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13 août 2018 1 13 /08 /août /2018 19:00
Oh, de Gilbert Pingeon

Comme le titre du livre de Gilbert PingeonOh, le laisse présager, et comme on sait, les plaisanteries les plus courtes sont les meilleures. Il faut ici toutefois prendre le mot plaisanteries, même s'il n'est pas juste, dans ses deux acceptions:

 

L'auctor en question, autant homme de lettres qu'homme de mots, en effet fait rire et se moque, successivement ou simultanément, aux dépens des autres ou de lui-même...

 

Si ses mots font souvent mouche, ils ne mettent pas vraiment en colère le lecteur qu'ils visent parfois, mais le dérident, parce que, s'il est honnête, il ne peut que saluer l'ironie ou l'autodérision de l'artiste plutôt qu'argumenter avec lui.

 

Dans ce volume, qui se lit avec agrément, chacun relèvera les traits qui lui plaisent en particulier (il en trouvera à coup sûr), qu'il s'agisse d'histoires courtes ou de formules lapidaires, la légèreté des propos ne nuisant pas forcément à leur profondeur.

 

Quelques exemples choisis subjectivement valent mieux que toute démonstration besogneuse. Et, comme il s'agit de ne pas traîner en longueur, ce qui serait vraiment le comble, autant qu'ils soient brefs mais représentatifs de chaque partie du livre.

 

Moi tout craché

 

Je déteste nager parce que, plongé dans l'eau, je n'ai d'autre choix que d'éviter de me noyer.

 

Ma vie est une perpétuelle fuite à travers la jungle du doute. Et je crains fort, le moment venu, de ne pouvoir admettre la réalité de mon trépas.

 

Petites annonces

 

Petit pois musclé offre ses services comme videur de boîte.

 

Zoo particulier

 

Un bijou fait actuellement fureur chez les femmes à la page: la Puce à l'oreille.

 

Le vénérable Blaireau rase ses petits-enfants avec ses histoires barbantes du temps passé.

 

Petites annonces

 

Tromboniste en début de carrière cherche épouse mélomane susceptible de l'encourager en coulisse.

 

Philosophie à la petite cuillère

 

Avant chaque transfusion de sens, vérifier que le donneur et le receveur sont compatibles.

 

Métiers et vocations

 

On pouvait l'insulter, l'humilier devant ses proches, lui jeter des oeufs pourris, lui cracher au visage, il se tenait droit dans ses scandales.

 

Fourre-tout

 

L'amour se ment à lui-même en permanence sous peine de se dissoudre comme un mirage. Il est aveugle, confirme le bon sens. Du moins jusqu'au mariage et à l'apprentissage de la vie commune. Découvrir petit à petit un parfait inconnu peut prendre toute une vie et la remplir. Ou trois minutes et la ruiner.

 

Intermède

 

Tous les Peaux-Rouges ne marchent pas en file indienne.

 

Mots

 

Son obsession: avoir le dernier mot.

A dix-huit ans, il avait déjà rédigé son oraison funèbre.

 

Le lecteur d'un tel livre, où l'auteur pèse ses mots, ne peut s'ennuyer, sans doute parce que, même quand il se confie, ou feint de le faire, l'écrivain Pingeon respecte le conseil concis qu'il donne au romancier saisi par la fièvre autobiographique:

 

De grâce, que l'auteur laisse au lecteur la liberté de vagabonder entre les mots...

 

Francis Richard

 

Oh, Gilbert Pingeon, 312 pages, Éditions de l'Aire

 

Livres précédents:

Bref, Éditions de l'Aire (2015)

T, L'Âge d'Homme (2012)

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11 août 2018 6 11 /08 /août /2018 20:00
Luxure et châtiment, de Narcisse Praz

Parmi les Moires, Narcisse Praz a une prédilection pour Lachésis, qui, à plusieurs reprises, répartit les fils du destin dans son roman, Luxure et châtiment, où cet anar assumé règle ses comptes avec la religion catholique.

 

L'Église catholique, institution humaine, n'est, hélas, pas exempte de vilenies et celles que raconte l'auteur ne sont pas purement imaginaires, même si la facilité serait de généraliser... Ce qu'il se garde de faire trop ouvertement...

 

L'histoire se passe dans les très catholiques Valais et Fribourg des années 1940. Elle a pour héros un petit Valaisan originaire de Bassan, dans la vallée de Ninde, un contemporain de l'auteur, puisque né comme lui en 1929.

 

En septembre 1940 la famille Sornioz est composée des deux parents, mariés depuis quinze ans, et de quatre enfants seulement (ils n'ont que fort peu contribué à l'essor démographique de la patrie suisse et à l'expansion du catholicisme voulu par l'évêché valaisan de Sion...):

 

- le père, Cyprien, victime d'un AVC, deux jours et demi après avoir été mobilisé (il en aurait fallu trois pour qu'il soit indemnisé par l'Assurance militaire fédérale...)

- la mère, Honorine, travaillant de nuit à la mine de Chandoline (elle y trie le charbon dix heures durant pour un maigre salaire)

- le fils aîné, Hector, quatorze ans

- le fils puîné, Théophile, Théo, onze ans

- la fille aînée, Liliane, six ans

- la benjamine, Michelle, quatre ans

 

Parce que Théo est un enfant vif et intelligent, il a été repéré par le curé du village. Par lui alerté, le Père Sourire, alias Père Henri Cochet de la Congrégation de Saint François d'Alès, natif du lieu, décide qu'il a la vocation.

 

Honorine se laisse convaincre qu'il l'a et laisse emmener Théo à Fribourg. En effet ce sera pour la modeste famille une promotion sociale que d'avoir un prêtre dans la famille et, entre-temps, ce sera une bouche de moins à nourrir...

