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31 décembre 2017 7 31 /12 /décembre /2017 23:30
La griffe, d'Anaïs Carron

Ce recueil de petits textes en prose poétique comprend trois parties:

- Brèves

- Portraits

- Épisodes

 

Le mot qui semble le plus employé par Anaïs Carron dans ces textes (qui font penser à ce que sont les miniatures en peinture) est corps.

 

Dans Brèves le mot apparaît la première fois dans Chair:

 

Mon ventre nu se frotte au drap. Partage sa moiteur. Je dessine son corps, sa peau lisse et tendue, sous le secret de mes paupières. Le souffle sec et dru, je baise le souvenir de sa chair.

 

Quand le mot corps (ou un mot qui se substitue à lui, tel que chair ou peau) ne figure pas dans un texte, ce sont, presque à chaque fois, des fragments de corps qui l'évoquent: des cheveux, un front, un visage, des oreilles, des yeux ou des pupilles, une nuque, une bouche, des lèvres, des dents, des langues, des seins, un torse, un dos, un ventre, un sexe, des bras, des jambes...

 

Les Portraits sont surtout portraits de femmes, descriptions de leurs corps, de leurs vêtements, de leurs mouvements, de leurs gestes, de leurs attitudes. Il en ainsi de Mathilde:

 

La peau lisse et laiteuse. Les cheveux en boucles serrées sur ses tempes. Négligemment noués entre ses omoplates. Ses doigts effritent le tabac, rapides et dociles. Les miettes s'accrochent aux écailles de vernis. Son bras arbore une toison jaune qui rappelle l'herbe sous nos pieds. Ses lèvres pincent fortement le filtre. Elle crache une volute de fumée. Une légère blouse cache ses seins rosés...

 

Les Épisodes se passent le plus souvent dans l'intimité, solitaire ou partagée: au lit, au réveil, dans la maison, sur une barque ou un voilier, dans un coin isolé au bord d'un lac... où le ou les corps se manifestent presque toujours.

 

Dans Mon corps, une femme se livre:

 

Les hommes aiment l'imperfection de mon corps. Leurs mains jouent dans le duvet de mon dos, de mon ventre. Ils goûtent le sel de ma peau, décollent les cheveux de mon front brûlant. Leurs doigts visitent le relief de ma chair. Ils embrassent les plis de mes yeux et les plaies qui me décorent...

 

C'est peu de dire que de ces fêtes corporelles, qui sont La griffe de l'auteur, se dégage une sensualité poétique, évocatrice et pleine de charme...

 

Francis Richard

 

La griffe, Anaïs Carron, 108 pages Torticolis et Frères

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14 novembre 2017 2 14 /11 /novembre /2017 22:45
Café-Théâtre Le Bourg, à Lausanne

Café-Théâtre Le Bourg, à Lausanne

En 2008, le Grand Prix de Poésie Pierrette Micheloud a été attribué à René de Obaldia, en 2011 à Yves Bonnefoy, en 2014 à Marc Alyn et cette année à Pierre Voélin.

 

Ce prix prestigieux est décerné tous les trois ans. Il récompense l’ensemble d’une œuvre poétique particulièrement remarquable d’un(e) poète d’expression française, quelle que soit sa nationalité.

 

La cérémonie de remise de ce prix, richement doté (40'000 CHF), a eu lieu hier soir au Café-Théâtre Le Bourg à Lausanne.

 

Aujourd'hui est le dixième anniversaire de la mort de Pierrette Micheloud. Sans doute est-elle heureuse, là où elle se trouve, d'apprendre qui vient à son tour de recevoir son grand prix. Le jury de la fondation, qui porte son nom et qu'elle a créée en disparaissant, l'a aussi bien choisi que les lauréats précédents.

 

Car Pierre Voélin ne dépare pas du tout avec la théorie de ses prédécesseurs. Pourtant il aurait pu tout aussi bien ne jamais devenir un de leurs semblables.

Pierre Voélin et Jean-Pierre Vallotton

Pierre Voélin et Jean-Pierre Vallotton

En 1960, il a onze ans. Ses parents l'emmènent visiter le camp de Dachau. C'est un choc. D'autant plus grand qu'il est d'une grande sensibilité - il l'est toujours d'ailleurs. L'effet, quasi physique, fut de suffocation, dit-il aujourd'hui.

 

La rencontre, au début des années 1980, avec l'oeuvre poétique d'Ossip Mandelstam, lui libère la parole accumulée en lui par la méditation des faits, qui l'ont rendu muet et qui ont été alimentés par un lot de lectures au cours des années.

 

Aussi ne publie-t-il ses premiers livres qu'à 35 ans. Il s'adonne dès lors à la poésie, qui ouvre l'esprit à l'imaginaire et qui est ce qui rompt l'accoutumance, et à l'essai sur l'art poétique.

 

Dans De l'air envolé (2011), il écrit:

 

Ce que cherche à préserver la parole de poésie, c'est la vie, la vie intacte, en toutes ses manifestations innocentes et libres, la vie non grégaire, individualisée, ressaisie dans une conscience, vie singulière (elle est de chacun), déployée sous le ciel de l'esprit, ou conduite, sinon forcée, par le souffle même de l'esprit.

 

Victor Hugo dit que le poète a charge d'âme, rappelle Jean-Pierre Vallotton. Pour Pierre Voélin, qui a été professeur de littérature française, qui n'a lu le poète en gloire que pour en parler à ses élèves et qui lui préfère Charles Baudelaire, le poète a plutôt charge de mots. Il les emploie comme le danseur danse ou le peintre peint.

