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14 mars 2017 2 14 /03 /mars /2017 23:55
Le Chemineau du Lac, de Robert Curtat

Naufragés de la Grande Guerre qui avait pourtant épargné la Suisse, ils étaient venus par l'eau ou les mauvais chemins faire niche dans les baraques abandonnées par les bacounis, ces matelots du temps de la marine à voile du Léman.

 

Parmi ces naufragés, il y a Lucien, le prénom choisi par sa mère et employé à la demande de celle-ci par ses parents adoptifs. Mais, en fait, il se prénomme Pierre-Michel. Son grand-père, Pierre Druey, gros cultivateur du Haut-Bourg, l'a placé à sa naissance chez de jeunes parents qui ont curieusement pris des surnoms de vieux. 

 

Bon Papa et Bonne Maman ont vingt-quatre ans quand ils adoptent Lucien, né à la Saint-Sylvestre, juste comme on changeait de siècle. Ils s'installent au Moulinet, qu'ils restaurent. Ils y accueillent Germaine, qui, à huit ans, leur est confiée par l'oeuvre de Sainte-Madeleine, contre la promesse d'une pension.

 

En 1910 le couple est victime d'un escroc et, au printemps 1911, les ennuis arrivent avec les gendarmes: La vieille meule du Moulinet brassait des mots terribles qui tournaient dans la tête des jeunes occupants: saisie, mise en demeure, sommation, commandement de payer... L'hiver serait plus dur que jamais au Moulinet.

 

Germaine a dix-sept ans et quitte ses tuteurs pour récupérer sa dot. Mais celle qui était censée la garder a disparu sans laisser de traces, alors elle s'installe en ville pour vivre de ses charmes, ceux d'une belle blonde presque rousse qui ne passait pas inaperçue. A la veille de ses douze ans, Lucien s'en va à son tour...

 

Dès lors Lucien mène une existence chaotique jusqu'au jour où, à dix-neuf ans, il s'établira sur les rives lémaniques et sauvages du Buchillon. Entretemps il aura fait des rencontres, qui lui auront permis de faire l'apprentissage de la vie et de connaître en accéléré ce qu'elle peut réserver d'instants de bonheur mais aussi de malheur... 

 

Grandguillaume, qui a recueilli avant lui une fille sourde et son enfant, apprendra à Lucien le métier de garde-voie et lui donnera à lire des auteurs tels que Proudhon, Voltaire, Tolstoï, Cabet, Hugo, Marx et Zola: La lecture des grands auteurs nous permet d'accéder au statut d'homme libre, d'échapper à une pesanteur de l'esprit.

 

En ville, en 1913, Lucien retrouvera Germaine et apprendra le métier de typographe avec Onésime, patron d'une petite imprimerie. Quand ce dernier sera mobilisé en 1914, Lucien gardera sa place à condition de donner satisfaction à la Réquisition, qui mettra à la tête de l'entreprise un officier ne parlant pas un mot de français.

 

Ce métier et l'apprentissage des langues permettront à Lucien, parallèlement, de travailler pour un monde meilleur, en remettant en route l'imprimerie clandestine de La Voix du Peuple, organe des socialistes révolutionnaires. Cet engagement sera l'occasion, pense-t-il, de mettre sa vie en harmonie avec les enseignements de Grandguillaume.

 

Lucien, confronté à la dure réalité, ne pouvant pas faire autrement, fera cependant des compromis, et, quand ce lui sera moralement impossible, il acceptera de payer le prix du refus. Une fois ce prix acquitté, il ne lui restera plus que l'errance, qui le conduira au bord du Léman et qui fera de lui ce Chemineau du Lac, que rend si attachant Robert Curtat.

 

Francis Richard

 

Le Chemineau du Lac, Robert Curtat, 282 pages Plaisir de lire (à paraître)

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13 mars 2017 1 13 /03 /mars /2017 21:15
Koala, de Lukas Bärfuss

L'animal n'était pas noir. Il n'était pas fort. Il était paresseux et avait des oreilles duvetées, une bête dont on se moquait. Le mieux qu'on pouvait dire de l'animal est qu'il était mignon. Telle est la description que Lukas Bärfuss fait du Koala dans son livre.