 

Ce sera aussi un moyen de détourner Théo de Thelma, qui a son âge, pour laquelle il éprouve un amour naissant et qui est une des deux petites bâtardes de Geneviève Michelet, mise au ban d'une société sensible au qu'en-dira-t-on.

 

Ce qui se passe au Juvénat alésien de Fribourg pendant les cinq ans et demi qui suivent est d'une telle précision que l'auteur ne peut que l'avoir vécu, en y ajoutant cependant une bonne dose romanesque de son cru.

 

Car le roman qui commence par une affaire d'amitiés particulières, rigoureusement proscrites en ces lieux mais pratiquées (faites ce que je dis, ne faites pas ce que je fais) à la faveur de chantages, tourne au genre policier et judiciaire.

 

L'histoire, tout à fait plausible, si fantasmée en partie, illustre les manigances de ceux qui abusent de leur ascendant sur les autres, tout en invoquant sans vergogne la transcendance pour justifier leurs vilains méfaits.     

 

Francis Richard

 

Luxure et châtiment, Narcisse Praz, 592 pages, Slatkine

 

Livre précédent:

Du fond du tiroir, Hélice Hélas (2014)

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8 août 2018 3 08 /08 /août /2018 21:30
Roger Nimier, masculin, singulier, pluriel, d'Alain Cresciucci

Pendant mes années adolescentes, peu après sa mort, j'ai lu tous les romans et essais déjà parus de Roger Nimier (1925-1962). En 1968, ces lectures se sont terminées avec L'Étrangère, le premier des romans qu'il écrivit, juste avant que de partir en exil en Suisse...

 

(pour être honnête j'ai lu un peu plus tard D'Artagnan amoureux et, plus récemment, Bal chez le gouverneur, édité pour le cinquantenaire de la disparition du hussard)

 

Ces lectures me permettaient à l'époque de respirer un autre air que celui confiné aux incontournables Sartre, Camus ou Breton, un air convenant davantage à ma nature rétive à toutes formes d'hypocrisies, de conformismes et d'engagements.

 

Aussi, après la lecture de son Jacques Laurent à l'oeuvre, celle de Roger Nimier, masculin, singulier, pluriel d'Alain Cresciucci, s'est-elle imposée, comme s'imposera bientôt celle de son Monde (imaginaire) d'Antoine Blondin, paru entre deux. 


Masculin, Nimier l'est: ce misogyne aime les femmes mais se défie de leur mécanique compliquée. Pour lui, a contrario, l'amitié, c'est beaucoup plus que l'amitié, comme il le dit à Jacques Chardonne, en le parodiant, dans une lettre qu'il lui adresse.

 

Singulier, il l'est parce qu'il ne prend pas les choses trop au sérieux et se veut désinvolte, qu'il manie l'ironie, l'insolence et l'ellipse comme personne, qu'il écrit classique se refusant à être ennuyeux, qu'il pratique la provoc et l'indifférence à bon escient.

 

Pluriel, il l'est parce qu'il mène plusieurs vies - il les croque à pleines dents: successivement, ou simultanément, il est romancier, essayiste, journaliste, scénariste, critique littéraire, préfacier, éditeur, mondain; et qu'il est le héros de plusieurs livres inspirés de lui.

 

Ces trois qualificatifs du titre sont développés savamment et lucidement par l'auteur, lequel donne fortement envie de lire, ou de relire, Nimier, dont la notoriété posthume n'égale évidemment pas l'anthume. Ce qui s'explique très simplement: 

 

Roger Nimier n'exhale guère l'air du temps. Inactuel? Intempestif? S'il a, auprès de quelques-uns, une influence, elle est contre ce temps et, on peut en rêver, au profit de l'avenir.

Nous en reparlerons dans un siècle ou deux...

 

Francis Richard

 

Roger Nimier, masculin, singulier, pluriel, d'Alain Cresciucci, 312 pages, Pierre Guillaume de Roux

 

Livre précédent:

Jacques Laurent à l'oeuvre (2014)

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4 août 2018 6 04 /08 /août /2018 22:55
Jours de Russie, de Frédérique Burnand

Les Jours de Russie de Frédérique Burnand sont ceux qu'elles a passés là-bas lors de trois séjours:

- d'abord pour apprendre la langue et la culture russes,

- puis pour s'y immerger tout en entretenant des relations avec celles et ceux qui y vivent,

- enfin pour donner à son tour après avoir reçu.

 

Pourquoi la Russie? 

- une lecture : Les malheurs de Sophie;

- un nom : Marina Lebedev;

- une chanson : Plaine, ma plaine, immense et si belle plaine;

- une arrière-grand-mère: Sophie, née dans la langue russe;

- un mot: Sibérie, comme un soupir, doux, vaste, qui m'imprègne depuis tout enfant;

- un livre: une Méthode de russe, achetée à seize ans.

 

Du 20 juillet au 5 août 2007, Frédérique Burnand se rend à Moscou pour étudier le russe au Centre de langues. Elle l'apprend, mais elle vit surtout au quotidien avec des Russes, fait des visites de lieux en leur compagnie, rencontre déjà des nostalgiques de l'époque soviétique (peu de libertés, mais l'État assumait toutes les charges...): elle en verra bien d'autres quelques années plus tard...

 

Du 1er mars au 5 avril 2012, elle se rend à Novossibirsk, au moment de l'élection présidentielle qui voit à la surprise générale (!), Poutine [être] élu au premier tour avec 63,6% des voix et au moment de la journée mondiale de la femme, qui est un jour férié sur tout le territoire de la Russie et qu'il n'est pas possible d'ignorer:

 

Partout, en gigantesques anglaises, il est annoncé urbi et orbi et signalé de façon plus ou moins lyrique et ampoulée, sur de larges banderoles au-dessus des boulevards, sur de grandes annonces aux devantures des magasins, à la une des journaux, sur des affiches, dans les stations de métro. "Bonne et heureuse fête aux femmes!"