 

Dans l'entretien préalable à cette soirée, il dit:

 

C'est par essence, selon moi, que la poésie aime et révère la concision et l'ellipse et la litote. J'aurais dégoût d'une poésie qui bavarde. La poésie est par nature un resserrement de la parole, elle ne capte que des instants d'illumination dans son précipité quasi chimique.

 

Le fait est que les exemples abondent dans son oeuvre où l'emploi du mot simple et juste agit en profondeur:

 

Aime celui qui murmure

bouche mêlée à la glaise du fleuve

en raison de nos faims et de nos soifs

 

(La lumière et d'autres pas, 1997, La Dogana)

 

Rose des foyers - bleu des fumeroles

les bouleaux pèlent sous le vent

piétinent les armées

 

(Des voix dans l'autre langue, 2015, La Dogana)

 

Dans sa collection du Poche suisse , les éditions de L'Âge d'Homme ont publié une anthologie de quatre poètes: Pierre Chappuis, Pierre-Alain Tâche, Pierre Voélin et Frédéric Wandelère. Forment-ils une école? demande Jean-Pierre Vallotton. Non pas, répond Pierre Voélin, ce qui les rassemble, c'est l'amitié. Ils auraient préféré certainement être édités séparément...

 

Pierre Voélin se dit poète de l'est de la France, poète frontalier, transfrontalier. Il préfère ne pas parler de la Suisse. Il pourrait en dire du mal... Il préfère parler de choses essentielles, de la mort - La vie s'éclaire pour chacun dès que la mort y trouve sa place -, de la nature - La terre est moins un refuge qu'une source de bienfaits et d'énergie...

Laurence Morisot, Olivier Engler, Pierre Voélin et Jean-Pierre Vallotton

Laurence Morisot, Olivier Engler, Pierre Voélin et Jean-Pierre Vallotton

Avant de remettre son prix au lauréat,  Olivier Engler, qui est président du Conseil de Fondation, évoque l'intelligence artificielle. C'est pour mieux souligner le rôle indispensable de poètes tels que Pierre Voélin dont la mission est de maintenir l'humanité en nous.

 

Plus prosaïquement Olivier Engler montre une photo de ce que seront les appartements construits à Belmont par la fondation et qui seront disponibles bientôt à la location. Les loyers lui assureront des revenus lui permettant de financer ses activités culturelles.

 

En remerciement, Pierre Voélin reconnaît qu'il est heureux de recevoir ce prix qui est une reconnaissance, à près de soixante-dix ans, de l'oeuvre accomplie au cours des dernières décennies. Il dit ce qu'il doit aux poètes aimés auxquels sa propre poésie fait écho et qu'il cite dans ses livres...

 

Il regrette que la poésie soit un genre délaissé par les éditeurs et ... les lecteurs, en Suisse, comme en Europe occidentale. C'est pourtant par la poésie que l'humanité pourrait faire son plein retour en nous. Quand elle y est encore, n'est-elle pas toujours en chemin de se perdre?

 

Dans l'entretien préalable à cette soirée, il dit aussi, élargissant son propos sur les grands poètes: Quant à l'art véritable, il est essentiel, il ne saurait être marginalisé même le jour où il ne concernera plus qu'un petit nombre d'individus sur terre...

 

Puisqu'il est question d'art, Jean-Pierre Vallotton, qui porte les deux casquettes de membre du comité et de président du jury, salue la performance de Laurence Morisot, la talentueuse comédienne aux yeux bleus, qui a su, avec sobriété, et diversité, donner vie aux textes choisis par lui, tirés de la dizaine de recueils de Pierre Voélin.

 

Il salue également les musiciens Marlyse et Guy Fasel qui, à quatre mains, ont interprété au piano, avec virtuosité, des intermèdes de Debussy, Brahms et Ravel. Et c'est sur des notes de Gabriel Fauré exécutées par eux que je m'éclipse hier soir pour aller dans une autre salle de spectacle à un autre rendez-vous littéraire...

 

Francis Richard

Laurence Morisot

Laurence Morisot

Pierre Voélin, Jean-Pierre Vallotton et, de dos, Marlyse et Guy Fasel

Pierre Voélin, Jean-Pierre Vallotton et, de dos, Marlyse et Guy Fasel

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5 octobre 2017 4 05 /10 /octobre /2017 22:00
Les angles étincelants, de Laurent Cennamo

Quels sont ces Angles étincelants qui donnent leur titre au recueil de Laurent Cennamo ?

 

En fait cette expression figure dans une phrase de Peter Handke, extraite du Poids du monde, que le poète a mis en épigraphe à son livre :

 

Écrire voulait dire: se frayer quotidiennement un chemin vers les angles étincelants de la vie.

 

Dans le recueil, il y a deux occurrences qui éclairent l'emploi de l'expression:

 

(La pomme que tu étais

avant de naître

a roulé - on ne voit plus,

désormais que les angles étincelants)

 

... on devine dans les angles

étincelants de la pièce, véritablement "rincés"...

 

Les angles donc ? Ce qui est saillant dans la mémoire du poète, ce qui étincelle à ses yeux, ce  que sa plume retient.

