ensemble ne peut se clore à l'aide des seuls éléments de cet ensemble."

 

Cet axiome résulte du constat que "tout site enclos est "un appareil à faire monter"". Le combat du clos contre l'ouvert est un faux combat, destiné à amuser la galerie. Pourquoi ? Parce qu'on néglige "ce qu'il faut d'ouverture à la verticale pour boucler un territoire à l'horizontale, ce qu'il faut d'ailleurs pourqu'un ici prenne et tienne. La flèche donne son assise à la cathédrale, comme le beffroi à la commune."

 

Pour Régis Debray "l'indécence de l'époque ne provient pas d'un excès, mais d'un déficit de frontières" :

 

"Il n'y a plus de limites à parce qu'il n'y a plus de limites entre."

 

La confusion des sphères résulte de l'abandon de la loi de séparation :

 

"La loi au forum; le privé à la maison."

 

C'est pourquoi il faut rétablir des frontières, mais de bonnes frontières, de celles qui font les bons voisins :

 

"Seules les loyales devraient être admissibles : bien en vue, déclarées et à double sens, attestant qu'aux yeux de chaque partie l'autre existe, pour de vrai. Bonnes seront dites celles - car il en de très méchantes - qui permettent l'aller-retour, la meilleure façon de rester soi-même entrouvert. Un pays comme un individu peuvent mourir de deux manières : dans un étouffoir ou dans les courants d'air. Muré ou béant."

  

Encore une fois, si ce petit livre a un mérite, c'est celui de susciter la réflexion. En le lisant je n'ai pu m'empêcher de repenser aux propos de Philippe Nemo, lors du colloque sur le Libéralisme en Suisse qui s'est tenu à Berne ici les 12 et 13 novembre derniers et que je rapportais en ces termes :

 

"Dans les domaines de la gestion pluraliste des savoirs, des institutions politiques et juridiques, de l'économie, les théories libérales sont pleinement mûries. Mais elles doivent entreprendre d'autres chantiers sur des phénomènes (qui relèvent, d'autres disciplines, telles que la sociologie, la géopolitique, l'histoire ou la morale), tels que l'immigration, les revendications identitaires, le communautarisme ou le terrorisme."

 

Comme tous les livres denses, il faudrait citer le livre de Régis Debray in extenso. Autant le lire. C'est ce que j'ai fait, avec délectation, et c'est ce que j'encourage les autres à faire à leur tour.

 

Francis Richard

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15 novembre 2010 1 15 /11 /novembre /2010 23:50

L'amour nègre JM OlivierLe mot nègre figurant dans le titre du livre pourrait paraître un brin provocateur. Peut-être l'est-il, mais je ne le pense pas, sincèrement, même si ce qualificatif désuet, et aujourd'hui lourd de sens, peut au fond s'avérer vendeur... parce que tabou.

 

Pour en avoir fait mésusage et lui avoir finalement donné une connotation plus que péjorative, l'homme blanc est en effet totalement disqualifié pour employer ce mot, qui lui écorche maintenant les lèvres. Il en fait un véritable complexe et le considère comme un gros mot, qu'il refuse même d'entendre prononcer, fût-ce par ceux qu'il pourrait désigner ... 

 

Le narrateur du livre de Jean-Michel Olivier, publié aux Editions de Fallois/ L'Age d'Homme ici est justement un jeune noir, qui va revendiquer ce mot et tomber par moment dans l'autodérision quand il l'utilise pour parler de lui-même. Après tout, un célèbre et fin lettré, feu Léopold Sédar Senghor, naguère président du Sénégal et de surcroît Académicien français, ne parlait-il pas de négritude ? 

