Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
30 mars 2010 2 30 /03 /mars /2010 02:20

Un roman russe et drôleIl est des titres de livres qui vous incitent à la lecture et d’autres pas. Le titre du livre de Catherine Lovey, publié aux Editions Zoé ici, appartient, pour une raison qui m’est en grande partie inconsciente, à la première catégorie. Sans doute parce que tout ce qui touche à la Russie ne m’est pas étranger. Sans doute parce que, pour avoir tenu l’objet en main, à la FNAC de Lausanne,  il m’est apparu contemporain et que mon époque a le don de me passionner et de m’irriter, à la fois.

Un roman russe et drôle nous lance sur deux fausses pistes. La première fausse piste nous est suggérée par le titre lui-même. Il ne faut pas entendre « drôle » dans la première acception du terme qui nous vient à l’esprit. Si vous cherchez à vous dilater la rate, vous en serez pour vos frais, même si vous êtes amené par moment à sourire. En fait, ce livre, où il y a un roman dans le roman, est drôle au sens de bizarre, d’intrigant, ce qui n’est d’ailleurs pas une moindre qualité pour un roman.

La deuxième fausse piste nous est suggérée par la quatrième page de couverture. Après l’avoir lue, vous penserez très naturellement que le héros de ce roman - et du roman contenu dans ce roman - est l’oligarque Khodorkovski, qui fut un moment l’homme le plus riche de Russie et qui moisit pourtant, depuis maintenant cinq ans, dans un camp de Sibérie, celui de Krasnokamensk. En réalité il ne s’agit là que d’un prétexte, comme vous ne tardez pas à le découvrir.

Valentine Y. est romancière. Comme elle aime la Russie, elle tient absolument à écrire un roman russe. Mais elle ne veut pas écrire n’importe quel roman russe. Elle veut que le héros de ce roman soit justement l’oligarque Khodorkovski, dont le sort la dérange et qu’elle voudrait bien comprendre. Comme elle veut pouvoir écrire un véritable roman russe autour de ce personnage, elle compte bien se rendre en Sibérie pour recueillir sur place les éléments qui lui permettront de le raconter en vérité.

Tous les amis de la romancière veulent la dissuader non pas d’écrire un roman russe – ce serait plutôt tendance – mais de prendre Khodorkovski pour héros de ce roman russe, sous les prétextes les plus divers. Or, au contraire, elle considère que cet oligarque est un personnage de roman idéal. Ce multimilliardaire, roi du pétrole, « aurait pu fuir ou se compromettre face au pouvoir » mais il n’a fait ni l’un ni l’autre et croupit dans un bagne russe, qui plus est « dans le régime commun », ce qui l’épate.

Valentine Y. se rend donc en Russie. Sa première étape est Moscou, d’où elle prépare sérieusement son expédition en Sibérie. C’est l’occasion pour elle de découvrir une Russie qui n’a rien à voir avec celle qu’elle a connue plusieurs années plus tôt et qui lui avait laissé un souvenir impérissable. Des obstacles surgis du passé se dressent devant elle comme pour l’empêcher de poursuivre sa quête. Ils sont toutefois insuffisants pour la faire renoncer.

Pendant de longs mois Valentine Y. tient au courant Jean, son meilleur ami et confident, de son périple sibérien. Elle lui envoie des lettres qui ne lui ressemblent pas, des extraits de son roman en cours d’élaboration. Puis, tout d’un coup, plus rien. Jean, au bout de plus de deux mois et demi sans nouvelles, parce que sa santé ne lui permet pas de rechercher lui-même Valentine disparue, charge Ioulia une amie de son amie Elena de la retrouver.

Le roman de Catherine  Lovey prend alors une tournure de plus en plus russe, dont cet échantillon de courriel adressé par Jean à Ioulia pourra donner quelque idée :

« Dans notre cœur, la Russie n’est pas seulement un pays, mais avant tout une partie de notre culture et, pour certains d’entre nous, la face audacieuse de nos aspirations, sans laquelle nous n’oserions jamais chatouiller les nuages, juste en dessous du paradis, ni surtout creuser la terre, à l’endroit même où elle s’ouvre sur l’enfer. »

La Russie d’aujourd’hui est la véritable héroïne d’Un roman russe et drôle. Une Russie éternelle et changeante, qui fascine Catherine Lovey et qu’elle aime indéniablement, profondément, telle qu’elle est. Pour sembler détachée de cette fascination et de cet amour implicite, envahissant, elle traite par moments le sujet sur le ton de la dérision, qui est encore le moyen le plus efficace pour ne pas se laisser entraîner sur une pente par trop romantique.

Francis Richard

Nous en sommes au

619e jour de privation de liberté pour Max Göldi, le dernier otage suisse en Libye

Max Göldi

Partager cet article
Repost0
14 février 2010 7 14 /02 /février /2010 10:00
romance nerveusePendant des années - vingt-cinq ans au moins - je n'ai pas lu ou très peu, ou sinon des oeuvres sûres, validées par le temps, écrites par des hommes, ou des femmes, au talent reconnu, du moins par moi, quand je lisais beaucoup, dans mon jeune temps.

Au lieu de lire pendant toutes ces années j'ai agi, à la barre d'une entreprise, dans un univers tempêtueux, qui ne me laissait d'autres loisirs que la poésie et le sport. Il a fallu attendre que je devienne salarié pour que je retrouve le temps de lire des oeuvres contemporaines, pour que je reprenne contact avec aujourd'hui. Le salariat est une semi-retraite.

Avec des années de retard, il est un genre que je découvre maintenant, avec lequel j'ai un peu de mal, qui est caractéristique de ces dix, quinze, dernières années : l'autofiction, illustrée par des auteurs tels que Christine Angot ou ... Camille Laurens. Ce genre se situe, comme le nom l'indique, entre l'autobiographie et la fiction. Ce genre qui résulte de la confusion de deux genres me laisse confus et en même temps me donne une sacrée indication sur notre époque.

C'est le titre qui a attiré mon regard, "romance nerveuse", comme on parle d'une "grossesse nerveuse", avec ce que cela implique de symptômes réels, fruits de troubles activités mentales, imaginaires. Romance évoque d'ailleurs aujourd'hui davantage une sorte de vague à l'âme, de sentimentalisme désuet, qu'une pièce musicale qui vous élève comme ce l'était naguère.

Côté auto, la narratrice est un écrivain, Camille L., de son vrai nom Laurence R. Elle est en rupture avec l'éditeur de ses débuts. Qui a pris partie contre elle pour un autre auteur de sa maison d'édition, accusé par elle de plagiat. L'affaire a fait frissonner le Tout-Paris littéraire, dans l'incompréhension et l'indifférence générale du public. Le personnage du roman comble en quelque sorte le vide d'un éditeur l'autre.

Côté fiction, il y a dédoublement de personnalité chez celle qui tient la plume. Elle est tantôt Camille, son pseudo prénom, celle qui dit je, tantôt Ruhel, son réel patronyme. Le moi aurait tendance à écouter son coeur, son instinct, tandis que Ruhel serait sa voix interne, celle de la froide raison qui ne croit en rien, qui doute de tout et juge sur pièces.

Luc et je forment un couple dépareillé.

Luc est un paparazzi qui papillonne, qui zappe, qui part dans toutes les directions, qui expérimente tout et n'importe quoi, qui ne se fixe nulle part, ou sinon un très court moment, un lunatique qui peut être charmant un instant, odieux l'instant d'après. Il est échec permanent parce qu'il ne va jamais jusqu'au bout d'une de ses nombreuses et lumineuses idées qui tempêtent indéfiniment sous son crâne.

Je est un écrivain qui a de nombreuses entrées sur Google, un peu moins seulement que Christine Angot, qui fait partie de l'établissement, qui participe à des émissions de radio, qui est reconnue par le monde littéraire d'aujourd'hui, qui est bardée de diplômes, qui a besoin de cadre - son double Ruhel le lui procure très bien - qui est tour à tour séduite, agacée par ce borderline de Luc, qui sait très bien comment une telle aventure avec un tel mec ne peut que finir, pour qui la vraie vie c'est d'écrire.

La romance qui se déroule sous nos yeux est nerveuse, dans la première partie, comme l'écriture de je, très moderne, syncopée, avec un vocabulaire qui emprunte beaucoup à celui d'aujourd'hui, mais qui heureusement ne se contente pas de tomber dans cette facilité. L'écriture retrouve une certaine sérénité dans la seconde partie, comme si elle était apaisée par l'épilogue en vue. Ce qui fait qu'au final le lecteur accepte de se laisser malmener. Au bout du compte - c'est le triomphe de Ruhel - il reçoit sa récompense, celle d'avoir persévéré.

Francis Richard

Nous en sommes au

575e jour de privation de liberté pour Max Göldi et Rachid Hamdani (de droite à gauche), les deux otages suisses en Libye

 goldi et hamdani
Partager cet article
Repost0
16 janvier 2010 6 16 /01 /janvier /2010 16:10

le dernier crâneLe dernier livre de Jacques Chessex est sorti en Suisse, le 7 janvier dernier, enveloppé de cellophane avec une étiquette "réservé aux adultes" ici , parce qu'il contient des scènes crues. Comme un vulgaire livre porno, tel qu'on en trouve en vente dans les gares ou les stations-service. L'autre matin, une invitée de la Radio Suisse Romande a employé le mot de préservatif pour désigner la chose.

Le jour même l'éditeur, Grasset, annonce qu'au tirage initial de 25000 exemplaires un tirage supplémentaire de 6000 exemplaires est déjà prévu ici

Jacques Chessex aurait écrit la dernière ligne de ce livre le 9 octobre 2009, le jour de sa mort, à l'âge de 75 ans, c'est-à-dire au même âge que Donatien Alphonse François de Sade.

Ce contexte et cette orchestration ne sont pas favorables à une lecture sereine du dernier roman de l'ermite de Ropraz. Il y a ceux qui se précipitent sur le livre, par l'odeur du soufre alléchés, et ceux qui se refusent seulement à le lire, par répulsion pour ces relents nauséabonds. Jacques Chessex qui n'en était pas à une provocation près doit jubiler dans sa tombe.

Aussi, pour m'abstraire de ce contexte délétère, ai-je profité d'être un lève-tôt et du calme de ma maisonnée catovienne, encore endormie, pour lire ce matin, en deux heures de temps, ce roman ultime, et publié post mortem.

D'emblée disons que réduire ce dernier roman aux scènes crues, qui s'y trouvent effectivement, n'est pas vraiment en rendre compte. D'autant moins que Jacques Chessex n'en est pas à son premier coup d'essai dans le domaine. Si son oeuvre romanesque parle des femmes et de la fascination qu'elles exercent sur lui, de l'existence de Dieu et du doute existentiel, de la mort et de son omniprésence dans la vie, elle donne en effet une large place au sexe mal assumé, ou alors exhibé par bravade.