[...]

Le lendemain matin, tout sera rentré dans l'ordre. banderoles enroulées pour l'année prochaine, et affiches prestement et nuitamment enlevées.

 

A la fin de son séjour, sa logeuse sibérienne lui propose de faire avec elle un périple à Tomsk:

 

Ce qu'elle ne me dit pas, c'est que la tournée des édifices religieux n'a rien d'une découverte touristique, il s'agit d'un pèlerinage (palomnichestvo) de dévotion et cela implique tous les offices religieux, dans de nombreux édifices. Or, le service orthodoxe, outre le fait qu'on y assiste debout quel que soit son âge, n'est pas précisément expédié en cinq minutes.

 

Après quelques vacances en Suisse (du 7 au 20 avril), Frédérique Burnand retourne en Russie, cette fois à Tcheliabinsk, en mai-juin, pour, à titre bénévole, travailler dans le service de cardiologie de l'hôpital: Le but de mon travail? C'est, en résumé, ouvrir les gens à leurs propres émotions, en partant de l'idée que le coeur, du moins symboliquement, en est le siège.

 

En tout cas, la méthode Burnand (bournandskii metod) fait merveille. Le bilan de ses 90 entretiens (de 45 minutes chacun) menés avec plus de 50 patients, qu'elle fait jouer sérieusement, est globalement très positif, si bien qu'on lui propose de revenir une semaine l'hiver suivant pour donner un cours à quelques étudiants, tous frais payés.

 

Elle attend toujours: le projet ne s'est pas réalisé...

 

Francis Richard

 

Jours de Russie, Frédérique Burnand, 288 pages, Éditions de l'Aire

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1 août 2018 3 01 /08 /août /2018 21:45
Le Suspendu de Conakry, de Jean-Christophe Rufin

Dans toute vie on trouve, à des degrés divers, un entrelacs de relations, d'oppositions, de contradictions.

 

La vie du sexagénaire Jacques Mayères est ainsi faite, sauf que toute vie ne se termine pas comme la sienne, tué par balle avant d'être suspendu au mât de son voilier, le Tlemcem, dans la marina de la capitale de la Guinée.

 

Le Consul Général de France est en vacances. Le Consul Aurel Timescu le remplace, s'intéresse au triste sort de ce ressortissant français et se charge de prévenir sa famille. Or ce petit diplomate est rien de moins qu'original.

 

Dans cette ville tropicale, il met un point d'honneur à ne rien changer à ses habitudes vestimentaires. Il est habillé comme il l'aurait été en plein hiver dans sa Roumanie natale ou, à la rigueur, en France, sa patrie d'adoption...

 

Rien ne prédestinait cet exilé à devenir un jour fonctionnaire au Ministère des Affaires étrangères. Après avoir été pianiste dans des bastringues, il a enseigné le piano à des jeunes filles et c'est ainsi qu'il a saisi sa chance...

 

Chance, c'est vite dit, puisque, actuellement, Aurel Timescu est dans un placard à l'ambassade de France. L'absence de son patron est une opportunité pour jouer au policier qu'il aurait voulu être et mener l'enquête, à sa manière.

 

Le coffre-fort de Jacques Mayères a certes été vidé de ses espèces mais, pourquoi, après avoir été tué par balle, son cadavre a-t-il été suspendu par un pied à la drisse de la grand-voile de son bateau? C'est incompréhensible.

 

Pourquoi la jeune guinéenne, Mame Fatim, avec laquelle il vivait depuis quelques semaines, a-t-elle été retrouvée nue, bâillonnée, pieds et poings liés, prétendant avoir été violée par l'assassin de ce chef d'entreprise à la retraite?

 

En exposant sur son mur l'entrelacs du Suspendu de Conakry, le héros de Jean-Christophe Rufin fait des rapprochements stupéfiants. Préalablement il a interrogé les témoins du passé proche et lointain de la victime...

 

Aurel Timescu carbure au vin blanc, de préférence du tokay. Cela fait partie de sa méthode d'investigation qui, si elle n'est pas toujours très orthodoxe, fait merveille dans un monde sans foi ni loi, où la locution in vino veritas se vérifie.

 

Francis Richard

 

Le suspendu de Conakry, Jean-Christophe Rufin, 320 pages, Flammarion

 

Livres précédents chez Gallimard:

Sept histoires qui reviennent de loin (2011)

Le collier rouge (2014)

Check-point (2015)

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29 juillet 2018 7 29 /07 /juillet /2018 17:50
Le Mage noir, d'Olivia Gerig

Le Mage noir attendait le message final, l'annonce de l'apocalypse et surtout la solution au Savoir universel. En d'autres mots la voie à suivre pour assurer la survie des élus, et d'eux seuls, lors de la fin du monde.

 

Mais n'anticipons pas...

 

Le lecteur doit d'abord recueillir sagement les morceaux du puzzle qu'Olivia Gerig sème intentionnellement tout au long de son récit. Car aucun n'est à négliger.

 

Le lecteur doit plus particulièrement garder en mémoire ceux qui apparaissent au tout début du récit, car ce sont les prémices indispensables à sa compréhension:

 

- Une cérémonie secrète dans les ruines de Rouelbeau, dans la campagne genevoise, en juillet 2015...

 

- La disparition non élucidée, quelque temps plus tôt, de Paul Leboeuf, schizophrène interné à sa demande à l'hôpital psychiatrique de Belle-Idée (rattaché aux Hôpitaux Universitaires Genevois), dont l'infirmière Jeanne s'occupait...