 

Au début de L'amour nègre, conte qui, par le ton et par le sujet, fait immanquablement penser au Candide de Voltaire, ce que ne manque pas de souligner la quatrième de couverture du livre, le héros, qui est heureux, et sera d'ailleurs "heureux partout", tout au long de l'histoire, en dépit des vicissitudes, s'appelle encore Moussa. Il a douze ans. Il habite un village d'Afrique. Il a un père et une ribambelle de mères :

 

"Dans mon village, les mères s'appellent les Reines. Elles sont libres et farouches. Elles ont souvent un mauvais caractère. Les hommes les vénèrent et les craignent. Ils doivent les honorer régulièrement. Les couvrir de cadeaux. Combler tous leurs caprices."

 

Un couple d'étrangers américains en visite au village vante les mérites de l'écran plat qui est, en Amérique, un signe extérieur de richesse et de ... puissance. Le père de Moussa, qui est aussi le chef de la tribu, veut en posséder un, comme un chef ... Il échange donc ce fils, choisi parmi son innombrable progéniture, contre un écran plat [sic !].

 

Matt et Dolorès Hanes, tous deux acteurs de cinéma à Hollywood, adoptent Moussa, qui va se prénommer désormais Adam et va vivre avec ses nouveaux parents à Los Angeles, pardon à L.A., et connaître là-bas la vie factice menée par un petit monde plein aux as, qui boit, qui se drogue, qui baise, qui soigne son image, qui disparaît derrière cette image, qui ne peut pas vivre sans psy, qui est en fait malheureux comme les pierres, englué dans l'abondance matérielle.

 

Dolorès a-t-elle bon coeur ou a-t-elle mauvaise conscience ? Toujours est-il que lors de ses déplacements à travers le monde, elle ne peut s'empêcher d'adopter une ribambelle d'enfants qu'elle ramène à l'hacienda californienne au grand dam de Matt, qui n'en demande pas tant.

 

Quand lors d'une sauterie, dans tous les sens du terme, un invité, aidé de deux comparses, tente de violer sa soeur Ming, adoptée comme lui, et qui appelle au secours, le sang d'Adam ne fait qu'un tour. Il se saisit de sa machette, qu'il garde toujours à portée de main, et il tranche la main du type juchée sur sa soeur, main qui vient à tort de sortir un flingue de sous le lit.

 

Adam, qui est déjà bien monté pour son âge, pousse son bambou un peu trop loin. Il fricote avec sa soeur Ming et arrive à la mettre en cloque. C'en est trop. Matt et Dolorès expédient Ming dans une école helvétique, au bord d'un lac, quoi de plus banal, et se débarrassent de l'encombrant jeune homme. Ils le confient à leur vieil ami, et néanmoins acteur, Jack Malone, connu communément pour être "le" type aux capsules de café. Qui vit sur une île de l'Océanie, Sainte Alice, dont il est propriétaire.

 

Jack semble mener une vie paisible, d'ours mal léché, loin des paillettes du monde. Il montre à Adam, que, dans la vie, il est d'autres occupations que de passer sa journée à regarder la télé ou à faire des jeux vidéo sur une console. Ils écoutent ensemble le bruit des vagues. Ils regardent les poèmes dans le ciel. Jack conseille même à Adam la lecture, qui fait rêver, et notamment celle des écrivains suisses. Les Suisses ?

 

Ils parlent quelle langue ?

- Le hic, c'est qu'ils en parlent plusieurs...

- Ils n'ont pas de langue propre ?

- Non. Ils parlent l'allemand, le français et l'italien, mais à leur manière...

- C'est-à-dire ?

- Ils inventent des mots, des expressions nouvelles... Ils tordent la langue pour en tirer quelque chose de très différent de la langue usuelle..

- Et les lecteurs comprennent ?

- Pas toujours. D'ailleurs, les Suisses ne se comprennent pas entre eux..."

 

Mais, quand on est une star, si vous n'allez pas aux journalistes, ce sont les journalistes qui viennent à vous. Une équipe de télévision vient donc pour tourner sur place le script d'une idylle qui a été convenue, moyennant espèces très sonnantes et très trébuchantes, entre Jack et Yasmine. Les deux tourtereaux cependant sont imprévisibles. Ils ne respectent pas le script. De plus Jack chasse l'équipe manu militari. Mal lui en prend. Un incendie se déclenche dans la propriété. Dans lequel il périt. Adam, accusé à tort du sinistre, ne doit son salut qu'à la fuite, à bord du hors-bord de Jack.