Le portrait que trace Chessex des derniers mois de Sade à l'Hospice d'aliénés de Charenton n'est guère flatteur. Voilà un homme dont le corps est difforme, bouffi, rongé par toutes sortes de maux. Voilà un homme frénétique, insatiable, qui recherche le plaisir jusqu'au bout des forces de ce corps meurtri. Chessex parle de monstre au début du livre. Il ne reprend pas le terme jusqu'à la fin. Il est indéniable que Chessex est plus que subjugué par la liberté débridée et par la bleuité du regard du pensionnaire de Charenton.

La postérité a retenu surtout que ce "marquis" jouissait de la souffrance des autres. Chessex nous rappelle que le fouet et l'aiguille n'étaient pas les seuls instruments de sa jouissance. Sade était surtout un sodomite impénitent et Chessex, avec sa complaisance coutumière, ne nous épargne aucun des détails anatomiques les plus scabreux de cette prédilection sexuelle, comme on dit aujourd'hui, avec une précision suggestive, comme s'il découpait ce qu'il imagine au scalpel.

Sade était surtout aussi un ennemi juré de la religion catholique et se livrait avec ses partenaires à des singeries blasphématoires. Il ne voulait pas qu'après sa mort une croix se dresse sur sa tombe. Son voeu ne sera pas exaucé. Ou sinon, quatre ans après sa mort, quand le cimetière où il reposait sera bouleversé et que commencera l'errance de son dernier crâne, celui de la dernière forme prise par ce dernier, avant de passer.

Sade ne veut pas non plus qu'après sa mort son corps de fou soit autopsié - comme c'était l'usage à l'Hospice - pour en préserver sans doute les secrets des curiosités de la science, comme il dissimulait ses turpitudes, comptabilisées dans son Journal, sous un langage codé. Ce voeu-là sera exaucé.

Le soufre n'est pas seulement dans les actes et les pensées. Il émane de ce corps tourmenté et brûle ceux qui s'en approchent de trop près avec de mauvaises intentions à son égard. Ce n'est pas vraiment la beauté du diable mais son incandescence et son irradiation infernales. Cette propriété démoniaque sera celle aussi de son dernier crâne dont Chessex nous conte, pour finir, les péripéties dantesques, une sorte de survie osseuse après la mort.

Au cours de son oeuvre, de livre en livre, Chessex s'enfonce davantage dans la morbidité. Ses deux précédents livres, Le vampire de Ropraz et Un juif pour l'exemple ici, en témoignent. Dans le même temps son style s'allège, s'épure. Du rabelaisien de Carabas, il ne reste plus rien. Il demeure l'exactitude des mots. A l'insolence provocatrice succèdent l'inquiétude métaphysique, associée à la poésie, et l'intérêt pour les êtres qui bouillent à l'intérieur et qui soudain explosent.

Au début d'un chapitre Chessex explique sa démarche quand il se penche sur les derniers mois délirants de Sade :

"La conduite d'un homme avant sa mort a quelque chose d'un dessin au trait aggravé. Il y acquiert un timbre à la fois plus mystérieux, et plus explicite de son destin. Dans la lumière de la mort, dont le personnage ne peut ignorer entièrement la proximité, chacune de ses paroles, chacun de ses actes résonne plus fort, de par la cruauté du sursis

Cette démarche prend une forte résonance quand nous savons - il est difficile d'échapper complètement au contexte - quelles furent les circonstances de la mort de Chessex ici, et quand nous lisons les derniers mots du présent livre, tracés le 9 octobre 2009, qui sont la traduction, de l'allemand au français, de vers de poète :

"Comme nous sommes las d'errer ! Serait-ce déjà la mort ?"

Francis Richard

Nous en sommes au

546e jour de privation de liberté pour Max Göldi et Rachid Hamdani (de droite à gauche), les deux otages suisses en Libye

goldi et hamdani

Partager cet article
Repost0
14 janvier 2010 4 14 /01 /janvier /2010 00:45
La septième dimensionQu'est-ce que la septième dimension ? Il y a les trois dimensions de l'espace,  celle du temps, celle du déplacement dans l'espace-temps, celle du monde virtuel et ... il y a la septième dimension.

Cette nouvelle dimension dans laquelle il se situe pour expliquer le visage du monde en devenir, Guy Millière la définit ainsi dans son prologue:

"C'est le coeur disséminé du paradigme dans lequel nous entrons. C'est la pluralité. C'est l'un qui crée des multitudes à l'intérieur de l'un. C'est la coexistence d'un univers tissé de fibre optique, de signaux numériques, de réinventions incessantes de la matière, de l'énergie et du vivant avec des coutumes millénaires qui peuvent utiliser la fibre optique, le réseau, les signaux, pour survivre et insister. C'est ce qui excède et vient dissoudre les barrières, les murs, les obstacles, et aussi ce qui se trouve utilisé par les adeptes des barrières, des murs, des obstacles, voire les adeptes du néant pour persister, et souvent nuire"

Après Claude Allègre - du moins dans l'ordre de parution -, dans ce livre paru aux éditions Cheminements (ici), Guy Millière essaie de dessiner les contours de notre avenir sur Terre. Mais il le fait dans un tout autre esprit que Claude Allègre, même si les découvertes scientifiques présentes et à venir, celles qui ne peuvent que découler des présentes avancées de la science, conduisent à imaginer un monde technique similaire.

La différence provient du fait que le premier est resté socialiste dans l'âme, avec les pesanteurs inévitables qui sont inhérentes à cette idéologie, alors que le second est un homme épris de liberté, hostile aux idéologies et aux régulations, favorable à ce qui permet à la liberté de s'épanouir. 

Quelles sont les conditions de cet épanouissement? La protection des biens et des personnes, la protection des droits de propriété, la sécurité et le respect des contrats volontaires, la légitime démarche de la connaissance, qui doivent être assurés par ceux que Millière, à la suite de Laurent Cohen-Tanugi, appelle "les sentinelles de la liberté", à savoir les gardiens, les vigiles, les magistrats, les soldats etc. Tous ceux dont la charge est de veiller et que j'appelle les agents des fonctions régaliennes. Millière note toutefois:

"Un pays où la veille serait insuffisante risquerait la destruction, la violence, la fuite des gens de haute synergie. Un pays où elle serait excessive s'asphyxierait lui-même".

Qui sont ces gens de haute synergie ? Ce sont de hauts producteurs d'idées, de création, de prospérité, d'harmonie, que l'on retrouve dans ce que Millière appelle des hubs, comme la Silicone Valley, Las Vegas ou Hong Kong.

Internet a apporté au monde une révolution à nulle autre pareille dans l'histoire de l'humanité, qu'elle a fait entrer dans la sixième dimension, celle du monde virtuel. Par ses effets elle est sans commune mesure avec cette révolution que fut en son temps l'imprimerie, cette autre invention propice à la diffusion du savoir. Parce qu'Internet n'a pas seulement diffusé le savoir. Il a contribué à réduire les coûts de transaction.

Qu'on le veuille ou non, Internet a eu pour principal résultat de faire de la planète un immense et unique marché, dans lequel n'importe qui, situé en n'importe quel point de la planète, peut, et sait qu'il peut, échanger avec n'importe qui d'autre, situé en n'importe quel autre point de la planète.

Pour les entrepreneurs des pays développés ce n'est pas sans conséquence. Ils sont condamnés à créer, à innover, à concevoir, à garder une longueur d'avance, si faire se peut, pour ne pas disparaître. Il devient en effet de plus en plus facile de produire n'importe quoi, n'importe où et à moindre coût. Ce qui permet d'ailleurs à des populations entières de se développer enfin et de s'affranchir des aides qui les maintenaient jusqu'alors sous perfusion, et sous servitude.

Pour décrire ce qui se passe, et qui ne devrait que croître et embellir, Millière a recours aux mots de flux et de réseau. C'est en effet à une toujours plus grande fluidité et un plus grand enchevêtrement des échanges auxquels nous assistons. Les hubs étant les noeuds de ce gigantesque réseau.

Parfois ces échanges rencontrent des obstacles, ils se frottent à des aspérités. Parfois il y a des aléas, des accidents, des dysfonctionnements. Mais la dynamique est telle que la révolution continue en laissant les lieux rétifs à l'écart, pour un temps seulement, parce qu'ils sont contraints par nécessité de se couler tôt ou tard dans le mouvement qui est lancé, ou de l'utiliser pour tenter de lui nuire.

Ce monde nouveau, qui n'en est qu'à ses débuts, se caractérise par une toujours plus grande dématérialisation, par une toujours plus grande dissémination de l'intelligence, par une toujours plus grande création de richesse. Il permet également à chacun de satisfaire ses aspirations les plus singulières, parce qu'au contraire de conduire à une uniformisation ce monde ouvre des perspectives toujours plus diverses, il favorise l'éclosion d'idées toujours plus fécondes. Mais pour ce faire :

"Il faut tout un contexte. Tout ce qui vient se tisser dans un contexte. Liberté individuelle et savoir, esprit d'entreprise, incitations à l'initiative, tolérance et ouverture permettant d'accueillir et d'être différent, singulier, imaginatif, quelques autres ingrédients aussi sans doute..."

Pour que cette révolution des échanges ait lieu il a fallu de la finance, comme le sang est nécessaire pour irriguer le corps et lui donner vie. La finance est elle aussi devenue planétaire, immatérielle, qui plus est souveraine, d'une souveraineté qui n'est celle de personne, un processus. Elle ne dysfonctionne que quand elle est nourrie de fausses informations, celles que lui fournissent les gouvernements par leurs régulations ou les banques centrales par leurs interventions inadéquates. 

Cette révolution vient des Etats-Unis avec les Wal-Mart, Fed-Ex, UPS, Amazon, Apple, Microsoft, Google etc.Tous les pays ne bénéficient pas de la même manière de cette révolution, que Millière qualifie de postcapitaliste, le capital humain étant devenu prépondérant dans la création des richesses. La Chine et l'Inde, par exemple, grâce à cette révolution, ont pu s'industrialiser et se trouvent dans une phase transitoire. Mais la Chine devra bien un jour choisir entre dictature et croissance...

Quant à l'Europe, elle vacille, parce qu'elle n'a pas anticipé cette révolution en cours. A son sujet :

"Il faut discerner qu'une vision dirigiste de l'économie se trouve impulsée, renforcée sans cesse. "On parle de marché", dit Bruce Thornton, "mais ce n'est pas du marché libre, c'est du marché canalisé, encadré, placé en liberté strictement conditionnelle".

A moins d'un miracle, l'Europe fera partie "des sociétés qui ont été, mais dont la lueur s'amenuise doucement". Comme le répète Millière dans ce livre :

"Les adeptes de l'ordre construit et de la fermeture n'ont cessé de lutter contre l'ordre spontané [l'expression est de Friedrich Hayek] et contre l'ouverture".

Avec les résultats que l'on sait.

Et puis il y a tous les failed states, qui se trouvent à la lisière de cette révolution, les pays d'Afrique et d'Amérique latine, à l'exception du Chili, et peut-être du Brésil :

"Les zones du monde les moins connectées, les moins incluses dans le flux et le réseau, sont les zones les plus sinistrées".

Ce qui menace le plus cette révolution postcapitaliste, ce sont l'islamisme et l'altermondialisme.