 

- La découverte, le 4 juillet 2015, par un agent immobilier, lors d'une visite avec des clients, d'un corps en décomposition, dans un chalet, au Châble-Beaumont (Haute-Savoie)

 

(L'enquête est confiée à l'inspectrice Aurore Pellet, de la police judiciaire d'Annecy, nièce de l'infirmière Jeanne...)

 

- Le constat, le 6 juillet 2015, par l'inspecteur Jules Simon du commissariat du 13e arrondissement de Paris d'un vol d'ossements dans les Catacombes... 

 

- L'hospitalisation, en mars 2015, d'un gendarme de Morzine, atteint semble-t-il du même mal que celui des possédées du village au XIXe siècle...

 

- La découverte, dans la cure de ce même village de Morzine, sur une étagère, par une jeune femme, en 1898, de livres de sorcellerie, le Petit et le Grand Albert, d'où s'est échappé un feuillet sulfureux, que, craintive, elle remet en place:

 

Ce n'est que près d'un siècle plus tard que le feuillet fut redécouvert, tombant entre les mains d'un individu aux intentions douteuses...

 

- Des flyers distribués dans les commissariats et les gendarmeries de l'Hexagone, en Suisse, en Belgique et au Québec, depuis quelques mois, invitant à des séminaires de développement personnel, intitulés Prenez le pouvoir sur votre vie...

 

L'inspectrice Aurore Pellet, bien qu'écartée très vite de l'enquête officielle par son supérieur revenu de vacances, en mène une officieusement sur le mort découvert au Châble-Beaumont.

 

Elle relie ainsi entre eux les éléments que l'auteur a préalablement révélés au lecteur et les approfondit, en se faisant aider, notamment par son ancien patron à la PJ d'Annecy, Claude Rouiller, qui a dû prendre une retraite anticipée en Belgique...

 

Ce sont les mêmes protagonistes que dans L'Ogre du Salève, que le lecteur retrouve dans ce roman policier, très bien construit par l'auteur, qui mêle savamment des faits historiques à des faits imaginés par elle.

 

Ce roman hallucinant n'est pas tout noir, en dépit de détails sordides et de desseins qui le sont tout autant, puisque Aurore, esseulée au début de l'histoire et encore traumatisée par l'histoire précédente, trouve peut-être l'âme soeur...

 

Francis Richard

 

Le Mage noir, Olivia Gerig, 496 pages, L'Âge d'Homme

 

Livres précédents chez Encre Fraîche:

Impasse khmère (2016)

L'Ogre du Salève (2014)

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27 juillet 2018 5 27 /07 /juillet /2018 22:15
Journal d'un amateur de fantômes, de Daniel Sangsue

Du 2 janvier 2011 au 15 novembre 2017, Daniel Sangsue a tenu son Journal d'un amateur de fantômes. Il l'a tenu parallèlement à sa vaste recherche sur les fantômes dans la littérature. Daniel Sangsue emploie l'expression inusitée aujourd'hui de pneumatologie littéraire, qui désigne cette science et qui était d'un emploi courant au XIXe siècle.

 

Dans ce journal il parle de fantômes et d'apparitions, à propos de livres, de films, de pièces de théâtre, de voyages, mais aussi de coïncidences spatiales et temporelles improbables, vécues par lui-même ou par d'autres, et qu'il relate dans ce journal, lequel débute au moment où paraît un livre sur ce thème et dont la parution coïncide avec celle d'un autre sur le même thème.

 

En 2011 il publie, chez José Corti, Fantômes, esprits et autres morts-vivants, essai de pneumatologie littéraire et, cette année, chez Hermann, Vampires, fantômes et apparitions, nouveaux essais de pneumatologie littéraire. Dans l'intervalle il publie, en 2012, chez Metropolis, un roman, Le Copiste aux eaux, où il est question de tables tournantes.

 

L'impulsion lui a été donnée par le Journal de Gide, pour qui le monde réel [demeurait] toujours un peu fantastique. Il ne s'agit pas d'un journal intime, mais plutôt extime, dans le sens où Michel Tournier l'employait (vouloir parler de ce qui entoure, comme dans les livres de raison), d'un journal d'exploration contre l'imploration (référence à Michel Butor).

 

Au long de ces sept ans, ce diariste stendhalien convoque nombre d'écrivains, connus et inconnus, qui se sont intéressés ou s'intéressent à la question, qu'il a rencontrés dans la réalité ou dans les bibliothèques, sans que la question puisse être tranchée: les revenants existent-ils ou leurs apparitions sont-elles dues à des hallucinations?

 

Le professeur à l'Uni de Neuchâtel ravit le lecteur avec ses citations, mais aussi avec ses digressions qui ne s'éloignent pas tant que ça du thème.

 

Ainsi quand il aborde le problème de la gestion des morts sur les réseaux sociaux (qui y poursuivent une existence virtuelle):

 

Les échanges entre morts et vivants sont [...] courants sur la Toile...

 

Comment ne pas souscrire à ce qu'il dit du combat entre le livre papier et le livre numérique qui oppose [...] le plaisir contre le pragmatisme, le corps contre la raison :

 

Comme la roue et la cuillère, le livre papier est imperfectible et indépassable (Umberto Ecco); le livre numérique ne procure pas le même confort de lecture que le livre imprimé.

 

Ou, quand il dit, après avoir utilisé plusieurs fois une tablette électronique:

 

Visionner des livres introuvables et des dossiers administratifs me semble le seul intérêt de la lecture sur tablette, que je trouve désagréable en mains et peu pratique pour retrouver des pages et des passages précis des textes.

