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31 mars 2018 6 31 /03 /mars /2018 22:55
Et vous avez eu beau temps ?, de Philippe Delerm

Dans ce recueil sont rassemblés des dizaines de petites phrases, qui donnent chacune un titre à un petit texte, où Philippe Delerm commente et montre le sens dont elles sont chargées en réalité, souvent perfide sans en avoir l'air.

 

Certaines de ces phrases sont des petites phrases toutes faites, d'autres sont circonstancielles. Une petite phrase toute faite c'est, par exemple, Et vous avez eu beau temps?; une petite phrase circonstancielle: Il aimait ça, le Monopoly.

 

Les phrases toutes faites sont peut-être les plus redoutables: elles sont dites la plupart du temps sans que le locuteur ou la locutrice ait conscience de tout ce qu'elles impliquent; elles sont pourtant révélatrices de ce qu'il ou elle pense.

 

Grâce à l'observation de la vie quotidienne de ses contemporains (grâce peut-être aussi à l'introspection) et à sa connaissance des subtilités de la langue française, l'auteur donne au lecteur matière à réflexion et à jubilation avec ces petits textes.

 

Il faut d'ailleurs se demander si le lecteur ne va pas cependant sortir traumatisé d'une telle lecture: ne va-t-il pas devoir tourner plusieurs fois sa langue dans sa bouche avant de sortir, ou pas, à un interlocuteur (ou interlocutrice) une de ces petites phrases?

 

Parmi les soixante-huit petits textes du livre, il n'y a que l'embarras du choix. Il faut pourtant en choisir un de chaque type de petite phrase pour donner un aperçu apéritif de ce livre, précieux parce qu'intelligence des mots dits en toute spontanéité.

 

Chez nous, c'est trois: il s'agit de la bise que l'on se donne en arrivant ou en partant: Ce rapprochement abusif a tout de l'esquive. On embrasse le vent; ce joue contre joue sollicite très peu les lèvres. Le premier aller-retour effectué, on s'en tiendrait bien là...

 

C'est sans compter sur l'interlocuteur qui affirme: Chez nous, c'est trois! Philippe Delerm trouve bizarre ce chez nous: Sa récurrence ne permet guère de le rattacher à une coutume géographiquement répertoriée... (en Suisse, c'est pourtant la coutume...)

 

Il ajoute: En tout cas l'initiative n'est pas personnelle, elle s'appuie sur un fonds de sagesse partagée. Nous nous connaissons à peine mais bisons-nous à l'envi. C'est sans conséquence et sans équivoque ce rapprochement des chairs.

 

Il en conclut: Mine de rien, ça vous réduit au rôle peu flatteur de pisse-froid. Brassens n'appréciait guère les imbéciles heureux qui sont nés quelque part. On ose parier qu'il ne goûtait pas davantage les biseurs de chez nous...

 

Celui qui l'a fait ne nous l'a pas vendu: c'est ce que répond Céleste Albaret à Marcel Proust, après qu'il lui a dit qu'il lui faisait perdre son temps. Cette réponse plaît tellement à ce dernier qu'il lui dit qu'il la mettra dans son livre...

 

Le fait est que cette petite phrase figure dans La Recherche... Philippe Delerm remarque: Si l'on ne croit pas en Dieu, la phrase de Céleste est encore plus belle. Il ne s'agit plus alors de gratitude envers le créateur mais de tendresse à l'égard de la vie:

 

Le temps donné à chaque être est [...] un cadeau.

 

Et le temps passé à lire ce livre en est un que fait l'auteur au lecteur, qui s'y retrouve...

 

Francis Richard

 

Et vous avez eu beau temps? - La perfidie ordinaire des petites phrases, Philippe Delerm, 176 pages, Seuil

 

Livres précédents:

Le trottoir au soleil, 192 pages, Gallimard (2011)

Les eaux troubles du mojito, 128 pages, Seuil (2015)

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30 mars 2018 5 30 /03 /mars /2018 22:55
Centre, de Philippe Sollers

Lola, cette fois, s'appelle Nora, petite brune de 40 ans, aux yeux bleus. Elle est psychanalyste, très marquée par les figures de Freud et de Lacan. Elle aurait pu être mathématicienne: Un être humain, après tout, est une équation plus ou moins compliquée à résoudre...

 

Bien que petite fille du chef d'orchestre Léonard Bernstein, elle écoute peu de musique. Freud et Lacan ne s'y intéressaient pas... Mais elle aime bien la littérature, la vraie, surtout Kafka et Dostoïevski. Étrangement pas de Bible à l'horizon. Mais Freud, toujours Freud.

 

Lui, son amant, écrivain controversé comme l'est aujourd'hui devenu Philippe Sollers, rejoint le Centre, où se situe l'oeil du cyclone et d'où il regarde sereinement ce qui tourne autour de lui, après avoir fait le tour, sur sa circonférence, de la dévastation générale:

 

La dette est colossale, le chômage explose, les attentats crépitent, les prisons sont pleines, les banques règnent, les lobbys médiatiques sont déchaînés, le climat est détraqué, l'hystérie, et sa voix saccadée, est à son comble...

 

Tout cela ne l'empêche pas, en considération de l'histoire, de croire plus que jamais aux progrès de l'esprit humain. Et puis, se dit-il: l'eau coule toujours sous les ponts, les arbres fleurissent, et, comme d'habitude, ma complicité est totale avec les oiseaux...