L'islamisme, qui doit être dissocié de l'islam, est un véritable totalitarisme, dans la lignée du national-socialisme, du léninisme et du fascisme. Il peut sembler surgi d'un passé révolu, mais il emploie les moyens du vingt et unième siècle pour se livrer à ses horreurs meurtrières. Comment le vaincre ? Il faudrait que le monde musulman comprenne que :

"La modernité n'est pas négation de la religion et des cultures en leur diversité, mais développement de la connaissance et préservation des dimensions spirituelles des religions, préservation de la diversité des cultures".

Est-ce possible ?

L'altermondialisme est pernicieux. Il a quelques réussites à son actif. Il est parvenu à faire admettre que les économistes qualifiés de "libéraux" étaient des dogmatiques et à imposer l'expression d'"idéologie néo-libérale", alors que ces économistes ne font qu'expliquer, qu'observer. Il est parvenu à faire croire que démocratie et totalitarisme étaient comparables, c'est-à-dire que la première ne valait pas mieux que le second. Il est parvenu à convaincre qu'il était urgent de "sauver la planète", en substituant la croyance à la connaissance, et qu'il fallait favoriser le "commerce équitable", sous-entendant que tout autre commerce ne l'était pas. Il a réécrit l'histoire en ne parlant que des mauvais côtés de la civilisation occidentale, en omettant tous ses bienfaits.

Compte tenu de ces menaces, Millière pense que "nous marchons sur le fil du rasoir et [que] nous pouvons avancer sur le fil du rasoir tant que nous marchons". Il reste donc optimiste et conclut son livre en disant :

"Le rasoir peut trancher. La destruction peut venir ici ou là. L'appel du néant et de la négativité auxquels succombent quelques uns peut se faire plus fort ici ou là. Le déclin peut sembler s'installer ou s'installer effectivement, ici ou là. Les forces de l'esprit l'emportent. Toujours. Ici. Ailleurs. Là où c'est possible.
"Elles l'ont toujours emporté.
"Nous sommes tout juste au commencement.
"Oui."

Francis Richard

Nous en sommes au

544e jour de privation de liberté pour Max Göldi et Rachid Hamdani (de droite à gauche), les deux otages suisses en Libye

goldi et hamdani
Partager cet article
Repost0
11 janvier 2010 1 11 /01 /janvier /2010 23:30
Gérard de VilliersA 80 printemps Gérard de Villiers a toujours bon pied bon oeil. Il n'écrit pas moins de quatre SAS par an, dont le tirage moyen est de      200 000 exemplaires. SAS ? Pour ceux qui ne savent pas qui est SAS, il s'agit de Son Altesse Sérénissime le Prince Malko Linge, un prince autrichien qui fait des extras pour la CIA ... depuis 1965 et qui est toujours vivant.

Comme TintinSAS n'a pas d'âge, mais au contraire de lui il se laisse séduire par les jolies femmes. Que dis-je, il les séduit, à l'exemple de son créateur... qui collectionne les compagnes.

Les aventures de SAS sont en effet un coquetel détonnant de sexe, de sang, de tortures, de morts et, surtout, de reportages dans les pays où elles se déroulent. Succès garanti, et obtenu. Comme on disait du temps où je portais des culottes courtes - cela a duré longtemps parce que ma maman trouvait que j'avais de belles jambes, ce que ma femme pense aussi - ce sont des livres à ne pas mettre entre toutes les mains. Je n'en ferai donc pas de citations.

Quand j'étais lycéen, puis étudiant, j'ai lu les premiers SAS, publiés alors chez Plon. Je les lisais dès leur parution. Maintenant j'en lis un de temps en temps...quand le pays m'intéresse. C'est ainsi que j'ai lu le dernier volume de 2009, Le Piège de Bangkok, pour la bonne et simple raison que j'y avais fait, pendant cinq semaines, un voyage mémorable, il y a tout juste trente ans, et que j'avais bien envie de savoir ce que le pays du sourire était devenu entre-temps. 

Petit-fils d'un espion de sa Gracieuse Majesté, qui avait franchi le Channel en 1914, à 19 ans, et s'y était fait enrôlé dans le MI6, j'adore - ce doit être atavique - les thrillers, les livres d'espionnage et les polars, que je lis volontiers dans la langue de Shakespeare - mon auteur de théâtre préféré - à l'exception de quelques auteurs bien français tels que Jean-Christophe Grangé, Maxime Chattam ou justement Gérard de Villiers...

Gérard de Villiers s'est donc confessé à Migros Magazine [d'où provient la photo ci-dessus, ici], dont je recommande la lecture, souvent décapante - on n'y parle pas seulement des bonnes affaires que vous pouvez effectuer en allant faire vos courses dans les magasins à l'enseigne de Migros. Au sujet de son rythme de production - quatre SAS par an - il commence fort :

"La vie avance aussi inéluctablement qu'un tapis roulant. J'espère faire comme les chats - j'adore les chats [moi aussi] - qui, un jour, se couchent et meurent. Si on s'arrête, on est foutu: comme une voiture qu'on laisse au garage et qui ne repart plus".

Le-piege-de-bangkok-copie-1.jpgAutant dire que Gérard de Villiers n'est pas du tout ému par la prochaine votation qui aura lieu ici le 7 mars prochain sur la baisse du taux de conversion du 2e pilier des retraites helvétiques... [ici]

Comme le dit le père de SAS, "le plus facile à raconter, c'est quand même le vécu" :

"Chaque fois que je me rends sur un point chaud de la planète, je réactive mes sources. ( Il désigne quantité de cartes d'accréditation de presse punaisées au mur). Vous voyez, celle-là? C'est mon accréditation par Al Akhbar, le journal du Hezbollah, je peux vous dire que ça vous ouvre toutes les portes au Liban !"

Gérard de Villiers connaît bien l'Aghanistan. Voici le portrait saisissant qu'il fait des Talibans :

"Ce sont des obscurantistes de la plus belle eau. Mais est-ce à nous de refaire le monde ? Contrairement à d'autres, les Aghans n'exportent pas leurs attentats. Ils veulent vivre selon leurs coutumes, c'est tout. Et donc ils sont allergiques à la présence de toute puissance étrangère, depuis le XIXe siècle. Les Anglais s'y sont cassé les dents, les Russes aussi. Ils chasseront tout aussi bien les Américains et leurs alliés".

Obamaniques, abstenez-vous de lire la suite et sautez le paragraphe:

"Croire qu'on peut contrôler ce pays avec 100 000 hommes, c'est rêver. Hélas, Obama n'est pas un homme d'Etat, mais une sorte de grand pasteur mou".

Jean-François Duval, le journaliste de Migros Magazine, lui pose la question incorrecte :

"Pour vous, la théorie du choc des civilisations de Samuel Huntington se vérifie-t-elle ou non ?"

A laquelle il répond tout aussi incorrectement :

"Il faudrait être aveugle pour ne pas le voir. Les radicaux islamistes sont à l'islam ce qu'un Mgr Lefebvre est au christianisme. Al Qaida signifie "combat contre les croisés", soit les juifs [sic] et les chrétiens . Beaucoup de musulmans pratiquent leur religion dans la modération. Mais il y a aussi un islam de combat! Et ça, c'est le grand bouleversement opéré par Ben Laden. Il restera dans l'histoire comme l'homme qui a réveillé l'islam en tant que religion de combat et fait prendre conscience à des millions de musulmans de leur islamité. Et ça a marché au-delà de toute espérance! Que Ben Laden meure ou soit capturé ne changera plus rien à rien. Al Qaida, franchisée dans quantité de pays, marche toute seule."

Quelle vision Gérard de Villiers a-t-il de l'homme ?

"Je n'ai pas de philosophie, et donc pas de réponses toutes prêtes...L'homme est difficile à définir. Nous sommes des mammifères à sang chaud et, oui, je crois que l'instinct compte beaucoup. Ce qui me fascine ce sont certaines constantes, quels que soient les peuples. En définitive les gens fonctionnent selon des espèces de programmes très similaires partout. Regardez, les Chinois! Comment ils sont passés du communisme au capitalisme! Fascinant! Il suffit d'ouvrir les vannes, et tous les vieux réflexes propres à l'homme reviennent au galop... Voyez le retour du religieux en Russie!"

Même s'il use, et abuse parfois, de raccourcis, cet homme de terrain, qui adore les chats, ne peut pas être complètement mauvais, ni avoir complètement tort.

Francis Richard

Nous en sommes au

541e jour de privation de liberté pour Max Göldi et Rachid Hamdani (de droite à gauche), les deux otages suisses en Libye

goldi et hamdani
Partager cet article
Repost0
1 janvier 2010 5 01 /01 /janvier /2010 22:30

Plage de CenitzIl n’est pas facile de gagner en voiture le sud de la plage de Cenitz à partir de Saint Jean-de-Luz. Il semble que l’on ne puisse y accéder que par la route nationale. Toutes mes tentatives pour suivre la côte me conduisent soit dans des impasses,  soit sur la route nationale, qui seule, en définitive, desservirait les divers accès à la côte luzienne, avant d’arriver à Guéthary.

Quand, accompagné de mon fils aîné, je me rends à Cenitz – Senix en basque – j’ai deux idées en tête.  Je voudrais bien retrouver les paysages d’Un roman français (ici) de Frédéric Beigbeder et la tombe de Paul-Jean Toulet au cimetière de Guéthary, que Michel Déon évoque dans ses Lettres de château (ici). J’aime bien ainsi donner un sens littéraire à mes vagabondages.

La plage de Cenitz s’étale sous nos yeux, en contrebas, en direction du nord. Le ciel reste lourd de nuages, mais il ne pleut pas. Le paysage est sauvage. A côté la grande plage de Saint-Jean paraît civilisée, policée, astiquée. La mer y est d’ailleurs plus sage, brisée dans son élan par les trois digues qui enferment sa baie, presque, tandis que celle de Cenitz déroule ses rouleaux dans un jaillissement d’écume au contact de ses rochers.

Ayant franchi un petit pont qui enjambe un modeste cours d’eau, nous gravissons la colline de Cenitz qui se situe côté nord, c’est-à-dire côté Guéthary. Tout en haut la vue est superbe. Nous voyons au sud les dernières maisons de Saint-Jean, éparpillées dans la verdure. Quelques pas de plus et nous surplombons la descente de Guéthary vers la mer dont parle Beigbeder dans son livre :

 « De mon entière enfance ne demeure qu’une seule image : la plage de Cénitz à Guéthary ; on devine à l’horizon l’Espagne qui se dessine comme un mirage bleu, nimbé de lumière ; ce doit être en 1972, avant la construction de la station d’épuration qui pue, avant que le restaurant et le parking n’encombrent la descente vers la mer »

Plutôt que de passer par la plage nous avons donc préféré grimper au sommet de la colline qui marque la frontière entre Saint-Jean et Guéthary. Une fois en bas, en nous rendant au balcon de pierre qui domine la mer, nous nous rendons compte que nous avons eu raison de ne pas vouloir escalader les rochers encore tout trempés de pluie, sur lesquels Beigbeder a posé, pour la photo publiée l’été dernier dans Le Figaro Magazine.