 

Émis par sa plume vagabonde, le lecteur, lui, retient des mots qui reviennent dans le monde de Cennamo et pèsent sur lui :

 

- Puits :

 

Avoir un enfant serait comme creuser

un second puits à côté du mien

 

Pour mon malheur

le trou où l'on meurt

le profond puits

où périt celui

qui trop pleura

je l'ai déjà franchi

 

- Papillon:

 

De plus en plus pâle, un grand papillon

perdu, à l'aube, pianotant fiévreusement

sur les touches de son portable.

 

Je suis un papillon et Dieu a posé sa main sur moi

 

- Écureuil:

 

... L'écureuil volant que nous n'aurons

pas su voir...

 

Se briseront nos imaginaires

branches étoilées, mort gelé

l'écureuil de nos si claires pensées

 

Le lecteur retiendra encore des noms d'écrivains qui ne sont pas cités là fortuitement : Kafka, Nietzsche, Musil, Platon, Meret Oppenheim...

 

... et des noms de peintres qui apparaissent nommément : Simone Martini, Piero della Francesca, Velazquez (La reddition de Breda); ou qui le sont implicitement : Jan van Eyck (Arnolfini) ...

 

Il retiendra aussi que le monde où Laurent Cennamo chemine est diversité : les villes de Genève ou de Mantoue; le parc de la Sumava ou les rives de l'Arve...

 

... et retiendra que son monde est souvenirs d'enfance, d'amitié et d'amour, de vie et de mort :

 

Le bâton que nous lui lancerons, la Mort

ne nous le ramènera pas...

 

Il retiendra enfin ces angles d'époque (mais sont-ils tous étincelants ?) : un monstre violet (Mattel), de petites maisons Bouygues, un joystick, des footballeurs (Roberto Baggio et Renato Steffen), un héros télévisé qui a un tournevis à la place du coeur (Mac Gyver)...

 

Comment ne pourrait-il pas aimer qu'il dise :

 

Fraise, notre amitié.

Fraise écrasée - ou fraisier ? - le silence

interminable qui suit

 

Ou qu'il emploie le même mot de fruit goûteux dans une proche acception :

 

C'est un autre monde, celui

où la femme aux cheveux noirs, ou blonde, belle, mâche

un chewing-gum à deux centimètres

de ta bouche. Le monde, alors : une fraise

une framboise au-delà des vitres du tram ruisselantes de pluie...

 

S'il ne fallait pourtant retenir qu'une image, ce serait, m'est avis, celle-là :

 

Le coeur du feu : à gauche

de la fumée

 

Francis Richard

 

Les angles étincelants, Laurent Cennamo, 80 pages, La Dogana

 

Recueil précédent :

 

FH Samizdat (2016)

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20 septembre 2017 3 20 /09 /septembre /2017 11:30
L'apostrophe, de Jacques Roman

La couverture représente Niké, la déesse telle qu'elle fut sculptée à l'époque hellénistique (elle est connue sous le nom de Victoire de Samothrace et se trouve au Musée du Louvre à Paris).

 

La Niké de l'ouvrage est due au pinceau gracieux de Claire Nydegger, artiste-peintre vaudoise...

 

Ce corps de femme sans tête, qui, à sa base, figure une proue de navire, est involontairement symbolique de l'élision, manière d'éviter le hiatus entre terre et ciel.

 

L'apostrophe, dont Jacques Roman reproduit la définition, fait de même pour deux voyelles dans un texte:

 

Signe (') qui marque l'élision d'une voyelle.

 

Dans les fragments testamentaires écrits ici par l'artiste, ce signe sert surtout à ôter une folle prétention au mot je, qui est une autre forme du moi haïssable de Blaise Pascal.

 

Le temps le plus souvent employé dans ces fragments est un temps composé et décalé, le futur antérieur, que l'auteur relie ainsi à l'apostrophe:

 

Élider du je la voyelle, c'est ici passer du présent à un futur antérieur où le mort ne s'avoue pas vaincu.

 

On sait que le futur antérieur peut être employé pour signifier plusieurs choses, mais, ici, c'est dans son sens de bilan au soir d'une vie - qui n'est pourtant pas finie - qu'il est utilisé.

 

En conséquence il n'est pas étonnant que ce temps voisine avec ces autres temps de l'indicatif que sont le passé simple, le passé composé ou l'imparfait.

 

Le poète, en sa prose bordée de points de suspension, évoque la vie:

... j'aurai chaque soir récité ma vie comme une prière et je n'aurai jamais été sûr de la savoir...

 

L'amour:

... j'aurai apostrophé l'amour toutes les fois où de son nom l'aurai vu se parer, toutes les fois où n'aimais en lui qu'un signe hors-la-loi devant l'achevé et l'inachevé...

 

La mort:

...j'aurai souteneur, fait monter la folie à l'Hôtel de la Mort. Le jour est proche où elle n'en reviendra pas...

 

Et nombre de souvenirs:

...j'aurai recueilli d'intimes et clandestins souvenirs qui m'auront été chers d'être tels de petits cailloux remués à fond de poche, et qu'il me fût loisible d'offrir au premier venu en quête de fraternité...

 

Quelqu'un qui invoque Stéphane Mallarmé, Antonin Artaud ou Georges Bataile ne peut laisser indifférent.

 

Ce quelqu'un, en tout cas, est crédible quand il observe ce précepte qu'il s'est donné:

 

... j'aurai à la nudité réclamé son silencieux secret d'être sans avoir. Écrire dépouillé. Chercher l'apostrophe commune...