 

Avec Freud, ce détective d'un genre nouveau, il sait que l'espèce humaine, et c'est son charme, est très ancienne. Comme Freud, il ne pense pas qu'une société ait besoin de religion, mais remplacer une religion par une autre est un travail titanesque, extrêmement délicat...

 

Il ose avouer: Je vis chaque minute comme une préparation à être savouré par le néant. Il m'attend, je salive, je suis sa proie préférée, je lui dois tout, même si rien n'est tout. Aucun désespoir, le soleil brille, et voici le soir charmant, ami du criminel. Il roule au néant en musique...

 

Il ne s'étonne pas de l'hostilité que d'aucuns ont envers la psychanalyse: L'analyse est l'absolu contraire du "être ensemble", seriné par la propagande sociale. La singularité humaine qu'elle découvre n'est-elle pas une vérité qui les dérange et qui remet en cause l'ennuyeuse uniformité?

 

Le mot de la fin, qui sonne comme une devise?

 

La réalité est une passion triste, le désir un réel joyeux.

 

Francis Richard 

 

Centre, Philippe Sollers, 128 pages, Gallimard

 

Livres précédents chez Gallimard:

Trésor d'amour (2011)

L'éclaircie (2012)

Médium (2014)

L'école du mystère (2015)

Mouvement (2016)

Beauté (2017)

 

Livre précédent chez Grasset, avec Franck Nouchi:

Contre-attaque (2016)

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27 mars 2018 2 27 /03 /mars /2018 22:45
Un voile de coton, d'Amélie Plume

Amélie Plume a un projet, celui de comprendre pourquoi il lui a été difficile de trouver son chemin, de le faire, alors que l'image d'elle que lui renvoient les autres n'est pas celle-là. Pour y parvenir, elle va remettre ses pas dans ceux de son enfance, et, même, de son adolescence.

 

Quand on fait le chemin inverse à celui que l'on a pris, il n'est pas rare que l'on retrouve le fil perdu en cours de route. Amélie Plume va peut-être ainsi trouver une réponse à sa double question lancinante: pourquoi avoir été partagée, pourquoi toujours cette envie de partir?

 

Elle n'en est pas à son coup d'essai d'écriture pour y voir plus clair: elle a déjà commis quatorze livres avant celui-ci. Mais celui-ci est particulier. Il devrait lui révéler des mouvements plus profonds que les précédents, à partir de deux approches, l'une horizontale et l'autre verticale.

 

L'approche horizontale est géographique: elle va faire un tour du côté de la terre de [son] enfance, à commencer par La Chaux-de-Fonds, sa ville natale, pour se rendre d'abord dans ce qui fut le Jura bernois, puis dans le Jura neuchâtelois, où se trouve La Brévine, un fantasme:

 

Peu ou pas de souvenirs d'enfance dans ce village, sinon qu'il y faisait très froid et que sa basse température était une référence météorologique capitale pour les écoliers de la région qui étaient dispensés d'école si elle atteignait - 40 degrés.

 

Son port d'attache reste toutefois Genève dans cette quête d'elle-même. Depuis là, pour faire son tour, elle renonce à la voiture, car elle a peu d'entrain à conduire. Elle jette son dévolu sur le train et réalise un vieux rêve, celui de prendre un abonnement général, un AG, son AG.

 

Le lecteur charmé l'accompagne dans son pèlerinage aux sources, sept dizaines d'années plus tard, et même un peu plus. Il découvre sa prédilection pour l'altitude afin d'y retrouver le soleil et d'y échapper à la grisaille genevoise ou au stratus du plateau: est-ce cela le voile de coton?

 

Il ne faut cependant pas entendre l'expression au sens propre, mais au figuré. Son approche existentielle devient désormais verticale, c'est-à-dire historique. Et elle réalise son projet, auquel elle tenait et qui était, en fait, recherche d'écume, de lame de fond, de scénario original.

 

Elle va être servie en matière d'écume, de lame de fond. Mais le scénario ne s'avérera pas si original que ça, même s'il sera d'un romantisme que la réalité démentira. Venue à bout de son projet, non sans avoir égayé le lecteur par sa vision singulière des choses, elle peut lever le pied:

 

Oui, qu'attendre encore pour se prélasser au soleil couchant?

 

Francis Richard

 

Un voile de coton, Amélie Plume, 112 pages, Zoé (sortie le 5 avril 2018)

 

Livre précédent:

Les fiancés du Glacier-Express (2009)

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25 mars 2018 7 25 /03 /mars /2018 22:55
La disparition de Stephanie Mailer, de Joël Dicker

Dans la région des Hamptons, située au nord-ouest de Long Island (État de New York), la petite ville balnéaire d'Orphea est le lieu d'un quadruple meurtre dans la nuit du 30 juillet 1994, jour inaugural de son premier festival national de théâtre.

 

Le maire de la ville, Joseph Gordon, sa femme Leslie et leur fils de 10 ans, ainsi qu'une jeune femme, Meghan Padalin, qui faisait du jogging à proximité de leur maison, sont assassinés par balles, tirées d'un Beretta au numéro de série limé.

 

Après une enquête minutieuse, l'assassin, Ted Tennenbaum, est identifié par les deux policiers chargés d'élucider l'affaire, Derek Scott et Jesse Rosenberg, mais il est tué lors d'une course-poursuite et ne passera donc jamais aux aveux.

 

Vingt ans après, le 23 juin 2014, se déroule une petite réception sur le parking du centre régional de la police d'État new-yorkaise à l'occasion du départ de la police, après 23 ans de loyaux services, du capitaine Jesse Rosenberg, 45 ans, 

 

Alors que ses collègues l'ont baptisé capitaine 100%, parce qu'il a résolu toutes les enquêtes auxquelles il a participé, une journaliste, Stephanie Mailer, 32 ans, l'aborde et lui dit:

 

- Ça vous dérange si je vous appelle capitaine 99%?