 

A la fin mai, Lukas Bärfuss se rend dans sa ville natale, Thoune, où vit son frère, pour donner une conférence sur un poète allemand, Heinrich von Kleist, qui s'est suicidé, après avoir abattu son amie Henriette Vogel, un double suicide, ou plus exactement un meurtre et un suicide.

 

Il fait signe à son frère, qui y habite, qui est en fait son demi-frère et qu'il ne voit guère que de temps en temps, ne serait-ce que parce qu'il évite de se rendre à Thoune, ne l'ayant pas tout à fait quittée de [son] plein gré vingt-trois ans plus tôt.

 

Son frère ne va pas bien, mais il ne peut se douter qu'il va mettre fin à ses jours quelque six mois plus tard, peu avant Noël, en se faisant une injection mortelle d'héroïne après s'être allongé dans sa baignoire et en ne laissant derrière lui que quelques affaires vite réparties.

 

Il s'interroge sur les motifs d'une telle décision qui suscite l'opprobre: Le suicide parlait de lui-même, il n'avait nul besoin d'une voix, nul besoin d'un narrateur. S'accommoder au début de ce silence général ne l'empêche pas de chercher à comprendre.

 

Il s'intéresse d'abord aux illustres suicidés, puis aux amoureux, enfin aux pestiférés. Mais ni l'héroïsme du libre arbitre (insipide dans le cas de [son] frère), ni la passion ne lui correspondent: Son acte semblait découler de la lucidité, d'un bilan à froid...

 

Quand il se remémore son frère, lui apparaît un homme qui rejetait le travail, l'effort, et ne poursuivait jamais de but. Il prenait ce qui lui tombait du ciel. Et comme c'était peu de choses, je le croyais malheureux. Il se distinguait. Il n'investissait pas etc.

 

Toutes ses investigations ne le mènent nulle part. Mais peu à peu le nom qu'on avait donné à son frère chez les scouts dans son enfance envahit son esprit, le hante et il finit par le voir partout, c'est le nom d'un marsupial, d'un animal de l'autre bout du monde: le koala

 

Il se persuade dès lors que son frère n'a pas perdu une bataille contre lui-même ou contre ses vices, mais contre un adversaire plus grand, plus puissant et surtout plus ancien et que cet adversaire, c'est ce nom totem qui lui a été attribué chez les scouts.

 

A première vue cet animal n'est pas représentatif de son frère, mais Lukas Bärfuss se renseigne sur lui, retrace son histoire depuis les origines du monde et son récit, devenu romanesque, voire épique, emmène le lecteur d'un continent l'autre...

 

Le suicide de son frère prend alors une toute autre dimension. Mis en correspondance avec le destin du marsupial, un temps menacé d'extinction, il revêt une signification qui ne fait pas pour autant dévier l'auteur de sa propre voie puisqu'à la fin il se met au travail...

 

Francis Richard

 

Koala, Lukas Bärfuss, 176 pages Zoé (traduit de l'allemand par Lionel Felchlin)

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11 mars 2017 6 11 /03 /mars /2017 19:15
Hannah, de Sarah Tschopp

Encore une discussion qui débouchera sur son enfance, forcément. On en arrive jamais à bout de cette histoire. Et blablabla, traumatismes et perte du sentiment de sécurité lors des premières années de vie, c'est bon, on a compris.

 

Hannah Weber se connaît bien elle-même. C'est elle qui se parle ainsi tandis qu'elle se dispute avec Paul dont elle craint l'abandon. Elle se souvient de la vie chaotique que ses deux parents lui ont fait mener quand elle était petite et qui l'a façonnée malgré qu'elle en ait.

 

Hannah ne se raconte pas enfant. Sous la plume de Sarah Tschopp, elle redevient réellement l'enfant qu'elle était, avec ses mots, ses pensées, ses émotions d'alors. Une petite fille qui souffre quand ses parents se disputent et qui se réjouit quand ils se manifestent encore leur amour:

 

Papa et Maman se sont séparés, ça veut dire qu'ils vont plus dormir ensemble, mais ils sont toujours mariés et ils sont toujours mes parents. Ils vont pas divorcer, parce que c'est pas nécessaire. Je sais pas pourquoi les autres gens divorcent, mais chez nous, non.