 

Francis Richard

 

L'apostrophe, Jacques Roman, 112 pages, Samizdat

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12 septembre 2017 2 12 /09 /septembre /2017 21:15
Un toucher de neige, de Monique Saint-Julia

Monique Saint-Julia est peintre et poète. Dans son dernier recueil, Un toucher de neige, ses gouaches et sa poésie se répondent en douceurs et chuchotements. La couverture en donne un bel aperçu, en rondeurs ouatées.

 

Le titre indique que le thème en est la neige, mais, à la fin, il mue: après elle, le dégel. Parce que le printemps succède inévitablement à l'hiver et qu'avec l'échauffement de la terre, elle perd de sa solidité éphémère et se liquéfie.

 

Quand la neige paraît, la poète s'en émerveille comme une première fois, redevient une enfant, ravie que le blanc soit mis, et comble son attente, comparant l'opacité blanche à un effleurement très lent d'ailes de chauve-souris.

 

Elle invite à voir une manière de film muet, tout en blanc et nuances de gris, comme le ciel pris dans un immense piège cotonneux:

Tout se tait, s'épie, dérive,

musique en fuite.

 

Et cette neige, qui tisse des sons feutrés comme des pas de religieuses la conduit loin, très loin d'elle-même, là où le silence est roi:

Tout ramène à l'assiduité du blanc

à l'oubli de soi.

 

Car la neige est en elle-même musique, sourde, qui prépare au silence:

Ni échos, ni voix, ni murmures

un toucher de neige démêle la même harmonie

que des notes de piano en sourdine.

Des soies volent, hésitantes.

Haies, chemins, bois disparaissent

à seule fin de créer une invitation au silence.

 

Francis Richard

 

Un toucher de neige, Monique Saint-Julia, 88 pages, L'Aire

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17 juillet 2017 1 17 /07 /juillet /2017 22:00
L'eau, les étincelles, d'Anne Bregani

Les poèmes du recueil d'Anne Bregani, L'eau, les étincelles, sont accompagnés de gravures d'Armand C. Desarzens. La poétesse, dans une note liminaire, lumineuse, parle, au sujet de ces gravures, de fruit d'un cheminement, dont l'aventure se poursuit

 

Après avoir lu les poèmes, regardé les gravures, le lecteur ressent intensément ce compagnonnage s'il y prête attention. Car, ici, les poèmes gravent le monde tandis que les gravures le poétisent, si bien qu'aucun des deux n'illustre l'autre: ils se rencontrent.

 

Anne Bregani met en exergue à son recueil deux poèmes, l'un de Wislawa Szymborska, l'autre de Yannis Ritsos, dont déjà les débuts donnent un aperçu de ses intentions.

 

La Polonaise demande

Pardon aux grandes questions pour les petites réponses.

 

Le Grec espère que

Peut-être encore nous défendra

le chant d'un oiseau...

 

La tâche est en effet immense et la nature (plus forte qu'on ne pense) peut aider à l'accomplir.

 

Anne Bregani passe en revue poétique les quatre points cardinaux et c'est l'occasion pour elle d'évoquer magnolias et martinets enchanteurs. Ainsi, dans Sud:

 

Très haut ce matin

le martinet mélange

la  lumière au bleu

 

De sa royale hauteur

le grand magnolia

distribue l'abondance des fleurs

 

Et, comme elle vit, au bord d'un lac, elle ne peut que dire ce qu'elle lui doit, dans Nord:

 

Lac scintillant

ciel aquatique

où passent mes pensées

 

Dans Au puits du coeur, Anne Bregani s'interroge:

 

Mais les secrets d'un visage

quel oeil au bout de tes doigts

les percevra jamais

quelle main dans ton regard

saisira

ses lumières et

son ombre changeante

 

Elle fait appel aux éléments:

 

La pluie

me donnera

toutes les larmes dont j'ai besoin

et mon souffle

fera palpiter

le coeur océanique

de l'espace

 

je te dis

que je suis le vent

rien ne m'arrêtera à l'horizon

 

Elle parle pour les anonymes qui cherchent à émerger de la misère:

 

Par ma gorge

ils se fraient une piste

jusqu'à l'air libre

par ma voix

ils sont nommés

rendus à leur intime royauté

eux qui marchent

pieds nus sur cette terre

 

Aux grandes questions, sa réponse est finalement grande, comme son coeur, sa modestie dût-elle en souffrir:

 

Tout espoir est-il vain?

à l'aplomb de la verticale

subsiste

cette étincelle

ce feu

prêt à nous bouter

vers notre grandeur

 

Francis Richard

 

L'eau, les étincelles, Anne Bregani, 108 pages, Samizdat

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9 juillet 2017 7 09 /07 /juillet /2017 12:00
Au creux de la main, de PJ Harvey & Seamus Murphy

Au creux de la main, l'être humain se révèle, qu'il tende ce creux pour mendier ou qu'il le regarde pour en lire quelques lignes, qu'il le forme en tenant entre ses doigts plume ou appareil-photo.

 

PJ Harvey (chanteuse, auteur-compositrice de rock alternatif), et un photographe, Seamus Murphy, tous deux britanniques, ont fait ensemble, entre 2011 et 2014, des voyages au Kosovo, en Afghanistan et à Washington DC. Ils en ont rapporté mots et images, qui nous parlent dans un recueil à deux voix.

 

Dans ce recueil (paru en 2015, en anglais, sous le titre The Hollow of the Hand), sont toutefois reproduites des photos antérieures à leurs voyages en commun. Leur continuité donne l'impression que le temps s'est comme immobilisé pendant les presque deux dernières décennies (les plus anciennes de ces photos remontent à 1998).