Tombe de Paul-Jean TouletAu centre de Guéthary la vie s’est concentrée en ce premier jour de l’an 2010 au Bar basque Guéthary, d’où nous parviennent la rumeur de discussions bien arrosées.  De là, après avoir regardé jouer deux gamins au fronton, puis avoir traversé la route nationale, nous gagnons l’église St Nicolas, édifiée au XVIe siècle, avec  ses galeries en bois, réservées jadis aux hommes, et sa crèche où les bergers sont coiffés du béret basque et habillés de grosses vestes à long poils de laine blanche.

Nous finissons par trouver la tombe de Paul-Jean Toulet dans le cimetière qui cerne l’église. N’est vraiment lisible que son prénom Jean. Paul et Toulet disparaissent sous un dépôt noirâtre parsemé de moisissures blanches. Nous sommes près de manquer la tombe, qui n’est manifestement pas entretenue, à cause de cela. Je prends quelques clichés, qui sauront me servir d’aide-mémoire dans quelque temps.

Mon fils envoie un texto à un de ses amis :

« Figure-toi que je t’écris depuis le cimetière de Guéthary, où est enterré … Paul-Jean Toulet ! Avoue que c’est drôle, nous qui avons tant ri à l’évocation de ce nom ! »

Tandis que nous redescendons vers le centre de Guéthary et que nous choisissons cette fois d’emprunter la route qui mène directement à la plage de Cenitz, la réponse de l’ami de mon fils lui parvient :

«J’espère que tu n’as pas réédité le geste sartrien sur la tombe de ce pauvre Toulet … »

Le sentier DamourNous nous regardons, mon fils et moi. Nous ne voyons pas à quel geste sartrien son ami fait allusion. Du coup mon fils lui répond :

« Sartre ou Vian ? Si c’est Sartre, c’est quelque chose que je ne connais pas. »

La réponse ne se fait pas attendre :

« Sartre sur la tombe de Chateaubriand. »

Mon fils, pour rigoler, ignorant comme moi ce que Sartre a fait sur la tombe de Chateaubriand, répond tout de go :

« En tout cas, je n’ai rien fait de méchant. »

Ce qui lui vaut la réponse ambiguë et  cinglante de cet ami :

« Ce sont ses vers qui sont méchants ! »

Entre-temps nous sommes arrivés, chemin faisant, par hasard, au Sentier Damour qui sépare les maisons des grands-parents de Beigbeder.  Patrakénéa, ancienne demeure des Chasteigner, a été vendue récemment et les nouveaux propriétaires ont obtenu un permis de construire pour l’agrandir. De Cenitz Aldea, la demeure familiale des Beigbeder, sort un couple, dont la femme pourrait bien être Marie-Sol, la tante de Frédéric.

La maison du garde-barrièreNous continuons notre route et atteignons la maison du garde-barrière, dont Beigbeder ne se souvient que trop bien :

« Mon cœur bat […] parce que j’espère croiser les filles du garde-barrière. Isabelle et Michèle Mirailh avaient la peau dorée, les yeux verts, les dents immaculées, des salopettes en jean qui s’arrêtaient au-dessus des genoux. Mon grand-père n’aimait pas qu’on les fréquente mais je n’y peux rien si les plus belles filles du monde sont socialement défavorisées, c’est sûrement Dieu qui cherche à rétablir un semblant de justice sur cette terre. De toute façon elles n’avaient d’yeux que pour Charles, qui ne les voyait pas ».

Puis, continuant à refaire le chemin en sens inverse, nous rentrons à Etche Alegera.

Sur Internet (ici) nous apprenons quel est le geste sartrien, auquel l’ami de mon fils a fait allusion :

« Dans La Force de l'âge, Simone de Beauvoir raconte que Jean-Paul Sartre, visitant avec elle la tombe de Chateaubriand, avait cru bon d'uriner dessus. »

Francis Richard

Nous en sommes au

531e jour de privation de liberté pour Max Göldi et Rachid Hamdani (de droite à gauche), les deux otages suisses en Libye

goldi et hamdani

Partager cet article
Repost0
30 décembre 2009 3 30 /12 /décembre /2009 08:50

Claude Allègre - La scienceRécemment j’ai assisté, en position de tiers, à une conversation au cours de laquelle un des deux participants demandait à l’autre s’il était « allègriste », à savoir, dans son esprit, s’il était climato-sceptique, comme si Claude Allègre avait le monopole du scepticisme en matière de climat et comme si la vigueur de ses positions en la matière justifiait l’emploi d’une étiquette dérivée de son patronyme pour désigner tous les dissidents du climat.


L’autre, comme si une mouche l’avait piqué, s’était aussitôt récrié. Il ne l’était pas, « allègriste », bien au contraire, Dieu l’en préservait. Je sentais que cette épithète avait pour lui le goût du soufre et qu’elle rimait un peu trop avec intégriste, ce qui, à ses yeux, était définitivement rédhibitoire. C’est à de telles réactions de défense apeurée que l’on mesure à quel point le terrorisme intellectuel de la pensée unique peut de nos jours s’exercer sur les esprits.


Bien que je partage le scepticisme de Claude Allègre vis-à-vis de la religion du réchauffement climatique anthropogénique, je n’en récuse pas moins sa posture laïque militante à l’égard de l’Eglise catholique qui serait l’empêcheuse de tourner en rond, c’est-à-dire qui empêcherait la science de se développer, alors que de grands savants, comme il le reconnaît implicitement d’ailleurs lui-même, ont été – j’ajoute, sont encore aujourd’hui – des  ecclésiastiques ou des catholiques tout court. En ce sens je ne suis donc pas un « allègriste » pur et dur.


Claude Allègre est indéniablement un scientifique. L’histoire dira s’il est un grand scientifique. Mais, à mes yeux, il place un peu trop la recherche scientifique au-dessus de tout, particulièrement au-dessus de la morale, tout en se gardant bien de dire  que la science peut tout résoudre pour autant – ce qui est une attitude digne et humble que je salue. Ceux, parmi les scientifiques, qui font la une des médias, me paraissent bien souvent d’un orgueil démesuré en comparaison de leurs réels apports scientifiques.


Ceci dit, dans son dernier livre, Claude Allègre se livre, à la demande de ses éditeurs, à de la prospective sur la science et ses applications, ce qui est hasardeux, il en convient, et auquel il s’est refusé dans un premier temps, pour finalement accepter :


« Ma conviction est que, si l’on admet comme postulat que la science change le monde, les scientifiques n’ont aucune raison de ne pas tenter de prédire eux aussi [les climatologues et les économistes le font bien] ce que sera son avenir au XXIe siècle. Plus que d’autres, nous avons le sens de l’incertitude, nous qui publions des chiffres toujours remis en question et qui sommes les premiers surpris mais ravis de découvertes que nous n’avions pas envisagées. »


En effet la science ne s’est pas développée dans la continuité, mais par des ruptures, ne s’est pas développée par la poursuite d’objectifs précis mais par des découvertes fortuites. Ce que Claude Allègre illustre en disant, avec son franc-parler coutumier :


« On n’aurait jamais découvert ni l’électricité, ni la radio, ni les moteurs de locomotive si on avait cherché à améliorer la bougie, le tam-tam ou la voiture à crottin ! »


Avant d’aborder l’objet même du livre, Claude Allègre retrace donc l’histoire des sciences jusqu’à l’aube du XXIe siècle. Il faut dire que le chemin parcouru, avec une accélération continuelle, donne le vertige. Il faut dire aussi que les novateurs apparaissent bien seuls et qu’ils sont souvent pendant longtemps incompris par la communauté scientifique de leur temps, engluée dans ses préjugés et ses préventions, voire dans son arrogance.


L’histoire des sciences est celle de remises en cause successives, d’élaborations de théories dont on n’est jamais sûr qu’elles ne seront pas contredites par les découvertes suivantes et remplacées par d’autres théories. Ce constat va de pair avec l’incertitude de l’avenir face à laquelle Claude Allègre recommande les deux seules attitudes raisonnables possibles : la prévention et l’adaptation.


A partir des résultats scientifiques actuels l’auteur fait état des pistes de recherches d’aujourd’hui. Il explique à quelles inventions ces pistes pourraient conduire si elles aboutissaient. Ses connaissances scientifiques pluridisciplinaires lui permettent d’aborder tous les domaines promis à de grands développements. Bien évidemment le problème de la morale se pose immanquablement quand on aborde certains de ces domaines. Il en va ainsi par exemple de ce que l’on appelle les OAM, les organismes atomiquement modifiés :


« On pourrait, atome par atome, modifier le vivant et intervenir dans le cerveau ».


Claude Allègre se défend d’être un scientiste à tous crins. Pour lui la recherche et la commercialisation ne doivent pas obéir aux mêmes règles, ce qui me semble bien candide :


« Je crois que dans ce secteur [celui des OAM], comme dans celui des biotechnologies, la société a besoin d’être vigilante, mais en distinguant, comme pour les OGM deux étapes : celle de la recherche, celle de la commercialisation, entre lesquelles il faut introduire une barrière légale.»


Claude Allègre n’est toutefois pas très à l’aise à propos de l’eugénisme qui sera « un sujet majeur pour le XXIe siècle et pas seulement un sujet philosophique » :


« Les progrès de la biologie rendront demain tout possible »


Il se pose tout de même la question de la liberté individuelle, qui n’est pas un mince problème. Son attitude prudente ne peut que recueillir l’assentiment du lecteur qui a un tant soit peu réfléchi. Il est d’autant plus surprenant dans ces conditions qu’il considère que :


« Le XXe siècle a été celui de la libération de la femme avec l’invention de la pilule contraceptive et l’autorisation de l’interruption volontaire de grossesse ».


Indépendamment de toute croyance religieuse, et même de toute morale, cette affirmation est pour le moins péremptoire, c’est-à-dire peu scientifique, même s’il est indubitable que cette invention malthusienne et cette légalisation mortifère ont bouleversé les mœurs contemporaines occidentales de manière profonde, et irréversible, du moins tant que les hommes et les femmes de ces pays riches ne se seront pas rendus compte qu’elles équivalent à un véritable suicide collectif.


Claude Allègre n’en est pas à une contradiction près puisqu’il se rend bien compte que la science devenue folle pourrait accoucher d’« un monde terrifiant » :


« Faut-il pour autant interdire le progrès ? Certes non. Ce serait céder à la peur aveugle. Mais, d’un autre côté, il n’y aura progrès que si l’homme en reste l’objectif. Le scientifique doit donc demeurer vigilant sur les conséquences de son travail ! « Science sans conscience… », disait déjà Rabelais


Rabelais ? Encore un représentant de cette Eglise catholique qu’Allègre décrie si volontiers … mais à laquelle il est difficile d’échapper totalement. D’autant plus qu’à la différence des autres églises chrétiennes Elle est moins attachée à la lettre qu’à l’esprit – l’Ecriture est ainsi interprétée par le Magistère et la Tradition – et que l’Infaillibilité dont Elle dit que son chef est doté ne s’exerce que dans le domaine spirituel, et encore dans des conditions bien définies et restreintes.


