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3 septembre 2017 7 03 /09 /septembre /2017 22:55
Sol, de Raluca Antonescu

Quitter son pays n'était pas une option qu'il avait envisagée. Ce n'était pas par manque de courage. Simplement, plusieurs années dans un orphelinat l'avaient guéri du besoin d'espérer qu'une chose impossible se produise.

 

Son pays, c'est la Roumanie communiste de Ceaucescu. Il s'appelle Viorel Cioban. Et il pense encore ça, même après que Fernando, le père de famille de Chiliens, réfugiés ici à la suite du coup d'État, lui a dit qu'ils projettent de fuir en France dès que possible:

 

Nous n'avons pas fui une dictature pour se retrouver pris au piège dans une autre.

 

Ce qui va le faire changer d'avis, c'est un concours de circonstances: l'arrestation de son beau-père, Ion, qui a été dénoncé pour avoir proféré des injures contre le régime; la qualification de sa fille Alina pour une compétition internationale de tir à Zurich.

 

Alina s'est mise au tir avec son grand-père: elle a les qualités requises, physiques et mentales, pour cette spécialité. Sa soeur, Dina, au contraire d'elle, s'intéresse aux garçons, tel Marius, mais la famille de celui-ci lui interdit de la fréquenter à cause du grand-père.

 

Viorel et sa femme, Elena, décident que les filles doivent partir, sans eux. Pour y parvenir, ils n'acceptent qu'Alina participe à la compétition de Zurich qu'à la condition que Dina parte avec elle. Contre toute attente, cette condition si simple et si absurde est prise au sérieux.

 

Elena se charge de convaincre Alina de ne pas revenir: là-bas elle ne peut avoir qu'une vie meilleure; Viorel se charge d'en convaincre Dina autrement, en lui démontrant qu'ici il n'y a rien à espérer de la vie, sinon d'avoir l'esprit constamment rongé par la peur :

 

Alina et Dina partirent le 12 mai 1980 avec une délégation sportive de tir à la carabine. La destination était une ville dans un pays minuscule et forcément inconnu: la Suisse.

 

En 2016, Dina, restée célibataire, infertile, s'occupe de son neveu, Johan, 27 ans, depuis que ses parents, Grégoire et Aline Tomasi (pour réussir son intégration, elle n'est plus Alina), son frère Paul, et une jeune inconnue sont morts dans un accident de voiture en 2002.

 

Sol est le récit de l'adaptation de deux soeurs en exil (qui ne s'y entendent guère mieux que lorsqu'elles étaient au pays). La vie d'Aline y est beaucoup plus aisée que celle de Dina. Pour preuve, après la mort d'Aline et de Grégoire, leur fils Johan deviendra rentier...

 

Aline fait d'autant plus d'effort pour s'intégrer qu'elle a épousé un Suisse qui est né à l'endroit où il vit toujours: elle [pourra] déployer toute la capacité d'adaptation du monde, elle n'aura jamais le même sol que lui sous les pieds... Dina, plus engagée, ne culpabilise pas autant qu'elle...

 

Quant à Johan, il ne semble pas intéressé par la vie passée de sa mère: Les gens morts sont morts. Fin de l'histoire. Pourtant, s'il ne veut pas écouter sa tante Dina sur le sujet, il ne peut s'empêcher de retourner sur le lieu de l'accident pour comprendre ce qui s'y est passé...

 

Cette quête de Johan, à la fin du roman, est l'occasion pour Raluca Antonescu d'offrir au lecteur une reconstitution fabuleuse de la mémoire de l'unique descendant de la famille, sans laquelle il ne pourra tout simplement pas donner de nouvel élan à son existence...   

 

Francis Richard

 

Sol, Raluca Antonescu, 376 pages, La Baconnière

 

Livre précédent:

 

L'inondation (2014)

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2 septembre 2017 6 02 /09 /septembre /2017 22:30
Une toile large comme le monde, d'Aude Seigne

Les liaisons satellites, avec leur lenteur et leurs coûts astronomiques, sont réservées aux hôpitaux, à l'armée, au gouvernement, aux bateaux en pleine mer.

 

Eh oui, comme le rappelle un des personnages d'Aude Seigne, dans Une toile large comme le monde:

 

- Internet n'est pas un esprit, il a besoin d'un corps.

 

Et ce corps est fait de câbles, souterrains et sous-marins, et de stations de télécommunication, autrement dit de centres, dans cet univers décentralisé.

 

Dans ce roman dont le personnage principal est la Toile, c'est-à-dire le world wide web, il y a aussi, bien sûr, des personnages bien humains, pour lesquels elle est présente dans la vie de tous les jours: tous connectés en quelque sorte, directement ou indirectement.

 

Pénélope est informaticienne: Ce qu'elle aime dans la programmation, c'est décomposer la pensée. Elle travaille le jour depuis chez elle pour une entreprise, mais elle défait la nuit ce que les normes du jour l'ont forcée à faire pour gagner sa vie:

 

Elle hacke des logiciels qu'elle a utilisés, fournit des accès pour voler des données qu'elle a compilées.

 

Matteo, son compagnon, est plongeur professionnel et installe des câbles en mer, sous-entendu de télécommunications. Comme cet Ulysse voyage tout le temps, c'est un raccourci de dire que lui et Pénélope vivent en Suisse, leur Ithaque.

 

June, elle aussi, travaille chez elle, mais pour son compte: Elle fabrique des cosmétiques à partir de produits naturels et compréhensibles, de plantes, de champignons et de minéraux, manière à elle de transubstantier le monde dans son coin.

 

A Portland, Oregon, elle vivait en couple avec Olivier, qui a ouvert un café-librairie (où il organise de temps en temps des expositions),  jusqu'à ce que qu'ils rencontrent Evan qui [a] fait d'eux un trouple plutôt qu'un couple, Evan, qui est community manager sur les réseaux sociaux...