 

Prises sur le vif ou sur le mort, en noir et blanc ou en couleurs, les photos de Seamus montrent un monde à l'abandon, au milieu de ruines ou de déchets. Le symbolisent cette carcasse de bovidé, laissée au milieu d'une route bitumée du Kosovo, ou ce cadavre d'homme, couché sur une route de pierres qui mène à Kaboul.

 

Les mots pour le dire viennent naturellement sous la plume de Polly Jean Harvey. Dans The abandoned village, elle ne trouve, par exemple, que des traces d'une jeune fille qu'elle a pourtant bien cru apercevoir entre deux murs criblés, sous-entendu criblés de balles:

 

I looked for the girl upstairs. Found

a comb, dried flowers, a ball of red wool

unravelling.

 

J'ai cherché la fille à l'étage. Trouvé

un peigne, des fleurs séchées, une pelote de laine rouge

déroulée.

 

De ce monde à l'abandon, de ces ruines, la guerre et la misère, qui ont la plupart du temps partie liée, sont la cause. Seamus photographie le cimetière d'Arlington qu'arpentent deux vieilles grosses dames, remplissant vraisemblablement un devoir de piété, tandis que Polly évoque Two Cemeteries:

 

A stray dog sleeps against a headstone.

 

Un chien errant somnole contre une pierre tombale.

 

A gardener prunes cherry trees

and the warden resets a headstone.

 

Un jardinier élague des cerisiers

et le gardien redresse une pierre tombale.

 

La guerre est omniprésente dans le recueil, notamment dans les pages consacrées à l'Afghanistan, où Seamus a saisi, à Kaboul, une foule de passionnés de combats de volatiles. Polly ne peut que constater:

 

They fight with rams. They fight with larks.

They fight with knucklebones and calves.

There must be something in the air.

There is fighting everywhere.

 

Ils se battent avec des béliers. Ils se battent avec des alouettes.

Ils se battent avec des osselets et avec des veaux.

Ça doit être dans l'air.

Partout l'ambiance est à la guerre.

 

Si aussi bien les photos que les poèmes font écho à l'humaine tragédie, les unes et les autres se terminent tout de même par une touche de couleur, car la vie continue. Alors que Seamus capture dans son objectif une fillette noire sous un arbre en fleurs orangé à Washington DC, Polly voit poindre à l'horizon d'Anacostia une lueur crépusculaire:

 

a tiny red sun

like a tail light

down the overpass

 

un tout petit soleil rouge

comme un feu arrière

au bas du pont autoroutier

 

Francis Richard

 

Au creux de la main, PJ Harvey & Seamus Murphy, 232 pages L'Âge d'Homme

(traduit de l'anglais par Laure Gall et Patrick James Errington)

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25 juin 2017 7 25 /06 /juin /2017 12:00
Nomade de toi, d'André Petitat

dans les jujubiers de la limite supérieure

  un homme-minute

  une femme impossible

ils touillent les pages du livre

ils écrivent avec leur sang au galop

  un monde qu'ils désirent éternel

 

C'est au début de l'intro de ce recueil en trois temps, trois mouvements:

 

- touille rouille

- flash floche

- clic claque

 

Ce ne sont pas seulement les pages que touillent cet homme et cette femme qui fusionnent dans le creuset du livre, dans le monde du poète.

 

Ils touillent les expressions toutes faites et cela donne des expressions refaites:

- on met le feu aux portes

- que chaque jour apporte

  une poche de rêves

  à ceux qui n'en ont pas

 

Ils touillent et les mots se font allusions:

- si près de l'origine du monde

- l'arbre aux pieds nus

- au creux de nos mains

  l'ascenseur vers l'échafaud

- dessine-moi un corps des Alpes

 

Ils touillent et ne craignent pas les paradoxes:

- la méchanceté, cette bonté à l'envers

- c'était une mort de t'aimer

- ta légèreté faisait ma gravité

- faire de la vie une mort au ventre

 

A force de touiller, ils donnent le vertige, ils sont bien nomades, toujours en mouvement: lui peut dire : nomade de moi, elle: nomade de toi...

 

Elle est l'immigrée, son quelque part;  lui l'émigré, son dispersé, aux quatre coins de l'univers.

 

Leurs ventres s'étaient collés, mais ils ne se connaissent plus: 

Nous voilà à l'imparfait sans futur

 

La soudure n'a pas tenu: 

Souvenirs

  vos nuages ont soif

 

Francis Richard

 

Nomade de toi, André Petitat, 56 pages Editions de l'Aire

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16 mars 2017 4 16 /03 /mars /2017 23:20
La fée Valse, de Jean-Louis Kuffer

Avec ce recueil de poèmes en prose, Jean-Louis Kuffer invite à une féerie d'aujourd'hui sous la baguette de La fée Valse, qui est le sourire de la lune, dans la lumière tutélaire de François Rabelais:

 

Rabelais est le premier saint poète de la langue française, laquelle ne bandera plus d'aussi pure façon jusqu'à Céline...

 

Ce livre est joyeux: Quand elle me roule dans la farine et qu'elle se penche au-dessus de moi, ses deux seins pressés l'un contre l'autre suffisent à ma paix.

 

Il est grave: En vérité, la marge de liberté s'amenuise pour les marginaux singuliers que nous sommes, tandis que les vociférateurs croissent en nombre et en surnombre, les bras levés comme des membres.