 

Hannah vit à moitié chez l'un, à moitié chez l'autre. Si Maman vit avec son amie Mia, qui n'aime pas du tout Papa mais qui aime Maman, Papa a Ingrid dans sa vie. Et Hannah est heureuse que ni l'un ni l'autre ne soit seul. Même si elle préfèrerait qu'ils soient de nouveau tous trois ensemble:

 

Papa est toujours gentil avec Maman maintenant, depuis qu'ils habitent plus ensemble ça va beaucoup mieux.

 

Maman est malade. Le crabe l'a atteinte. Cela ne l'empêche pas de s'occuper généreusement des autres et de prendre sa maladie avec humour: Maman rigole de choses même pas drôles. Une fois je lui ai demandé pourquoi et elle a dit que c'est ça l'humour juif, de rire quand c'est pas drôle:

 

Maman dit que l'humour c'est le meilleur médicament, et que ça coûte moins cher que ces pilules à la con.

 

Beaucoup de personnes s'occupent d'Hannah quand Maman est à l'hôpital: Papa, Mia, Ingrid, Mamie Jeanne, la maman de son amie Lena. Mais elle est triste parce que Maman n'est plus là: Elle est quelqu'un de mort. Et moi je suis quelqu'un qui a plus de maman. Et ce sentiment d'abandon devient un jour réalité...

 

Avec Papa, qui a trouvé un nouveau travail et qui est triste parce qu'Ingrid n'a pas voulu venir avec eux deux, Hannah quitte sa ville et son amie Lena. Elle revient voir Mia, régulièrement, pour ne pas la laisser seule. Elle, qui sait lire et écrire en allemand, doit maintenant faire de même en français...

 

Aujourd'hui Hannah se repasse ses souvenirs. Elle est à la fois devenue autre et restée elle-même. Elle a grandi certes - elle a par exemple découvert le goût de l'effort - mais elle a toujours grand coeur - elle ne veut faire de mal à personne - et est d'un naturel volontiers protecteur.

 

Mais ses amours ne sont-elles pas à l'image de celles de ses parents: Elle n'est pas bien fière d'avoir été un tel coeur d'artichaut et, soyons honnêtes, de l'être toujours au fond? Quant à sa famille, décomposée par les êtres et les circonstances, elle ne peut imaginer qu'elle puisse renaître un jour sous une forme rêvée...

 

Francis Richard

 

Hannah, Sarah Tschopp, 160 pages Éditions Encre Fraîche (à paraître)

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9 mars 2017 4 09 /03 /mars /2017 23:00
Rebelle, d'Alain Bagnoud

Luce choisissait ses partenaires comme le garçon le faisait avec une fille, parce qu'il avait un beau corps, des yeux charmeurs, des mollets charnus. Le physique avait de l'importance pour elle. Il fallait qu'un petit quelque chose la mette en feu. Elle assumait, elle sélectionnait, elle jetait.

 

Née en 1950, Luce, dès l'âge de raison, a voulu être libre, échapper aux carcans, aux lois des groupes. Elle est devenue la fille hippie, groupie de rockeurs, féministe, écologiste. Et cette soixante-huitarde aimait le sexe... Cela ne pouvait que mal se passer avec un père animé par le respect des traditions, l'amour de l'industrie, de la gym et de la fanfare...

 

Quand Luce Saint-Fleur a attendu un enfant, elle a voulu l'élever seule, sans père dans les pattes, pour qu'il soit libre comme elle. Il ne connaîtrait pas son père et son père ne saurait pas qu'il l'était. Elle dirait à cet enfant que, bien sûr, elle avait choisi le donneur, mais que c'était quelqu'un de passage, disparu, anonyme, inconnu... C'était son projet.

 

Jérôme est cet enfant. Il écrit des articles sur la musique, des piges dans des magazines spécialisés. Il a une compagne, Gloria, une actrice perverse et innocente. Il se rend à la montagne pour faire sortir le stress. Il est en effet soucieux parce que le journal qui l'emploie est en pleine restructuration et qu'il ne sait pas si son poste sera maintenu.

 

Jérôme fait, avec Rebelle, le portrait de sa mère à la faveur de rencontres avec des hommes qui l'ont peut-être connue, ou qui l'ont certainement connue, au sens biblique. Comme sa mère, il aime la musique et il rencontre d'abord, à la montagne, Bob Marques, dont sa mère était groupie et qui est un des plus sensibles interprètes du blues vivant.