 

Birgit, basée à Copenhague, est la directrice de Green Web, une ONG qui a pour but de lutter contre la pollution et le gaspillage énergétique dus aux réseaux. Elle sillonne la planète pour faire prendre conscience du coût environnemental d'internet: elle utilise tous les réseaux pour recommander de consommer raisonnablement les réseaux...

 

Birgit est dingue de Samuel. Il dirige une organisation aux buts similaires à la sienne. Mais, à chaque fois qu'ils se rencontrent, c'est à l'improviste, dans une nouvelle ville: s'ils étaient amants, elle pourrait dire qu'ils s'aiment dans tous les pays du monde. Mais, hélas, elle ne peut pas dire ça...

 

Kuan a perdu sa femme Meï il y a longtemps et s'est retrouvé seul avec son fils Lu Pan, alors âgé de deux ans. Aujourd'hui cet ingénieur portuaire hautement qualifié gère le port de Singapour, soit les déplacements de 90 000 conteneurs par jour... Son fils reste enfermé dans sa chambre: il fait des trucs sur internet que le monde entier regarde...

 

Peu ou prou, chacun de ces personnages participe, à son échelle, à un projet insensé, celui d'éteindre internet, et il le fait par motivation individuelle et par provocation, sans en imaginer les conséquences: si cela se produisait, cela aboutirait-il au changement d'un monde ou à sa  destruction?

 

Est-ce seulement possible? Certes il y a l'effet papillon, mais on sait que c'est une imposture scientifique. Alors, l'effet dominos? Difficile, mais pas impossible. Reste le concours de circonstances: malgré la combinaison un peu creuse de ses trois termes, n'est-ce pas ce qui a déclenché la Première Guerre mondiale?

 

Francis Richard

 

Une toile large comme le monde, Aude Seigne, 240 pages Zoé

 

Livres précédents:

Chroniques de l'Occident nomade, 136 pages (2011)

Les neiges de Damas, 192 pages (2015)

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1 septembre 2017 5 01 /09 /septembre /2017 21:30
Le soutien-gorge noir, de Corinne Desarzens

Monique Durussel est une laborantine suisse. Jozsef Csizmazia Darab, un oenologue hongrois. Jozsef est stagiaire dans le laboratoire de Monique. Ils s'aiment, mais elle lui dira non, en 1951, et épousera Jean-Pierre. Et il la quittera donc et épousera Blanka.

 

La narratrice est la fille de Monique. Elle part en Hongrie sur les traces de Jozsef et raconte ce qu'elle découvre sur leur histoire, qui illustre ce qui s'appelle la nostalgie du possible:

 

Oui quand nos pas résonnent dans une ville qu'on n'a jamais habitée. Quand nous passons à côté, tellement près qu'il en reste forcément quelque chose.

 

Pour Monique il reste toujours une phrase, indélébile, quand ils se sont croisés la première fois dans l'escalier:

- Passez, Mademoiselle, je t'en prie.

 

Sa narratrice de fille précise: Ce mélange de tutoiement et de vouvoiement l'avait saisie, et ses yeux s'étaient déjà levés alors qu'il était déjà en bas.

 

Pour Jozsef il reste toujours une image, indélébile, quand ils s'étaient quittés pour ne se revoir plus qu'une fois, après qu'il l'avait embrassée lentement sur les yeux:

Sous son chemisier, elle portait un soutien-gorge noir.

 

Sa fille, Rita, subjuguée, fera de cette image audacieuse de porter du noir sous la popeline blanche sa signature, qu'elle laissera de manière insolite en un endroit tout aussi insolite en quittant le monastère cistercien où elle était entrée dans les ordres. 

 

Les dessous de cette histoire, c'est non seulement ce dessous féminin qui servira de passeport au destin second de Rita, mais le dessous d'une correspondance entre Jozsef et Monique (qui s'écrivent toute leur vie, pendant cinquante-cinq ans), abritant le secret de Monique, qui deviendra la fronde de Rita...  

 

Francis Richard

 

Le soutien-gorge noir, Corinne Desarzens, 192 pages, Editions de l'Aire

 

Livres précédents:

Un roi, 304 pages, Grasset (2011)

Carnet d'Arménie, 88 pages, Éditions de l'Aire (2015)

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30 août 2017 3 30 /08 /août /2017 20:15
Manifeste incertain 6, de Frédéric Pajak

Depuis 2012, Frédéric Pajak publie, au gré de l'incertitude, à raison d'un par an, un volume, qui est  évocation de l'Histoire effacée et de la guerre du temps. Dans Manifeste incertain 6, il parle surtout de ses blessures morales et physiques, de ses douleurs enfouies, anciennes, qui n'en resurgissent que plus vigoureuses encore.

 

Comme dans les volumes précédents, pour ce faire, il prend la plume, pour écrire et pour dessiner à l'encre de Chine noire. Les marques autobiographiques dont il s'agit remontent pour la plupart à sa jeunesse. Il tente d'en rassembler les souvenirs, qui viennent comme ils peuvent, sachant pertinemment qu'il ne peut en combler les intervalles oubliés.

 

A Pâques 1965, Frédéric a dix ans. Sans explication (en fait ses parents se séparent), sa mère quitte Paris pour Nyon, la France pour la Suisse, avec ses enfants:

 

Je quitte mon école primaire que j'aimais tant, mes camarades, l'odeur des marronniers dans la cour, celle du vieux bois foncé des pupitres inclinés où des générations d'écoliers avaient gravé des mots et des dessins drôles, secrets, obscènes; et puis l'odeur de l'encre dans les encriers.