 

Avec cet esquif Adam échoue une semaine plus tard, en Asie, sur l'île de Maputa, la bien nommée, puisqu'elle est réputée pour son tourisme sexuel. Après quelques tribulations Adam rencontre Gladys, la femme d'un banquier suisse, qui y passe de chaudes vacances au soleil, qui n'a pas d'enfant, qui aimerait en avoir, qui trouve décidément ce jeune noir bien monté et décide d'en devenir la monture éphémère.

 

Les vacances de Gladys s'achèvent. En guise de cadeau d'adieu, ce qu'il ne sait pas encore, elle procure un passeport à croix blanche à son protégé. Adam devient Aimé Clerc :

 

"ça ne fait pas un peu bizarre pour un nègre ?

- Adam, on ne dit pas nègre...

- Je veux dire un Africain.

- No problem, dit Gladys, qui veut faire djeune."

 

En Europe, à Genève, les choses ne se passent pas comme espéré pour Adam, mais il aura accompli un périple sur tous les continents, ce qui est banal à l'heure de la globalisation et il aura conquis sa liberté de manière somme toute hétérodoxe. 

 

Partout Adam aura pu voir des femmes vêtues uniformément de minijupes et de tops griffés, juchées sur des chausssures à talons de vingt centimètres de haut, tout aussi griffées. Il aura pu contempler leurs corps remodelés, liposucés, siliconnés, et leur donner du plaisir avec son bambou toujours prêt. Il aura pu entendre les musiques anglo-saxonnes que le monde entier fredonne. Il aura pu avoir plusieurs pères et plusieurs mères, plusieurs frères et plusieurs soeurs, adoptés tout comme lui.  

 

Il aura aimé, été aimé, puis été rejeté à chaque fois. Devra-t-il rejeter à son tour ses éventuels rejetons ? Est-ce cela l'amour nègre ?

 

Francis Richard

 

Le 16 novembre 2010 le jury Interallié a décerné son prix à ce livre.

 

 Article précédent : 

 

"L'Amour fantôme" de Jean-Michel Olivier       

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8 novembre 2010 1 08 /11 /novembre /2010 22:30

Naissance d'un pont KerangalNaissance d'un pont , de Maylis de Kerangal, paru aux Editions Verticales ici est un livre étonnant. Il raconte en effet, comme si nous y étions, la construction d'un pont suspendu qui va relier les deux rives d'un fleuve californien.

 

John Johnson, dit le Boa, maire de la ville imaginaire de Coca, veut laisser son empreinte dans l'histoire. C'est pourquoi il a décidé de faire construire ce pont, qui servira sa gloire et celle de Ralph Waldo, l'architecte de l'ouvrage, "célèbre et secret". Joindre l'utile au glorieux.

 

Ce pont mesurera 1'900 m de long, 32 de large et il joindra Coca à Edgefront, quartier en marge de la forêt quasi impénétrable, dans laquelle vivent surtout les Indiens, quartier en marge du large fleuve et en marge de la ville effervescente, quartier où vivent les petits, les sans-grade, ceux qui n'ont pas les moyens de vivre à Coca. 

 

A l'heure où commence l'histoire il existe bien un premier pont à Coca, le Golden Bridge, qui date de 1912. Certes il permet de traverser le fleuve, mais il est devenu trop étroit pour le trafic qui l'emprunte aujourd'hui et, en conséquence, des barges doivent aussi assurer la traversée du fleuve pour le désengorger.

 

Avec l'auteur, nous suivons la naissance du pont aux côtés de plusieurs personnages représentatifs, venus de toutes les régions du globe, nouvelle ruée vers l'ouest, pour participer à l'heureux et gigantesque évènement, qui est à la dimension de l'Amérique des grands espaces sculptés de main d'homme, comme il n'en existe nulle part ailleurs.