 

Les connaisseurs apprécieront :

 

L'insomniaque est un fantôme. Il se meut entre le sommeil et la veille comme le fantôme erre entre la vie et la mort. Il est enterré vivant dans son lit d'insomnie. Quand il se promène dans la rue, il porte le regard d'un mort-vivant sur la vie...

 

Dans la recherche, il s'intéresse à l'originalité, à la singularité :

 

Les publications de Freud, Marx, Lévi-Strauss, Barthes, Starobinski - pour ne prendre que quelques exemples - sont-elles issues d'un travail d'équipe ?

 

L'aboutissement d'une recherche n'est pas non plus le résultat d'une planification :

 

La sérendipité (faire une découverte décisive en cherchant autre chose) et la happenstance (être au bon endroit au bon moment) sont les deux mamelles de [la] logique du hasard bienveillant.

 

En tout cas, la méthode de lecture préconisée par Michel Houellebecq et citée par l'auteur est la bonne et s'applique, bien sûr, à son journal :

 

Un livre [...] ne peut être apprécié que lentement; il implique une réflexion (non surtout dans le sens d'effort intellectuel, mais dans celui de retour en arrière); il n'y a pas de lecture sans arrêt, sans mouvement inverse, sans relecture...

 

Francis Richard

 

Journal d'un amateur de fantômes, Daniel Sangsue, 320 pages, La Baconnière

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17 juillet 2018 2 17 /07 /juillet /2018 22:00
Les îles naufragées, de François Hussy

François Hussy situe Les îles naufragées quelque part au milieu de l'Indonésie, de Timor et de la Nouvelle-Guinée. Dans cet archipel, deux îles, séparées par un détroit, Pierre et Joséphine (peut-être n'est-ce qu'une grande île):

 

Au début des années trente, un milliardaire a acheté une concession sur les îles. A la Hollande: l'Indonésie lui appartenait encore. Il les a baptisées du nom de son père et de sa mère...

 

Ce fondateur rêvait d'un empire dont Pierre et Joséphine auraient été le point de départ... Ce devait être un empire de Blancs, dont la ville serait toutefois construite par des Indiens et par des Coréens.

 

Au-delà de la Ville Blanche, réplique d'une ville d'Europe, sans doute Genève, il y a des faubourgs, la Ville Noire, et, encore au-delà, la forêt, peuplée d'indigènes, des Papous, appelés ici Katopis.

 

L'archipel est une République, qui n'est pas reconnue par la communauté internationale et dont les vrais maîtres sont les chefs du Milieu, tel Alistair Zemann, le banquier aux trois filles, l'une d'elles étant promise à Burt, le Hollandais.

 

On ne plaisante pas avec ce genre de gens, sadiques et sans scrupules. Albin qui travaille à l'épicerie Rondière, l'apprend à ses dépens. Il a voulu faire payer deux paquets de cigarettes rouges à Burt, l'offense suprême.

 

En effet Rondière, le patron, lui offre toujours ces deux paquets quand Burt passe à l'épicerie, mais, à dix-huit ans, Albi, jeune homme déjà costaud, a voulu les lui faire payer. S'il tient à la vie, il doit maintenant disparaître...

 

Au Milieu tente de résister le Mouvement de l'égalité dont les figures de proue sont un médecin, Gabriel Hutin, et un juge, Giovanni Sorente. Mais ce mouvement est le pot de terre contre le pot de fer du fabuliste...

 

Seulement il n'y a pas d'un côté les bons, de l'autre les méchants. L'arrivée d'Emilie, la voyageuse, ne lèvera de loin pas les ambiguïtés dans lesquelles se retrouvent tous les protagonistes de cette histoire équatoriale.

 

Sur l'île des forçats travaillent dans une mine d'or, à ciel ouvert. Pour éviter qu'ils ne se révoltent, ils sont tout juste maintenus en santé. Et, comme ils sont privés de femmes, la visite d'Emilie ne les laissent pas indifférents...

 

- C'est la nature qui veut le plaisir de l'homme, dit l'un des personnages avec cynisme. Pour qu'il fasse ce qu'elle lui commande. Dans la haine comme dans l'amour.

 

Tous les personnages ne pensent heureusement pas (ni n'agissent) comme lui... C'est pourquoi ces îles, escadre majestueuse de forêts dominant la mer, s'arracheront peut-être un jour enfin à la côte du malheur et de l'oubli...

 

Francis Richard

 

Les îles naufragées, François Hussy, 360 pages, L'Âge d'Homme (édition revisitée de celle de 1998)

 

La suite dans Revoir les îles.

 

Livres précédents :

 

Les deux premiers volumes de la trilogie Le voyage de tous les vertiges:

Dans un reflet rouge sur l'eau noire (2012) (rebaptisé: La porte pourpre des étoiles)

Le grand peut-être (2017)

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13 juillet 2018 5 13 /07 /juillet /2018 21:15
A l'aube, de Philippe Djian

Joan s'est enfuie de la maison quand elle avait dix-huit ans. Elle ne supportait plus ses parents, Gordon et Suzan, des activistes qui voulaient sauver le monde et ne vivaient que pour ça.

 

Quand ils meurent dans un accident de voiture, quinze ans plus tard, Joan décide de renouer avec son frère et de s'occuper de lui: Marlon a certes vingt-cinq ans, mais il est autiste...

 

Joan emménage donc dans la maison familiale, située en grande banlieue de Boston. Ce qui ne lui rend pas la vie facile: elle tient une boutique de vêtements avec Dora près d'Harvard Square.

 

Mais ce n'est pas sa seule activité: elle est aussi une des call-girls du réseau que dirige Dora. Une activité que, bien sûr, elle dissimule à Marlon, parce que cela pourrait le perturber davantage.