Quand Claude Allègre se comporte en scientifique il est évidemment beaucoup plus crédible. Il l’est quand il dit, par exemple :


« Je crois, j’espère, que les abus de la modélisation sur ordinateur, ayant pour ambition de remplacer l’étude de la réalité, vont cesser. »


Ou quand il dit :


« Au lieu de se mobiliser autour de prédictions aléatoires sur le climat, nous ferions mieux de nous concentrer sur les problèmes futurs de l’énergie dont l’échéance est hélas inéluctable ».


Le socialiste qui sommeille en lui se réveille évidemment quand il appelle de ses vœux davantage de régulation dans le domaine des communications par exemple, comme il a applaudi à la mise sous plus grande tutelle du marché, le privant par là-même de ses vertus.


Il est décidément difficile de ne pas confondre régulation, imposée par une autorité autoproclamée et arbitraire, et règles librement consenties et évolutives qu’un marché véritablement libre élabore au fil du temps pour assurer son bon fonctionnement, pour le plus grand bénéfice de tous ses acteurs.


Tout au long de ce livre Claude Allègre nous fait subir en quelque sorte une douche écossaise, ce qui rend la lecture de son livre irritante et passionnante à la fois. Tantôt ses propres préjugés ressurgissent en ordre de bataille, tantôt il fait montre d’un bon sens et d’une modération du meilleur aloi. Exemple de cette dernière attitude, celle qu’il adopte pour ce qui concerne l’écologie :


« L’homme ne doit pas endommager la nature, mais la protection de la nature ne doit pas se faire au détriment de l’homme et de la société. »  


Autre exemple de cette attitude, cette préconisation adressée aux scientifiques :


« Les scientifiques doivent accepter d’établir des limites, des frontières, à leurs investigations, même si, techniquement, ils ont les moyens de les poursuivre. Ils doivent expliquer sans relâche. Les partisans du progrès doivent comprendre qu’il y a chez l’homme un besoin de transcendance dont le fait religieux est une manifestation claire. »


Claude Allègre rappelle aussi cette vérité oubliée par les pseudo-scientifiques :


« La science, par définition, est antidémocratique, la démocratie tue l’innovation ! Ce n’est pas la majorité qui décide de la vérité scientifique, pas plus au temps de Galilée ou d’Einstein et des Curie qu’aujourd’hui. Le consensus n’a de valeur qu’après une génération, comme l’exprime très bien Max Planck. »


On l’aura compris, le dernier livre de Claude Allègre ne peut laisser indifférent. Il a le mérite d’exposer les véritables enjeux auxquels les hommes seront confrontés, parfois bien avant la fin du siècle, et les voies de recherche que la science pourrait emprunter pour en relever les défis.


Dans un langage accessible au grand public Claude Allègre apporte ainsi sa pierre à l’édifice de la compréhension du monde que les hommes sont en train de se construire au XXIe siècle et où la science jouera certainement un rôle déterminant comme lors des siècles précédents.


Francis Richard

Entretien de Claude Allègre sur Radio Classique :



Nous en sommes au

529e jour de privation de liberté pour Max Göldi et Rachid Hamdani (de droite à gauche), les deux otages suisses en Libye

goldi et hamdani

Partager cet article
Repost0
23 décembre 2009 3 23 /12 /décembre /2009 22:20
Journal DéonMercredi de la semaine dernière j'ai passé une seconde moitié d'après-midi buissonnière. Ce n'était pas complètement prémédité. Ma vie est une joyeuse et consubstantielle incertitude. Je n'étais pas encore sûr le matin même que je parviendrais à ouvrir cette parenthèse dans mon emploi du temps chargé.

Une semaine plus tôt j'avais reçu un courriel, bref, mais prometteur, auquel, incertain, je m'étais gardé de répondre :

"Si jamais...Sinon, bonnes fêtes! B."

suivi d'une invitation à une rencontre amicale avec des écrivains, organisée par la librairie Le Rameau d'Or et les éditions L'Age d'Homme, dès 16 heures, le 16 décembre 2009 donc, dans les locaux de ladite librairie, située boulevard Georges-Favon à Genève.

J'aime cette expression d'ici, "si jamais", non seulement en raison de sa concision - deux mots -, mais aussi parce qu'elle est inaboutie et ouvre des perspectives...

Je n'aime pas beaucoup la ville de Genève, trop froide en hiver, trop chaude en été, une ville excessive, en même temps un pâle reflet de Paris, pour ce que cette ville lumière peut avoir de gris et de vestiges XIXème. Mais je commence à  prendre des habitudes genevoises - je me suis rendu une quinzaine de fois cette année au bout occidental du lac -, je commence à mieux comprendre la cité de Calvin, ce qui est un début pour mieux l'apprécier, et, en somme, je commence à prendre quelque goût à son urbanité, sans doute par la magie même des rencontres fructueuses que j'y fais.

Uli Windisch , à qui j'ai consacré deux articles sur ce blog  [ici  et  ici] est là. Et nous faisons connaissance, après nous être écrits. Il est en grande conversation avec Raymond Tschumi. Je ne sais comment, après mon intrusion dans la leur, la conversation s'est portée sur Philippe Barraud, qui est, aux yeux d'U.W., et des miens, un des rares journalistes libres [il faut absolument aller faire un tour sur son site ici et devenir accro]. Incorrigible je tiens à préciser toutefois qu'au-delà de fortes convergences avec Barraud je diverge de lui sur ... le climat et la fumée.

U.W. est d'ailleurs horrifié par les propos que je tiens sur la fumée passive - il faudra que je revienne et développe le sujet sur ce blog, pour ébranler ses certitudes. R.T. en profite pour évoquer son passé de fumeur et expliquer comment, pour échapper à un crabe de la gorge, il s'est mis à mâcher de la sauge, ce qui a écarté définitivement la menace, à l'étonnement de son médecin. Le même R.T. se présente comme poète et philosophe, un philosophe, qui se préoccupe d'un monde où la science domine, sans trop se soucier de l'âme. Comme je le comprends ! Et je suis de formation scientifique...

Barbara Polla me remercie de vive voix pour mon article sur Victoire [ici], qu'elle a mis en lien sur son site [ici] et me fait la bise...à ma grande confusion. C'est sans doute le meilleur remerciement qu'un auteur m'ait jamais fait pour avoir apprécié un de ses livres ... avec celui de Jean Raspail, qui a glissé mon poème éponyme, à lui dédié, dans son propre exemplaire de Sire. B. me paraît encore plus charmante, et en forme, que lorsqu'elle m'a traité, il y a deux ans, de "trublion", ce que j'ai pris avec retard pour ... un compliment. Pourtant elle vient de faire à Paris l'expérience que les Français peuvent au volant se montrer ... renversants, dans un lieu qui se veut celui de l'équilibre, la place de la Concorde.  

C'est ma deuxième rencontre avec Vladimir Dimitrijevic, le patron des éditions de L'Age d'Homme [voir mon article 5 à 7 au 26ème Salon international du Livre et de la Presse de Genève ], avec lequel je partage une admiration sans faille pour l'oeuvre de Vladimir Volkoff dont il a été le principal éditeur. Je le remercie d'avoir mis un lien sur son site vers le mien ici]. Habitant Lausanne, je lui dis regretter qu'il y ait fermé sa librairie. Lui aussi... Il y aura d'autres rencontres, à Lausanne justement. Nous en sommes convenus et je m'en réjouis par avance. 

Jean-Louis Kuffer n'est pas là. Il n'est pas descendu de sa montagne. J'aurais bien aimé lui dire de vive voix combien j'ai apprécié ses Riches heures, parues dans la collection du Poche suisse [voir mon article ici], même s'il a lu mon article et m'en a déjà remercié, et sait donc fort bien ce que j'en pense. Si possible, j'aime faire la connaissance des auteurs de livres que j'aime. Ce qui ne change rien, quoiqu'il advienne, à mon opinion littéraire. Car il y a parfois des désillusions...C'est mon côté curieux et avide de connaître les autres, d'entrer en contact avec eux et parfois de me heurter à eux.

Jean-Michel Olivier, qui dirige justement le Poche suisse, collection sans pareille de L'Age d'Homme [ici], nous fait part des prochaines parutions. Je lirai le Pierre Girard... Markus Haller, jeune éditeur, courtoisement invité, nous parle avec chaleur des cinq premiers livres qu'il vient de publier [ici]; il a fait le pari de n'éditer que des traductions de livres de réflexion, de préférence anglo-saxons. Il est réjouissant d'entendre ainsi deux éditeurs parler avec gourmandise des livres qu'ils vont faire paraître ou qu'ils viennent de faire paraître.

Quel rapport tout cela a-t-il avec le journal de Michel Déon, publié à L'Herne [ici] ? Je l'avais tout simplement dans ma poche, pendant cette réunion, et, de temps en temps, je passais un doigt sur sa couverture glacée, tandis que je conversais avec l'un ou avec l'autre, comme pour me rassurer qu'il était là, bien sagement rangé, à ma portée. Ce livre est en effet de petit format. Il mérite son nom de livre de poche. C'est en quelque sorte un vademecum. Sa lecture, dans le train qui m'emportait de Lausanne à Genève, m'avait mis d'excellente humeur avant cette après-midi de rencontres, qui ne pouvait qu'être faste.

Dans sa préface Michel Déon se demande pourquoi l'on tient un journal :

"On tient un journal sans savoir pourquoi. Souvent parce qu'on est en panne devant un projet ou désoeuvré après la fin d'un livre ou d'une liaison qui nous ont beaucoup occupés. Je n'exclus pas les piqûres d'amour-propre après une rupture ou l'exaltation au premier regard. Ou encore parce que votre entourage ne vous écoute plus. Tenir un journal vous aide peut-être à croire à notre propre existence".

Pour ma part je n'ai tenu que deux fois un journal, pour rendre compte de ce que je voyais, alors que ma vie était mise en vacance : en mai 1968 et pendant mon service militaire. Toutes mes autres tentatives n'ont pas excédé quelques jours...

Plus loin Déon précise son intention et quelles pages il a choisies en conséquence de livrer au lecteur :

"Partageons les images, les livres, le théâtre, le cinéma et surtout les amitiés qui sont le bonheur d'une vie comme les détestations qui l'ont pimentées".

En commençant donc cet article par le partage de mes rencontres je ne pense pas trahir la disposition d'esprit dans laquelle m'a mis le même jour la lecture du journal de Déon.

Le lecteur qui fréquente régulièrement les livres de Déon ne sera pas déçu par ce petit livre qu'il peut emporter aisément avec lui et compulser quand cela lui chante. Il y retrouvera le ton qui est propre à Déon, ce regard porté sur les choses et les êtres qui n'appartient qu'à lui, cette désinvolture - qui confine au détachement amusé -, avec laquelle il traverse les événements, ces rapprochements singuliers qu'il fait entre deux faits qui à d'autres paraîtraient incomparables.

Avec Michel Déon le lecteur voyage, fait des rencontres, remonte le temps et redécouvre des époques révolues que l'auteur sait, en quelques traits, restituer, en leur donnant couleurs, ambiance et repères pour initiés. Il ne s'attarde donc pas sur les descriptions, mais elles sont suffisamment éloquentes  pour parler à notre imagination, suscitant en nous suffisamment d'impressions pour en déclencher le mécanisme créateur.