 

Ils sont des responsables du chantier : 

 

Georges Diderot, la cinquantaine, le dirige, c'est un "bridgeman" expérimenté et il se plaît à "travailler le réel". Sanche Alphonse Cameron est grutier, c'est un petit espagnol, son second prénom royal étant "sa talonnette symbolique", propre à le grandir, lui qui ne mesure qu'un mètre soixante-deux et qui a été accueilli à Coca par Shakira Ourga, une grande russe, une tête de plus que lui, au "corps bizarre, à la fois maigre et baraqué". Summer Diamantis vient de Paris et elle est "responsable de la production de béton pour la construction des piles".

 

Ils travaillent sur le chantier :

 

MoYun est un Chinois "fin de jambes au profil de falaise". Duane Fisher et Buddy Loo ont 19 et 20 ans, ils sont inséparables, "peau rouge, peau noire, sangs mêlés". Soren Cry est "un chat mal aimé qui se prendrait des roustes et rêverait d'en donner", il vient du Kentucky. Katherine Thoreau fait vivre sa petite famille, deux jeunes garçons, une petite fille, un mari invalide à la suite d'un accident, en conduisant un engin de terrassement : "c'est encore une belle femme, quarante ans peut-être plus"...

 

Ils s'opposent au chantier et vont tenter d'empêcher la naissance du pont :

 

Jacob, professeur à Berkeley, depuis 20 ans, passe la moitié de son temps auprès des Indiens pour les étudier. Les propriétaires des barges, avec à leur tête le Français, savent que la construction du pont va les ruiner en rendant leur commerce lucratif inutile.

 

Avec tous ses personnages nous vivons pendant un an les différentes étapes de la construction du pont, qui n'est interrompue que pendant les trois semaines de nidification de petits oiseaux protégés et que par une grève qui ne dure pas. Cette construction est jalonnée d'incidents et d'accidents. Pendant cette construction hommes et femmes connaissent l'amour et la haine, le sexe et la violence, la vie et la mort, comme dans la vraie vie exacerbée.

 

Des corps se heurtent, se blessent ou se joignent pour s'aimer. Tout cela dans un paysage grandiose, sentant bon l'épopée de l'ouest, où la ville de Coca est elle-même un personnage fabuleux, qui se souvient, comme les autres, de son passé récent et plus ancien. Naguère et jadis.

 

Cette histoire nous est racontée tambour battant, dans une langue virile, d'une grande richesse de vocabulaire, parfois aussi d'une verdeur appropriée, pour que nous n'oubliions pas que nous sommes sur un chantier et que les mots doivent être aussi rudes que les choses.

 

Les détails techniques ne manquent pas non plus. Plus que crédibles, ils font partie très naturellement du récit, de même que les dialogues qui sont incorporés au texte, ce qui a pour effet de ne pas nous donner de répit. C'est pourquoi nous sommes au bout du compte étonnés que l'immense chantier s'achève enfin. Car nous nous étions habitués à respirer au rythme de ses sirènes.

 

Francis Richard

 

Le 3 novembre 2010 le jury du Médicis a décerné son prix à ce livre. 

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  • : Le blog de Francis Richard
  • : Ce blog se veut catholique, national et libéral. Catholique, il ne s'attaque pas aux autres religions, mais défend la mienne. National, il défend les singularités bienfaisantes de mon pays d'origine, la France, et celles de mon pays d'adoption, la Suisse, et celles des autres pays. Libéral, il souligne qu'il n'est pas possible d'être un homme (ou une femme) digne de ce nom en dehors de l'exercice de libertés.
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  • De formation scientifique (EPFL), économique et financière (Paris IX Dauphine), j'ai travaillé dans l'industrie, le conseil aux entreprises et les ressources humaines, et m'intéresse aux arts et lettres.
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