 

Alors, A l'aube de cette nouvelle vie, elle promet à Marlon de rentrer à la maison chaque jour avant la nuit, ce qui est, parfois, compliqué. Elle engage donc Ann-Margaret, une amie de Dora.

 

Seulement Ann-Margaret, la soixantaine bien conservée, ne se contente pas d'être une baby-sitter pour Marlon: elle l'initie au sexe, qui, pour les hommes, c'est connu, peut être un poison...

 

Howard, un ancien amant de sa mère, est aussi un des clients de Joan. Or il est persuadé que Gordon, avec qui il a milité autrefois, a dissimulé un sacré magot dans le sous-sol de la maison...

 

Marlon, instinctivement, a peur d'Howard d'autant que son père lui a fait jurer de garder un secret, dont il l'a nommé gardien. Mais Joan l'assure qu'il ne le verra pas quand il viendra au sous-sol...

 

L'atmosphère du roman est délétère. Si Joan peut trouver du réconfort auprès de Dora et de son mari Brett, auprès de Sylvie et de son mari John, le shérif-adjoint, il lui faut gérer Marlon:

 

Marlon était un vrai mystère. Vivre avec lui n'était pas de tout repos mais le monde dans lequel il évoluait la fascinait. Et ce monde lui faisait peur tout autant qu'il l'attirait...

 

La façon que Philippe Djian a de raconter cette histoire contribue à en entretenir le trouble et le mystère: le récit et les dialogues notamment s'enchaînent sans que s'ouvrent des guillemets...

 

Francis Richard

 

A l'aube, Philippe Djian, 192 pages, Gallimard

 

Livre précédent:

Dispersez-vous, ralliez-vous!, 208 pages, Gallimard (2015)

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11 juillet 2018 3 11 /07 /juillet /2018 22:55
La montagne que personne ne voit, de Nicolas Zambetti

La montagne que personne ne voit est un livre ponctué de récits de montagnes et de sentiments très personnels.

 

La montagne est pour Nicolas Zambetti une véritable passion: En tant que guide je prends vraiment mon pied quand, accompagné de clients doués, mes mandats me conduisent vers des parois de rêve. Une passion qui est née alors qu'il est encore tout jeune.

 

Dans les années 1980, il a lu Les 100 plus belles courses de Gaston Rébuffat. En mars 1987, il a suivi l'exploit de Christophe Profit  qui, en très peu de temps, a enchaîné les faces nord du Cervin, de l'Eiger et des Grandes Jorasses.

 

Ses rêves deviennent réalité avec ses courses de 1990 (le Cervin), 1991 (Les Grandes Jorasses) et 1992 (l'Eiger). En 1995 - il n'a pas 21 ans - il subit un échec au cours d'introduction du stage d'aspirant-guide, mais cela ne le décourage pas: il continue ses courses en montagne.

 

(En 2000-2002, il réussira sans trop de soucis le cursus de formation.)

 

1995 est également l'année de sa rencontre avec Frédérique, une voisine de quartier, de trois ans sa cadette, qui le soutiendra toujours. Il n'a désormais plus une seule chose dans sa vie, même s'il fait à sa copine des infidélités avec la montagne quand celle-ci lui fait de l'oeil...

 

De leurs amours naissent d'abord Mathilde, puis le 12 décembre 2008, Arthur, un enfant différent des autres. Une visite médicale, le 23 août 2010, révèle que lui et sa femme sont les heureux parents d'un magnifique spécimen de "happy puppet", ou "pantin hilare" en français.

 

Arthur est en effet atteint du syndrome d'Angelman:

Les enfants qui en sont atteints sont caractérisés par un retard mental, un déficit important de la parole, une démarche très saccadée. De plus, ils sont très joyeux, riant de façon inappropriée. Ils connaissent de grandes difficultés avec retard cognitif très important, des problèmes d'équilibre et de motricité...

 

L'auteur a gravi un jour une montagne que personne ne voit, mais la vie lui a réservé une autre à gravir, celle d'élever un Arthur sujet à des épilepsies et d'une hyperactivité telle qu'elle lui fera dire qu'elle l'a amené à vivre de nombreuses aventures pendant sa courte existence. 

 

Arthur est retrouvé mort le 23 avril 2015, à six ans. L'auteur est alors parcouru de sentiments personnels contradictoires. Si Arthur leur en a fait voir (toute la famille a souffert avec toi, nous avons "morflé grave" même), il leur manque maintenant pourtant, cruellement:

 

Une énorme raison de vivre s'est envolée, celle de protéger quelqu'un qui en avait besoin, qui en valait la peine, avec beaucoup d'attention et d'amour. Il nous en donnait énormément en retour. Nous avons perdu Arthur, mais nous avons aussi perdu une somme phénoménale de soucis entraînés par son handicap.

 

Alors ce livre dédié en premier lieu à Arthur, puis à Frédérique et à Mathilde, à sa mère Monique, à tous ceux qui les ont aidés, enfin aux parents d'enfants différents, est une façon pour lui de rendre hommage à son fils, une thérapie qui l'aide à panser ses plaies, le partage avec le lecteur d'une histoire vraie.

 

Sans doute la ténacité que suppose le métier de guide de montagne lui est-elle de quelque secours pour s'en sortir. Le fait de vivre intensément lors de ses courses en montagne lui permet certainement aussi de refaire le plein d'endorphine, un carburant essentiel pour lui...