 

Cette rencontre est essentielle pour lui, parce qu'ancien musicien lui-même dans un groupe, dont le nom Jinxed est inspiré d'un succès de Marques, il aura le privilège de l'accompagner et fera chez lui la connaissance de la fille de sa compagne Marylou, Carole. Laquelle l'intronisera dans une secte dont le gourou, Kapoff, a accès à l'Autre Monde...

 

Jérôme rencontre ensuite Joseph Dalin, un écrivain qui a vécu avec Luce, laquelle s'est détournée de lui après sa trahison. En fait il a été, selon lui, victime d'un acharnement médiatique après avoir écrit une critique où il vantait le talent de l'écrivain Céline: il avait été accusé de rien de moins que d'avoir craché sur Auschwitz...

 

Jérôme rencontre enfin Frank Rivet, un ami de jeunesse et néanmoins rival de Joseph Dalin, qui a vécu, lui aussi, avec Luce, bien qu'ils fussent l'opposé l'un de l'autre: ancien homme politique, Frank fait sans cesse l'apologie d'une Suisse idéale, un pays à taille humaine, habité par des gens qu'on connaît, avec un fonctionnement qu'on peut contrôler.    

 

Lequel de Bob, de Joseph ou de Frank est le père de Jérôme? Est-ce seulement l'un d'entre eux? Jérôme ne peut s'empêcher de se poser la question. Mais veut-il vraiment connaître la réponse? En tout cas, ce n'est pas Luce qui la lui donnera. Alain Bagnoud prend un malin plaisir à laisser son narrateur se débattre avec ses fantasmes...

 

Le lecteur profite de la quête de Jérôme pour revisiter avec lui une époque qui semble bien révolue aujourd'hui: une mère pouvait penser que c'était mieux de ne pas avoir de père, que ça ouvrait l'horizon. Ça me forcerait d'assumer et de tirer de moi-même ma substance et mon identité, écrit le narrateur. Cette pensée a-t-elle vraiment disparu?

 

Francis Richard

 

Rebelle, Alain Bagnoud, 272 pages Editions de l'Aire

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27 février 2017 1 27 /02 /février /2017 21:00
Une jeunesse perdue, de Jean-Marie Rouart

Cette jeunesse, je savais qu'elle ne viendrait plus à moi comme un fruit mûr. Heureuse époque où je n'avais qu'à tendre les bras! Aujourd'hui il me faudrait la voler. Ou disparaître dans le regret et l'amertume des élans inassouvis.

 

Le narrateur dirige une revue d'art d'un certain renom. Il ne doit pas d'être parvenu à cette position à la reconnaissance de sa compétence en matière d'art, mais à des malentendus dont il a su tirer parti pour se faire une réputation.

 

A ce titre de directeur de revue, il reçoit de nombreux articles de candidats à la publication. Ces articles qu'il se croit obligé de lire par probité professionnelle lui font souvent penser à la définition que donne Voltaire du galimatias double:

 

Non seulement on ne comprend pas un traître mot de ce que l'auteur écrit, mais on sent que l'auteur lui-même l'ignore.

 

Le narrateur et sa femme vivent séparément, lui à Paris, elle à Châtillon-sous-Bois où elle est sous-préfet et où il la rejoint chaque fin de semaine. Sa relation avec elle (qui est très riche et qui a une passion pour les jardins) pourrait se résumer en un mot, sécurité:

 

Cette sécurité que tout le monde cherche en vain et grâce à laquelle on s'autorise de folâtres aventures. 

 

Ainsi sécurisé, il cherche une jeunesse à séduire, l'âge ne l'aidant pas: Cet implacable travail du temps sur mon corps, jamais il ne m'était apparu aussi flagrant que depuis que j'avais besoin qu'il se montrât alerte et séduisant.

 

Un jour il reçoit un article sur Balthus d'une certaine Valentina Orlov qui l'irrite au plus haut point, ce d'autant plus qu'au milieu d'un fatras d'idées reçues, il relève des éclairs qui brillent et que, sous le style ampoulé, serpente la fraîcheur de l'esprit du temps...

