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15 novembre 2010 1 15 /11 /novembre /2010 23:50

L'amour nègre JM OlivierLe mot nègre figurant dans le titre du livre pourrait paraître un brin provocateur. Peut-être l'est-il, mais je ne le pense pas, sincèrement, même si ce qualificatif désuet, et aujourd'hui lourd de sens, peut au fond s'avérer vendeur... parce que tabou.

 

Pour en avoir fait mésusage et lui avoir finalement donné une connotation plus que péjorative, l'homme blanc est en effet totalement disqualifié pour employer ce mot, qui lui écorche maintenant les lèvres. Il en fait un véritable complexe et le considère comme un gros mot, qu'il refuse même d'entendre prononcer, fût-ce par ceux qu'il pourrait désigner ... 

 

Le narrateur du livre de Jean-Michel Olivier, publié aux Editions de Fallois/ L'Age d'Homme ici est justement un jeune noir, qui va revendiquer ce mot et tomber par moment dans l'autodérision quand il l'utilise pour parler de lui-même. Après tout, un célèbre et fin lettré, feu Léopold Sédar Senghor, naguère président du Sénégal et de surcroît Académicien français, ne parlait-il pas de négritude ? 

 

Au début de L'amour nègre, conte qui, par le ton et par le sujet, fait immanquablement penser au Candide de Voltaire, ce que ne manque pas de souligner la quatrième de couverture du livre, le héros, qui est heureux, et sera d'ailleurs "heureux partout", tout au long de l'histoire, en dépit des vicissitudes, s'appelle encore Moussa. Il a douze ans. Il habite un village d'Afrique. Il a un père et une ribambelle de mères :

 

"Dans mon village, les mères s'appellent les Reines. Elles sont libres et farouches. Elles ont souvent un mauvais caractère. Les hommes les vénèrent et les craignent. Ils doivent les honorer régulièrement. Les couvrir de cadeaux. Combler tous leurs caprices."

 

Un couple d'étrangers américains en visite au village vante les mérites de l'écran plat qui est, en Amérique, un signe extérieur de richesse et de ... puissance. Le père de Moussa, qui est aussi le chef de la tribu, veut en posséder un, comme un chef ... Il échange donc ce fils, choisi parmi son innombrable progéniture, contre un écran plat [sic !].

 

Matt et Dolorès Hanes, tous deux acteurs de cinéma à Hollywood, adoptent Moussa, qui va se prénommer désormais Adam et va vivre avec ses nouveaux parents à Los Angeles, pardon à L.A., et connaître là-bas la vie factice menée par un petit monde plein aux as, qui boit, qui se drogue, qui baise, qui soigne son image, qui disparaît derrière cette image, qui ne peut pas vivre sans psy, qui est en fait malheureux comme les pierres, englué dans l'abondance matérielle.

 

Dolorès a-t-elle bon coeur ou a-t-elle mauvaise conscience ? Toujours est-il que lors de ses déplacements à travers le monde, elle ne peut s'empêcher d'adopter une ribambelle d'enfants qu'elle ramène à l'hacienda californienne au grand dam de Matt, qui n'en demande pas tant.

 

Quand lors d'une sauterie, dans tous les sens du terme, un invité, aidé de deux comparses, tente de violer sa soeur Ming, adoptée comme lui, et qui appelle au secours, le sang d'Adam ne fait qu'un tour. Il se saisit de sa machette, qu'il garde toujours à portée de main, et il tranche la main du type juchée sur sa soeur, main qui vient à tort de sortir un flingue de sous le lit.

 

Adam, qui est déjà bien monté pour son âge, pousse son bambou un peu trop loin. Il fricote avec sa soeur Ming et arrive à la mettre en cloque. C'en est trop. Matt et Dolorès expédient Ming dans une école helvétique, au bord d'un lac, quoi de plus banal, et se débarrassent de l'encombrant jeune homme. Ils le confient à leur vieil ami, et néanmoins acteur, Jack Malone, connu communément pour être "le" type aux capsules de café. Qui vit sur une île de l'Océanie, Sainte Alice, dont il est propriétaire.

 

Jack semble mener une vie paisible, d'ours mal léché, loin des paillettes du monde. Il montre à Adam, que, dans la vie, il est d'autres occupations que de passer sa journée à regarder la télé ou à faire des jeux vidéo sur une console. Ils écoutent ensemble le bruit des vagues. Ils regardent les poèmes dans le ciel. Jack conseille même à Adam la lecture, qui fait rêver, et notamment celle des écrivains suisses. Les Suisses ?

 

Ils parlent quelle langue ?

- Le hic, c'est qu'ils en parlent plusieurs...

- Ils n'ont pas de langue propre ?

- Non. Ils parlent l'allemand, le français et l'italien, mais à leur manière...

- C'est-à-dire ?

- Ils inventent des mots, des expressions nouvelles... Ils tordent la langue pour en tirer quelque chose de très différent de la langue usuelle..

- Et les lecteurs comprennent ?

- Pas toujours. D'ailleurs, les Suisses ne se comprennent pas entre eux..."

 

Mais, quand on est une star, si vous n'allez pas aux journalistes, ce sont les journalistes qui viennent à vous. Une équipe de télévision vient donc pour tourner sur place le script d'une idylle qui a été convenue, moyennant espèces très sonnantes et très trébuchantes, entre Jack et Yasmine. Les deux tourtereaux cependant sont imprévisibles. Ils ne respectent pas le script. De plus Jack chasse l'équipe manu militari. Mal lui en prend. Un incendie se déclenche dans la propriété. Dans lequel il périt. Adam, accusé à tort du sinistre, ne doit son salut qu'à la fuite, à bord du hors-bord de Jack.

 

Avec cet esquif Adam échoue une semaine plus tard, en Asie, sur l'île de Maputa, la bien nommée, puisqu'elle est réputée pour son tourisme sexuel. Après quelques tribulations Adam rencontre Gladys, la femme d'un banquier suisse, qui y passe de chaudes vacances au soleil, qui n'a pas d'enfant, qui aimerait en avoir, qui trouve décidément ce jeune noir bien monté et décide d'en devenir la monture éphémère.

 

Les vacances de Gladys s'achèvent. En guise de cadeau d'adieu, ce qu'il ne sait pas encore, elle procure un passeport à croix blanche à son protégé. Adam devient Aimé Clerc :

 

"ça ne fait pas un peu bizarre pour un nègre ?

- Adam, on ne dit pas nègre...

- Je veux dire un Africain.

- No problem, dit Gladys, qui veut faire djeune."

 

En Europe, à Genève, les choses ne se passent pas comme espéré pour Adam, mais il aura accompli un périple sur tous les continents, ce qui est banal à l'heure de la globalisation et il aura conquis sa liberté de manière somme toute hétérodoxe. 

 

Partout Adam aura pu voir des femmes vêtues uniformément de minijupes et de tops griffés, juchées sur des chausssures à talons de vingt centimètres de haut, tout aussi griffées. Il aura pu contempler leurs corps remodelés, liposucés, siliconnés, et leur donner du plaisir avec son bambou toujours prêt. Il aura pu entendre les musiques anglo-saxonnes que le monde entier fredonne. Il aura pu avoir plusieurs pères et plusieurs mères, plusieurs frères et plusieurs soeurs, adoptés tout comme lui.  

 

Il aura aimé, été aimé, puis été rejeté à chaque fois. Devra-t-il rejeter à son tour ses éventuels rejetons ? Est-ce cela l'amour nègre ?

 

Francis Richard

 

Le 16 novembre 2010 le jury Interallié a décerné son prix à ce livre.

 

 Article précédent : 

 

"L'Amour fantôme" de Jean-Michel Olivier       

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8 novembre 2010 1 08 /11 /novembre /2010 22:30

Naissance d'un pont KerangalNaissance d'un pont , de Maylis de Kerangal, paru aux Editions Verticales ici est un livre étonnant. Il raconte en effet, comme si nous y étions, la construction d'un pont suspendu qui va relier les deux rives d'un fleuve californien.