 

Quelque trois mois plus tard, sa mère en larmes leur apprend à sa soeur, son frère et lui, que leur père est mort dans un accident de voiture (le 27 juillet), alors qu'il se rendait en Alsace:

 

A cet instant, à ce mot "mort", je meurs. Je ne comprends pas, et en même temps je comprends absolument. Je dis "je meurs", c'est exact, et c'est inexact: la mort me laisse stupéfait. Et incrédule. Je ne sais pas grand-chose d'elle.

 

En Alsace vit la famille de son père. Notamment sa grand-mère, qui, malheureuse en ménage, préférait s'oublier à l'église et se consacrer sans réserve à ses petits-enfants, qui devinrent sa raison de vivre et à qui elle racontait la guerre de 1939-1945, la grande affaire de sa vie:

 

Ce n'est pas sans nostalgie qu'elle se plaît à rapporter tel ou tel épisode de la guerre, si bien que cette nostalgie m'a longtemps hanté, par contagion.

 

Frédéric, lui, rapporte un épisode qui est survenu en 1970, l'accident de voiture que conduisait sa mère, et qui s'est produit lors d'un voyage en Espagne entrepris avec H. (le compagnon d'alors de sa mère), sa soeur et son frère: Aujourd'hui, je ressens parfois de vieilles douleurs à la nuque, à l'épaule, à la colonne vertébrale.

 

Mais Frédéric Pajak ne parle pas seulement de sa jeunesse. Il entrecoupe ces souvenirs-là, d'autres plus récents, parfois même tout récents, et qui l'ont façonné.

 

A quarante ans, par exemple, de retour d'Israël, Frédéric apprend par sa mère (qui niera par la suite le lui avoir dit) que sa grand-mère maternelle était juive: Me voici donc une sorte de "Juif sur le tard". Pour lui il n'y a pas lieu de se réjouir, de désavouer ou d'oublier:

 

Avant d'être juif par ma mère - c'est-à-dire par descendance directe -, j'étais juif par l'Histoire. D'un sentiment absolu, irrépressible.

 

En fait, s'il fallait le définir, il ne serait pas juif, ni d'ailleurs étranger aux juifs. Il ne serait pas non plus d'un territoire (Tout territoire est provisoire). Il serait, et il est, d'une langue: Si j'en savais plusieurs, je serais de plusieurs langues. La langue des autres me fait rêver. Je voudrais la parler et la lire.

 

Frédéric Pajak se demande si ces souvenirs, et d'autres éparpillés qui reviennent sous sa plume d'écrivain et de dessinateur, qui persistent malgré tout, ne sont pas ceux que l'on a racontés souvent: Ainsi la parole remuée fait office d'Histoire, de notre propre histoire, j'entends.

 

Il ajoute: Nous nous plaisons à fabriquer nos petites légendes; que serions-nous sans elles? Le plus troublant, dans cet exercice, c'est que la vérité ne compte pas. Elle voudrait pourtant tenir le beau rôle, mais elle a affaire à plus fort qu'elle: l'ivresse de raconter, c'est-à-dire d'enjoliver, d'exagérer.

 

Peut-être. Mais, ce faisant, comme il le dit également, ne nous prouvons-nous pas que nous sommes vivants, du moins que nous avons eu une vie?

 

Francis Richard

   
PS 1

Frédéric Pajak sera du 1er septembre au 3 septembre 2017 au Livre sur les quais de Morges.

 

PS 2

Au Musée d'art de Pully a lieu du 31 août au 12 novembre 2017 une exposition sur Un certain Frédéric Pajak (je parlerai prochainement ici du livre d'entretien qui porte le même titre)

 

Manifeste incertain 6, Frédéric Pajak, 144 pages, Les Éditions Noir sur Blanc

 

Volumes précédents chez le même éditeur:

Manifeste incertain 1

Manifeste incertain 2

Manifeste incertain 3

Manifeste incertain 4

Manifeste incertain 5

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29 août 2017 2 29 /08 /août /2017 19:00
Bora Bora dream, d'Émilie Boré et Daniel Abimi

Ils se sont connus dans un fitness, le California.

 

Tous deux sont des Narcisse.

 

Elle: Devant le grand miroir sans charme à côté des toilettes, elle se livre à une dernière inspection. Pieds en dedans, lycra scintillant, queue de cheval serrée, bien haute. Un peu de blush, un peu de gloss - le n°7, Rose des sables, qui lui donne un air angélique.

 

Lui: Il s'est déshabillé. Son rituel. Tout nu, devant le miroir, il se pèse: 79 kilos pour 1,86 mètre. La ligne de ses muscles est fine, nerveuse. Il se regarde, cherche le défaut. Au bout d'un moment, il enfile son T-shirt. A chaque inspiration, il le sent adhérer à sa peau. Il se sent grandir.

 

Si ces deux corps s'unissent, ils formeront un beau couple, assurément, la belle qui se pavane et qu'une goutte de Dior J'adore habille, et la bête qui bombe le torse et dont l'indice de masse corporelle est dans la cible.

 

Tous deux ont un dream.

 

Lui, c'est une île, Bora Bora, représentée sur une carte postale: une longue bande de sable, l'océan transparent, le ciel bleu et, en médaillon, une tortue des mers.

 

Elle, c'est un mari avec une plastique de rêve, le père de son enfant, de son fils - ce sera forcément un garçon... Junior.

 

Mais les rêves ne sont-ils pas différents des promesses, puisqu'ils n'engagent que ceux qui les font et puisque la vraie vie se charge de les dissiper, ne laissant aux rêveurs que des vestiges bien réels qui les leur rappellent?

 

Francis Richard

 

Bora Bora dream, Émilie Boré et Daniel Abimi, 64 pages BSN Press

 

Livres précédents de Daniel Abimi chez Bernard Campiche Editeur:

Le cadeau de Noël (2012)

Le baron (2015)

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28 août 2017 1 28 /08 /août /2017 19:30
Passion noire, de Jean-Michel Olivier

Dans ma vie, j'ai exercé bien des métiers, souvent alimentaires, mais mon occupation principale est la littérature. Ma passion noire.