 

Il est allègre: Il n'est pas inapproprié, dans mon cas, de prétendre que l'habit n'a pas fait la nonne. A vrai dire la jupe plissée a plus compté dans mon éducation que la lecture de Jean d'Ormessier et François Nourrisson, pourtant essentielle dans mon choix de vie ultérieure - la jupe plissée et le tailleur ton sur ton.

 

Il est pensif: Ils nous ont promis les flammes ou les hymnes selon notre conduite sans nous dire s'il y aurait là-bas ou là-haut de quoi survivre autrement que dans les cris ou les cantiques, et cela nous a manqué tout de même: le détail du menu.

 

Il est tendre: Ta mère nous offre un thé de menthe et l'une des jeunes filles fait admirer son admirable paire de colombes aux jeunes gens qui l'entourent.

 

Il est mélancolique: Quand j'étais môme je voyais le monde comme ça: j'avais cassé le vitrail de la chapelle avec ma fronde et j'ai ramassé et recollé les morceaux comme ça, tout à fait comme ça, j'te dis, et c'est comme ça, depuis ce temps-là, que je le vois, le monde.

 

Il est sérieux: ... Il n'est pas vrai que nous ayons tout soumis, il n'est pas vrai que tout mystère soit dissipé, il n'est pas vrai que plus rien ne soit à découvrir, vois donc: il n'est que d'ouvrir les yeux dans le jour obscur et de ne pas désespérer...

 

Il est ludique: Quand je te dis que Marelle a le ballon, ce n'est pas vulgaire du tout, tu me piges mal, même si ça fait populo comme langage c'est pile ce que c'est: le ventre de Marelle est rond comme un ballon d'enfant, tiens j'ai envie de le palper et d'écouter ce qui se passe là-dedans en y collant la joue, enfin quoi Marelle a le ballon et celui-ci va rebondir dans la vie [...].

 

Bref Jean-Louis Kuffer ne mentait pas quand il annonçait d'entrée de jeu que son livre était tout cela à la fois. Car il est la Fantaisie même, laquelle ne se laisse pas intimider par les états d'âme contraires, laquelle est pour les uns et les autres, l'ennemie à abattre avec le sérieux des papes, avec ou sans filtre...

 

Jean-Louis Kuffer réserve pourtant à ses lecteurs quelques surprises à son goût: des mots de passe littéraires ou picturaux pour connaisseurs, des pas de mots qui dansent sans retenue, comme la fée Valse, et qui s'insinuent partout comme le fait l'amour, dans les corps et les esprits, pour leur plus grande jouissance...

 

Francis Richard

 

La fée Valse, Jean-Louis Kuffer, 156 pages Editions de l'Aire (à paraître)

 

Livres précédents:

 

Riches heures Poche suisse (2009)

Personne déplacée Poche suisse (2010)

L'enfant prodigue Éditions d'Autre Part (2011)

Chemins de traverse Olivier Morattel Éditeur (2012)

L'échappée libre  L'Âge d'Homme (2014)

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1 janvier 2017 7 01 /01 /janvier /2017 17:40
Les fleurs du bien, de Yano Las

Pour une fois, il me faut me livrer à une sainte-beuverie, et ne pas être trop prousto-rigide...

 

La poésie de Yano Las est tellement liée à sa propre vie qu'il est difficile de l'ignorer si l'on veut la comprendre. Ce n'est pas que sa poésie soit inaccessible, au contraire, elle s'énonce clairement et, pour poétiser, les mots lui viennent aisément. Mais elle prend une plus grande résonance quand on en a connaissance, celle-ci expliquant celle-là.

 

Par loyauté envers sa mère, morte alors qu'elle était adolescente, Yano Las, autant fascinée par les mathématiques et les lettres, les langues, qu'intéressée par le cosmos, l'espace, est devenue ingénieur, a fait une thèse de doctorat en physique, a été brièvement ingénieur de production, puis s'est définitivement consacrée à l'éducation de ses enfants.

 

Yano Las ne cache donc pas ce que fut sa vie avant d'être poétesse, une fois ses enfants élevés. Au tout début du recueil, Les fleurs du bien, elle livre quelques mots-clés: une vie, un rêve, un destin, une philosophie, qu'elle met en poésie comme d'autres les mettraient en musique. Ces correspondances baudelairiennes ne le sont pas seulement par le titre...

 

Une vie?

Au sein de chaque science

Soupire une poésie

 

Un rêve?

Femme d'engagement, d'idées, j'ai fait le rêve éveillé, candide et puéril, d'oeuvrer pour un monde meilleur, civilisé et sécuritaire, dont la vertu est l'essence, un monde mauve, couleur fauve.

 

Un destin?

En Islam, seule la souffrance est féconde.

 

Une philosophie?

Vivre est un acte d'amour, s'il ne l'est pas il n'est qu'existence.

 

Après avoir parlé de sa vie, Yano Las parle de sa poésie et de sa science, et des rapports que l'une et l'autre entretiennent entre elles, sans trancher pour savoir si c'est l'une qui engendre l'autre ou l'inverse, un peu comme la question insoluble de la poule et de l'oeuf. Quoi qu'il en soit, sa seule bulle de liberté possible est leur alliance féconde.

 

Cette grille de lecture une fois dressée facilite l'accès à la poésie de Yano Las. Le lecteur n'a plus aucune excuse pour ne pas en apprécier la musique et la profondeur. Il ne lui reste plus qu'à se laisser bercer par les mots qui coulent en profusion et en fusion sous la plume de la poétesse et à laisser pénétrer son âme par les sens qu'elle leur donne.