 

John Johnson, dit le Boa, maire de la ville imaginaire de Coca, veut laisser son empreinte dans l'histoire. C'est pourquoi il a décidé de faire construire ce pont, qui servira sa gloire et celle de Ralph Waldo, l'architecte de l'ouvrage, "célèbre et secret". Joindre l'utile au glorieux.

 

Ce pont mesurera 1'900 m de long, 32 de large et il joindra Coca à Edgefront, quartier en marge de la forêt quasi impénétrable, dans laquelle vivent surtout les Indiens, quartier en marge du large fleuve et en marge de la ville effervescente, quartier où vivent les petits, les sans-grade, ceux qui n'ont pas les moyens de vivre à Coca. 

 

A l'heure où commence l'histoire il existe bien un premier pont à Coca, le Golden Bridge, qui date de 1912. Certes il permet de traverser le fleuve, mais il est devenu trop étroit pour le trafic qui l'emprunte aujourd'hui et, en conséquence, des barges doivent aussi assurer la traversée du fleuve pour le désengorger.

 

Avec l'auteur, nous suivons la naissance du pont aux côtés de plusieurs personnages représentatifs, venus de toutes les régions du globe, nouvelle ruée vers l'ouest, pour participer à l'heureux et gigantesque évènement, qui est à la dimension de l'Amérique des grands espaces sculptés de main d'homme, comme il n'en existe nulle part ailleurs.

 

Ils sont des responsables du chantier : 

 

Georges Diderot, la cinquantaine, le dirige, c'est un "bridgeman" expérimenté et il se plaît à "travailler le réel". Sanche Alphonse Cameron est grutier, c'est un petit espagnol, son second prénom royal étant "sa talonnette symbolique", propre à le grandir, lui qui ne mesure qu'un mètre soixante-deux et qui a été accueilli à Coca par Shakira Ourga, une grande russe, une tête de plus que lui, au "corps bizarre, à la fois maigre et baraqué". Summer Diamantis vient de Paris et elle est "responsable de la production de béton pour la construction des piles".

 

Ils travaillent sur le chantier :

 

MoYun est un Chinois "fin de jambes au profil de falaise". Duane Fisher et Buddy Loo ont 19 et 20 ans, ils sont inséparables, "peau rouge, peau noire, sangs mêlés". Soren Cry est "un chat mal aimé qui se prendrait des roustes et rêverait d'en donner", il vient du Kentucky. Katherine Thoreau fait vivre sa petite famille, deux jeunes garçons, une petite fille, un mari invalide à la suite d'un accident, en conduisant un engin de terrassement : "c'est encore une belle femme, quarante ans peut-être plus"...

 

Ils s'opposent au chantier et vont tenter d'empêcher la naissance du pont :

 

Jacob, professeur à Berkeley, depuis 20 ans, passe la moitié de son temps auprès des Indiens pour les étudier. Les propriétaires des barges, avec à leur tête le Français, savent que la construction du pont va les ruiner en rendant leur commerce lucratif inutile.

 

Avec tous ses personnages nous vivons pendant un an les différentes étapes de la construction du pont, qui n'est interrompue que pendant les trois semaines de nidification de petits oiseaux protégés et que par une grève qui ne dure pas. Cette construction est jalonnée d'incidents et d'accidents. Pendant cette construction hommes et femmes connaissent l'amour et la haine, le sexe et la violence, la vie et la mort, comme dans la vraie vie exacerbée.

 

Des corps se heurtent, se blessent ou se joignent pour s'aimer. Tout cela dans un paysage grandiose, sentant bon l'épopée de l'ouest, où la ville de Coca est elle-même un personnage fabuleux, qui se souvient, comme les autres, de son passé récent et plus ancien. Naguère et jadis.

 

Cette histoire nous est racontée tambour battant, dans une langue virile, d'une grande richesse de vocabulaire, parfois aussi d'une verdeur appropriée, pour que nous n'oubliions pas que nous sommes sur un chantier et que les mots doivent être aussi rudes que les choses.

 

Les détails techniques ne manquent pas non plus. Plus que crédibles, ils font partie très naturellement du récit, de même que les dialogues qui sont incorporés au texte, ce qui a pour effet de ne pas nous donner de répit. C'est pourquoi nous sommes au bout du compte étonnés que l'immense chantier s'achève enfin. Car nous nous étions habitués à respirer au rythme de ses sirènes.

 

Francis Richard

 

Le 3 novembre 2010 le jury du Médicis a décerné son prix à ce livre. 

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19 octobre 2010 2 19 /10 /octobre /2010 22:35

Jean Echenoz Des éclairsPour l'ingénieur EPFL que je suis, le Tesla est avant tout l'unité d'induction magnétique. Jusqu'à la lecture du livre de Jean Echenoz paru aux Editions de Minuit ici, ce nom propre ne m'évoquait rien d'autre. Or c'était une grave lacune. Je m'aperçois en effet que je ne m'étais jamais intéressé au savant qui avait donné son nom à cette unité de mesure. 

 

En effet, même si Jean Echenoz a écrit un roman, dont le héros Gregor est un personnage de son invention, ce dernier - il ne s'en cache pas - est largement inspiré de Nikola Tesla, ingénieur, né à Smiljan dans l'actuelle Croatie, ayant fait ses études à l'Ecole Polytechnique de Graz, en Autriche, à l'origine de nombreuses inventions et découvertes qui ont révolutionné les sciences au XXe siècle, telles que la radio, l'alternateur ou le principe du radar.

 

Gregor est né par une nuit d'orage violent, dans la lumière d'un éclair gigantesque, son premier cri étant couvert par le tonnerre qui s'est ensuivi. Le romancier voit dans cette singulière et tonitruante venue au monde comme la marque des traits dominants du caractère de son héros, et l'explication de sa passion démesurée pour les éclairs, qui ne se démentira jamais :

 

"Ombrageux, méprisant, susceptible, cassant, Gregor se révèle précocement antipathique." 

 

Sa grande taille, deux mètres, ne fera qu'accentuer sa manière de prendre les autres de haut et ne fera que renforcer la haute estime qu'il a de lui-même. 

 

Il faut dire que voilà un homme hors du commun. Il n'a pas besoin de mettre sur le papier les plans des inventions qui lui passent par la tête. Il les imagine sans mal, en trois dimensions, avec une précision phénoménale, servie par une mémoire qui ne l'est pas moins. Il assimile à toute allure des connaissances de toutes sortes qui lui permettent des rapprochements impensables pour d'autres.

 

Sa grande idée sera de supplanter le courant continu par son invention du courant alternatif pour transporter l'énergie électrique à longue distance, ce qui aurait dû lui assurer fortune et prospérité toute sa vie durant. Seulement, lui qui a la véritable manie de compter tout et d'apprécier particulièrement les nombres divisibles par trois, ne sait plus du tout compter quand il s'agit d'argent.

 

Il ne sait pas non plus concrétiser pratiquement et économiquement ses idées géniales que d'autres se chargeront de lui voler sans vergogne et d'exploiter à sa place. L'antipathie, croissante avec l'âge, qu'il suscite, lui joue également des mauvais tours en faisant petit à petit le vide autour de lui. Ses manies - une passion déraisonnée pour les oiseaux, et plus particulièrement pour les pigeons, et une hantise des microbes - finissent par le cataloguer parmi les originaux infréquentables.

 

Cet homme, Jean Echenoz en a fait un personnage de roman dénué de sentiments pour les autres, excepté pour la femme d'un de ces rares amis et protecteurs, la chère Ethel Axelrod, pour laquelle il éprouve un amour sans nuances et sans espoir. Cet amour est certes partagé par l'âme soeur, mais il reste platonique. L'auteur ne lui connaît pas d'autres liaisons et s'en afflige.

 

Le style d'Echenoz se caractérise par des phrases courtes, par des descriptions sans fioritures, par des figures efficaces et par un récit ponctué de remarques incisives. Le tout donne l'impression que le héros de ce roman est un personnage bien inhumain, comme on s'imagine que peut et doit l'être un génie, sous le crâne duquel la tempête est incessante, jamais apaisée.   