 

De retour d'un voyage, d'humeur maussade parce qu'il ne se résigne pas à n'être plus qu'un exilé du désir, il explose quand sa secrétaire lui apprend que Valentina Orlov a téléphoné à plusieurs reprises. Il n'aime pas qu'on lui force la main...

 

Il ne sait pas encore que Valentina Orlov est une jeune et belle femme, aux cheveux roux foncés, à la peau très blanche, dont l'iris des yeux est mauve, qu'elle lui fera une scène au sortir d'un restaurant et qu'il tombera dans ses filets...

 

Il ne sait pas encore que sa femme le trompe depuis cinq ans et qu'il le découvrira fortuitement en faisant restaurer un joli bureau cylindre de style Empire appartenant à elle et comportant un tiroir secret où se trouvent des lettres d'amour...

 

Ces contrariétés ne seront pas sans conséquences: la jeunesse de Valentina lui ôtera tout pouvoir sur elle et sa liaison avec elle viendra aux oreilles de sa femme qui voudra divorcer... Mais l'essentiel n'est-il pas d'avoir vécu des moments puissants?

 

Qu'importe alors Une jeunesse perdue, ou la sienne...   

 

 Francis Richard

 

Une jeunesse perdue, Jean-Marie Rouart, 176 pages Gallimard

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25 février 2017 6 25 /02 /février /2017 10:30
Je suis un tueur humaniste, de David Zaoui

En tant que tueur à gages je suis d'une efficacité effroyable, tout autant qu'un kärcher pour nettoyer la merde. Je vise? Oh! Putain! Je vise tellement bien que, parfois, je me demande ce que j'aurais bien pu faire d'autre comme job.

 

Ernest Babinsky - tout le monde l'appelle Babinsky - a été abandonné par ses parents quand il avait six mois. A sept ans il s'est rendu compte, dans son orphelinat, qu'il avait un don sacrément singulier: quelle que soit l'arme, il ne ratait jamais la cible.

 

Il a également eu la révélation d'un autre don, tout aussi singulier, celui d'être à l'écoute des autres orphelins et de savoir leur parler, surtout quand ils étaient tristes. Il ne se souciait pas comme eux de son passé ni de ses parents biologiques.

 

La vie du petit Babinsky a changé quand il a été remarqué par le petit Roberto, alias Cyrus le gros, le cousin de M. Gomez, son prof de culture physique. Cyrus le gros avait un stand de tir. Il lui a appris le maniement des armes à feu et... toutes les techniques pour tuer.

 

C'est comme ça que Babinsky est devenu tueur à gages pour le compte de Cyrus le gros. Pas n'importe quel tueur à gages, un tueur à gages humaniste, c'est-à-dire qui, certes, élimine de véritables fumiers, mais seulement après les avoir rendu heureux...

 

Après avoir rempli son premier contrat, à 22 ans, Babinsky est devenu complètement insomniaque. Ce qui - les pratiquants de l'insomnie le savent - permet de vivre plusieurs vies, et notamment de lire. Et quand on est humaniste, on lit Montaigne, entre autres...

 

Babinsky exerce depuis vingt ans cette activité lucrative et raconte de quelle manière, humaniste, il remplit quelques contrats: il faut de l'ingéniosité pour se débarrasser de quelqu'un en lui faisant dire enfin que son dernier jour est le plus beau de sa vie...

 

Un tueur à gages, fût-il humaniste, peut difficilement avoir une vie personnelle. Babinsky va s'en rendre compte amèrement après avoir filé quelque temps le parfait amour avec Amandine. Ce qui va le conforter dans sa solitude et sa propension à se soucier des autres.

 

Comme couverture, il est en principe plombier, mais ce n'est pas forcément idéal quand on n'est pas le moins du monde bricoleur. Alors il se présente parfois comme météorologue. Ce qui permet de faire davantage rêver et d'être moins vulnérable aux questions.

 

Au bout de ces vingt ans d'activité, les choses changent petit à petit pour Babinsky. Ses rencontres régulières avec un psy, ses lectures de philosophes y seront pour quelque chose, et, certainement, le contrat qui le conduira jusqu'au Cambodge.