 

Simon Malet, 35 ans, est un jeune écrivain suisse à succès. Il habite depuis toujours, à Pully, une belle maison à mi-chemin du cimetière et du lac: A cent mètres de là, sur les hauts du village, se dresse La Muette - la maison du Poète.

 

Le Poète, c'est Charles-Ferdinand Ramuz, enterré justement dans le cimetière de Pully et dont les romans accompagnent Simon Malet depuis longtemps: il ne se passe pas un jour sans que je me replonge dans La beauté sur la Terre.

 

Dans cette demeure, héritée de son père, dont les cendres se trouvent sur le bord de la cheminée, dans une boîte à biscuits, entre deux channes, Simon vit seul. Enfin, pas tout  seul, puisque sa chatte Pénélope y fait des siennes.

 

Trois fois par semaine, Azari, une Russe chassée de chez elle (entre Ukraine et Crimée), qui a pour Poutine les yeux de Chimène, lui fait tout: lave son linge et le repasse, fait ses courses, prépare à manger, reprise ses chaussettes etc.

 

Mégère est la maman de Simon. Elle a été mariée deux ou trois fois avant d'épouser Samuel Malet, bien avant que ses restes n'aboutissent dans la boîte à biscuits: Mégère lui a mangé le coeur et les Gauloises ont rongé ses poumons...

 

Mégère aimerait que Simon ait une existence normale, qu'il se marie et ait des enfants, qu'il ait un métier sérieux, c'est-à-dire qu'il fasse autre chose que de lire et d'écrire. Elle aimerait qu'il jette sa gourme (il n'arrête pourtant pas de la jeter...).

 

Comme il est un écrivain célèbre, des inconnues lui écrivent. Il ne devrait pas leur répondre: Mais comment faire autrement? Il y a trois folles en particulier, Marie-Ange la Mystique, Diane la Mondaine, Nancy Bloom la Chienne de garde:

 

La Mystique veut à tout prix me rencontrer (quitte, s'il le faut, à traverser le lac à la nage). La Mondaine organise des dîners auxquels elle me conjure de participer. La féministe met sur pied un colloque où je serai mangé tout cru.

 

Si ces trois folles parvenaient à leurs fins, cela ferait un beau roman satirique. Eh bien, c'est ce qui se passe, mais la satire ne s'arrête pas là puisque Jean-Michel Olivier l'étend au monde littéraire, à ses interviews, à ses salons, à ses buzz...

 

Comme les voyages forment les écrivains, tout autant que la jeunesse, l'auteur emmène le lecteur dans des endroits exotiques comme Alger, Toronto, Toulon, Darlington (dans le Michigan), Niagara Falls, avec retour toujours à Pully. 

 

Pour écrire, j'ai besoin du plaisir que je donne, que je prends comme le vampire a besoin de planter ses crocs dans la chair tendre de sa victime (sa complice en amour). Après je suis régénéré, écrit Simon Malet. Après l'avoir lu, on est ragaillardi...

 

Francis Richard

 

Passion noire, Jean-Michel Olivier, 416 pages L'Âge d'Homme

 

Livres précédents:

 

Éditions Bernard de Fallois/ L'Âge d'homme:

L'amour nègre (2010)

Après l'orgie (2012)

L'ami barbare (2014)

 

Poche Suisse:

L'amour fantôme (2010)

Notre Dame du Fort Barreau (2014)

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26 août 2017 6 26 /08 /août /2017 22:55
Qui a tué Heidi ?, de Marc Voltenauer

- Le commandant a décidé de t'adresser un blâme et de retenir un mois sur ton salaire...

 

C'est par ces paroles décisives que Viviane, sa supérieure à la police de Lausanne, apprend le lundi 25 février 2013, à l'inspecteur Andreas Auer, à son retour d'une semaine de congé forcé, la sanction qui a été prise à son encontre pour avoir frappé et cassé le nez d'un collègue qui s'était autorisé un gag raciste envers un nouveau d'origine africaine, absent au moment des faits.

 

Comme Andreas a du caractère, et puisque c'est comme ça, il décide de reprendre toutes les heures qui lui sont dues, ce qui représente tout de même, six semaines de congés supplémentaires. Et il repart aussi sec pour son chalet de Gryon, L'Étoile d'Argent. Il ne sait pas encore que c'est pour être mieux plongé dans des affaires criminelles qui le toucheront de près.

 

Au cours des deux jours qui précèdent, le lecteur aura fait la connaissance à Gryon de Mikaël Achard, le compagnon d'Andreas; d'Antoine Paget, leur voisin, éleveur de vaches, de son fils Vincent et de ses trois compères, Jérôme, Cédric et Vincent, qu'il retrouve au Harambee Café; et d'un mystérieux homme qui s'enivrait du parfum de sa mère et qui n'a pas l'air bien d'aplomb.

 

Le samedi précédent, le 23 février 2013, un dénommé Artomonov, tueur à gages surnommé Litso Ice (Jamais un mot de trop, le goût du secret et une parfaite maîtrise soi) envoie froidement quatre personnes ad patres lors d'une représentation de La Walkyrie de Richard Wagner à la Staatsoper de Berlin: un couple russe, dans la cinquantaine, et leurs deux gardes du corps. 

 

Les jours suivants, Andreas aide Antoine à préparer le concours de la plus belle vache qui doit avoir lieu le samedi 9 mars 2013 à Aigle. Contre toute attente, Yodeleuse, la vache conduite par Andreas remporte le concours, mais cette victoire est assombrie par la mort subite de Blümchen, la favorite, appartenant à Serge Hugon, qui apprend le lendemain qu'elle a été empoisonnée.