 

Francis Richard    

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2 octobre 2010 6 02 /10 /octobre /2010 09:55

La carte et le territoire HouellebecqDans cette rentrée littéraire il y a au moins deux romans où les auteurs se mettent en scène dans leur livre: Une forme de vie  d'Amélie Nothomb dont j'ai déjà parlé ici et La carte et le territoire de Michel Houellebecq, publié aux éditions Flammarion ici. Les romanciers français seraient-ils saisis par le narcissisme ?

 

Dans les deux cas il ne s'agit pas d'autofiction. Les personnages qu'ils incarnent dans leur livre proviennent bien de leur veine romanesque, ce qui ne les empêche pas l'un comme l'autre de dire sans vergogne que leur intervention dans l'histoire est due à leur grande notoriété dans le monde des lettres, tout en ne se décrivant pas pour autant sous les traits les plus flatteurs...

 

Jed Martin est un artiste contemporain et futur, c'est-à-dire quelqu'un d'imprévisible. Il a le don de transformer en pépites d'or toutes les formes d'art qu'il entreprend, auxquelles il s’adonne pendant des années pour les abandonner subitement. Son projet ? « Donner une description objective du monde. »

 

L'exposition qui va faire connaître Jed est intitulée : « La carte est plus intéressante que le territoire ». L'artiste a photographié des dizaines de cartes Michelin sous des angles improbables ce qui lui vaut une liaison tout aussi improbable avec Olga, une jeune et belle cadre russe de la firme de Clermont-Ferrand.

 

Cette appétence photographique pour les cartes s’arrête avec la fin de son idylle avec Olga que son employeur renvoie dans son pays d’origine pour y développer ses produits. Le feu sacré de la photo s’est en quelque sorte éteint avec l’extinction forcée de leur flamme amoureuse que rien ne pourra jamais raviver.

 

Quelques semaines plus tard, Jed, a l’œil attiré par la devanture d’un magasin spécialisé où sont exposés pinceaux, toiles et tubes de couleur. Saisi d’une impulsion il entre et achète un coffret de « peinture à l’huile » de base et décide de revenir à la peinture qu’il aimait tant quand il était petit.

 

Poursuivant son projet de description objective du monde Jed peint alors une série de tableaux sur les métiers simples, offrant « un spectre d’analyse particulièrement étendu et riche » pour « l’étude des conditions productives de son temps ». Leur succède, sept ans plus tard, une série de tableaux sur les compositions d’entreprise « visant, eux, à donner une image, relationnelle et dialectique, du fonctionnement de l’économie dans son ensemble ».

 

Jed rencontre Michel Houellebecq pour la première fois en Irlande. Il s’agit de convaincre le grand écrivain, non sans mal, de rédiger un texte pour le catalogue d’une exposition consacrée à ses tableaux. Houellebecq n’y apparaît pas vraiment à son avantage, ce qui est révélateur de l’autodérision de l’auteur.

 

Pour prix de son aimable intervention, Jed, imprudemment, lui promet de faire son portrait et de lui faire don du tableau. Or, après la réussite phénoménale de l’exposition, les prix des tableaux de Jed flambent et, ce qui se voulait un gentil cadeau, en devient un somptueux.

 

Entre-temps Houellebecq a déménagé d’Irlande et s’est installé dans le Loiret. C’est là que Jed vient lui apporter le portrait de « Michel Houellebecq, écrivain », après une conversation avec son père, Jean-Pierre Martin, qui lui a révélé des aspects de son géniteur qu’il ne soupçonnait pas et qui lui ont donné à réfléchir sur la vie.

 

La rencontre nous vaut une transformation de Houellebecq, en vieux sage, qui a renoncé sinon à écrire du moins à publier, admirateur, entre autres, de Tocqueville et de William Morris, dont le monde ne serait pas utopique s’il était peuplé d’hommes qui lui ressemblent.

 

La troisième apparition de Houellebecq est en fait sa disparition dans des conditions atroces. Une enquête policière, très bien observée, est diligentée pour en découvrir les circonstances, qui ne seront connues que bien plus tard, grâce, particulièrement, au témoignage de Jed Martin.

 

Le livre se lit…comme un roman. L’auteur y fait des digressions qu’il sait intégrer habilement au récit et qui montrent à quel point il est soucieux de précision et de connaissance approfondie des sujets qu’il traite. J’ai toujours pensé, sans dénigrement, que le roman avait l’avantage d’être une auberge espagnole, où l’auteur dispose d’une totale liberté de création et d'apport…

 

A propos de digressions, je pense au mémorable passage que Houellebecq consacre à l’oligospermie, cette maladie qui affecte certains hommes privés de semence sans être pour autant rendus impuissants, ou à cet autre mémorable passage sur les mouches domestiques.

 

En Suisse il existe une entreprise d’aide au suicide très controversée, Dignitas. Houellebecq nous en dépeint les locaux de Zurich, visités par Jed, situés à proximité d’un bordel, qui est bien moins fréquenté que l'établissement funèbre, dans des termes pince-sans-rire qui provoquent inévitablement l’hilarité en dépit de la gravité du sujet. Extrait :

 

« Une euthanasie était facturée cinq mille euros, alors que la dose létale de pentobarbital de sodium revenait à vingt euros, et une incinération bas de gamme sans doute pas bien davantage. Sur un marché en pleine expansion, où la Suisse était en situation de quasi-monopole, ils devaient, en effet, se faire des couilles en or. » 

 

On sent bien que Houellebecq est à la fois fasciné et rebuté par le marché. Il en connaît lui-même suffisamment les ficelles pour s’en servir et fabriquer des best-sellers. Mais on serait injuste de lui en tenir grief parce qu’il nous fait bien sentir qu’il ne s’agit là que d’un mécanisme aux ressorts connus mais insuffisants à rendre notre vie sur Terre supportable.

 

Houellebecq, l’incroyant, l’inclassable, nous dit tout de même, par la bouche de certains de ses personnages que les rites et les mœurs d’antan avaient du bon pour l’homme et que la marchandisation de notre époque qui a des vertus ne peut être une fin en soi. Faute de le comprendre et de trouver une issue l’homme est condamné à la désolation et au délitement.

 

Francis Richard

 

Le 8 novembre 2010 le jury Goncourt a décerné son prix à ce livre.

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25 septembre 2010 6 25 /09 /septembre /2010 09:25

une forme de vieEn ouvrant Une forme de vie d’Amélie Nothomb, publié comme d’habitude aux éditions Albin Michel ici,  je me disais que j’avais peut-être eu tort de succomber à la tentation de lire le Nothomb nouveau, qui, comme le Beaujolais, revient chaque année, qui figure sur les rayons des libraires à chaque rentrée littéraire, avec une régularité de métronome.

Certes je ne suis pas de ceux qui pensent que le succès populaire va de pair avec la médiocrité, mais je ne suis pas non plus de ceux qui pensent qu’il est gage de qualité. Comme la fois dernière [voir mon article"Le voyage d'hiver" d'Amélie Nothomb ] où j’avais été jusqu’au bout du voyage, je ne regrette pourtant pas d’avoir lu jusqu'au bout Une forme de vie.

Il faut dire que je ne risquais pas grand-chose. Les livres d’Amélie sont courts, celui-ci fait 169 pages, et le temps passé à le lire n’est donc pas excessif, même lorsque l’on a un agenda chargé. De plus Amélie est belge et une moitié de moi-même l’est, non seulement parce que j’y suis né mais parce que ma mère l’était. Cela conduit malgré tout à une sorte de connivence.

Je n’ai pas été déçu parce que ce livre est une nouvelle fable à verser au crédit de l’auteur de Stupeurs et tremblements, livre qui m’avait beaucoup plu quand je l’avais découvert il y a deux ans, tout à fait par hasard, dans un Relay de la Gare de Lyon à Paris. J’avais alors pénétré dans l’univers nothombien dont d’aucuns me disaient tout le mal qu’ils pensaient, et j’avais été déçu en bien, en proportion du préjugé négatif inoculé.