Un journal ne se raconte pas. Il faut y plonger, soi-même. A la rigueur peut-on citer quelques extraits de ces extraits, qui ne donneront a fortiori qu'une petite idée de l'ensemble. Je me risque cependant à l'exercice, en élisant des extraits qui me parlent, personnellement.

En mai 1949, Michel Déon se trouve à Lausanne :

"Dès mon arrivée, j'ouvre un journal suisse pour y lire que M. Louis Rollin, âgé de vingt-quatre ans, traversant la place Saint-François a fait une mauvaise chute "en tombant sur son derrière". Cette information tient autant de place en dernière page que la nouvelle du coup d'Etat de Damas. Ainsi nous arrive-t-il, certains matins, de trouver dérisoire la nouvelle d'une dévaluation ou de la chute d'un ministère. Tout ce qui nous préoccupe c'est une coupure de rasoir à notre menton."

En allant à Venise à 17 ans, j'avais emporté avec moi Je ne veux jamais l'oublier, où Bellagio joue un grand rôle pour Patrice et Olivia, et où Déon se retrouve le 6 décembre 1963 :

"Déjà je vivais dans la pensée de G. Qui allait si longtemps occuper ma réalité et mon imaginaire au point qu'aujourd'hui j'en arrive à ne plus savoir exactement si l'épisode situé à Bellagio est vrai ou non, et que j'ai tourné le dos aux endroits où j'avais imaginé notre rencontre qui, en vérité, se passait à Saint-Jean-de-Luz".

A Saint Jean de Luz, où je compte passer de l'an 2009 au nouvel an 2010...

Paris, le 26 octobre 1983 :

"A dix heures, chez Lipp pour dîner, je tombe sur une table de ces vieux étudiants que sont restés Jacques Laurent et François Sentein. Nous replongeons dans nos jeunesses. Tous les trois ayant aimé le maurrassisme et, sans le renier, s'en étant écartés"

Je me reconnais bien là avec trente ans de décalage... 

J'approuve Déon quand il ajoute :

"Une doctrine au début de la vie intellectuelle est comme une grille pour déchiffrer un texte inconnu. Quand on a compris le système, il faut le jeter".

Le 5 novembre 1983, jour de la mort de mon père, Déon écrit :

"L'irrémédiable tendresse que j'éprouve pour mes deux enfants me fait souffrir autant qu'eux quand ils ne sont pas heureux".

Je peux dire de même à l'égard de mes deux fils, mais doute qu'ils ne sachent à quel point. 

J'ai envie de répondre comme lui à la question que Déon se pose le 28 novembre 1983 :

"Qui sont les grands écrivains du XXe siècle français ? Proust et Céline, oui mais c'est oublier Giono, Aymé. Et où ranger Larbaud, Chardonne, Morand, Cendrars ?".

C'est alors que je me pose deux questions qui dérivent l'une de l'autre : Pourquoi aimons-nous un grand écrivain ? Parce que tout singulier qu'il est il nous parle sous le sceau de l'authenticité de l'universel, c'est-à-dire de nous ?

Francis Richard

Nous en sommes au

522e jour de privation de liberté pour Max Göldi et Rachid Hamdani (de droite à gauche), les deux otages suisses en Libye

goldi et hamdani
Partager cet article
Repost0
21 novembre 2009 6 21 /11 /novembre /2009 09:30

Ce devait être une réponse du berger à la bergère. Seulement le berger a été bluffé. Il ne pouvait vraiment pas répondre. Il devait impérativement faire part de ses émois. Ce qu'il va faire plus loin, rassurez-vous.

Il y a deux ans, presque jour pour jour, le berger rencontrait la bergère lors d'une rencontre à Genève organisée par Avenir Suisse (ici) et l'Institut Constant de Rebecque (ici) autour du président de Liberté Chérie (ici), Vincent Ginocchio.

Une dizaine de personnes participait à cette réunion. Xavier Comtesse représentait Avenir Suisse, Victoria Curzon-Price et Pierre Bessard l'Institut Constant de Rebecque. Parmi les autres participants, venus petit-déjeuner un dimanche de novembre, se trouvaient Geneviève Brunet de L'Hebdo (ici), Barbara Polla d'Analix Forever (ici) et votre serviteur qui écrivait alors pour le Bureau Audiovisuel Francophone (ici).

Quand il s'agit de liberté, ce dernier réagit comme le taureau devant un chiffon rouge. Il a donc pris la parole plus souvent qu'à son tour et notamment pour dire qu'il suffisait de lui interdire quelque chose pour qu'il s'y intéressât.

A l'issue de la réunion Barbara Polla s'est avancé vers lui et, pour connaître son nom, lui a posé cette simple question : Quel est ce trublion ? Lequel trublion lui a tendu sa carte. Depuis le trublion reçoit régulièrement par courriel des invitations pour se rendre à la galerie de la dame blonde.

Comme le temps passe et que, sans avoir le don d'ubiquité, le trublion se fait tour à tour Oschéen, Catovien et Luzien, il n'a pas encore réussi à placer un de ces rendez-vous genevois dans son agenda archi-bouqué.

Qu'à cela ne tienne, il s'est retrouvé en arrêt, l'autre samedi, chez Payot (ici), à Lausanne, devant Victoire, publié très symboliquement chez l'Age d'Homme (ici), en pensant que l'occasion ferait le larron.

Roman, récit, nouvelle ? Prudemment l'auteur et l'éditeur se sont gardés de se prononcer sur l'opus, se rendant bien compte que cela n'avait aucune espèce d'importance et qu'après tout le lecteur recrée de toute façon toute oeuvre à l'image de son monde intérieur.

La narratrice, Victoire, est une amie attentive, au-delà de la perception usuelle, de Louise de Vire, l'érudite, qui ne fait "rien" dans la vie, mais s'occupe de beaucoup de choses. Victoire a fait la connaissance de Louise au café Marly, qui se trouve dans l'ombre portée de la Pyramide du Louvre. Dès lors Victoire et Louise sont devenues complices et ne se quittent plus.

Louise est une passionnée de poésie, d'architecture ecclésiastique et de films: Cendrars; les cathédrales de Beauvais, Rouen, Amiens et Magnus; In the mood for love, Godard, L'abécédaire. Elle éprouve du désir, au sens deleuzien - c'est-à-dire comme abstraction, construit - pour Pierre Rouen, "le philosophe le plus en vue du moment", habité par le thème de la résistance, "profondément ancrée en lui, probablement depuis toujours".

Victoire alterne le récit, dans lequel elle raconte Louise, et la pensée de Louise, qu'elle lit comme à livre ouvert, le rêve de Louise, qu'elle regarde comme sur un écran. Pierre Rouen y occupe pendant longtemps la première place, sinon la seule, obsédante, sans qu'il n'y ait de victoire apparente sur cet objet du désir, donnant tout son sens, toutefois, à la vie de Louise, reconnaissante.

"La plainte, dit Deleuze, c'est quand on dit, ce qui arrive est trop grand pour moi. Ce qui m'arrive, Pierre, cet amour, c'est trop grand pour moi, et en même temps je ne puis le partager avec personne, même pas avec vous. Avec Victoire, parfois, peut-être", pense Louise, sous la plume de Victoire.

Louise, au fil du livre, devient malgré tout de plus en plus passionnée. Elle transmute les pierres en Pierre, et Pierre en pierres. Elle se pétrifie, en quelque sorte, dans sa folie, dont elle ne pourra émerger que par la perte ou la disparition. Elle éprouve - ce n'est pas un hasard - une fascination pour Jean Sans Terre, ce souverain "habitué à l'être".

Pour Pierre Rouen, de "se trouver inextricablement envahi, encombré dans le rêve de cette femme" peut-il être sans conséquence ? Résistera-t-il ? Quant au trublion, il n'a pas résisté. Il s'est laissé troubler.

Victoire se lit et se relit - c'est l'avantage des livres courts, mais denses. Il peut même se relire à n'importe quelle page, parce que le lecteur peut être certain, arrivé à la dernière, qu'il n'a pas tout saisi à la première lecture et que ce sera un ravissement pour lui d'approfondir, et d'y revenir encore et encore.

Francis Richard

Nous en sommes au

490e jour de privation de liberté pour Max Göldi et Rachid Hamdani, les deux otages suisses en Libye

Partager cet article
Repost0
15 novembre 2009 7 15 /11 /novembre /2009 07:40
Le voyage d'hiver d' Amélie Nothomb, publié chez Albin Michel (ici), emprunte son titre à la pièce musicale de Schubert. Le narrateur, sur le point d'accomplir l'acte décisif de sa vie, et de sa mort, prémédité, mais pulsionnel, écrit un texte qui disparaîtra avec lui et où l'on peut lire :

"Il importera de ne penser à rien. A cette fin, j'ai prévu d'avoir en tête, à ce moment-là, Le Voyage d'hiver de Schubert, parce qu'il n'y a aucun rapport entre cet acte et cette musique".

Zoïle, puisque tel est le prénom rêvé du narrateur, a la mémoire courte puisque cet acte, celui de faire exploser un avion en plein vol, et lui-même avec, est le terme d'un autre voyage, immobile et hallucinogène, effectué dans le froid d'un appartement parisien, non chauffé, du quartier Montorgueil.

Ce petit roman - quelque 130 pages en gros caractères -, cette grosse fable, se lit d'une traite. Les personnages, comme il se doit dans le genre, portent des prénoms fabuleux, Aliénor, Astrolabe. Cette dernière qui, prénom oblige, devrait guider Zoïle sur la Carte du Tendre va le conduire en complète déraison amoureuse.

Sans paraître y toucher, le livre aborde ce mystère auxquels nous sommes tous confrontés, un jour ou l'autre, celui de l'amour, que Stendhal, avec la cristalisation, croyait avoir réussi à percer. Dans Lettres de château, Michel Déon (voir mon article sur ce livre ici) rappelle que De l'amour n'aurait pas vu un jour l'imprimeur si Métilde ne s'était pas toujours refusée à son auteur.

L'attitude d'Astrolabe à l'égard de Zoïle est du même aloi. Aliénor, telle une sangsue, est collée à Astrolabe. Derrière sa laideur, et son air neuneu, Aliénor cache un génie littéraire qui n'existe que par la présence catalytique de sa belle complice Astrolabe, qui recueille ses paroles comme oracles de pythie, et leur donne la forme de livres inspirés.

Même si, aujourd'hui, nous sommes dans une époque d'exhibition, l'amour a besoin d'intimité pour s'épanouir. Pour échapper au regard insistant et inquisiteur d'Aliénor, toujours présente, Zoïle emploie le subterfuge des champignons qui vous transportent au-delà de la perception ordinaire et des inhibitions. Aliénor ferme les yeux, mais Astrolabe devient dure comme pierre. C'est la panne pour Zoïle qui croyait toucher au but.