 

Serge Hugon vient alors faire un scandale à la ferme d'Antoine. Une semaine plus tard, celui-ci trouve morte Heidi, une de ses vaches. Qui a tué Heidi? Pour Antoine, cela ne fait aucun doute, c'est Serge qui s'est vengé. Alors il se rend à Huémoz chez ce dernier et une bagarre éclate entre eux. Le lendemain, Isabelle, la tante de Serge, découvre le cadavre de son neveu.

 

Tout accuse Antoine, qui est arrêté le 20 mars 2013 pour ce meurtre. Andreas n'y croit pas un seul instant, et, fort de cette conviction, il mène l'enquête de son côté: Tout a l'air trop limpide, non? Et, comme toujours, en pareil cas, il se pose la bonne question: A qui profite la disparition de Serge Hugon?. Or une affaire immobilière remontant à 2008 permettrait, semble-t-il, d'y répondre.

 

Une affaire criminelle peut en cacher une autre: le mystérieux homme qui s'enivrait du parfum de sa mère enlève le 20 mars 2013 une femme dans la quarantaine. Seulement, en son absence, trois jours plus tard, elle réussit à s'enfuir de la cave où il la détenait. Sur la route des Renards de Gryon elle est renversée par un automobiliste qui prend la fuite; et elle tombe dans le coma.

 

Après l'avoir suspendu, sa hiérarchie est bien obligée de réintégrer l'inspecteur Andreas devant les progrès de l'enquête personnelle qu'il a menée sans son autorisation. L'aide de Mikaël ne sera pas de trop pour dénouer l'écheveau de ces trois affaires, baptisées par celui-ci: Veau d'Or, Tour de Babel et Psycho Billy. Car le lecteur y retrouve tous les personnages de l'histoire.  

 

Il faut toute la maestria de Marc Voltenauer pour conserver à ce récit complexe toute sa cohérence. Son héros, Andreas Auer, pense qu'au moins deux de ces trois affaires n'en font qu'une et que, comme dans Pinocchio, il existe un Mangiafuoco, un marionnettiste, pour en tirer les ficelles. Le lecteur peut penser devant cette belle ouvrage que l'auteur joue un tel rôle avec lui...  

 

Francis Richard

 

Qui a tué Heidi?, Marc Voltenauer, 448 pages, Slatkine & Cie

 

Livre précédent:

Le dragon du Muveran, 670 pages, Plaisir de Lire (2016)

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25 août 2017 5 25 /08 /août /2017 22:00
Les poings, de Joseph Incardona

Au commencement de son métier était la souffrance. A part savoir souffrir, il ne savait pas faire grand-chose d'autre.

 

1985. Frankie Malone, 34 ans, ancien boxeur a quitté le métier il y a deux ans. Maintenant, il souffre d'une autre manière. Ce n'est pas mieux.

 

Sa femme Gloria l'a quitté, est partie avec leur fille Nina en Californie, a refait sa vie avec un courtier d'assurances. Chômeur, il vit dans une roulotte, dans le Nebraska. Il a pris du poids, c'est-à-dire surtout du bide. Il a fait sa descente aux enfers.

 

Veut-il de nouveau souffrir?

 

Il faut croire que oui, puisqu'il décide un beau matin de reprendre le métier. Peut-être pour, avec Les poings, effacer de sa mémoire la seule défaite (contre Rudi Moreno), inscrite à son actif: sur 39 combats, il avait autrement enregistré 35 victoires et 3 nuls...

 

Il se rend donc ce matin-là au Gold's Gym. Bugsy Quinn, son coach, se demande si, avec son embonpoint, ce revenant ne se fout pas de sa gueule: s'il veut combattre dans les poids moyens, il lui faudra maigrir, perdre une douzaine de kilos.

 

Alors Frankie souffre, physiquement. Mais c'est un endurant. C'est plutôt côté mental qu'il est vulnérable, surtout dans le quotidien: Il se savait plus dur et impitoyable sur un ring que dans la vie. Il en accuse les coups plus difficilement; il est plus vite sonné.

 

Au bout de quelques semaines Bugsy constate que son champion retrouve ses réflexes, ses automatismes. Pourtant il doute encore de son poulain, parce qu'il se souvient: Son talent était fragile, l'inconstance avait jalonné sa carrière. 

 

Abordera-t-il dans les meilleures conditions le combat qu'il doit livrer la veille de Noël, en Californie, pas loin de là où vit son ex et sa fille? A au moins une condition, qu'il ne fasse pas le con, c'est-à-dire que d'ici-là il vive comme un moine...

 

En attendant, Joseph Incardona aura transporté le lecteur dans l'Amérique d'alors, avec ses diners, ses bars, ses drives, ses dancings où des filles en string s'enroulent autour des barres de pole dance et procurent à leurs clients une extase sommaire...  

 

Francis Richard

 

Les poings, Joseph Incardona, 80 pages BSN Press (à paraître)

 

Livres précédents:

 

Derrière les panneaux il y a des hommes, 288 pages, Finitude (2015)

Permis C, 232 pages, BSN Press (2016)

Chaleur, 160 pages, Finitude (2017)

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24 août 2017 4 24 /08 /août /2017 22:55
Autres ailleurs - Fugues, de Bertrand Schmid

Les quatre textes de ce recueil écrits par Bertrand Schmid sont des Fugues. Il faut, semble-t-il, comprendre ce mot dans deux acceptions: celle de s'enfuir d'un ailleurs, celle de compositions musicales contrapuntiques dont le sujet serait l'ailleurs.

 

Dans Autres ailleurs, une des pistes de ces fugues est celle intitulée Ailleurs, publiée en 2011 déjà. Les autres textes seraient-ils dans ce cas les autres ailleurs de ce texte-là? Mais non, celui-ci est lui aussi un autre ailleurs pour les trois autres...