Melvin Mapple est soldat en Irak. Il écrit une lettre d’un "genre nouveau" à Amélie Nothomb, qui joue son rôle en personne dans le texte. Parmi la multitude de lettres que l’écrivain reçoit, celle-ci attire donc son attention. L’épistolier, au fur et à mesure de la correspondance, ne laissera pas de la surprendre.

Il faut dire que le personnage de Melvin Mapple n’est pas banal. Il proteste à sa manière contre l’intervention américaine en Irak où il porte l’uniforme depuis des années. Alors que d’autres feraient la grève de la faim, refuseraient de combattre, se confesseraient dans la presse, que sais-je, lui s’est laissé grossir pour conjurer sa peur au ventre  :

"La nourriture est une drogue comme une autre et il est plus facile de dealer des doughnuts que de la coke."

 D’être devenu très gros lui vaut bien sûr le pire qu’est le mépris :

"Ce qui me sauve c’est que je ne suis pas le seul obèse. La solidarité des autres m’empêche de sombrer".

Les lettres de Melvin se suivent et, comme je l'ai dit plus haut, réservent toujours plus de surprises à sa correspondante  – ce qui ménage l’intérêt du lecteur  – jusqu’au jour où Melvin ne répondant plus, Amélie part à sa recherche, pleine d’inquiétude. Car la vie de Melvin semble être en danger. Aussi le cœur d’Amélie n’a-t-il fait qu’un battement avant qu'elle ne se décide à sauver le soldat Mapple.     

Le dénouement de cette difforme de vie pousse la logique de cette correspondance inédite jusqu’au paroxysme, où Amélie Nothomb excelle. Au passage, tout au long du livre, qui m’a donné envie de relire Le martyr de l’obèse d’Henri Béraud, sans doute plus allègre, Amélie nous aura livré ses réflexions pleines d’ironie et d’esprit sur le courrier qu’elle reçoit. Et ce n’est pas triste. Et c’est ô combien révélateur sur l’auteur, à moins bien sûr que là aussi il n’affabule…

Francis Richard

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11 septembre 2010 6 11 /09 /septembre /2010 16:40

La veuve du ChristBeaucoup de romans sont inspirés de faits divers (j'emploie à regret cette expression bien commode, tout en sachant qu'elle recouvre parfois des drames humains qui sont d'une terrible importance).

 

Je pense inévitablement à mon cher Stendhal qui a puisé dans un tel fait l'inspiration de son roman Le rouge et le noir.

 

Tout récemment j'ai fait une recension sur ce blog de Canines, roman écrit par Janus ici. Mais, dans ce dernier cas, hormis le personnage du détective, qui est à l'évidence fortement romancé, l'auteur, plutôt que de littéralement s'inspirer du fait, en a comblé les lacunes, si on peut appeler "lacunes" les pans d'ombre entiers laissés volontairement de côté par une enquête judiciaire ... qui n'était pas au-dessus de tout soupçon.

 

La veuve du Christ , paru chez Fayard ici, d'Anne-Sylvie Sprenger relève du procédé stendhalien et non pas de l'investigation janusienne. L'auteur s'est visiblement inspiré de la terrible histoire de Natasha Kampusch qui vient justement de publier son autographie cette semaine sous le titre 3096 Tage, comme le nombre de jours de sa captivité.

 

Comme Natascha, Lena a été enlevée par un homme qui l'a sequestrée pendant de nombreuses années, huit ans dans le premier cas, environ dix ans dans le second. Les deux enfants, puis jeunes femmes, ont subi des violences physiques de la part de leur geôlier.

 

Natascha  a été confinée dans une cave, Lena dans une buanderie. Par moments l'une comme l'autre pouvait déambuler dans le reste du logement de leur ravisseur. Elles ont même fait sur le tard des escapades à l'extérieur en sa compagnie.

 

Les deux histoires diffèrent cependant. Natascha s'est enfuie et Wolfgang, son ravisseur, s'est suicidé après son évasion. Lena n'a pas cherché à s'enfuir et n'a été retrouvée qu'après le suicide du sien, prénommé Victor, dont le sort a fini par inquiéter son employeur. Natascha dénie s'être fâchée avec ses parents. Lena ne voudra pas les revoir après sa "libération".

 

Natascha n'a pas voulu évoquer de détails intimes sur elle et Wolgang. Anne-Sylvie Sprenger, au contraire, ne nous cache rien des rapports sexuels entre Lena et Victor. C'est même la matière essentielle de son roman, dont le titre, à première vue, sans l'avoir lu, peut paraître provocateur... et l'est peut-être au fond.

 

En l'occurrence le Christ c'est Victor, un homme dont les singuliers parents lui ont inculqué une conception très XIXème siècle de la religion, qui, dans ses manifestations, relève davantage de la singerie du Christ que de son imitation et où le sexe prend une place trouble et dévoyée, qui en fausse l'exercice et lui donne une tournure vicieuse sous prétexte de pureté.

 

Un jour, ce qui devait arriver, après tant d'années passées ensemble, arrive. Lena et Victor deviennent amants. Leur histoire, qui aurait pu prendre un heureux tournant, en dépit des circonstances pénibles, préalables à la naissance de leur authentique amour, aura un dénouement épouvantable. Car Victor, par peur, refusera de changer les conditions de leur cohabitation.

 

Acculés dans une impasse Lena et Victor n'envisagent plus que la fuite en avant. Mais Victor reculera :

 

"L'enlèvement, la séquestration, les coups, tout. Elle aurait tout accepté de lui. Mais pas ça. Pas ça. Lena ne lui pardonnera jamais d'être un lâche."

 

Victor devait l'avoir compris puisqu'il choisira l'issue fatale, en solitaire, pour échapper à ses responsabilités pressenties.

 

Une fois "libérée" Lena sera prise en charge dans un établisssement hospitalier. Le moins qu'on puisse dire est que le personnel, à l'instar des parents, ne comprend rien à ce qui est arrivé à Lena et qu'il aura tout faux à son sujet, sur toute la ligne, ce qui conduira à un véritable désastre, que confirme d'ailleurs l'épilogue équivoque.

 

On reçoit ce livre comme un coup de poing, bien ajusté. Il est court, mais ne vous laisse pas indemne, parce qu'il est malheureusement crédible. Je ne suis pas sûr qu'un homme aurait parlé avec autant de psychologie du sort tragique de cette enfant, devenue jeune femme au fil du roman. Anne-Sylvie Sprenger a bien réussi son coup... dans une langue qui ne laisse aucune place à l'esquive.

 

Francis Richard 

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2 septembre 2010 4 02 /09 /septembre /2010 09:25

Canines XeniaAvec appréhension je me suis mis à lire le nouveau Janus, intitulé Canines et publié aux éditions Xenia ici. En effet je savais que ce nouveau roman était basé sur des faits réels, particulièrement odieux, puisque la victime en est un enfant, qui ne méritait certainement pas le traitement qui lui a été infligé, quelles que soient les fautes vénielles commises par lui et qui ont pu agacer le voisinage.

Même si ce que Janus raconte est à la limite du supportable – il ne nous épargne aucun détail anatomique, même sordide  – , il arrive cependant à nous le faire supporter par deux moyens imparables, la beauté du style – « Le talent de l’auteur est remarquable» écrit le préfacier Charles Poncet – et l’humour du narrateur qui ne s’épargne pas lui-même, au vu et au su du lecteur, et ne nous épargne pas les démêlés peu flatteurs qu’il a avec sa femme Babette. Du coup le message passe. Ce qui était l’effet recherché.

Janus semble spécialisé dans le regard irrévérencieux porté sur notre époque et particulièrement sur le système, ou, si vous préférez, l’établissement.