 

Francis Richard

 

La montagne que personne ne voit, Nicolas Zambetti, 184 pages, Torticolis et  Frères

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8 juillet 2018 7 08 /07 /juillet /2018 11:15
Stand-by, Saison 1, 2/4, de Bruno Pellegrino, Aude Seigne et Daniel Vuataz

Avec cet épisode, l'aventure se poursuit en trois points du globe:

- au Groenland, avec les Green Teens qui ont terminé leur service climatique obligatoire;

- en France, avec Alix, qui vient d'échapper à un attentat à la Gare de Lyon, à Paris;

- au Monténégro, avec Nora, Virgile, Vasko, qui rejoignent par la route la ville où habite le père de ce dernier. 

 

Que se passerait-il s'il n'y avait plus de réseaux téléphoniques ? Si l'accès à internet n'était plus possible ? Si les avions suspendaient leurs vols sans que des grèves y soient pour quelque chose ? Si l'énergie électrique venait à manquer ?

 

C'est bien à ce scénario catastrophe que les auteurs de la série littéraire Stand-by, Saison 1, convient de nouveau le lecteur avec cet épisode 2/4. Les adeptes de la décroissance seront certainement ravis d'apprendre que mère nature peut en être responsable.

 

Vingt-quatre heures plus tôt, en effet, un volcan, un super-volcan, dans la région de Naples a fait irruption et a répandu ses cendres à profusion dans l'atmosphère. C'est donc lui le responsable de ces perturbations qui se répercutent à travers le monde entier.

 

Cette fois, l'homme, malheureusement pour les esprits chagrins, n'y est pour rien, l'homme qu'orgueilleusement et habituellement, l'on accuse de tous les maux qui s'abattent sur la planète, lui prêtant un pouvoir qu'il n'a pourtant vraisemblablement pas...

 

Dans cet épisode, le lecteur suit les protagonistes de la série dans leurs errances : en dépit du réchauffement climatique, l'hiver au Groenland commence à sévir; Alix erre, l'âme en peine, dans la banlieue parisienne; les trois ados filent difficilement vers leur destination balkanique.

 

Les mots-clés de ces errants, livrés aux conséquences de l'imprévisibilité de la nature, pourrait être humilité et survie : il leur faut s'adapter aux circonstances, faire preuve d'ingéniosité et de persévérance. En somme, faire ce que l'homme a toujours fait depuis qu'il est apparu...

 

Francis Richard

 

Stand-by, Saison 1, 2/4, Bruno Pellegrino, Aude Seigne, Daniel Vuataz, 112 pages,  illustré de dessins de Frédéric Pajak, Zoé

 

Épisode précédent:

Stand-by, Saison 1, 1/4

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7 juillet 2018 6 07 /07 /juillet /2018 19:00
Retour à Cormont, de Michel Bühler

A 62 ans, Eustache Joubert est arrivé à la moitié de son âge, autrement dit c'est maintenant un jeune retraité. Un vieux du village de Cormont, un facétieux, à qui, jeune homme, il avait demandé son âge lui avait dit: Je vais vers mes huitante ans. J'ai fait la moitié...

 

Pendant quarante ans, Eustache a été fonctionnaire à l'État de Vaud, au Service des statistiques. En raison de la crise, à 22 ans donc, il avait quitté Cormont, autrefois patrie mondiale du coucou, pour saisir l'opportunité d'entrer dans l'administration cantonale.

 

Parce que son loyer, à Lausanne, va doubler - l'immeuble dans lequel il habite va être rénové - que l'air de la montagne ne peut que lui faire du bien et qu'il a vu une petite annonce y signalant un charmant deux pièces au loyer raisonnable, il fait son Retour à Cormont,

 

Il n'a pas le coeur de se séparer de ses livres, des romans policiers dans lesquels il a trouvé le piment et le parfum d'aventure qui manquaient à [sa] petite vie. Ce n'était pas une passion pour les énigmes mais une aimable distraction pour homme pondéré.

 

Son retour au village de son enfance commence fort. En se baladant du côté des Caves, une suite de surplombs, d'abris sous roches, qui se succèdent par vagues sur une centaine de mètres, il fait une découverte qui le fige sur place et lui fait battre le coeur:

 

A trois pas, sur un rocher, des ossements auxquels sont encore attachés des lambeaux de chair et de vêtements, un crâne aux orbites vides, au rictus effrayant.

 

Il dévale la pente. Au chalet de Grand-Mont, où se trouve un café, il annonce la nouvelle et appelle la maréchaussée, son prénom, Eustache, apportant avec lui son lot de bonne humeur... Quelle peut être l'identité du défunt ? Il n'en a pas la moindre idée.

 

Au Café Industriel, un habitué a sa petite idée: c'est un pensionnaire du Centre de requérants d'asile (ça ferait toujours un étranger de moins, non?). Au Malibu, un autre penche pour un cassos, un cas social (un qui disparaîtrait, on ne s'en apercevrait pas...).

 

Eustache est outré par ces idées reçues, mais, comme il a l'esprit de l'escalier, il lui faut des heures pour aligner les arguments pour descendre celles-ci... Des idées reçues, il en a lui aussi puisqu'il considère l'homo sapiens comme une odieuse espèce animale...

 

Cet ancien fonctionnaire garde ainsi une haute idée de l'État. Qui permet à l'homme, cet animal grégraire, de tirer avantage des communautés qu'il a organisées : il est donc normal qu'il paie pour les routes, le système éducatif, la sécurité que lui garantit la police...

 

Eustache pousse le bouchon quand il fustige l'arrogance des privatiseurs de toutes sortes et pense de son ancienne cheffe, adepte du New Public Management, qu'elle est obligatoirement une tête de pont de ceux qui, comme Ronald Reagan, affirmaient:

 

L'État n'est pas la solution à nos problèmes; l'État est le problème.