 

Dans Wäre ich ein Berliner, Khachik, un soldat arménien, sous uniforme soviétique, est garde-frontière à Berlin. Il se trouve donc doublement ailleurs, puisqu'il n'est ni russe, ni allemand - et ça s'entend - et qu'ancien berger, il est loin de ses collines:

 

L'Arménien ferme les yeux, s'efforce d'encore prendre son envol vers ses collines, celles qui au loin continuent de brunir sous les pluies, mais sans cesse ses paupières s'allègent, laissent la vague lueur d'une lune crevotante gémir sur ses prunelles.

 

Dans Ailleurs, justement, le narrateur s'enfuit d'un ailleurs pour rejoindre celui de celle qu'il aime sans la connaître, emportant avec lui, pour tout bagage, une valise d'enfant, qu'il tient à la main quand il rencontre la femme de ses rêves:

 

Elle a un fin cou blanc, une peau lisse, c'est un marbre. Elle est de Milo, mais avec des lumières dedans, des chairs pâles de Manet, des azurs comme ce lac où déjeunent les poètes, avec le vert qui les soutient, les muses qui les épuisent.

 

Dans Larmes de crépuscules, cette fugue artificielle, chaque chapitre porte le nom d'une drogue - opium, clozapine, codéine, quétiapine, cocaïne - à l'exception du dernier - première taffe - qui évoque la plus accessible de toutes, la nicotine.

 

Yaëlle est face au mur qui retenait une photo à six,sept personnages: Tous en habit du dimanche, en vêtements de maladresse, élimés malgré qu'on ne les porte jamais. De l'usure partout, des regards embrouillés aux godasses dans la boue et le purin.

 

Melody a une carte et elle est dans la rue. Pourquoi? Ça la regarde. Didier veut la pousser mais il voit ses yeux avec des larmes qui forment des lacs. Y tirebouchonnent des non, des pas ça, des reflux d'horribles, tellement qu'il y devine la honte et la peur.

 

A quoi riment ces deux récits parallèles de Yaëlle et de Melody? Leur vérité est ailleurs, dans le dernier chapitre...

 

D'une route est le récit de voies ferrées qui mènent ailleurs: Personne - pas même les plus anciens, ceux dont les années avaient poli les os, ceux qui craquaient à chaque miette de vie, qui buvaient la lie des jours -, personne ne connaissait la destination:

 

Oh! il y avait des racontars, des ouï-dire, autant de buées dans la pluie. Mais chaque enfant, dès l'âge malingre, le savait, que l'ignorance était celle de tous.

 

Aux questions ouvertes par ces quatre textes, le lecteur est invité à donner les réponses qu'il veut, ou pas de réponses du tout, si telle est son humeur. L'important est qu'il parte ailleurs, accompagné des mouvements que lui transmet la musique des mots. 

 

Francis Richard

 

Autres ailleurs, Bertrand Schmid, 152 pages L'Âge d'Homme

 

Livres précédents:

Ailleurs, Editions d'Autre Part (2011)

La Batrachomyomachie, traduction du grec ancien, Hélice Hélas (2016)

Saison des ruines, L'Âge d'Homme (2016)

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22 août 2017 2 22 /08 /août /2017 22:30
Ô vous, soeurs humaines, de Mélanie Chappuis

Le livre emprunte son titre à celui du livre d'Albert Cohen, Ô vous, frères humains. Ou plutôt, non, il ne l'emprunte pas, il le décline au féminin. Ce qu'il lui emprunte, par contre, c'est une brève citation, mise en épigraphe, sur une expression biblique: Je cherche l'amour du prochain, dites, sauriez-vous où est l'amour du prochain?

 

En l'occurrence, dans Ô vous, soeurs humaines, c'est donc de l'amour de la prochaine qu'il est question, amour qui peut prendre la forme de l'amitié ou celle de l'amour tout court, entre prochaines, mais aussi celle de l'amour que l'auteur a pour ses créatures féminines (inspirées de la vraie vie), qualités et défauts compris.

 

Ce livre est un recueil de courts récits, mettant en scène des prochaines de tous horizons, de toutes cultures, de toutes conditions et, peut-être même, de tous temps. Elles se parlent. Elles se pensent. La lectrice (ou le lecteur) entre dans leur confidence, ses propres réminiscences la traduisant en signes de reconnaissance.

 

Mélanie Chappuis a répertorié ses nouvelles en qualités au sens large, c'est-à-dire en manières d'être qu'ont ces soeurs humaines les unes avec les autres, qualités qui ne sont pas forcément exclusives les unes des autres et qui d'ailleurs riment entre elles: rivalités, solidarités, dualités, complicités, fidélités et vanités...

 

La brièveté des textes a pour corollaire leur efficacité. L'auteur, en effet, dit en peu de mots beaucoup de choses. Quelques exemples, pris hors contexte, extraits de chaque partie du recueil, peuvent en donner un aperçu et mettre en appétence celle (ou celui) pour qui rien d'humaine (ni d'humain) n'est étranger:

 

Rivalités: La légitime est alitée, cloîtrée dans sa chambre, elle n'est plus que mère et future mère. C'est elle maintenant, la femme, la favorite du roi, bien mieux que l'officielle.

 

Solidarités: Maintenant que cette femme veille sur elle, elle peut recommencer à aimer ses petits. Elle prie pour recevoir encore, juste ce qu'il faut pour continuer à donner.

 

Dualités: Pauline arrive, sublime comme toujours. Pourvu que Karim ne tombe pas sous le charme. Tiens, Pauline n'a pas l'air d'apprécier qu'elle soit en train de discuter avec Romain. Elle a bien fait de la mettre, cette robe, finalement.