Dans L’évasion de CB il nous montrait avec alacrité que le petit monde de la politique était doté d’une courte vue et dominé surtout par les ambitions personnelles. Il s’agissait d’utiliser le prétexte de l’évasion de C.B., Christoph Blocher, du Conseil fédéral, où ce dernier avait les pieds et poings liés, pour rendre compte des agissements des profiteurs du système qui n'arrivent à s'entendre que contre l'empêcheur de tourner en rond [voir mon article Les deux facettes de "L'évasion de C.B." ].

Cette fois-ci il s’en prend à un appareil judiciaire peu soucieux de faire éclater la vérité et de rendre la justice. La défense des intérêts du clan a beaucoup plus d’importance à ses yeux que le sort épouvantable d’un enfant d’immigrés italiens, un peu trop fouineur et chapardeur. Car si la vérité éclatait, si la justice était rendue, les coupables, fils de famille, seraient punis et seraient passibles de payer de lourds dommages à la victime…  

Dans un village du Valais un enfant, Gianni Gerardi, est retrouvé à deux pas du chalet de ses parents, à moitié dévêtu, roué de coups, étendu dans la neige, en hypothermie, au soir d’une journée de février 2002. Que lui est-il arrivé ? Janus reconstitue peu à peu les pièces du puzzle en déléguant la voix du narrateur à un détective privé, engagé par les parents, insatisfaits de l’enquête officielle, menée, semble-t-il, en dépit du bon sens et sans précautions.

Petit à petit l’enquête parallèle du détective privé met à jour la vérité. Le coupable n’est pas le chien Groggy désigné coupable, contre toute vraisemblance, par l’enquête officielle, qui a été littéralement bâclée. Il ne s’agit pas non plus d’un crime sexuel commis par un pédophile adulte, vite innocenté. Les coupables sont… des enfants, à peine plus âgés que la victime, qui auraient voulu donner une leçon à cet enfant de sept ans, un peu chenapan et maraudeur.

Malgré des demandes réitérées de l’avocat de la famille, Sardine-à-l’huile, et du détective privé, la réouverture de l’enquête n’aura pas lieu. Peu importe que cet enfant soit aujourd’hui tétraplégique et aveugle à la suite de ce crime. Seule une enquête officielle permettrait pourtant de confirmer les conclusions auxquelles a abouti le détective privé. Sans cette réouverture la vérité n’éclatera pas et il ne sera pas rendu justice à un enfant et à sa famille. Canines est bien un antipolar…puisque le mot de la fin reste suspendu.

Au-delà du roman il y a les faits réels. En effet les faits rapportés par Janus, et qui le taraudent, se sont vraiment produits à Veysonnaz, le 7 février 2002. Gianni Gerardi s’appelle en réalité Luca Mongelli, le "rital congelé" pour le juge de l'époque... Son frère, Dino dans le roman, s’appelle Marco dans la vraie vie. Le chien Groggy en fait s’appelait Rocky (on l’a euthanasié comme pour faire disparaître la preuve qu’il était inoffensif). L’avocat de la famille Mongelli est Me Fanti et le détective privé, très romancé pour les besoins du récit, Fred Reichenbach.

L’appareil judiciaire valaisan s’honorerait en rouvrant l’enquête. Ce que demande d’ailleurs une pétition, qui a déjà recueilli plusieurs milliers de signatures sur Facebook.

Francis Richard

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25 août 2010 3 25 /08 /août /2010 19:15

Le cuisinierDécidément, après "Le coiffeur de Chateaubriand" d'Adrien Goetz  je consacre mes lectures aux gens de métier ... Le livre de Martin Suter , Le Cuisinier, publié chez Christian Bourgois ici, est cependant d'un tout autre genre que celui d'Adrien Goetz.

 

D'abord Le Cuisinier se passe à notre époque, ensuite il n'est pas écrit du tout sur le même ton désinvolte et piquant que Le Coiffeur. Sans doute parce qu'il n'est pas écrit à la première personne et que l'auteur s'emploie à raconter l'histoire avec une certaine distance.

 

Maravan est tamoul. Il travaille en Suisse dans la cuisine du Huwyler, un restaurant en vogue de Zürich. Alors qu'il a des talents réels, mais cachés, de cuisinier, les tâches les plus humbles lui sont dévolues, comme c'est le lot de tous les immigrés de la communauté tamoule en Suisse.

 

Entre autres spécialités Maravan sait faire le vrai curry. Il a la maladresse de vouloir en remontrer au chef du restaurant sur le sujet. Ce qui, cependant, lui vaut d'être remarqué par Andrea, une belle serveuse, qui veut bien goûter à son curry à domicile. Ce qui lui fait commettre une erreur qui va changer sa destinée, bien malgré lui, et amorcer l'intrigue du roman de Martin Suter.

 

Le menu que Maravan a composé pour son invitée nécessite l'emploi d'un appareil de cuisine coûteux, un rotovapeur, que ses revenus modestes ne lui permettent pas d'acquérir. Le dimanche soir qui est celui de la fermeture hebdomadaire du Huwyler, il emprunte donc l'appareil de l'établissement, avec la ferme intention de le rapporter, ni vu ni connu, le matin du mardi, jour de réouverture.

 

Le menu que Maravan a réservé à son invitée a des vertus aphrodisiaques que Maravan lui-même ne soupçonne pas. Il est inspiré de l'enseignement culinaire traditionnel de sa grande-tante, Nangay, restée au pays, avec quelques ajouts de son cru. Andrea est d'ordinaire portée sur le beau sexe qui est le sien. Pourtant, en dépit de ce penchant, après le repas, son désir s'enflamme pour Maravan, qui ne résiste pas non plus à cet incendie, alors qu'il mène une vie des plus chastes depuis son arrivée en Suisse...

 

Les circonstances font que Maravan ne peut pas le lendemain remettre le rotovapeur à sa place discrètement, qu'il est découvert et licencié sur le champ. De son côté Andrea, qui paraissait par sa froideur, aux yeux de tout le petit monde du restaurant, dédaigner les plaisirs de la chair, prend le même chemin de la sortie après avoir fait une déclaration intempestive, et publique, sur les talents de Maravan en cuisine et ...au lit.

 

Maravan pointe donc au chômage. Mais ses indemnités s'avèrent insuffisantes. Non pas qu'il vive sur un grand pied mais qu'il envoie de l'argent à sa famille demeurée au Sri Lanka, où elle vit dans un grand dénuement, qui plus est dans un pays en guerre. Maravan est d'ailleurs fortement sollicité par les représentants des Tigres tamouls en Suisse, qui récoltent des fonds pour alimenter en armes la résistance aux forces gouvernementales. 

 

De son côté Andrea n'a pas encore d'emploi. En raison de sa préférence pour les femmes, elle est toute ébranlée d'avoir cédé avec délices à un homme, alors que d'habitude sa libido est égale à zéro en présence du sexe opposé. Ce ne peut donc être que la conséquence du repas pris ensemble. Elle veut en avoir le coeur net et propose à Maravan de soumettre son menu à un test. Il servira son menu à elle et à une invitée, connue pour être hétéro, et on verra bien si le repas produit ses effets.

 

Le test est concluant. Après bien des atermoiements, Andrea et Maravan créent l'entreprise Love Food. Son objet est de livrer à domicile son love menu, aux effets garantis, dans une ambiance exotique où les doigts servent de couverts. Après un démarrage un peu lent, Love Food prend son essor et sa clientèle se fait rapidement dans les milieux d'affaires qui ne répugnent pas de recourir aux amours tarifés, tout cela sur fond de crise financière, l'histoire se déroulant fin 2008 début 2009.

 

Jacques Laurent disait que les meilleurs repas il les avait pris dans les livres. En l'occurence le lecteur pourra faire sien ce propos, même si sa libido n'est pas vraiment stimulée. Comme l'auteur a la gentillesse de procurer au lecteur les recettes des différents plats composants le love menu, il pourra s'il le souhaite aller jusqu'au bout de l'expérience, qui ne serait donc pas seulement gustative, visuelle, tactile et odoriférante, mais aphrodisiaque.