 

Comment rendre compte du bonheur que procurent de tels poèmes qui, lus en tout début d'année, sont comme les signes que celle-ci ne peut être que prometteuse? Eh bien, en en citant, même sortis de leur contexte, quelques extraits qui en illustrent les mots-clés, lesquels sont autant de sésames pour en faire jouer les serrures et en ouvrir les portes.

 

Une vie

Il est des jours où je m'aime

Ou simplement voudrait qu'on m'aime

 

La mort se languit de la vie

Et la vie est un poème

 

Un rêve

Ne pas rêver sa vie mais plutôt vivre ses rêves

Voilà ce qui est permis quand on survit humilié

Penser à chaque conflit à préserver une trêve

Il vaut mieux vivre digne que mourir oublié

 

Un destin

Car la foi est une larme

Dont le silence est une arme

L'esprit s'émeut, s'exclame

Quand le coeur pleure, s'alarme.

 

Une philosophie

Je me suis réveillée un matin

En vrai flacon d'amour brisé

J'aimais l'humanité sans fin

Jamais je ne l'aurais cru, osé 

 

Francis Richard

 

Les fleurs du bien, Yano Las, 150 pages Éditions Aile de May

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19 décembre 2016 1 19 /12 /décembre /2016 23:30
Atemnot (Souffle court), de Marina Skalova

Aucune langue ne suffit vraiment pour dire ce qu'il y aurait à dire.

 

Marina Skalova s'exprime ainsi dans l'introduction de son recueil bilingue de courts poèmes, Atemnot (Souffle court)

 

Elle a choisi d'écrire dans deux langues, le français et l'allemand (sans majuscules aux noms...), qui ne sont pas pour elle des langues maternelles. Cette écriture à deux langues lui permet de réduire les insuffisances de l'une et de l'autre pour exprimer ce qu'elle a à dire.

 

Elle précise, d'ailleurs, toujours dans l'introduction:

 

Le recours à la traduction permet, pour moi, de mettre en résonance les langues, en introduisant toujours de légères variations, tout en ne s'installant réellement dans aucune d'entre elles.

 

Elle laisse donc libre le lecteur d'interpréter comme il l'entend ce qu'elle dit - ce que, de toute façon, il fait -, mais elle lui balise davantage les pistes qu'il empruntera pour la comprendre, même si son intention n'est pas celle-là, puisqu'elle veut montrer qu'il n'y a pas de langue juste: les variations, malgré qu'elle en ait, comme le mouvement brownien, finissent par donner une forme.

 

Le recueil détaille en quatre parties ce qui fait manquer de souffle:

- Figures du corps

- Nuit(s)

- Ceux qu'on foule aux pieds

- Territorien (c'est le seul titre qui ne soit pas bilingue)

 

Dans Figures du corps, le corps s'effrite, la peau se poussière, la chair s'émiette, et Marina dessine en peu de mots, dans un des poèmes, ce que peut être la défloration chez la femme, cet autre morcellement corporel. Elle ne traduit pas alors deux vers essentiels qui disent brûlure ressentie et moment inoublié:

 

weggeätz

         hier soir

 

chaque langue venant à la rescousse de l'autre, pour dire sa part de l'indicible.

 

La Nuit, qui peut être plurielle, est pour elle l'expérience de l'étrangeté, de ce qui en reste:

 

juste l'empreinte

d'une courbe

 

dans des draps

pas à moi

 

ou

 

ce qui restera

 

la terre, le ruisseau

les murs de bois

 

le blanc entre les mots

 

Et quand vient le jour il faut bien:

 

déplier les silences

 

séparer

ce que l'on ne peut pas dire

 

de ce qui doit rester tu

 

Ceux qu'on foule aux pieds, ce sont les corps. Cette fois, il ne s'agit plus de nuit, au singulier ou au pluriel, mais d'une plus longue durée, de quelque chose de tragique qui s'installe:

 

craindre la mort

à chaque inspiration

 

la peur qu'elle s'intercale

comme un verrou

 

Et les Territorien sont ceux qui apparaissent sur les corps eux-mêmes où des lignes délimitent des frontières, telle celle qui part de la tête jusqu'au bas du dos:

 

du crâne à la ligne

des fesses

 

seul le tracé

vertical

 

d'une cicatrice

vertébrale

 

Car les frontières sont enjeux de batailles, de corps à corps...

 

En peu de mots beaucoup de choses sont dites. Mais ce qui est dit coupe le souffle par l'intensité qu'ils peuvent prendre, en dépit ou peut-être à cause de la concision des phrases qu'ils composent.

 

Francis Richard

 

Atemnot (Souffle court), Marina Skalova, 64 pages, Cheyne

 

Mis à jour le 20.12.2016

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9 décembre 2016 5 09 /12 /décembre /2016 22:15
FH, de Laurent Cennamo

FH est le titre donné au recueil de poésie de Laurent Cennamo. Pour faire plus court, il aurait fallu ne lui donner pour titre qu'une lettre de l'alphabet, mais laquelle? Ce titre court est bien choisi. Car, F, c'est pour Fiat et H, pour Hitachi, et il sera facile de retenir cet acronyme.

 

FH est le titre de la première des trois parties qui composent le livre, un petit livre par le nombre de pages, un grand livre par tout ce qu'il évoque: La poésie résume et agrandit, écrit le poète. Et c'est bien de cela qu'il s'agit: de résumer et d'agrandir.