 

Complicités: A mesure que le fard densifie ses paupières, elle sent le regard de sa fille changer, allant du soulagement à l'éblouissement.

[...]

L'enfant lui prend la main, lui murmure qu'elle est jolie, même sans maquillage. Mais surtout avec.

 

Fidélités: Qu'il est bon d'avoir un ennemi commun pour se rapprocher, resserrer les liens! Mona et Lisa s'aiment bien, bien plus que quand elles le devaient, et leurs mères, unies dans l'adversité, sont plus que jamais soudées par l'ingratitude de ces enfants qu'elles ont pourtant tellement gâtées.

 

Vanités: Elle aimerait ne pas craindre la mort. [...] Se convaincre qu'il ne s'agit que d'un passage. Penser que sa famille l'attendra à la sortie du tunnel, dans la lumière blanche. Touchée par la foi, à son âge, quel opportunisme. Tant pis. Dieu lui pardonnera.

 

Francis Richard

 

Ô vous, soeurs humaines, de Mélanie Chappuis, 128 pages Slatkine et Cie (sortie le 24 août 2017) 

 

Livres précédents:

Des baisers froids comme la lune Bernard Campiche Editeur (2010)

Maculée conception Editions Luce Wilquin (2013)

Dans la tête de...  Editions Luce Wilquin (2013)

L'empreinte amoureuse L'Âge d'Homme (2015)

Dans la tête de... tome II / Chroniques L'Âge d'Homme (2015)

Un thé avec mes chères fantômes Éditions Encre fraîche (2016)

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21 août 2017 1 21 /08 /août /2017 22:55
Mémoire des cellules, de Marc Agron

Le pavillon représentant l'oeuvre de R. à la Biennale, retenait entre ses murs 200 000 litres d'eau. Un bassin vert pâle, style piscine olympique d'eau stagnante nauséabonde accueillait les visiteurs pantois.

 

Cette oeuvre est intitulée L'autonomie croissante des humains sur leur corps et l'immortalité du numérique. Il y a de quoi rester pantois, même lorsque, comme Maximilien, on écrit des textes sous pseudo pour un journal d'art.

 

Maximilien est seul dans la vie. Alma est repartie. Alors l'écriture, tout juste alimentaire, lui convient très bien: c'est la seule activité qu'il pouvait accomplir en solitaire, où l'inexactitude n'était pas immédiatement jugée et sanctionnée.

 

Son journal l'a envoyé à la Biennale parce que tous les autres journalistes étaient occupés par des affaires autrement plus sérieuses que l'art à Venise... Le fait est qu'il est effondré qu'une telle installation représente son pays...

 

De retour ici, il entreprend des recherches sur R., la soi-disant artiste, avec l'envie de commettre des actes radicaux (à l'explosif...) contre ses oeuvres, ce qui ne lui ressemble guère, car il est d'un naturel plutôt timide et sans éclat.

 

Une exposition des oeuvres de ladite R. a lieu dans la ville voisine. Il se rend au vernissage et fait sa connaissance: il lui obéit quand elle lui demande de la raccompagner et découvre qu'elle n'est pas celle qu'il imaginait:

 

Comment cette femme arrogante, vindicative, mondaine, artiste capable des pires atrocités dans le domaine de l'art contemporain pouvait être aussi cet être fragile et raffiné?

 

Au lieu d'interroger Pamela (le prénom de R.) sur son art, de visiter son atelier et de rassembler des éléments pour composer son article, mal à l'aise, prétextant un mal de tête, Maximilien préfère quitter des lieux qui lui donnent le tournis.

 

Ce départ précipité étonne Pamela, sans doute la déçoit : elle pensait que Maximilien s'intéressait à elle... Elle lui envoie donc un message explicite auquel il ne répond pas. Et pour cause, son téléphone n'a plus de batterie...

 

Maximilien n'a plus de nouvelles de Pamela: il sait qu'elle est partie pour Tokyo et qu'au retour elle rendra visite à Rome, à son oncle, le cardinal. Il a alors la velléité d'entrer en résistance contre les criminels de l'art, telle que R.

 

A l'évidence il y a des atomes crochus entre Maximilien et Pamela. Mais le lecteur ne peut imaginer qu'il y ait autre chose, ce que Marc Agron, dans ce livre un peu vache, mais finalement tendre, appelle la Mémoire des cellules...

 

Francis Richard

 

Mémoire des cellules, Marc Agron, 128 pages L'Âge d'Homme

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20 août 2017 7 20 /08 /août /2017 22:55
Omniscience, d'André Ourednik

Le temps, pensons-nous, rongeait l'existence de nos ancêtres, mais nos cuves d'Omniscience s'ouvrent à l'éternité. (Contribution au trou noir du professeur StevenTurmdijk)

 

L'Omniscience est, dans ce temps à venir, le dernier cri de la technologie pour stocker les données, sous forme liquide. Plus personne ne lit de livres, sous forme papier. Les données numériques, sous forme solide, ne sont plus qu'un souvenir...

 

Le bassin de l'Omniscience est géré par le Service des immersions, qui dépend de l'Office de la Mémoire, l'OfMem. Tous ses employés ont un nom de fonction, l'uanid, pour unique anonymous identifier, composé des premières lettres de leur vrai nom et des premières de leur unité:

 

Grâce à son uanid, un humain devenait un sachet de donnée servile et prêt à s'ouvrir sur demande. Certains appréciaient pour peu que ça les déresponsabilise de leur propre contenu.

 

Quoi qu'il en soit, les données du Médium, nom que l'on donne au liquide bleu de l'Omniscience, sont exploités soit par des robots-lecteurs, soit par des fils de lecture tissés par des plongeurs qui les immergent dans le bassin mémoriel.