 

Comment abandonner à son triste sort un tel livre qui, justement, n'est pas triste. Car Babinsky a beaucoup de verve. Il sait faire voir le bon côté des choses et sa méthode est sinon morale, du moins roborative. Et puis, il a beau être tueur, il a bonne mentalité.

 

Babinsky s'en prend avec bonheur à la culture de l'excuse, au sociologisme bisounours des irresponsables:

 

Déresponsabiliser l'individu de tout, comme s'il n'était qu'une bête sauvage, sans liberté de conscience.

Moi, je n'ai jamais pu encadrer ce discours angélique, et pour cause!

 

Francis Richard

 

Je suis un tueur humaniste, David Zaoui, 248 pages Paul et Mike éditions

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23 février 2017 4 23 /02 /février /2017 23:45
Des éléphants dans le jardin, de Meral Kureyshi

On avait des éléphants dans le jardin. Le plus petit passait sa tête par la fenêtre de ma chambre, il voulait que je lui donne des noix.

 

Que peut raconter d'autre la narratrice enfant au retour de ses vacances à ses petites camarades? Elle n'a en effet rien de passionnant à raconter. Alors elle invente des histoires, comme elle le fera plus tard à son moi adulte.

 

La narratrice est originaire du Kosovo. Elle vient de Prizren, qu'elle a quitté en 1993 avec ses parents, Baba et Anne, et son frère, qui avait huit ans à ce moment-là, alors qu'elle n'en avait elle-même que dix.

 

Ce sont des requérants d'asile dont la langue maternelle n'est même pas l'albanais ni le serbo-croate: ils appartiennent en effet à la minorité turque de la Yougoslavie de l'époque... Et leur procédure d'asile va durer treize ans:

 

Treize ans sans quitter la Suisse.

Treize ans sans avoir de travail légal.

Treize ans avec la peur d'être expulsés.

 

Baba est mort, à quarante-six ans. Il a tenu à être enseveli dans sa terre natale, à Prizren. A la suite de son enterrement, les souvenirs de la narratrice surgissent en elle, sans ordre chronologique: elle les raconte comme ils viennent.

 

La narratrice parle de ses parents, de son frère et de sa soeur (qui a dix ans de moins qu'elle), de ses grands-parents, Babaanne et Dede, et de son oncle, Aga, le frère de Baba, restés au pays; c'est-à-dire de sa famille, qui est importante pour elle.

 

Comme elle est de confession musulmane, l'islam est bien sûr présent dans ces souvenirs qui couvrent une période de quinze ou vingt ans. Après l'ensevelissement de son père à Prizren, elle écrit, tout au début de son récit:

 

Depuis un mois, chaque vendredi matin, je recouvre mes cheveux d'un foulard blanc et je récite Ya-Sin, la prière des morts, pour toi.

 

L'islam dont il s'agit est surtout, pour elle, convenances et rites à respecter. Quand elle évoque l'oeil bleu, censé les protéger, qui orne les maisons, elle écrit: la superstition est interdite par l'islam, alors on l'appelle tradition.

 

La narratrice n'aime pas son prénom et le lecteur ne saura pas quel il est. En tout cas, il sait qu'elle aurait aimé se prénommer Sarah, comme sa meilleure amie, qu'elle a perdue de vue il y a vingt ans et qu'elle croisera un jour, sans lendemain, rue du Marché à Berne.

 

La narratrice ne raconte pas seulement des faits vrais (ou faux) qui font une existence, elle se confie aussi:

 

Il ne m'est jamais arrivé de ne pas être amoureuse. Le garçon qui le premier m'avait prêté son crayon, celui qui m'avait demandé comment je m'appelais, celui qui avait partagé son petit pain avec moi, celui dont toutes les filles étaient amoureuses. Etc...

 

La narratrice fait enfin cet aveu déchirant de la part d'une personne dont les racines ont été transplantées malgré elle dans une autre terre:

 

Je n'aime pas la langue allemande. L'allemand est ma langue maternelle. Ma mère ne parle pas l'allemand.

En délaissant ma langue d'enfant, je me suis délaissée moi-même.

Ma langue maternelle, je me la suis inculquée moi-même quand j'avais dix ans.