 

Il est difficile de dire si le texte original, en allemand, est bien écrit. La traduction, si elle ne trahit pas trop l'auteur, est, elle, faite dans un style narratif très coloré, précis, sans emphase. Ce style convient très bien aux propos de l'auteur, qui, sans insistance, pose au passage quelques problèmes de société et de pesanteur de certaines traditions.

 

Pour ma part la seule fausse note se trouve dans le dénouement. Maravan va en effet se venger d'une mort qui le touche de près... et mettre ainsi un terme à Love Food

 

Pour ce cuisinier ce ne sera pas un plat qu'il mangera froid, ou qu'il fera manger froid à la victime de sa vengeance, mais une boisson mortelle qu'il lui fera boire. Sa victime n'est pas un des véritables responsables de son malheur, mais quelqu'un qui, indirectement, a armé leur bras. C'est un peu trop dans la lignée des raisonnements dévoyés d'une certaine intelligentsia pour être convaincant.

 

Francis Richard 

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10 août 2010 2 10 /08 /août /2010 21:25

Coiffeur de ChateaubriandQuand un écrivain s'intéresse à Chateaubriand je suis son lecteur. Aussi ai-je facilement succombé à la tentation de m'emparer du livre d'Adrien Goetz, publié chez Grasset ici.

 

En lisant dans une librairie les premières pages du Coiffeur de Chateaubriand j'ai su tout de suite que nous allions faire bon ménage et que je regretterais de devoir le quitter une fois la dernière page refermée.

 

En effet, si le fond m'importe, je suis d'abord sensible à la forme. Un livre peut m'apporter les meilleures idées du monde, je rechignerai à le lire si le style de l'auteur m'insupporte.

 

Tel n'est donc pas le cas. Le ton désinvolte employé par l'auteur m'a plu dans l'instant. Ce dernier a le sens de la formule. Les phrases sont concises et il n'y a pas un mot de trop pour dire les choses. Un régal qui n'aurait pas manqué de séduire Morand.

 

Adolphe Pâques, le narrateur, a réellement existé. Coiffeur de son métier, il compte François-René de Chateaubriand dans sa clientèle, ce qui n'est pas une mince affaire :

 

"Il avait de moins en moins de cheveux et il fallait toujours qu'il semble décoiffé."

 

Ce coiffeur collectionne les mèches de cheveux de l'Enchanteur. Il se sert d'une balayette en argent pour les ramasser. Il les recueille pieusement dans une manière de boîte à gants, en acajou, et n'en laisse traîner aucune après lui, ce qui lui vaut les bonnes grâces de Madame de Chateaubriand qui répond au prénom de Céleste et qui n'aime "rien tant que la perfection de leur intérieur".

 

Ce coiffeur est un passionné de livres. Qui plus est il a une mémoire prodigieuse. Il enregistre dans sa tête tout ce que lui dit Chateaubriand en confidence. Aujourd'hui on dirait qu'il est fan de l'auteur du Génie du christianisme et qu'il en connaît par coeur tous les couplets. 

 

C'est ainsi qu'il a la primeur des plus belles pages du grand oeuvre de son maître, à savoir Les Mémoires d'Outre-Tombe. C'est ainsi qu'il devient l'informateur de l'écrivain vieillissant, son espion, celui qui lui assure la discrétion requise pour ses dernières bonnes fortunes.

 

Adolphe a fait l'acquisition d'un fusil. Celui-ci peut être équipé d'un silencieux. Dans quel dessein ? Nous ne le saurons qu'à la fin. Comme nous ne saurons qu'à la fin à quel usage, authentique, il destine sa collection de mèches de cheveux, en dégradé de couleurs, qui sont autant de marques du temps écoulé tout au long des années 1840. Comme nous ne saurons qu'à la fin comment et dans quel but il s'est servi de sa prodigieuse mémoire.

 

Chateaubriand reçoit beaucoup de courrier, auquel il répond toujours la même chose à quelques variantes près. Au milieu de toutes ces lettres il distingue pourtant un jour une lettre d'où s'échappe une tout autre musique. L'admiratrice ? Il s'agit d'une certaine Sophie qui lui écrit de Saint-Malo.

 

Une correspondance avec la singulière Sophie s'engage. L'aboutissement de cet échange épistolaire ? La venue chez Adolphe, tout fier de sa mission, de l'invitée secrète. A qui son célèbre épistolier envoie une voiture attelée pour l'aller quérir et la voir à l'insu de tous au domicile de son coiffeur.

 

Il n'était pas prévu que Sophie fût mulâtre, ni que Madame Pâques fût jalouse, encore moins qu'Adolphe tombât amoureux de cette fille des îles...qui rappelle, à Chateaubriand, Ourika, l'héroïne d'un roman de sa chère amie Madame de Duras.

 

Je vous laisse le soin de lire la suite et de connaître le vrai du faux de cette histoire en lisant la note finale et explicative d'Adrien Goetz. Je vous laisse découvrir, si vous l'ignorez, le récit rocambolesque de la publication des Mémoires. Tout ce que je peux vous dire c'est que vous passerez un excellent moment et que vous en saurez un peu plus, à condition de faire preuve d'un peu de discernement, sur les dernières années de l'auteur d'Atala.

 

Francis Richard

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28 juin 2010 1 28 /06 /juin /2010 22:50

Le nez dans le soleil

 Il y a deux mois j'ai fait la connaissance d'Oskar et nous sommes devenus aussitôt amis, ce qui ne veut pas dire que nous soyons d'accord sur tout, mais que nous le sommes certainement sur l'essentiel. C'était le premier du mois de mai, dans cette librairie de Genève où Slobodan Despot tenait salon de ses livres [voir mon article Quand des éditeurs du Salon du Livre délocalisent à Genève... ]. 

 

Depuis je n’avais pas eu le temps de lire le monologue sur pépé qu’il m’avait dédicacée ce jour-là. Samedi dernier, au moment de partir de Lausanne pour Saint Jean-de-Luz, un besoin impérieux d’emporter ce livre, publié aux Editions de La Matze ici, m’a saisi, pour le lire à loisir au pays où je suis né à nouveau à la vie, après trois semaines d’incertitude.

 

Je n’ai pas tenté trois fois, comme pépé, de quitter ce monde. C’est lui qui, par trois fois, a voulu se débarrasser de moi, alors que je m’accrochais à ses basques, contre toute attente. Je n’ai donc pas eu comme lui à me poser de questions :

 

« Trois échecs successifs, ça ne pouvait pas être le fruit du hasard, c’était le destin qui s’en mêlait. »

A Saint Jean-de-Luz, en cette fin d’après-midi, j’avais le nez dans le soleil tandis que je courais le long de la baie, mais ce n’était pas le soleil de pépé qu’il avait découvert le long du bisse. Lui l’avait vu de près en chutant et en se retrouvant le nez dans un pissenlit, représentation végétale du soleil, de la vraie vie, celle qui vaut la peine d’être vécue. Le pissenlit ? « Cette fleur jaune aux mille pétales qui lui renvoyait dans les yeux toute la lumière du monde ».

 

Casquette vissée sur la tête, lunettes noires sur le nez, short et sweat-shirt pour tous vêtements, en ce début de soirée, je n’avais toutefois rien du joggeur fou, courant le long du bisse, dont il est question dans le monologue d’Oskar. Car je ne cherche pas la performance et, tout du long, mes sens étaient en alerte. Je ne m’isole pas comme d’autres de mes semblables, les oreilles munies d’écouteurs reliés à un walkman.

Je hume l’air marin de l’océan, je capte quelques bribes de paroles prononcées avec l’accent chantant d’ici, je me réchauffe le cœur et le corps aux rayons du soleil d’été, je sens sous mes pieds le sable s’écarter pour me laisser passer, je regarde les flots mouvants sans cesse et les estivants allongés qui paressent, je sens des gouttes ruisseler sur mon visage, je suis bien vivant et j’aime ça.