 

FH, ce sont les initiales de la marque d'une pelle mécanique. Ces deux lettres la résument, Laurent Cennamo l'agrandit. La pelle mécanique FH ("Fiat et Hitachi") creuse le poème, elle est de cristal, vieillard peignant un enfant, chaton de saule, nid, guide souple et tendre...

 

La deuxième partie est dédiée A un joueur du FC Bâle. Les maillots rouges et bleus du club sont comme les tuniques des chevaliers du Moyen-Âge et le footballeur court, glisse plutôt, sa chevelure en flamme très haut dans le ciel pervenche: un rouge sur bleu, qui le résume.

 

Ce joueur a la peau rouge d'un Indien, les chevilles plus pures que celles des anges peints par Piero della Francesca. Et le poète visualise les fils rouges emmêlés qui pendent du coussin bleu foncé, en bas à gauche de La Dentellière de Vermeer au Louvre. Autant de rouges sur bleu qui l'agrandissent.

 

La troisième partie s'intitule La neige au-dessus des mots: L'écriture ne remplit jamais - il faut déjà être plein, dit-il. Quand il la compare à la peinture, c'est pour dire qu'écrire éloigne tandis que peindre nécessite d'être proche, le plus possible, tandis que la poésie serait la relecture d'une ligne que l'on vient à peine de finir d'écrire...

 

Laurent Cennamo se nourrit de poésie - d'Alberto Nessi ou de Christine Lavant -, de peinture -  des primitifs italiens, de Giotto, de Konrad Witz ou de Giorgio Morandi -, et de paysages de montagnes - du Petit Salève (colombe renversée sur la table basse des corbeaux) et de la chaîne du Jura enneigé:

quelques os

posés dans l'air, la lumière, légers,

comme absents - emballés dans du papier de soie

noire par des mains que n'usent plus le temps.

 

Deux phrases me parlent:

 

La peau est la cerise sur le gâteau d'os

 

Être exilé, ce n'est pas se retourner (sur son passé, son pays, son amour), c'est voir le monde se retourner et ne plus nous voir

 

Ces deux phrases n'ont pas de point final, et j'aime qu'elles demeurent ainsi, en quelque sorte ouvertes...

 

Francis Richard

 

FH, Laurent Cennamo, 80 pages, Samizdat

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16 novembre 2016 3 16 /11 /novembre /2016 23:15
A la croisée des brides, de Françoise Matthey

Il y a désormais une autre manière de dire que l'on est à un tournant de sa vie. On peut en effet dire, pour peu que l'on en vienne à vivre dans la familiarité des chevaux et dans un pays qui ne cesse d'adhérer depuis des siècles à [leur] loi, que l'on est A la croisée des brides.

 

A cette croisée singulière, et poétique, se trouvent une jument et un pays, l'une habitant l'autre, l'une se mêlant à l'autre, au point que, sous la plume de Françoise Matthey, le vocabulaire qui précise l'une enrichit celui de l'autre et lui donne à voir des perspectives cavalières. 

 

La poétesse parle ainsi, au détour de ses poèmes, d'une ruade de bourrasques qui étourdit ses pas, de chevaucher la lune, de longes feutrées de son histoire outrageusement malmenée, d'apprivoiser le hennissement des troubles, de congédier les étriers familiers de l'enfance...

 

Le recueil est bien le témoignage d'une rencontre, celle apaisante de la poétesse avec une jument et un pays: elle peut toucher l'une de sa main tremblante, sans l'émouvoir, et se laisser ensemencer lentement par l'autre, découvrir le second en se mettant en selle sur la première:

 

L'humble complicité du pas qui suggère

et de l'aube qui éclaire

a suffi

à délier l'allant

 

Mais la poétesse n'est pas seule à se retrouver à la croisée des brides. Une fillette arrivée depuis les frontières australes rencontre à son tour la jument vers laquelle elle a dirigé son pas osé, et nul ne devina son émoi ni même son sourire peut-être lorsqu'elle [la] vit:

 

Gardienne d'un secret chuchoté entre lèvres et naseaux

l'allégresse triompha

 

Oubliée la brûlure des pierres

la danse des exils

 

Il s'agit en quelque sorte de la transmission d'une joie immanente, qui étonne et dont la jument au regard noisette fait bénéficier la fillette, après en avoir abondé la poétesse. Rien ne les sépare désormais l'une et l'autre et le programme de leur relation est dès lors tout écrit:

 

A l'orée des lisières qui engagent

apprendre encore et encore

comprendre peut-être

offrir

aimer surtout

 

Nul amour n'amoindrit

 

Francis Richard

 

A la croisée des brides, Françoise Matthey, 52 pages L'Aire

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Présentation

  • : Le blog de Francis Richard
  • : Ce blog se veut catholique, national et libéral. Catholique, il ne s'attaque pas aux autres religions, mais défend la mienne. National, il défend les singularités bienfaisantes de mon pays d'origine, la France, et celles de mon pays d'adoption, la Suisse, et celles des autres pays. Libéral, il souligne qu'il n'est pas possible d'être un homme (ou une femme) digne de ce nom en dehors de l'exercice de libertés.
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  • Francis Richard
  • De formation scientifique (EPFL), économique et financière (Paris IX Dauphine), j'ai travaillé dans l'industrie, le conseil aux entreprises et les ressources humaines, et m'intéresse aux arts et lettres.
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