 

Francis Richard

 

Des éléphants dans le jardin, Meral Kureyshi, 184 pages (traduit de l'allemand par Benjamin Pécoud) Editions de l'Aire

 

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21 février 2017 2 21 /02 /février /2017 22:45
Cap Kalafatis, de Patrick Besson

Nicolas a l'impression d'être non dans un ménage à trois mais dans une équipe sportive, handball ou escrime.

 

Nicolas, 23 ans, rencontre José, 54 ans, et Barbara, 23 ans, à Cap Kalafatis, au sud-est de l'île de Mykonos, à Pâques 1991, c'est-à-dire il y a quelque vingt-cinq ans. José, en le quittant, lui a dit: Tu écriras des livres où tu raconteras ce que je te disais.

 

Ce qui est important dans le roman de Patrick Besson, ce sont effectivement ce que ces trois personnes se disent et disent de l'existence. Car tout le reste n'est que décor, sublime: une plage de sable fin quasi déserte, la mer et le ciel qui, le soir, se retrouvent en tête-à-tête.

 

Nicolas, étudiant en sciences politiques, est venu à Cap Kalafatis en vélomoteur. Il a eu l'oeil naturellement attiré par une belle fille de son âge, Barbara, qui est allongée sur le sable, qui vient de se mettre sur le dos et de lui révéler ses seins nus.

 

Nicolas a l'habitude de plaire car il est beau, pas aussi beau que Barbara mais presque. Il cherche donc à lui plaire et ils sont en train d'échanger des propos de séduction, à fleurets mouchetés, lorsque survient José, avec lequel Barbara est en couple.

 

Les choses ne tournent pas mal, au contraire. José vient de faire de la planche à voile. Il est d'humeur joviale et invite Nicolas à déjeuner avec eux. Mais, auparavant, José et Barbara lui racontent sans pudeur dans quelles circonstances ils ont fait connaissance quatre ans plus tôt.

 

Nicolas, à deux reprises, cherche à s'éclipser, mais son vélomoteur ne démarre pas et force lui est de rester avec eux, qui ne laissent pas de le surprendre par leur attitude envers lui et par le bonheur qu'ils connaissent ensemble depuis quatre ans, en dépit de la différence d'âge.

 

Nicolas se sent manipulé, comme disent les filles, par ce couple qui s'est échappé pour du neuf et du pur: il devient une fille entre Barbara et José. Peu à peu ses yeux se dessillent: il apprend le rôle qu'ils attendent de lui et accepte ce qu'ils lui demandent, sans être jamais sûr du jeu qu'ils jouent.

 

Ce qui est sûr, c'est que José veut réussir au moins une dernière chose dans sa vie, le bonheur de Barbara:

 

Les filles comme toi sont la lumière du monde. Sans vous, la terre serait une prison. Il faut vous protéger de tous les gens qui ont une bonne raison de vous détruire: vos vieilles mères, nos vieilles épouses, les hommes qui ne vous ont pas et ceux qui ne vous ont plus.

 

Francis Richard

 

Cap Kalafatis, Patrick Besson, 128 pages Grasset

 

Livres précédents:

La mémoire de Clara, Éditions du Rocher (2014)

Come baby, Fayard (2011)

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16 février 2017 4 16 /02 /février /2017 23:30
Terminal terrestre, de Daniel de Roulet

75 ans et un jour après Joyce

le 17 juin 1979

un type se lave les pieds

dans le lavabo de l'hôtel

notre rencontre

 

35 ans plus tard, Daniel de Roulet, le 18 novembre 2014, embarque, à bord d'un cargo, avec celle qu'il a rencontrée ce-jour-là. Il s'était lavé les pieds pour qu'ils ne sentent pas mauvais, recette lue dans un livre intitulé Comment sauver votre mariage en deux minutes, et qui l'avait fait rire.

 

L'allusion à Joyce se réfère à la rencontre de l'auteur d'Ulysse avec Dora le 16 juin 1904:

 

il en a fait la date où

Léopold Blum déambule dans Dublin

 

Daniel de Roulet, comme l'Ulysse d'Homère et celui de Joachim du Bellay, a fait un beau voyage, du 18 novembre 2014 au 15 juillet 2015, du sud au nord du continent américain, de la Patagonie jusqu'à l'Alaska, en passant par des villes aux noms de rêve dotés de multiples a.

