Il refusait l'idée de la vieillesse et du déclin. Il refusait catégoriquement l'idée même de la Mort. Il voulait atteindre la grandeur, jamais il n'accepterait de se résigner. Jamais.
Kenshi, Ken, est un comédien de trente-deux ans dans cette disposition d'esprit. Il vient de la capitale. Son professeur, Frédéric Mori, Fred, lui a demandé de faire un voyage pour changer, sans quoi il ne pourrait jamais jouer mieux.
Ken est donc parti pour le pays natal de Frédéric, une région désertique et méconnue, l'Albe, un pays de neige et de sapins noirs, un chant silencieux de Mort et de désolation, à la pointe Nord de laquelle se dresse une montagne.
Il s'agit du Mont de Nivée, que les hommes du Hameau appellent parfois la Nivéale: A l'image du perce-neige, la Nivéale fleurissait dans le chaos des mois les plus sombres comme fleurirait une rose diaphane aux matins de mai.
Ken est venu au Hameau pour apprendre à vivre une vie simple comme l'eau et le vent, une vie que ses habitants, d'une légèreté aérienne, considèrent comme sans importance. Car leur conception singulière de l'existence est la beauté:
C'est-à-dire la force de s'élever au-dessus de sa propre vie pour la contempler en silence.
Ken le veut de toutes ses forces, mais, pour y parvenir, il sait qu'il doit vaincre son arrogance, devenir modeste, vivre au rythme ennuyeux de la Nivéale, la montagne sacrée, qui est apaisante et dont l'écosystème régit toute la région.
En cette fin d'hiver, quand il débarque au Hameau, il est le seul client de la pension. L'aubergiste Mortimer Démant lui fait bonne accueil mais laisse transparaître son doute qu'il puisse trouver ici la rédemption à laquelle il aspire.
Le problème est que les habitants ne sont guère enclins à l'aider à faire cet apprentissage: ils ne sont pas liants, c'est le moins qu'on puisse dire. Ils semblent satisfaits de leurs petites vies tranquilles qu'ils estiment pleinement remplies.
La rencontre avec l'énigmatique Chara, une musicienne de dix-huit ans, qui joue L'Ode et le Requiem, lui permet finalement d'entrevoir la possibilité de concilier beauté et grandeur. Ne serait-ce pas une manière élégante de s'en sortir?
Francis Richard
L'Ode et le Requiem, Maeva Christelle Dubois, 212 pages, Les Éditions Romann