Onze banques établies en Suisse sont dans le collimateur de l'administration fiscale américaine depuis des mois : le Credit Suisse, la banque Julius Baer, la banque Wegelin, la Banque cantonale de Zurich (ZKB), la Banque cantonale de Bâle (BKB), la Neue Zürcher Bank, la filiale suisse de HSBC, la banque liechtensteinoise LLB et les banques israéliennes Leumi, Hapoalim et Mizrahi.
La banque Wegelin a été la première fin janvier à être poursuivie en tant que telle. Ses associés, comme je l'ai raconté ici, ont préféré assumer seuls leurs responsabilités, en soustrayant aux poursuites leurs collaborateurs et leurs clients qui n'ont aucun rapport avec les Etats-Unis, et en donnant, par là-même, l'exemple de ce qu'il faut faire pour épargner les conséquences de leurs actes à ceux qui n'y sont pour rien.
Que reproche-t-on à ces onze banques ? D'avoir repris sans vergogne les clients américains d'UBS qui persistaient à vouloir échapper aux foudres de la justice américaine. Comment cette dernière a-t-elle eu connaissance des noms des banques où s'étaient réfugiés ces ressortissants américains fuyant l'UBS ? Par l'UBS elle-même [la photo provient d'ici] qui, après avoir livré les noms de 4'000 de ses clients et payé une amende de 780 millions de dollars, a été contrainte par la FINMA, le gendarme suisse des marchés financiers, de livrer ces informations dans le cadre de l'aide administrative entre la Suisse et les Etats-Unis...
Pour justifier cette inquisition fiscale américaine, on parle de moralité. Ce ne serait pas moral de se livrer à de la soustraction fiscale - le terme consacré en Suisse pour l'évasion fiscale - tandis que tant de bons et loyaux citoyens déclarent et paient leurs impôts, paient donc à la place des évadés du fisc, paient donc davantage qu'ils ne devraient si tout le monde était soumis à la même pression fiscale.
Ce raisonnement tiendrait si les Etats d'où l'on s'évade, quand on peut, en l'occurrence les Etats-Unis, remplissaient uniquement leurs fonctions régaliennes de justice et de sécurité intérieure et extérieure. Or ce n'est évidemment pas le cas. Ils dépensent sans compter pour remplir des tâches qu'ils se sont attribués. Cela leur permet de se donner de l'importance et de faire de la redistribution sociale, rebaptisée, de manière inappropriée, justice sociale. En réalité cela permet aux politiciens de se constituer une clientèle électorale et de faire perdurer ce système lucratif, pour eux et leurs protégés.
Ces Etats-Providence dépensent tellement sans compter qu'ils sont bouffis de dettes et accumulent les déficits. Pour compenser en partie cette mauvaise gestion des fonds publics et dissimuler leurs erreurs économiques et politiques, ils augmentent les impôts de manière toujours plus inconsidérée - un vol béni par la loi - et s'en prennent plus particulièrement aux plus riches de leurs concitoyens. Ils deviennent ainsi, de plus en plus, des enfers fiscaux, où la sphère privée est réduite à la portion congrue.
Pour que rien n'échappe à sa ponction, l'administration fiscale de ces Etats doit en effet pouvoir tout savoir de vous, dans le moindre détail. Elle doit pouvoir connaître toutes vos dépenses, tous vos revenus, tous les éléments de votre fortune, si tant est que vous en ayez une, et s'assurer que vous ne lui cachez absolument rien qui ne puisse être imposé d'une manière ou d'une autre. Vous ne devez avoir aucun secret pour elle, a fortiori bancaire. Vous êtes de plus en plus en liberté surveillée.
Si vous avez par vos activités rejoint le club des plus riches, vous êtes l'objet d'une sollicitude fiscale que vous ne pensiez pas mériter. Alors vous cherchez des moyens de ne plus voir confisquer une grande part des fruits de vos activités, justes récompenses de votre travail et de votre créativité. Vous cherchez à vous évader de cette prison, plus ou moins douce. Vous avez tort, ou vous n'avez rien compris.
L'argent que vous avez gagné ne vous appartient pas. Il est propriété de l'Etat qui ne vous laisse que ce qu'il veut bien vous laisser après vous avoir assuré de services que vous n'avez pas demandés et dont, pour la plupart, d'ailleurs, vous ne profitez pas, puisqu'ils sont réservés aux protégés dont vous ne faites évidemment pas partie.
Aux Etats-Unis, comme dans d'autres pays, la main droite de l'Etat ignore volontairement ce que fait sa main gauche. La main droite américaine ignore, par exemple, ce que fait sa main sinistre en permettant au Delaware d'être le refuge non seulement d'évadés des fiscs latino-américains, mais la grande blanchisserie de criminels en tout genre en provenance d'Amérique Centrale et du Sud.
Les onze banques, dans le collimateur des Etats-Unis, s'en tireront comme l'UBS au terme d'une négociation entre Etats. Elles céderont en fait au chantage des Etats-Unis qui peuvent, via la Federal Reserve, les faire mourir en leur interdisant toutes activités en dollars : rien que pour cette raison il serait bon et moral que l'hégémonie ébranlée du dollar se termine enfin...
Les onze banques, tôt ou tard, paieront donc des amendes et livreront les noms de leurs clients américains. Un moment de honte étant vite passé, bientôt on ne parlera plus de cette ignominie, qui consiste à trahir ceux qui vous ont fait confiance et, comme Judas, à les livrer aux autorités.
Le secret bancaire, que l'on ne défend que quand il est violé au détriment d'un homme du sérail public qui a fauté, ne sera plus qu'un souvenir. Il faut bien vivre... et les banques suisses ont du savoir-faire, à défaut d'être en mesure de se conformer à leurs principes, dont l'infraction était naguère punissable.
L'Hebdo de cette semaine ici fait partie de ces résignés à la disparition du secret bancaire :
"L'affaire des banques prises dans le collimateur de la justice américaine n'est qu'un début. La Suisse devra aussi céder à l'Union européenne et aux pays émergents."
Même si l'Union européenne et les pays émergents ne pratiquent pas encore l'extraterritorialité en matière fiscale comme les Etats-Unis...
Un monde libre ne peut que reposer sur les droits de propriété et la protection de la sphère privée qui en découle. Le secret bancaire est un élément de cette sphère privée, auquel les Suisses sont majoritairement attachés. Avec sa disparition programmée par des Etats à l'esprit et à l'action totalitaires, le monde sera moins libre et c'est bien regrettable. Cela ne présage rien de bon.
Les clients étrangers des banques suisses, s'ils ne sont pas tentés de transférer leurs avoirs vers des cieux plus paradisiaques, devront donc vivre sans secret bancaire, c'est-à-dire moins bien, sous surveillance, transparents, exposés tout nus à leurs pays d'origine.
Puissent les clients fédérés, et résidents, des banques suisses, toujours bénéficier chez elles de la protection de leur intimité et de leur dignité à laquelle ils ont droit, jusqu'à présent !
Francis Richard