 

La jeune journaliste, qu'il voit pour la première et dernière fois, affirme qu'il n'a pas résolu sa première affaire, celle du quadruple meurtre d'Orphea  et qu'elle va en avoir la preuve irréfutable, lors d'un rendez-vous le jour même:

 

- La réponse était sous vos yeux, capitaine Rosenberg. Vous ne l'avez simplement pas vue.

 

Stephanie Mailer, en le quittant, lui dit à bientôt, mais il n'y aura pas de bientôt, parce que ce 23 juin est le jour de La disparition de Stephanie Mailer, disparition qui décide Jesse Rosenberg à différer son départ de la police prévu le 30 juin.

 

Il ne va pas être seul à refaire l'enquête. Son ancien coéquipier, Derek Scott, qui fait pourtant maintenant partie de la brigade administrative, et Anna Kanner, chef-adjoint de la police d'Orphea, se joignent à lui pour résoudre l'énigme.

 

C'est un sacré puzzle et il leur faudra beaucoup de temps pour en emboîter les pièces, d'autant qu'ils partiront à plusieurs reprises sur de fausses pistes, sur lesquelles Joël Dicker les lance pour les égarer savamment et le lecteur avec.

 

Il y a en effet plusieurs histoires dans cette histoire, dont l'un des mots-clé est La Nuit noire, et plusieurs jours où tout bascule dans la vie des protagonistes. Ce qui n'est pas pour déplaire au lecteur qui ne s'ennuie pas un seul instant.

 

Les événements semblent se répéter à vingt ans de distance. Les chapitres sont d'ailleurs numérotés négativement jusqu'à la première du 21ème festival national de théâtre, et positivement à partir de cette date de basculement.

 

L'auteur n'est pas dépourvu d'humour. L'un de ses personnages, critique littéraire, décrit ainsi sa profession: Je n'ai jamais, et je dis bien jamais, rencontré un critique qui rêvait d'écrire. Les critiques sont au-dessus de cela. Écrire est un art mineur...

 

Le même, décidément en verve, hiérarchise ainsi les genres littéraires:

 

Il y a en tête de gondole le roman incompréhensible, puis le roman intellectuel, puis le roman historique, puis le roman tout-court, et seulement après, en bon avant-dernier, juste avant le roman à l'eau de rose, il y a le roman policier.

 

D'aucuns de ces fats de critiques disent même que ce mauvais genre n'est pas de la littérature du tout... Ce dont le lecteur se moque: il est comme l'un des personnages de Molière qui voudrait bien savoir si la règle de toutes les règles n'est pas de plaire...

 

Francis Richard

 

La disparition de Stephanie Mailer, Joël Dicker, 640 pages, Éditiond de Fallois/ Paris

 

Livres précédents:

Les derniers jours de nos pères (2012)

La vérité sur l'Affaire Harry Quebert (2012)

Le livre des Baltimore (2015)

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21 mars 2018 3 21 /03 /mars /2018 23:55
Relever les déluges, de David Bosc

Relever les déluges est une expression  employée par Arthur Rimbaud, dans Après le déluge, la première de ses Illuminations. D'aucuns, bien sûr, l'interprètent de cette façon: le déluge serait synonyme de révolte dans la langue rimbaldienne. Ce qui est bien possible.

 

L'expression éponyme du recueil de quatre nouvelles de David Bosc ne laisse en tout cas pas de susciter les interrogations du lecteur, qui se demande ce qu'il peut y avoir de commun entre les quatre protagonistes mis en nouvelles et qui se répondent d'un siècle l'autre.

 

Ces quatre personnages en quête d'histoire sont en effet: le premier, l'héritier d'un trône au XIIIe siècle; le deuxième, un valet de ferme du XVIIIe; le troisième, un maçon pendant la Guerre d'Espagne; le dernier, un jeune auteur, début XXIe, d'un essai sur Zo d'Axa.

 

Farid Imperator est le nom donné à l'Empereur des romains, Frédéric II de Hohenstauffen. Qui se distingue par le fait qu'il n'a jamais cessé d'apprendre (alors que l'Église enseigne qu'il est doux de ne pas savoir)... Défait, ce polyglotte, s'éloigne en fredonnant...

 

Mirabel, Honoré de son prénom, imagine qu'un revenant lui a indiqué où se trouvait un trésor. Il est tellement persuasif, quand il raconte son histoire, qu'il est cru sur parole par ceux qui vont devenir ses comparses et dupes. Il le payera cher, mais le vrai trésor est ailleurs...

 

Miguel Samper est maçon. Quand le coup d'État militaire a lieu, il est enrôlé dans l'armée populaire. La donne change lorsque cette armée n'est plus qu'une armée; il en a assez; il part, avec ses outils, laissant son fusil; blessé, Le grelot d'un chien de berger le sauve...

 

Denis fait l'abordage, en douceur, d'un navire dans le port de Marseille avec deux complices, rejoints par une cohorte de garçons et de filles arborant le drapeau noir à tête de mort. Dans les Écritures, il est plusieurs fois question d'Un onagre, c'est-dire d'un âne sauvage...

 

Qu'ont en commun ces quatre personnages? Ils croient en la liberté, l'égalité, la fraternité. Au moment où il semble qu'elles soient à portée, elles s'évanouissent; leurs espérances sont déçues. Ils ne semblent pas pour autant abattus: ils relèvent la tête sinon leurs déluges... 