 

Pépé, lui, a la main verte et il aime ça. C’est ainsi qu’il est vivant. Il est l’illustration que la nature ne serait pas harmonieuse sans l’intervention de l’homme. Sans elle, la nature se développerait de manière anarchique et sans revêtir ses plus beaux atours. Pépé a initié un mouvement qui s’est poursuivi sans lui, après lui, après ses départs forcés, un peu comme un bateau qui, moteur coupé ou voiles descendues, continue sur son erre. Au-delà des apparences, même mort, il est toujours vivant :  

« A chaque fois que quelqu’un plante une fleur dans le monde, c’est pépé qui tient la pelle et c’est son rêve qui la fait pousser »  

Le monologue d’Oskar que je viens de lire aujourd’hui me touche personnellement. Comme tous ceux qui ont côtoyé la mort de près, même inconsciemment, je suis attaché fortement à la vie et particulièrement à l’endroit où j’ai vraiment pris racine, ici, au Pays Basque. Comme pépé je n’ai pas choisi mon pays, mais je l’aime, sans raison. Comme son petit-fils j’ai vu beaucoup d’autres cieux, j’ai roulé ma bosse sur plusieurs continents, mais il n’y a rien de comparable à mon pays, qui sans trêve m’accompagne partout.  

Il faudrait, je pense, que le monologue d’Oskar soit dit à haute voix. Est-ce de la prose poétique ou de la poésie en prose ? Je ne sais, mais il fait rêver, réfléchir sur la vie, sur l’essentiel. Il ne lui manque que la parole. C’est un véritable petit bijou littéraire qui ne demande qu’à trouver une voix chaude et claire pour donner tout leur éclat aux mots qu’Oskar compose, comme un virtuose.  

Francis Richard

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15 juin 2010 2 15 /06 /juin /2010 06:00

Des baisers froidsIl m'arrive d'acheter un livre à cause de sa couverture, ou de son titre, ou de sa typographie, ou du papier dont il est fait. Pour toutes ces raisons à la fois, j'ai choisi de lire Des baisers froids comme la lune de Mélanie Chappuis, publié par Bernard Campiche Editeur ici. Mais aussi parce Sébastien Fanti en disait du bien et que la lecture des rabats de la couverture m'en a donné envie.

 

La couverture est une reproduction brillante d'une toile de Guy Oberson, Après une nuit de pluie 2. Le titre est un vers tiré d'un poème de Charles Baudelaire, Le Revenant, qui figure dans son recueil Spleen et idéal. Quand Anna parle ou écrit, les caractères de la police utilisée sont droits, élégants, fins. Quand Vincent parle ou écrit, ils sont ronds, sinueux, pleins. Le papier d'un jaune pastel est agréable au toucher et à la vue.

 

Vincent est un vieux beau, de 55 ans, à la tête du plus grand journal de Suisse romande. Il se veut séducteur, conquérant, mâle quoi, dont la coquetterie est de ponctuer sa pensée, ses paroles écrites et orales, d'un peu d'anglais, sorte de touche snob et convenue, qui lui fait croire qu'il reste tendance. Pour le sexe il a plus volontiers recours aux professionnelles, ce qui lui donne la paix des sens pour séduire tout à son aise. Ce dont il ne se prive pas.

 

Anna, 28 ans, vit au foyer, mère d'une petite Mona, épouse d'un beau chirurgien esthétique de 35 ans, Victor, qui lui assure gîte et couvert dorés et qui sculpte les formes de riches clientes venues de l'Est. Victor est le demi-frère de Vincent. Lequel n'aspire qu'à une chose, à séduire la belle Anna, éventuellement à la mettre dans son lit, même s'il peut craindre à juste titre, l'âge n'aidant pas, de connaître la panne qui affectait parfois Stendhal.

 

Attachée aux valeurs morales de la bourgeoisie traditionnelle, Anna culpabilise, hésite à sauter le pas et à succomber à ces amours adultères que Vincent lui présente sous le meilleur jour, de manière fort habile. Elle résiste dans les premiers temps aux assauts de ce séducteur impénitent, qui fantasme dur sur cette jeune femme de 27 ans sa cadette et qui se sent pousser des ailes, parce qu'il sent bien qu'il possède les armes pour parvenir à ses fins, que l'aventure le rajeunit en quelque sorte et qu'elle lui donne même du coeur à l'ouvrage dans l'exercice de sa profession.

 

Tout au long des relations qu'entretiennent les deux amants, l'auteur nous dévoile leurs pensées intimes, mises en parallèle avec leurs échanges épistolaires, qui sont tout de même révélateurs. L'évolution de ce qu'ils pensent l'un de l'autre et de ce qu'ils deviennent au fil de cette liaison apparaît dans une lumière de plus en plus crue jusqu'à la fin, à laquelle on s'attend, en l'espérant et en la refusant tout à la fois, pris que nous sommes dans le tourbillon de l'histoire, prenant alternativement parti pour l'un ou pour l'autre.

 

Lire Mélanie Chappuis est un véritable plaisir. L'attention est soutenue jusqu'au bout. L'écriture est élégante, soignée, jusque dans les rares écarts de langage, propres à notre époque, qui n'est pas faite pour les bégueules. Au fond, tous les mots sont pesés, bien à leur place, tout en étant pleins de grâce. On se rend compte qu'il n'est pas besoin d'écrire des tonnes pour façonner un véritable petit bijou d'expression. 

 

La psychologie des personnages est tout à fait crédible, si elle est parfois un peu caricaturale. L'auteur se met facilement à la place de la jeune femme, ce qui n'est pas étonnant, compte tenu de son âge et de son sexe, à celle du quinqua bien mûr, ce qui l'est davantage. Les caractères des deux protagonistes n'en prennent que plus de consistance.

 

La fin de ce roman est morale puisqu'est pris qui croyait prendre...

 

Francis Richard     

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13 mai 2010 4 13 /05 /mai /2010 17:30

Von der MühllIl y a longtemps que je cherchais quelqu'un qui aurait un autre point de vue, sur le moyen de réduire le nombre d'accidents et de morts sur les routes, que de faire payer, de plus en plus cher, les automobilistes, considérés dans leur ensemble, sans discernement, comme des coupables, qu'il faut punir pécuniairement, administrativement et pénalement. Avec le livre de Maurice Von der Mühll, publié aux éditions Xenia ici j'ai trouvé cette perle rare. Dans ce livre j'ai trouvé des idées originales qui méritent au moins d'être examinées sinon adoptées.

 

En ce week-end de l'Ascension, où, malheureusement, un certain nombre d'automobilistes trouveront la mort, il est intéressant de se demander pourquoi la solution conformiste de la réduction de ce nombre passe par une baisse de la vitesse limite, par l'augmentation des amendes, par l'augmentation des taxes, en résumé par une répression collective accrue, sans parvenir à un résultat probant, ni tangible. Le nombre de morts sur les routes en Suisse tournant, chaque année, bon an mal an, autour de 500, en dépit de mesures toujours plus contraignantes.

 

Maurice Von der Mühll a exercé pendant 40 ans, à Lausanne, la profession d'avocat et a "forcément rencontré beaucoup de cas d'accidents de la circulation". Lui-même n'a été victime que d'un seul accident, "provoqué par un autre, où il a laissé des plumes". C'est donc au nom de toutes les victimes qu'il a décidé de s'intéresser au sujet, avec la ferme intention de ne pas s'en laisser conter par les prétendus spécialistes en chambre, spécialistes surtout des règles arbitraires.

 

Maurice Von der Mühll est particulièrement sensible à l'équité, déformation professionnelle en quelque sorte. Il est surtout indigné par le fait que les bons conducteurs, qui représentent la très grande majorité des conducteurs en Suisse, soient traités de la même façon que les chauffards avérés. Partant de là il est convaincu que la répression accrue des automobilistes sans distinction va à l'encontre du but recherché qui est de réduire le nombre d'accidents :

 

"Il faut surtout motiver les bons conducteurs et leur donner envie de le rester jusqu'à la fin de leurs jours". 