Au-delà de la fable, l'intérêt du livre se trouve dans l'écriture ciselée, cristalline, et dans le ton, volontiers impertinent, empreint d'humour, cette dérision de soi. J'aime ainsi ces clins d'oeil qu'Amélie s'adresse à elle-même quand Zoïle écrit par exemple à propos des livres d'Aliénor :

"J'appréciais [...] qu'il n'y ait pas de photo de l'auteur sur la jaquette, en cette époque où l'on échappe de moins en moins à la bobine de l'écrivain en gros plan sur la couverture"

ou quand elle donne à ses héroïnes des prénoms qui, comme le sien, commencent par un A, qui est aussi "l'origine de l'emblème architectural" de Paris :

"Gustave Eiffel était fou amoureux d'une femme qui s'appelait Amélie. D'où son obsession pour la lettre A, qui domine Paris depuis plus d'un siècle".

Francis Richard

Nous en sommes au

484e jour de privation de liberté pour Max Göldi et Rachid Hamdani, les deux otages suisses en Libye

L'internaute peut écouter sur le site de Radio Silence ( ici ) mon émission sur le même thème. 

Partager cet article
Repost0
8 novembre 2009 7 08 /11 /novembre /2009 11:00

Le 9 novembre 1989 le mur de Berlin tombait et avec lui, croyait-on, les dernières illusions que les hommes plaçaient dans cette idéologie funeste et meurtrière qu’est le communisme. Vingt ans plus tard – même si l’idéologie et, surtout, le système ont été mis à mal après la chute de la maison-mère moscovite en 1991 – un certain nombre de pays restent cependant sous son joug, à savoir la Chine, la Corée du Nord, Cuba, le Vietnam…ce qui représente tout de même environ un quart de l’humanité.


De plus il y a encore des intellectuels et des hommes qui défendent le communisme, intrinsèquement pervers selon le Pape Pie XI, sous les vocables inusables de socialisme ou de marxisme, et éprouvent de la nostalgie à son égard, bien qu’il ait échoué partout à rendre la vie ne serait-ce qu’un peu meilleure. D’aucuns  regrettent même de n’avoir pas eu l’ineffable bonheur de l’avoir vu appliquer chez eux.  


Il est donc toujours nécessaire d’étudier le communisme et plus particulièrement ce qui fait de lui un totalitarisme criminel qui, comparé au nazisme – à qui il a servi d’exemple –, est bien plus efficace et plus performant puisqu’il a duré au moins – dans sa version soviétique – soixante-quatorze ans contre douze, qu’il lui a survécu, qu’il a fait bien plus de victimes au total et continue d’en faire, et, surtout, qu’il séduit encore des esprits peut-être remarquables, mais assurément intellectuellement égarés.


Il y a douze ans, sous la direction de Stéphane Courtois, ancien maoïste, paraissait un livre qui devait connaître un formidable retentissement – 25 traductions, 1 million d’exemplaires –, Le livre noir du communisme. Ce que ce livre disait sur le crime de masse, comme moyen de gouvernement et de maintien en place du système par la terreur, caractéristique de tous les pays communistes, était déjà pourtant parfaitement connu, de même que les ordres de grandeur du nombre de ses victimes, soit des dizaines de millions.


La grande nouveauté était que ses auteurs étaient du sérail et qu’ils avaient été nourris au sein palpitant de la gauche universitaire française. Ce qu’avaient dit avant eux des historiens sérieux et documentés grâce aux exilés, aux bannis et aux dissidents, qualifiés – malgré qu’ils en aient – de réactionnaires par l’ensemble des médias aux mains de la gauche bien-pensante, était considéré au mieux comme quantité négligeable, au pire comme propagande fasciste qu’il fallait à tout prix combattre et dénigrer, mieux, diaboliser.


Certes Le livre noir du communisme n’a pas échappé aux controverses. L’université française régentée par une majorité de marxistes depuis la Libération ne pouvait pas accepter sans réagir ce qu’elle considérait comme un brûlot, qui avait le grand tort de mettre au jour, implacablement, documents à l’appui – il y avait eu une ouverture des archives ex-soviétiques –, la  dimension criminelle indéniable et monstrueuse du communisme, qu’il était toujours impensable alors, donc interdit, de comparer au nazisme.


Il n’empêche que les faits sont têtus, comme disait le camarade Lénine, et qu’en conséquence les révélations faites dans ce livre ont fini, au sein de l’université française, par discréditer le communisme pratiqué sur la planète, même si, comme je le rappelais, le travail de désintoxication intellectuelle est loin d’être achevé, puisque le communisme reste en quelque sorte idéalisé et que d’aucuns tentent vainement de distinguer la réalité communiste d’ un idéal communiste qui aurait été dévoyé.


Communisme et totalitarisme
de Stéphane Courtois, inédit publié par les Editions Perrin (ici), dans leur collection Tempus,  poursuit justement ce travail de désintoxication intellectuelle. Constitué de communications faites par l’auteur depuis la parution du Livre noir il en est la suite, enrichie d’éléments nouveaux découverts à la faveur du dépouillement des archives ex-soviétiques et de la publication d’archives privées, sorties de l’ombre des pays ex-communistes.


Citant actes et écrits du tyran, l’auteur montre que Lénine n’était pas le gentil révolutionnaire que les communistes impénitents opposaient volontiers, pour se dédouaner, au méchant Staline, après le « Rapport secret » de Khrouchtchev, suivi de la révolution matée de la Hongrie, en 1956 (le « Rapport secret » dont les buts étaient l’autoamnistie et l’amnésie, devait en fait ébranler le mythe du communisme comme représentant le Bien). Le second était bien l’héritier spirituel du premier. Il n’en était que le prolongement durable, l’aboutissement logique et, en quelque sorte, le parfait accomplissement.


Dès le 7 novembre 1917 le totalitarisme communiste se met en place
, au moyen de la terreur de masse, c’est-à-dire que le régime s’attribue, dès le début, au prix de massacres dont l’intentionnalité est maintenant corroborée par les archives, « les monopoles du parti unique, de la pensée, des moyens de production et de distribution ».


L’idéologie révolutionnaire et communiste, qui a commandé la conduite des tyrans soviétiques successifs, était constituée « en doctrine par Lénine et en vulgate par Staline (…) Dans chaque conjoncture, [elle] a pesé sur les choix dans le sens de la « dictature du prolétariat » et d’un projet totalitaire de plus en plus affirmé, et contre la légitimité traditionnelle, et contre la légitimité démocratique ».


L’accès, pourtant partiel, mais significatif jusqu'en 1994, aux archives ex-soviétiques qui, selon l’auteur, sont admirables – parfaitement conservées et classées –, lui a cependant permis de dresser un portrait du successeur testamentaire et immédiat de Lénine, qui n’est pas le moins du monde conformiste et qui serait plutôt flatteur si les crimes innombrables – et inévitables, puisque systémiques – de son règne n’en assombrissaient pas le tableau:


« Ni rêveur, ni exalté, mais fanatique réaliste, [Staline] mesurait au plus près les rapports de force et ne s’engageait qu’à coup sûr, même s’il sut, à l’occasion, faire preuve d’une formidable audace. Il a imposé à l’ensemble du monde communiste un régime qui lui a survécu une quarantaine d’années. Il a hissé au rang de superpuissance une URSS devenue matrice idéologique et politique d’un système communiste mondial ».
Ce qui conduit l’auteur à dire qu’en matière de totalitarisme Staline, aussi fanatique que lui, a largement surclassé Hitler « qui, par comparaison, fait figure d’amateur, voire de dilettante ».


Dans Communisme et totalitarisme Stéphane Courtois développe, dans plusieurs chapitres, de manière convaincante la comparaison tabou entre communisme et nazisme. Il résume en ces termes ce qui a poussé Hitler comme Staline à exterminer :


« Ces deux systèmes de pensée et de pouvoir, nazi et communiste, plaçaient bien au centre de leur vision du monde l’image de  « l’ennemi ». Un ennemi qui n’avait rien à voir avec l’adversaire politique traditionnel : un ennemi absolu, irréductible, qu’il faut exterminer pour survivre ».


Qui est cet « ennemi total » ?


« C’est, chez Hitler, le « judéo-bolchevik » qui, après la liquidation des communistes en 1933-1934, deviendra le seul Juif ; chez Lénine et ses successeurs, le « capitaliste » ou le « koulak », bref  le « bourgeois » dont la haine a été, comme l’a très bien montré François Furet, l’un des moteurs essentiels des mouvements totalitaires ».


Stéphane Courtois va encore plus loin dans la comparaison entre communisme et nazisme, puisque se référant à la définition du génocide faite par Rafaël Lemkin, et au livre de Gracchus Babeuf sur le génocide vendéen,  révélé par Reynald Secher, il en arrive à parler de « génocide de classe » chez Lénine et successeurs, comparable au « génocide de race » chez Hitler, tous deux relevant d’un délire, « mais d’un délire logique, construit sur une idéologie et mis en œuvre à la faveur d’une conjoncture ».


Ces deux sortes de génocides reposent tous deux sur une pseudoscience, marxiste-léniniste chez Lénine, raciale chez Hitler, aux mises en œuvre similaires : désignation de groupes-cibles, stigmatisation de ces groupes, ségrégation symbolique puis effective (privation d’emploi, de logement etc.), exclusion sociale, spoliation, expulsion des villes, emprisonnement, déportation, extermination. Ils visent tous deux à réaliser une utopie : l’un, la société sans classe, l’autre, la race pure. Ils diffèrent cependant par les techniques employées pour exterminer :


« En matière d’extermination, le régime bolchévique n’a jamais utilisé la forme industrielle de la chambre à gaz mise en œuvre par les nazis à partir de l’automne 1939 contre les handicapés physiques et mentaux, puis à partir de 1942 contre les Juifs. Mais il a abusé de la fusillade et de la famine ».


Le premier génocide de classe a été perpétré en 1919-1920 sur ordre de Lénine contre les Cosaques du Don et du Kouban:


« Au total, entre 300 000 et 500 000 personnes furent massacrées ou déportées sur une population de 3 millions d’habitants ».


Il devait être suivi, dès 1929-1930, de plusieurs vagues génocidaires, ordonnées par Staline, jusqu’à la mort de ce dernier, dont la famine en Ukraine au « caractère volontaire, prémédité et organisé », de l’automne 1932 au printemps 1933, soit en 9 mois, devait provoquer la mort de 4 à 5 millions de personnes, « dont une part importante d’enfants ».


Parmi les génocides de classe, qui sont une spécialité communiste, celui perpétré au Cambodge contre le « peuple nouveau » a eu pour résultat l’extermination du quart de la population et de la moitié du groupe-cible. Une performance inégalée, même par la Chine « populaire » de Mao.