 

Chacun de ces fils de lecture porte un numéro de dossier comprenant une majuscule de l'alphabet, le symbole # et un nombre. En principe un fil de lecture correspond à un plongeur et un seul. A l'exception des plongeurs de la série E:

 

Les plongeurs de la série "E" suivaient leurs propres lubies [...]. Par envie de tester le potentiel du Médium ou simplement de prendre un bain [...]. Ça donne des fils aléatoires. En deux mètres, vous sautez dans une narration complètement différente, apparemment déconnectée du point de départ.

 

E#26 est d'autant plus mystérieux qu'il a détruit ses papiers d'identité, effacé tous les dossiers contenant son nom ou alors permuté les uanids des intervenants. Ancel Gompo, alias Goan Si, a pour mission de reconstruire ces enregistrements...

 

Le récit d'André Ourednik est composé d'extraits de E#26 et d'épisodes où figurent des membres des services des immersions, de la communication interne ou des copies, et même une auxiliaire des ressources électriques.

 

Ces épisodes sont l'occasion pour l'auteur de poser de nombreuses questions (scientifiques, techniques, existentielles, voire métaphysiques), induites par une telle civilisation des données. Il y a ainsi, par exemple, divergence de désirs entre la science et l'industrie de l'information:

 

Aujourd'hui, toute la question est de savoir si nos données sont assez pérennes pour permettre à la science d'évoluer. Parce que l'industrie s'en fout des lois de l'univers. Elle ne cherche pas à connaître mais à vendre et la seule manière de relancer la demande consiste à introduire de nouveaux formats de données.

 

Or les formats de données sont conditionnés par les machines et les supports: Les tablettes d'argile, le papier, la disquette, le réseau de calcul-stockage, le cristal et Médium liquide diffèrent. Chacun impose une manière particulière d'écrire, c'est-à-dire une manière de penser...

 

Ne s'agit-il pas du genre de questions que le lecteur peut d'ores et déjà se poser? C'est pourquoi tout en étant futuriste, ce livre, à la fois très sérieux et plein d'humour, s'avère très actuel, d'autant que l'anticipation qu'il propose n'est, après tout, pas improbable.

 

Francis Richard

 

Omniscience, André Ourednik, 276 pages, La Baconnière (en librairie le 21 août 2017)

 

Livres précédents:

Les cartes du boyard Karienski, 280 pages, La Baconnière (2015)

Contes suisses, 184 pages, Éditions Encre Fraîche (2013)

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19 août 2017 6 19 /08 /août /2017 16:00
Le cri du diable, de Damien Murith

Avec ce roman s'achève le Cycle des maudits de Damien Murith. Il convient de parler de triptyque plutôt que de trilogie, puisque chaque volet est comme une peinture de moeurs sans merci, complètement indépendante des deux autres.

 

La malédiction est la touche de blanc commune. Dans cette nouvelle évocation du tragique de la destinée humaine, comme dans les deux autres, elle est celle qui reste quand se sont évanouies les teintes dominantes de noir et de gris.

 

Aux hommes venus voir Antoine, Camille défend l'entrée de la ferme: Il ne vaut mieux pas, ça peut être contagieux. En tout cas la douleur fait se tordre son corps, il ne meurt pas, il crève, sous la peau devenue blanche le sang se terre...

 

Dans sa détresse Camille crache Le cri du diable contre le crucifix de la chambre: Sale Dieu ! Restée devant la tombe après que tous s'en soient allés, elle se reprend: ses mains sont jointes sur sa poitrine; à Dieu elle demande pardon.

 

Un malheur n'arrive jamais seul. Quelque temps plus tard, Camille appelle à l'aide: le veau est mal engagé ! L'homme vient, délivre la vache, puis s'approche de Camille: il voit le haut de son corsage défait [...], des idées lui montent dans la tête...

 

Camille s'est défendue:

L'homme est couché dans la paille, les yeux ouverts, et la gorge en sang.

La fourche tremble dans la main de Camille.

 

Camille s'enfuit pour échapper aux hommes qui la poursuivent. Ils perdent sa trace dans la forêt. La nuit tombe, invente des ombres étranges. Le lendemain, elle est loin, elle part en train pour la ville monstre: Camille comme un spectre s'y fond.

 

Mais il est plus facile d'échapper aux hommes qu'au diable quand il prend les traits de la jalousie, qui s'empare impitoyablement de soi et fait perdre l'esprit. Alors le cri du diable, et conséquences, ne peut qu'être à nouveau craché, fatalement.

 

La malédiction de la mort serait insupportable s'il n'y avait la poésie pour la sublimer. Comment, ainsi, ne pas fondre à la vision nocturne de Camille, enroulant ses bras autour d'un corps raide et froid et bougeant lentement ses lèvres mouillées:

 

La nuit à présent est blanche de murmures, de phrases tendres dont les bouts se nouent en gerbes de larmes. 

 

Francis Richard

 

Le cri du diable, Damien Murith, 120 pages L'Âge d'Homme

 

Les deux autres volets du Cycle des maudits:

Les mille veuves, 104 pages (2015)

La lune assassinée, 112 pages (2013)

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Présentation

  • : Le blog de Francis Richard
  • : Ce blog se veut catholique, national et libéral. Catholique, il ne s'attaque pas aux autres religions, mais défend la mienne. National, il défend les singularités bienfaisantes de mon pays d'origine, la France, et celles de mon pays d'adoption, la Suisse, et celles des autres pays. Libéral, il souligne qu'il n'est pas possible d'être un homme (ou une femme) digne de ce nom en dehors de l'exercice de libertés.
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  • Francis Richard
  • De formation scientifique (EPFL), économique et financière (Paris IX Dauphine), j'ai travaillé dans l'industrie, le conseil aux entreprises et les ressources humaines, et m'intéresse aux arts et lettres.
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