 

Or cette répression uniforme conduit au développement d'une mentalité qui va à l'inverse du but recherché : 

 

"Du moment qu'il n'y a pas de pardon, autant prendre des risques et demeurer lucide. Comme on dit aussi dans ces cas-là : "pas vu, pas pris" en ajoutant : "si je dois être sanctionné un jour, une autre fois, pour ce genre de faute, je saurai au moins que je l'ai vraiment mérité"."   

 

Tout au long du livre l'ancien avocat expose les réformes qu'il demande, à partir des constats qu'il a effectués, et qu'il justifie de manière très argumentée et convaincante.

 

Chemin faisant il rappelle quelques vérités et s'en prend à quelques idées reçues :

 

"N'oublions pas que dans nos sociétés modernes le trafic des personnes et des marchandises est à la source d'une économie prospère fondée sur les échanges. N'acceptons pas que certains, voulant se rendre intéressants, créent des chicanes et toutes sortes de difficultés sur la route." 

 

Il démontre, à l'aide des lois de la physique, qui sont "incontournables pour tous" que "le ralentissement général des véhicules augmente le degré de pollution de l'air".

 

En fin d'ouvrage il résume les 6 réformes que les autorités fédérales devraient, selon lui, avoir à coeur d'engager :

 

"1. Bonus au pénal pour les bons conducteurs qui n'ont pas eu d'accident pendant plus de 5 ans, aux donneurs de sang et aux conducteurs qui ont signé un don d'organes.

2. Suppression de la priorité de droite [priorité à droite en France] remplacée par la double priorité due aux piétons et au trafic.

3. Moderniser la loi et la simplifier par l'adoption des 15 commandements du bon conducteur.

4. Marge de tolérance d'au moins 5 km/h pour les excès de vitesse et pour l'alcool au volant sans accident jusqu'à 0.8°/°°. En revanche, condamnation dès qu'il y a accident même avec un tout petit peu d'alcool.

5. Organisation d'une procédure rapide pour les retraits de permis à raison d'un excès de vitesse ou d'une conduite sous l'effet de l'alcool.

6. Créer un esprit de tolérance chez les automobilistes entre eux et chez les autorités chargées de la répression."

 

Bien sûr il faut lire le livre pour comprendre le pourquoi de chacune de ces réformes, qui plutôt que "de durcir les règles de la circulation" se fondent sur une véritable compréhension de la "psychologie des conducteurs". Bien sûr il faut le lire pour découvrir les 15 commandements du bon conducteur, qui relèvent du simple bon sens, largement perdu de vue par les autorités.  

 

Ce livre, écrit dans une langue accessible à tout le monde, non dépourvue d'ironie et de fermeté par moments, souligne que les conducteurs doivent être considérés comme des adultes, c'est-à-dire comme des êtres responsables de leurs actes et non pas comme des moutons que l'on peut tondre et soumettre indéfiniment à l'arbitraire.

 

Francis Richard

 

L'internaute peut écouter  ici sur le site de Radio Silence mon émission sur le même thème.
 

Nous en sommes au

663e jour de privation de liberté pour Max Göldi, le dernier otage suisse en Libye

Max Göldi

 

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10 mai 2010 1 10 /05 /mai /2010 19:20

 

Antonio AlbaneseLe livre d'Antonio Albanese, publié aux éditions de L'Age d'Homme ici, a la vertu de nous amener à nous interroger sur les correspondances qui existent entre la réalité et la fiction. Après avoir lu ce livre, nous atteignons ce but, avoué par l'auteur. Nous ne savons plus vraiment où nous en sommes et nous nous demandons d'ailleurs si l'auteur sait lui-même où il en est.

 

Il y a au moins en effet un livre dans ce livre. Luc, le narrateur, est critique d'art et s'est mis en tête d'écrire un roman policier. Il nous en explique la genèse et nous en donne de larges extraits, tout au long du récit. Depuis trois ans il a la garde de sa fille, sept ans, sa femme ayant mis les voiles vers le Nouveau Monde. Cette situation personnelle n'est pas sans influence sur sa façon de vivre et d'écrire, et surtout de se représenter la réalité à travers la fiction. 

 

Avec ses deux amis, Marc et Mathieu, il forme un trio d'hommes tout à fait représentatifs de notre époque. Marc est professseur de philosophie dans un lycée, où il séduit ses étudiantes pour une durée courte et quasiment déterminée à l'avance. Mathieu n'en finit pas d'achever une thèse sur le mythe des origines et vit aux crochets de sa femme, brillante universitaire, mais frigide. Depuis son divorce, Luc est un homme couvert de femmes qu'il pêche au café du Grancy, situé place Monge à Paris, quartier général du trio, qui s'y retrouve chaque semaine pour refaire le monde, grâce à la magie des mots, leur spécialité en quelque sorte professionnelle.

 

Un critique d'art qui écrit un roman policier ne peut pas échapper complètement à l'univers dans lequel il se livre à des écrits de commande. Aussi le lecteur n'est-il pas surpris que les tableaux occupent une place de choix dans l'intrigue haletante qu'il échafaude. Comme le titre du livre l'indique, de même que les reproductions de la couverture, La Chute de l'Homme du Tintoret, et du dos, La Tentation de Bouguereau, la pomme tendue d'un personnage à un autre - sans négliger le rôle de la composition de ces oeuvres picturales - y revêt une importance capitale, qui ne se dément pas, tout au long de l'histoire, jusqu'au dénouement.

 

Tout romancier de bon aloi est confronté à un phénomène inévitable, auquel conduit l'écriture. L'intrigue qu'il croyait maîtriser, à la fin, lui échappe. Au début Luc transpose littéralement ce qu'il vit, puis il en vient à créer un monde rêvé, bien à lui, tout rempli de ses fantasmes. Ses personnages, qui ressemblent à des personnes de son entourage, prennent peu à peu leur autonomie. Dans La Chute de l'Homme le phénomène prend des proportions inédites puisqu'il est double, comme l'intrigue est double, comme les personnages sont doubles, comme il y a deux romans. Il y a alors ce qu'Antonio Albanese appelle "une mise en abyme" :

 

"Le vertige menace, et du vertige à la chute, il n'y a qu'un pas".

 

Au bout d'un certain temps le vertige de l'écrivain devient difficilement supportable. Au début sa fiction romanesque très naturellement suivait sa réalité. A sa grande surprise, la seconde finit par précéder la première, par s'avérer prémonitoire. Il y a de quoi se demander si sa réalité n'était pas après tout qu'une illusion. La chute du livre sur le livre - ou la chute du livre ? - lui prouvera que cette intuition était la bonne et que jusque là il s'était révélé incapable de discerner le vrai du faux, toujours en raison de la magie des mots qui vous induisent en erreur :

 

"Si ma fiction avait remplacé ma réalité, c'est que cette réalité était une erreur, un mensonge. Le récit, lui, ne ment pas." dit le narrateur en fin de parcours.

 

Tous les protagonistes, dont les prénoms sont ceux des auteurs des évangiles synoptiques, finissent par chuter aussi bien dans le récit que dans le roman policier. Sans dévoiler la fin des deux livres qui se répondent, écrits d'une plume alerte et captivante, il faut tout de même rassurer le lecteur. Après une chute, il y a toujours moyen de panser ses blessures et de se trouver une consolation. C'est du moins ce qu'Antonio Albanese nous laisse espérer, en permettant au lecteur de devenir à son tour auteur et d'imaginer la suite.

 

Francis Richard

 

La Chute de L'homme s'est vu décerné le Prix des Auditeurs 2010 de la Radio Suisse Romande.

 

Nous en sommes au

660e jour de privation de liberté pour Max Göldi, le dernier otage suisse en Libye

Max Göldi

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

   

 

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  • Francis Richard
  • De formation scientifique (EPFL), économique et financière (Paris IX Dauphine), j'ai travaillé dans l'industrie, le conseil aux entreprises et les ressources humaines, et m'intéresse aux arts et lettres.
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