 

Francis Richard

 

Relever les déluges, David Bosc, 96 pages, Verdier

 

Livre précédent:

Mourir et puis sauter sur son cheval (2016)

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17 mars 2018 6 17 /03 /mars /2018 22:30
Le beau monde, de Laure Mi Hyun Croset

Tout le gratin était là, et il ne s'agissait pas d'une jet-set nouvellement adoubée dans le monde du fric et des affaires. Parmi les Français, il y avait surtout des aristocrates, dont beaucoup étaient désargentés mais arboraient dignement au quotidien leur Barbour ou leur veste en loden rapiécée aux coudes.

 

Cinq cents personnes sont là pour assister au mariage fastueux de Louise Jeanneret et de Charles-Constant de Cotton de Puy-Montbrun: messe en latin à l'Abbaye Saint-Philibert de Tournus, cocktail en son cellier, dîner placé au Château de Pierreclos pour la crème des invités à l'hyménée.

 

Seulement la fiancée fait faux bond au dernier moment et le mariage est reporté. Bien qu'il n'y ait plus d'union devant Dieu, les agapes ne sont pas pour autant annulées. Tout Le beau monde se précipite de l'église au cellier. Des gens s'y répandent en récits truculents sur l'absente:

 

- Un professeur de lettres à l'Université de Genève quand Louise y était étudiante, avait été son initiateur à la culture.

 

- Un ancien étudiant comme elle à ladite université, issu d'un haut lignage, l'avait soutenue dans l'adoption des usages du beau monde.

 

- Un ancien élève d'une école technique l'avait abordée à la bibliothèque puis séduite.

 

- Un ancien étudiant en sciences politiques l'avait initiée à la philosophie politique.

 

- Un jeune homme, comme elle, voulait se consacrer à l'écriture et, au contraire d'elle, n'était pas parvenu à vivre de ses droits d'auteur.

 

De ces récits l'image de Louise sort quelque peu ternie, même si elle trouve des défenseurs. Ce n'est certainement pas ainsi que les invités imaginaient la fiancée. Mais ils ne se sont pas déplacés pour rien: sa présence en creux s'avère plus passionnante qu'une robe, même dotée d'une traîne...

 

Au fil des chapitres, au nombre de sept, comme les péchés capitaux, et comme les sacrements de l'Église catholique, dont ils portent d'ailleurs chacun l'un des noms, le jeu de massacre ayant pour cible la blonde romancière à succès se poursuit quand les invités passent du cellier au château.

 

Louise est une enfant trouvée: elle ne fait pas partie de ce monde, dont, abandonnant leur souci habituel des convenances, les représentants, en dégoisant sur elle, montrent une face cachée qui n'est guère brillante. Ils laissent en tout cas perplexe l'assistance en faisant d'elle un portrait gigogne...

 

Ces récits, satire de ce beau monde et de mondes qui ne le sont pas, permettent à l'auteur de s'exprimer dans des registres très différents et de ne pas s'épargner elle-même, faisant preuve d'humour et de lucidité: y a-t-il des romans autres qu'autobiographiques? s'interroge l'un de ses personnages...

 

Quant à la fin du roman, c'est la cerise sur la pièce montée de ces noces qui n'auront pas eu lieu. Le lecteur, à bon droit, peut s'interroger à son tour: contrairement à l'adage, après tout ce déballage inconvenant et toutes ces ripailles indécentes, les absents ont-ils vraiment toujours tort?

 

Francis Richard

 

Le beau monde, Laure Mi Hyun Croset, 208 pages, Albin Michel

 

Livres précédents:

Les velléitaires Éditions Luce Wilquin (2010)

Polaroids Éditions Luce Wilquin (2011)

On ne dit pas je BSN Press (2014)

S'escrimer à l'aimer BSN Press (2017)

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14 mars 2018 3 14 /03 /mars /2018 22:00
Là où lac et montagne se parlent, de Didier Burkhalter

L'histoire des hommes commence il y a à peu près six mille ans, à la fin de ce qu'on appelle par commodité la préhistoire, que d'aucuns d'ailleurs estiment un peu moins lointaine. L'histoire fictive que raconte Didier Burkhalter se situe aux deux extrémités de cette période, qui correspond plus ou moins au calendrier hébraïque.

 

Avant l'histoire on ne connaît pas grand chose des hommes sinon en théorie et ce n'est certainement pas fortuit que l'auteur ait voulu évoquer dans son livre le passé connu le plus lointain et l'avenir le plus proche, où ses prédictions ne risquent pas d'être contredites, parce que les prémices en sont déjà sous les yeux.

 

Le récit de Là où lac et montagne se parlent se passe en effet tantôt aux origines historiques, tantôt au cours des dernières décennies; d'une part de 3815 av. J.-C. à 3775 av. J.-C., de l'autre de 1945 à 2025. Comme le titre l'indique déjà, il s'agit en somme de concilier des contraires dans l'espace et des opposés dans le temps.

 

Si Didier Burkhalter a de l'imagination, elle repose tout de même sur des éléments bien réels, si bien que le parallèle entre les deux époques est tout à fait crédible. Il en souligne bien sûr les différences, mais il en souligne aussi les points communs, tant il est vrai que l'histoire des hommes est à la fois permanence et évolution.