De tous ces crimes organisés par des communistes, il est encore difficile de parler. On préfère célébrer la chute du mur de Berlin, sans trop s’appesantir sur ce qui se passait réellement derrière et, d’une manière générale, derrière le rideau de fer. Dans Communisme et totalitarisme Stéphane Courtois, relatant l’échec de la recommandation présentée le 26 janvier 2006, devant le Conseil de l’Europe, destinée à organiser un débat international sur les crimes commis par les régimes communistes, pose la question essentielle :


« Afin de ne pas chagriner quelques milliers de démocrates fourvoyés dans le communisme, faut-il oublier les millions de victimes ? »

Francis Richard 

Nous en sommes au

477e jour de privation de liberté pour Max Göldi et Rachid Hamdani, les deux otages suisses en Libye

Partager cet article
Repost0
28 octobre 2009 3 28 /10 /octobre /2009 00:30
Dans cet essai Michel Déon nous fait part de quelques enchantements que lui a valu la fréquentation de l'Art et de la Fiction. A 90 ans il a l'audace d'écriture d'un jeune homme vert dont la rétine exercée capterait et transformerait à son tour en enchantements les oeuvres qu'elle sait lire ou regarder, en intimant l'ordre d'exécution à la main.

Il nous incite ainsi à lire les mémoires d'Archibald Olson Barnabooth, imaginées par Valery Larbaud, dont il nous dit que, précédant de dix ans l'Ulysse de James Joyce, elles ont ouvert à ce dernier "les portes de toutes les libertés". A ma grande honte je n'ai lu de Larbaud que son Fermina Marquez...

De tous les livres de Joseph Conrad, qui peut se lire aussi bien en français qu'en anglais, et peut-être dans les deux langues, il se peut que ce soit La ligne d'ombre qui parle le plus à Déon, "oeuvre révélatrice de Conrad, celle où il rencontre le surnaturel quoiqu'il s'en défende".

Le déjeuner sur l'herbe d'Edouard Manet - où "le scandale n'est pas la femme nue au premier plan, mais que ses deux compagnons soient, eux, on ne peut plus habillés" - est le prétexte trouvé par l'auteur pour laisser libre cours à son imagination. Il nous raconte donc la toile, comme si nous y étions, puis l'histoire du modèle, échappé de la toile où il reposait libre, dans la compagnie nonchalante des deux hommes.

Voici que Déon se trouve maintenant dans la maison de Giono à Masnosque. Plus de cinquante ans plus tôt il s'était fait montrer cette maison "sans oser frapper à la porte". Il s'est assis dans le bureau que l'on aperçoit "depuis le chemin encaissé". Les oeuvres de l'infatigable conteur provençal, écrites ici, ressuscitent alors et racontent "l'histoire trouble et magnifique des hommes en lutte contre leurs vices et leur mortel destin".

Michel Déon [photo à droite en provenance du site de Gallimard ici] donnait, le 25 octobre 2006, une communication à l’Académie des beaux-arts, sur Nicolas Poussin et son tableau Orphée et Eurydice. Cette communication est reproduite dans Lettres de château. C'est en plus fouillé le même exercice auquel il s'est livré en animant pour nous Le déjeuner de Manet. Il faut dire que le sujet s'y prête. L'explication du tableau faite par Déon nous le rend aussi lumineux que l'éclairage subtil - et inventé par Poussin - qui le baigne. Nous sommes là devant un sommet de l'art classique, d'où il n'était possible que de redescendre pour les peintres qui se seraient obstinés à poursuivre dans la même voie.

Il faut parfois céder à la tentation. Il y a un peu plus de 20 ans maintenant j'ai failli faire partie des happy few qui, comme Déon, connaissent et aiment Paul-Jean Toulet. Robert Laffont venait de publier ses oeuvres complètes dans sa collection Bouquins et ... j'ai préféré dilapider mon pécule autrement. Il n'est jamais trop tard pour mal faire, ou plutôt pour bien faire, si j'en crois Déon : "Avec Paul-Jean Toulet, la poésie française a connu un moment de très grand bonheur aux dépens d'une âme sensible". Je suis d'autant plus enclin à faire désormais connaissance que, m'apprend Déon, le poète béarnais est enterré dans le cimetière de Guéthary, tout près donc de Saint Jean-de-Luz, où je me rends samedi prochain...

Michel Déon aime l'oeuvre de Georges Braque : "La contemplation d'une oeuvre de Braque vous rend meilleur. Ou, seulement, moins mauvais". On ne peut qu'en convenir. C'est vrai assurément de la période thématique de l'artiste - ses célèbres "oiseaux" sont magiques. C'est encore vrai de sa période fauve ou cubiste. Je n'en dirais pas autant du cubisme de son ami Picasso, qui, désolé, ne me parle pas.

Chanson d'Appolinaire a scandé les pas de Déon "au cours de la longue marche des mois de mai et juin 1940". En guise d'hommage le romancier, qui ne sommeille pas longtemps en lui, restitue les amours du poète avec Lou et Madeleine, "la vamp" et "la blanche colombe" - encore que ce soit vite dit -, qui lui ont certainement inspiré ses plus beaux vers, mais qu'il veut bien oublier, pour mieux se sublimer. 

On savait Déon grand lecteur de Stendhal. Dans Lettres de château il remercie à sa façon Métilde, celle qui inspira à Beyle De l'amour, son traité des relations amoureuses. Ce livre "qui devrait être le post-scriptum d'une oeuvre en est paradoxalement la préface". Déon relate comment Métilde se refusa toujours à Beyle, l'éconduisit à de nombreuses reprises, sans ménagements, rendant le plus signalé service à Stendhal. Je songe au petit joyau de ma bibliothèque, que sont les trois volumes de la correspondance de Stendhal dans La Pléiade, qui ne sont plus réédités...

Parmi les enchantements de l'Art et de la Fiction, Déon ne pouvait pas ne pas évoquer son grand aîné Paul Morand, dont je garde précieusement un court billet écrit de sa main depuis le Montfleuri de Cannes... en réponse à une lettre envoyée au Château de l'Aile, à Vevey... Sous forme d'une réponse, 33 ans plus tard, à une lettre écrite par Morand à 88 ans, Déon qui, à ce moment-là, a le même âge, se permet quelques privautés. Il s'adresse à lui par son prénom, il le tutoie, pour mieux lui rendre hommage, sans concession et sans rien esquiver, de la meilleure manière.

Francis Richard

Nous en sommes au

466e jour de privation de liberté pour Max Göldi et Rachid Hamdani, les deux otages suisses en Libye
Partager cet article
Repost0
26 septembre 2009 6 26 /09 /septembre /2009 19:30
Après avoir lu Rapport aux bêtes de Noëlle Revaz je me demandais quel livre l'écrivain suisse allait bien pouvoir écrire. Elle a dû se le demander également puisqu'il lui a fallu sept ans pour pondre un deuxième roman, et changer de style du tout au tout, échapper au monde rustique, et plausible, qu'elle avait su créer dans le premier. Il n'est pas toujours nécessaire de parler des livres antérieurs pour parler d'une oeuvre qui vient de paraître. Mais il est difficile, en l'occurrence, en raison du contraste, de feindre d'ignorer qu'il y a eu un précédent, bien différent.

Rapport aux bêtes est un véritable exercice de style, un monologue tout ce qu'il y a d'intérieur. La prouesse n'était pas d'écrire comme on parle, mais comme on pense, avec tous les raccourcis de la langue que cela suppose, surtout de la part d'un inculte. Il y avait également la volonté de la part de l'auteur de restituer tout un monde agreste où un homme, au contact des bêtes, qui sont pour lui le centre du monde,  se révèle davantage bestial qu'humain et où sa vision de la femme, jusque dans la façon dont il prénomme sa moitié, réduite à un ventre, fait pour la jouissance et la fécondation, ne peut qu'être le reflet d'une nature brute, au sens où on parle d'art brut.

Avec Efina, édité chez Gallimard (ici), rien de tel. Le décor change. Nous quittons la campagne pour la ville. Cette fois l'existence de la femme a une réelle consistance, même si son physique, plutôt frêle, correspond bien à son prénom, qui donne son titre au livre. L'homme, qui l'obsède tout au long d'une vie, est un certain T, acteur de théâtre charismatique, qui sait habiter les personnages qu'il joue, encore qu'il serait plus juste de dire que ce sont les personnages qu'il joue qui l'habitent, tellement il est transformé et méconnaissable une fois qu'il monte sur les planches. Passionné de théâtre comme je suis, je ne pouvais qu'être ravi de cohabiter le temps d'un roman avec une telle créature.

Il faut croire que l'auteur a une particulière tendresse pour les hommes bien charpentés, aux formes plutôt arrondies, parce que c'est déjà ainsi que je m'imaginais le narrateur de son premier roman, avec toutefois une musculature puissante, au contraire de celle de T. Car, si T est à la fois une bête de scène et une sorte de monstre velu, il apparaît que ses chairs sont flasques, envahissantes. Tel quel il n'a pourtant pas de difficulté à attirer les femmes dans ses pattes, puis dans son lit. Efina ne fait pas exception, à la différence près toutefois qu'elle va l'obséder tout du long, comme elle est obsédée par lui. Ils vont se prendre, se déprendre, se rapprocher, s'éloigner, se croiser, et se trouver, dans les intermèdes, compagnons et compagnes de rechange.

Cette fois les phrases sont bien écrites, et non pas pensées. Elles sont dans l'ensemble courtes, incisives, ce qui donne au récit un rythme particulier, volontiers clinique. Certaines images, assez crues, sont l'occasion de véritables trouvailles d'expression. Il y a aussi des passages d'anthologie, notamment sur les chiens - toujours les bêtes - ou sur le théâtre.

Le livre est doublement écrit, puisque Efina et T s'écrivent régulièrement des lettres qu'ils ne s'envoient ni  ne lisent pas toujours. Ces lettres ont la particularité d'être serties au milieu du récit qui, en quelque sorte, leur sert d'écrin et n'en sont pas séparées, en font intégralement partie. Quand ces lettres se répondent elles ne sont pas spécialement tendres. Ce n'est pas l'amour purement bestial, ce serait plutôt cette fois l'amour vache.

Autant Rapport aux bêtes évoquait un monde sédentaire, arriéré, aujourd'hui en grande partie enfoui, autant Efina est un roman où les protagonistes sont bien de notre époque. Les corps et les âmes y vagabondent et papillonnent sans se fixer, sans besoin de repères. La Valaisanne qui a commis ce roman n'est-t-elle pas née en soixante-huit ?   

Francis Richard 

Voici l'entretien, avec Noëlle Revaz, diffusé par Gallimard sur YouTube :

 

Partager cet article
Repost0

Présentation

  • : Le blog de Francis Richard
  • : Ce blog se veut catholique, national et libéral. Catholique, il ne s'attaque pas aux autres religions, mais défend la mienne. National, il défend les singularités bienfaisantes de mon pays d'origine, la France, et celles de mon pays d'adoption, la Suisse, et celles des autres pays. Libéral, il souligne qu'il n'est pas possible d'être un homme (ou une femme) digne de ce nom en dehors de l'exercice de libertés.
  • Contact

Profil

  • Francis Richard
  • De formation scientifique (EPFL), économique et financière (Paris IX Dauphine), j'ai travaillé dans l'industrie, le conseil aux entreprises et les ressources humaines, et m'intéresse aux arts et lettres.
  • De formation scientifique (EPFL), économique et financière (Paris IX Dauphine), j'ai travaillé dans l'industrie, le conseil aux entreprises et les ressources humaines, et m'intéresse aux arts et lettres.

Références

Recherche

Pages

Liens