 

Mais il a aussi du bon sens: il sait d'expérience que ce qui est nouveau n'est pas forcément meilleur et qu'il convient de faire la distinction. Ce bon sens le met à distance des propos forts de café... du commerce qui se tiennent dans les bistros de Cormont...

 

Car l'action se passe la plupart du temps dans les bistros du village. Et Michel Bühler, certainement fin observateur de ces lieux, permet au lecteur de s'y retrouver, par la magie du verbe, comme s'il y était. La phrase qui conclut le roman est de cet acabit :

 

- Des fois, il faudrait écouter les gens qui se taisent !

 

Francis Richard

 

Retour à Cormont, Michel Bühler, 224 pages, Bernard Campiche Editeur

 

Livre précédent :

La chanson est une clé à molette (2011)

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4 juillet 2018 3 04 /07 /juillet /2018 22:00
Brassens - Mais où sont les mots d'antan ?, de Jean-Louis Garitte

Les amoureux de la langue française et de ses mots ont pour amis fidèles les dictionnaires, dont les plus connus sont le Littré, le Larousse et le Robert.

 

Moins connu le Dictionnaire des mots rares et précieux, édité il y a plus de cinquante ans par Seghers, puis réédité il y a quelque vingt ans par 10/18, est un petit joyau.

 

Jean-Louis Garitte, un passionné de Georges Brassens (1921-1981) - qui ne le serait pas s'il aime la langue française ? - a eu l'idée, apparemment saugrenue, apparemment seulement, de faire un dictionnaire des mots et des expressions employés par le poète sétois dans ses chansons:

 

Près de deux cents chansons ont été prises en compte, y compris celles que le chanteur n'a pas interprétées, comme entre autres celles qui ont été écrites peu avant 1981, ainsi que quelques inédites.

 

Georges Brassens était un grand lecteur de poésie, deux ou trois bouquins par jour quand il était vingtenaire...

 

Comme chez tous les grands auteurs qui tiennent leur langue - je pense à la langue anglaise de William Shakespeare - il y a chez lui la coexistence d'une langue soutenue, au vocabulaire recherché et aux tours soignés, et d'une langue populaire, volontiers argotique.

 

Brassens emploie des archaïsmes, parce qu'il aime ça (Alexandre Soljenitsyne en emploie, dit-on, dans sa langue russe) :

 

J'ai le goût des choses un peu antiques, disait-il, je ne suis pas le seul, d'ailleurs : il y a bien des gens qui achètent des vieilles lanternes et qui me reprochent de parler le français dans mes chansons.

 

Brassens emploie aussi un nombre incroyable d'expressions communes ou moins connues [qui] enrichissent considérablement la chanson et soulignent la beauté de la langue française.

 

Brassens emploie ce que Jean-Louis Garitte appelle des phrases défigées ou remaniées : Il s'agit d'expressions, de locutions, bien connues dans une forme fixe et qui sont ensuite légèrement transformées, réanimées pour trouver une allure originale.

 

Brassens emploie beaucoup de noms propres qui relèvent souvent la valeur du texte par la référence proposée et fait beaucoup d'allusions à des oeuvres littéraires ou artistiques, ou encore à des faits historiques.

 

En deux mots, richesse et qualité, se résume la langue de Brassens, qu'il met au service de qualités humaines véritables, les siennes, telles que la défense de la liberté, la modestie, la fidélité en amitié, la sollicitude envers les démunis, l'indépendance d'esprit et le rejet des modes, l'aptitude à l'humour et la grande tolérance, l'attachement au passé et la générosité...

 

Ce gros dictionnaire est donc lui aussi un joyau, qui peut être non seulement un usuel pour retrouver Brassens disparu, mais un usuel pour retrouver le sens

- d'un mot : Anarchie : sens positif (rare) : Système suivant lequel l'individu doit être émancipé de toute tutelle étatique...

- d'une expression : Ce que c'est que de nous : C'est-à-dire voyez quelle est la chétive condition de l'humanité

- d'une phrase défigée : Il n'y aura pas de pleurs ni de grincements de fesses : Sur le modèle d'Il y aura des pleurs et des grincements de dents : allusion biblique décrivant les malheurs dans les ténèbres, l'enfer. Ici, pas de regrets.

 

ou l'origine d'une allusion : Mon prince, on a les dames du temps jadis qu'on peut : [...] allusion à la Ballade des dames du temps jadis de Villon...

 

Et si, comme Saint Thomas, vous doutez d'une occurrence, l'auteur donne la référence du texte où elle apparaît...

 

Faites comme moi : mettez en parallèle ce dictionnaire, dont le titre est à la fois une phrase défigée et une allusion littéraire, et les textes imprimés qui chantent d'eux-mêmes:

 

Je décalque la musique sur le texte, je suis le rythme du vers, confessait le chanteur-poète...

 

Francis Richard

 

Brassens - Mais où sont les mots d'antan?, Jean-Louis Garitte, 762 pages, Atlande

Brassens - Mais où sont les mots d'antan ?, de Jean-Louis Garitte

Poèmes et chansons, Georges Brassens, 416 pages, Collection Points - Série Point Virgule (1993)

 

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Présentation

  • : Le blog de Francis Richard
  • : Ce blog se veut catholique, national et libéral. Catholique, il ne s'attaque pas aux autres religions, mais défend la mienne. National, il défend les singularités bienfaisantes de mon pays d'origine, la France, et celles de mon pays d'adoption, la Suisse, et celles des autres pays. Libéral, il souligne qu'il n'est pas possible d'être un homme (ou une femme) digne de ce nom en dehors de l'exercice de libertés.
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  • De formation scientifique (EPFL), économique et financière (Paris IX Dauphine), j'ai travaillé dans l'industrie, le conseil aux entreprises et les ressources humaines, et m'intéresse aux arts et lettres.
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