 

Le propos de l'auteur est manifestement de vouloir toujours que les êtres et les choses se parlent et son passé de diplomate n'est pas étranger à cette volonté tenace de trouver des terrains et des paroles d'entente. Il attribue ainsi, en 1965, à l'un de ses personnages, une façon de voir le monde qui lui ressemble, pétrie de cet idéal:

 

Il attendra également, avec angélisme, que Madeleine revienne, ses démons rafraîchis. Il attendra toute sa vie, qu'elle comprenne qu'il existe un secret simple pour surmonter le temps qui passe, en accepter les rides qui progressent avec insistance, apprivoiser les douleurs qui l'accompagnent, comme le fait un manteau sans âge sur des épaules autrefois si robustes:

 

l'amour de deux êtres, de deux différences qui se marient, de deux couleurs se mêlant pour mieux se retrouver en se perdant; la rencontre de l'eau et de la lave, du lac et de la montagne, l'un prêt à calmement rafraîchir l'autre après qu'elle l'a réchauffé de ses caresses brûlantes.

 

Dans ce livre, où le récit prend souvent des tours poétiques, il y a une volonté certaine de dépassement: quand l'histoire est triste à en mourir, l'auteur n'oublie pas mais incite à ne pas oublier non plus les voies lumineuses qui permettent d'éviter qu'elle ne se répète et, quand elle s'envole de belle manière, il l'écrit résolument pour que ce vol perdure.

 

Francis Richard

 

Là où lac et montagne se parlent, Didier Burkhalter, 128 pages, L'Aire

 

Livre précédent:

Enfance de Terre (2017)

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12 mars 2018 1 12 /03 /mars /2018 23:40
L'air de rien, d'Hélène Dormond

L'air de rien, ce livre contient pas moins de quinze nouvelles. Et ces nouvelles sont à la littérature ce que sont les scènes de genre à la peinture. Car Hélène Dormond plonge le lecteur dans des histoires qui semblent, en tout cas en leur début, tirées d'un quotidien familier ou d'un simple fait divers:

 

- Question d'entretien: la narratrice se prépare à un entretien d'embauche, avec un coach.

- Un vers de trop: le protagoniste, apprenti rapeur, est en quête de reconnaissance.

- La perle d'Orient: une fillette veut être aussi brave que son aïeule japonaise, qui pêchait des perles.

- Juste fiel: le narrateur embauche à contre coeur, comme secrétaire, la nièce d'un administrateur de la société qu'il dirige.

- Un ticket pour l'enfer: après un concert du groupe AC/DC un motard prend la route et, pour éviter de heurter un animal, fait partir sa moto dans le décor.

- I comme immortelle: un soi-disant jardinier d'un cimetière public, ému, fleurit la tombe d'une inconnue morte à 16 ans.

- L'honneur est dans le pré: Kevin veut absolument aller au Grütli pour célébrer le 1er août 2014.

- Choix existentiel: la narratrice et Clarisse fêtent leurs trente ans d'amitié dans un restaurant prétentieux plutôt que dans une gargote.

- Vague à l'âme: Moly, dont les formes avantageuses font fantasmer plus d'un, n'aspire qu'à suivre l'exemple des mammifères marins, et à retourner aux eaux originelles.

- Changement de main: Céline obtient de son mari Fabrice qu'il cède à son caprice d'acheter un cheval de caractère, un hybride improbable.

- La malédiction du Vaudois: le postier Boniface Bolomey décide d'employer tous les moyens pour expédier son chef, un suisse-allemand qui l'insupporte, hors des frontières du canton de Vaud.

- Pas de velours: le mari de Linette se moque d'elle à chacune de ses étourderies en faisant à répétition un jeu de mots facile sur son prénom.

- Intra muros: une gymnasienne de 16 ans réalise que les murs gardent la mémoire des événements qu'ils ont abrités.

- Sujet d'étude: une étudiante a choisi pour sujet de thèse la violence urbaine et son professeur lui recadre son sujet.

- L'air de rien: un inspecteur de police de la vieille école est confronté à un jeune collègue qui est rompu aux méthodes scientifiques, mais qui a un talon d'Achille.

 

Les titres de chacune de ces nouvelles, qui sont des expressions toutes faites ou détournées d'une expression connue, ou encore des calembours, résument fort bien leur propos. Les choses y commencent gentiment, puis elles tournent soudainement, s'emballent ou partent en vrille, jusqu'à la chute finale, pied-de-nez magistral bien rodé.

 

Ces nouvelles, souvent cruelles pour les protagonistes, sont pourtant plaisantes à lire et suscitent volontiers l'hilarité du lecteur, sans doute parce que les situations sont caricaturales et les personnages extravagants: ne rit-on pas toujours - c'est humain - de quelque chose d'inhabituel ou de travers, ou paradoxes, de ses semblables?

 

Francis Richard

 

L'air de rien, Hélène Dormond, 134 pages, Plaisir de Lire

 

Livres précédents:

Liberté conditionnelle Plaisir de Lire (2016)

L'envol du bourdon Hélice Hélas (2017)

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11 mars 2018 7 11 /03 /mars /2018 21:00
Le maître du Talmud, d'Éliette Abécassis

Les livres du Talmud représentent la somme de toutes les opinions contraires des rabbins qui, pendant toute leur vie cherchèrent la vérité sans la trouver, de commentaire en commentaire de commentaire, à l'infini, de siècle en siècle, de millénaire en millénaire.

 

Le Talmud? Ce n'est pas un livre, c'est un ensemble d'écrits, qui envisagent les lois à partir d'un questionnement contradictoire, énigmatique, parfois mystérieux, souvent incompréhensible ou abscons, qui donne naissance à l'étude.

 

Il y a deux Talmud, celui de Jérusalem, celui de Babylone. Il est ici question du deuxième. Qui s'est élaboré et s'élabore à partir du code des lois défini par la Mishna: 613 commandements à respecter, à envisager, à commenter...

 

Le narrateur s'appelle Éliezer Cohen. Il est étudiant à la maison d'études du Maître du Talmud, Rabbi Yéhiel de Paris, auquel le roi a attribué le titre très honorifique de sire Vives de Meaux, Vives étant la traduction de Yéhiel, "que Dieu vive"...

 

L'histoire qu'il raconte se passe en 1240 de l'ère chrétienne, en l'an 5000 du calendrier juif, sous le règne de Louis IX, le bon roi Louis. Elle commence par la découverte d'un nouveau-né, mort égorgé, dans la rue de la juiverie Saint-Bon.

 

L'enfant n'est pas circoncis, il n'est donc pas juif. La rumeur enfle: ce meurtre d'un enfant chrétien ne peut être qu'un crime rituel fait par les juifs. Sire Vives demande à Éliezer de mener l'enquête, car la communauté juive est en danger.

 

Aussi bien chez les chrétiens que chez les juifs, il y a des dogmatiques, qui s'en tiennent à la lettre plutôt qu'à l'esprit de la Bible pour les uns, de la Torah pour les autres, et ne supportent pas que la religion puisse être soumise à la pensée.

 

Sire Vives, après qu'un de ses disciples, Samuel, est tué, la veille de chabbat, lors d'une expédition punitive d'étudiants chrétiens en colère, fanatisés, prononce, entre autres, ces paroles de sagesse le lendemain de ce jour sinistre:   

 

La religion devient violente lorsque ses adeptes pensent détenir son sens ultime, c'est-à-dire l'interprétation du texte divin révélé par Dieu à Moïse, et lorsqu'ils annoncent que leur compréhension du texte est la seule possible...

 

Le roman historique d'Éliette Abécassis est l'occasion pour elle de faire connaître, ou mieux connaître, le judaïsme. C'est en effet toujours la méconnaissance des autres et de leurs différences qui engendre la haine des uns à leur égard...

 

Le lecteur apprend ainsi ce que sont les pharisiens, les sadducéens ou les esséniens, ce qui différencie les talmudistes, notamment les tossafistes, des karaïtes. Ces subtilités de la religion juive l'aident à mieux en comprendre les adeptes.

 

L'intrigue est tout aussi subtile, et pleine de rebondissements, jusqu'à la fin, surprenante. Elle montre à l'envi, comme dans la vraie vie, que les actes que commettent les hommes peuvent être aussi complexes que les pensées qui les ont dictés...

 

Francis Richard

 

Le maître du Talmud, Éliette Abécassis, 368 pages, Albin Michel

 

Livres précédents d'Éliette Abécassis chez Flammarion:

Philothérapie (2016)

L'ombre du Golem (2017)

 

Livres précédents chez Albin Michel:

Et te voici permise à tout homme (2011)

Le palimpseste d'Archimède (2013)

Alyah (2015) 

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10 mars 2018 6 10 /03 /mars /2018 18:00
Venir grand sans virgules, de Myriam Wahli

L'arbre avait été exposé toute la journée au soleil il était donc plus chaud que mon duvet et un duvet si on y serre trop c'est comme si y en avait plus alors qu'un arbre ça reste dans les bras quoi qu'il arrive et quand à l'intérieur de la maison y a rien qui reste dans les bras quoi qu'il arrive on sort.

 

La petite raconte les moments qui la font Devenir grand sans virgules. Un de ces moments, c'est son embrassade d'un arbre, un noyer, dont ses bras ne font pas le tour du tronc rugueux, mais qui lui laisse des marques quelques jours sur la peau d'avoir serré trop fort.

 

Le fait est que le texte de Myriam Wahli ne comprend pas de virgules. Cette absence de pauses ne nuit cependant pas à la santé des phrases. Au contraire. Le texte n'est pas du tout indigeste, sans doute parce que le lecteur s'habitue très vite à le respirer par lui-même.

 

Ce style fluide a le mérite de restituer au regard d'une enfant sur le monde toute sa sincérité. Elle voit ce que les adultes ne voient plus et deux images reviennent sous sa plume: la couche des mots et une commode, avec ses petits tiroirs, rangée dans la tête de chacun.

 

La couche des mots, c'est ce qui les fixe pour donner cohésion à ce que les adultes disent, de telle manière que les enfants finissent par penser comme eux. La commode rangée dans la tête, c'est le classement de ce qu'on a vu, entendu, dans des petits tiroirs bien étiquetés.

 

La petite découvre que les choses ne sont pas aussi simples que le disent les adultes. Elles sont même plutôt compliquées. Comme elle est la petite, elle a compris (une claque est vite arrivée) qu'elle doit garder ses réflexions pour elle et ne pas les exprimer à voix haute.

 

Quand elle ne respecte par l'ordre établi des adultes, elle casse le contrat des couches: Ces couches qui font qu'on est quelqu'un qu'on fait partie d'un tout la semaine au travail au village le dimanche à l'église. Car la petite, ses trois frères et deux parents, vivent au village.

 

La petite appelle règles fantômes celles auxquelles l'enfant obéit sans que l'adulte ravi ait eu besoin ni de dire ni d'expliquer. Si, a contrario, l'enfant fait quelque chose de dissonant, le tiroir qui lui est réservé dans la tête de l'adulte s'ouvre et son contenu se décompose...

 

Le regard de cette enfant sur les êtres et les choses est critique: elle ne s'en laisse pas conter du haut de ses dix ans et c'est rafraîchissant. Quand elle est seule, elle se sent bien. Elle est sensible à la beauté du monde. Le paradis, dont l'éternité l'effraie pourtant, serait peut-être:

 

Se faire postillonner dessus par le soleil en marchant sur la lune.

 

La petite raconte donc tous ces moments d'apprentissage qui forment son histoire: à la fois elle accède à la légèreté en se faisant débarrasser des couches et à la gravité auprès de son noyer qui s'est baigné toute la journée dans le soleil, qui lui montre comment tenir debout.

 

Francis Richard

 

Venir grand sans virgules, Myriam Wahli, 94 pages, L'Aire

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8 mars 2018 4 08 /03 /mars /2018 23:45
Mourir et puis sauter sur son cheval, de David Bosc

Le titre de ce roman poétique, Mourir puis sauter sur son cheval, est tiré d'un vers d'Ossip Mandelstam. Ce n'est pas pour rien que David Bosc l'a placé en épigraphe à son livre: l'héroïne meurt d'abord avant de renaître sous sa plume.

 

Sonia meurt de façon insolite: elle se dévêt dans le hall de son immeuble à Londres; toute nue elle s'élance dans la cage d'escalier; arrivée sur le palier du dernier étage, elle frappe à la porte; son père ouvre; elle gagne sa chambre et saute par la fenêtre...

 

Dans le roman son patronyme est A., dans la vraie vie Araquistáin, fille de Luis. L'auteur reconnaît qu'il ne sait rien de la vraie Sonia, mais la sienne est tout aussi vraie puisqu'elle existe grâce à lui et qu'elle se manifeste par le dessin et l'écriture.

 

Sonia s'est envolée par la fenêtre de sa chambre à Londres au mois de septembre 1945. La guerre est finie. Une page se tourne. Elle, elle laisse les pages d'un carnet de rêves, ses dessins que le lecteur ne peut voir, et de son journal, qu'il peut lire.

 

Ce journal, l'auteur l'écrit sous la dictée de Sonia, à même un roman des années trente: Sur des dizaines de pages, [...] en croisant ses lignes avec celles du texte imprimé.  Et cela donne un texte poétique qui parle de tout et de rien.

 

Sonia connaît un tas de choses que sa curiosité innée lui fait découvrir sans idées préconçues parce qu'elle n'a pas l'esprit de système. Dans les livres qu'elle ouvre, elle est comblée quand son désir y trouve ce qu'elle ne soupçonnait pas.

 

A l'expression au hasard elle préfère naturellement l'expression à tout hasard: car, quand on prononce cette dernière, on sent un flegme et ce don de l'attente curieuse, mais sans exigences, auquel la fortune se plaît à remplir les mains...

 

Cette façon d'appréhender les choses devient méthode, c'est-à-dire absence de méthode: elle ne sait pas où elle va mais elle y va en suivant des gens qui savent sans doute où ils vont: celui qui suit est la légèreté même, il est irresponsable...

 

Ce passage confirme la manière: Dérégler en moi le sens de l'orientation, me soumettre au rythme et, tour à tour, être moi-même la source de la pulsation, de la pulsion. Combattre la cadence par l'arythmie: le coeur des malades et des émotifs.

 

Le rapport de Sonia au langage n'y est pas étranger: Jouir, bondir, s'évanouir, libérer hors de sa bouche un flot de paroles sans suite. Car le propre du langage est précisément dans ces suites et poursuites auxquels il commande sans relâche.

 

Il n'est pas étonnant que Sonia voie son salut dans la transformation, dans la métamorphose, dans le saut hors de la chose et de la cadence. Elle se disait depuis un moment son impatience, tout en ayant un flair infaillible pour les empêchements:

 

Tu ne te transformes pas assez vite, ton aujourd'hui continue ton hier. Et ce chemin qui te suit pas à pas, c'est ton passé, déjà, qui s'engraisse de la dépouille de tes jours...

 

Francis Richard

 

Mourir et puis sauter sur son cheval, David Bosc, 96 pages, Verdier

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5 mars 2018 1 05 /03 /mars /2018 23:45
Celle qui s'enfuyait, de Philippe Lafitte

Il y avait longtemps elle avait connu la révolte, les affrontements et la peur. Seule la fuite à l'autre bout du monde l'avait protégée. Plus encore, la fuite dans son propre imaginaire l'avait sauvée car elle savait que là au moins, elle ne risquait pas d'être trouvée, quelle que soit la nature de ses assaillants.

 

Phyllis Marie Melvil écrit des romans policiers, depuis son arrivée en France, au début des années 2000. Elle est Celle qui s'enfuyait de Philippe Lafitte. Elle est devenue celle qui s'est enfuie dans les livres. Peut-être cela ne serait-il jamais arrivé si elle n'avait renversé un café sur son futur éditeur dans le compartiment-bar d'un TGV au départ de Marseille...

 

Phyllis vient d'avoir soixante ans et en paraît quarante. Chaque jour au petit matin, à six heures, après avoir écrit pendant trois heures, elle part de la ferme où elle vit, dans un causse, avec son chien, un vieux labrador aux yeux de phoque, qu'elle a adopté dix ans plus tôt, et elle court dans la lande, en toutes saisons, qu'il fasse encore nuit ou déjà jour.

 

Ce matin-là, c'est l'événement: un coup de feu explose. Elle était visée. Son chien est touché. Elle comprend que ça recommence. Phyllis se souvient de sa fuite des États-Unis il y a quarante ans, de la petite fille noire qu'elle était auparavant, dans les années 1960, puis de l'adolescente qu'elle fut, au temps de la révolte, des affrontements et de la peur.

 

Celui qui lui a tiré dessus, c'est Danny DiCorso. Il est issu d'une famille d'immigrés génois aux États-Unis. Il a traversé l'Atlantique pour la vendetta de sa mère, Antonella, persuadée que Phyllis est responsable de la mort de sa fille Giulia qui faisait partie du même groupuscule qu'elle, l'Armée Révolutionnaire du Peuple, dirigé par un étudiant noir.

 

Danny a raté la femme noire. Il doit maintenant atteindre celle qui a cru que l'isolement était le prix à payer pour sa liberté. C'est jusqu'à présent pourquoi elle a peu de contacts avec son éditeur, Guillaume Migennes, avec son amant, Paul Etchegoyen. Mais l'événement de l'autre matin la décide à accepter d'être l'auxiliaire de Laurence à l'école...

 

Son salut ne se trouve-t-il pas plutôt, toujours et encore, dans la fuite? Quoi qu'il arrive, ne pourra-t-elle pas toujours fuir dans l'imaginaire, le seul endroit où elle ne [sera] pas poursuivie par l'hostilité du monde? Ou en rendre compte? Car l'écriture, qu'elle maîtrise, est pour elle un exutoire, une consolation, dans cette langue française apprise avec son père...

 

Francis Richard

 

Celle qui s'enfuyait, Philippe Lafitte, 224 pages, Grasset (sortie le 7 mars 2018)

 

Livre précédent:

 

Eaux troubles BSN Press (2017)

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5 mars 2018 1 05 /03 /mars /2018 20:30
La coach, de Nicolas Verdan

Les gens qui font appel à mes services finissent toujours par prendre la bonne décision. Après une ou deux séances de business coaching, déjà, ils retrouvent confiance en eux. Quand ils sont mûrs, je le sens. Je ne prolonge pas. Je leur dis c'est bon, vous êtes prêts à affronter tout ce qui vous faisait peur, vous voyez bien que ce n'était pas une montagne. Et mon rôle s'arrête aussitôt.

 

Coraline Salamin, cette fois, a choisi son client. Il s'agit d'Alain Esposito, le responsable de RéseauPostal de Swiss Post. A 48 ans, il dirige plus d'un millier de personnes. Et La coach - le lecteur est prévenu dès les premières pages de son récit - a décidé de le faire payer pour tous les postiers, parmi lesquels son frère David, qui un jour s'est jeté sous un train. Son destin est tracé:

 

Il se tuera.

C'est moi qui le ferai se tuer.

 

A Swisspost, il faut prendre des décisions vu la baisse du volume des lettres, des colis et des versements. Elles se résument à fermer des guichets à travers le pays parce que les gens n'écrivent plus de lettres et font leurs paiements sur Internet. Ce n'est pas le genre de décisions susceptibles d'émouvoir Coraline, membre de la Prime Tower Affiliation, qui a pour devise: Arda para subire.

 

Cette devise signifie: Brûle du désir de t'élever. Les membres de ce club de dirigeants suisses décomplexés sont partisans d'un individualisme forcené, ils sont animés d'une même rage de vaincre à tout prix, ils se reconnaissent dans l'absence de tout scrupule dans la course au pouvoir. Bref ils se croient ultra-libéraux, mais ils ne sont que de féroces prédateurs, nuisant à autrui.

 

Coraline est digne de ce club fermé (où tous les coups et humiliations sont permis) dans sa façon de coacher Esposito. En fait ce dernier n'a pas besoin d'elle: Il sait très bien se débrouiller tout seul pour licencier à tour de bras.  Alors elle va faire en sorte que, grâce à ses services, il ait encore plus confiance en lui et que, sans souci des formes, il prenne la décision qui ruinera sa carrière.   

 

Jusqu'au bout le lecteur se demande si ce plan va aboutir à la fin vengeresse promise. Il se demande aussi pourquoi l'auteur agite des souvenirs d'adolescente de Coraline et quel rôle doit jouer un mystérieux personnage qui épie ses faits et gestes. Il a raison de se poser ces questions, parce que la vie réserve toujours des surprises même à qui semble avoir plusieurs coups d'avance... 

 

Francis Richard

 

La coach, Nicolas Verdan, 136 pages, BSN Press (sortie 5 mars 2018)

 

Livre précédent chez Bernard Campiche Éditeur:

Le mur grec  2015)

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Présentation

  • : Le blog de Francis Richard
  • : Ce blog se veut catholique, national et libéral. Catholique, il ne s'attaque pas aux autres religions, mais défend la mienne. National, il défend les singularités bienfaisantes de mon pays d'origine, la France, et celles de mon pays d'adoption, la Suisse, et celles des autres pays. Libéral, il souligne qu'il n'est pas possible d'être un homme (ou une femme) digne de ce nom en dehors de l'exercice de libertés.
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  • Francis Richard
  • De formation scientifique (EPFL), économique et financière (Paris IX Dauphine), j'ai travaillé dans l'industrie, le conseil aux entreprises et les ressources humaines, et m'intéresse aux arts et lettres.
  • De formation scientifique (EPFL), économique et financière (Paris IX Dauphine), j'ai travaillé dans l'industrie, le conseil aux entreprises et les ressources humaines, et m'intéresse aux arts et lettres.

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