 

Tous les jours, du moins du 18 novembre 2014 au 16 juin 2015, il écrit des billets, en cachette, destinés à celle qu'il aime et qui l'accompagne dans ce voyage en bateau, en avion, mais surtout en bus, d'un Terminal terrestre (gare routière) l'autre.

 

L'écrivain et la violoniste sont ensemble pendant tout ce périple, si l'on excepte un intermède d'une semaine du 25 avril au 1er mai 2015, où Daniel rentre seul en Suisse, pour y recevoir le Prix Culture et Société de la Ville de Genève (de littérature).

 

Daniel reste seul à son tour, au Canada, du 16 juin au 15 juillet 2015. Pendant ce mois de solitude il recopie ses lettres écrites tous les jours de leur odyssée commune pour les lui faire parvenir toutes d'un coup sur son écran:

 

un stylo à la main

chaque jour pendant sept mois

au lieu de dire je t'écris

j'ai profité de ta crédulité

(Montréal le 15 juillet)

 

Elle était privée de son violon, mais lui ne l'était pas de son stylo. Et ses billets racontent avec pudeur ce qu'ils ont vécu ensemble, c'est-à-dire des moments d'harmonies et de discordes, comme en connaissent tous les couples, sur fond de petits faits vrais et d'Histoire parfois tragique.

 

Tous ces billets sont en réalité un long poème d'amour qu'il adresse à celle qui a du mal à vivre sans lui et sans... son violon; et la forme de ces billets le confirme, puisqu'ils ne connaissent ni majuscules, ni ponctuation, hormis quelques points d'interrogation, ici ou là. 

 

Ce long poème est parsemé de petites phrases tendres qui concluent l'un ou l'autre billet:

 

ainsi le baiser que je te donne

n'est pas l'amour

juste la preuve de

(A bord de l'Éden le 7 janvier)

 

l'écart me permet de retomber

chaque jour de haut

dans tes bras

(La Paz le 11 février)

 

toi et moi on ne croit pas

à la magie

sauf à celle entre toi et moi

(Trujillo le 26 février)

 

Alors, pourquoi lui écrit-il en cachette?

 

non pas pour raconter notre voyage

mais pour te dire ce qu'il fait

de notre couple

(Arica le 4 février)

 

j'essaie de dire

les couleurs de notre bulle

le reste tu l'as vu

(Quito le 9 mars)

 

Dans son dernier billet, il conseille à sa belle de se méfier de lui puisqu'il lui a menti pour lui exprimer ses sentiments, même les plus tendres, mais il nuance aussitôt, parlant de lui à la troisième personne:

 

à moins que ses cachotteries

épistolaires ou autres

ne t'offrent comme à lui

la plus grande liberté.

 

C'est le seul point final du texte... mais ce n'en est toutefois pas le dernier mot...

 

Francis Richard

 

Terminal terrestre, Daniel de Roulet, 244 pages Éditions d'autre part

 

Livres précédents:

 

Tous les lointains sont bleus Phébus (2015)

Tu n'as rien vu à Fukushima  Buchet-Chastel (2011)

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13 février 2017 1 13 /02 /février /2017 20:25
Philothérapie, d'Éliette Abécassis

L'amour a toujours été pour moi la plus grande des affaires ou plutôt la seule, dit Stendhal dans Vie de Henri Brulard. Juliette, l'héroïne du roman d'Éliette Abécassis, elle, veut suivre une Philothérapie pour qu'elle ne le soit plus.

 

Juliette voudrait ne plus être amoureuse pour pouvoir enfin trouver le bonheur. Jusqu'à présent l'amour a été sinon la plus grande, du moins une très grande affaire dans sa vie. Elle a eu ainsi sa période fissionnelle: elle a poursuivi plusieurs relations en même temps.

 

N'était-elle pas une femme libre? Alors, elle a vécu de beaux moments avec Olivier, Vincent, Philippe, Léo, Jean-Marc, Charles, Fabio, Guillaume, Stéphane, Tom, Jean-Daniel, Thomas et Luc, les Jonathan et les Éric et, enfin, Gabriel.

 

Gabriel était différent des autres: Il était profondément bon, dévoué et gentil, et elle avait beaucoup d'estime et d'admiration pour lui. Mais, avant leur rupture, il n'envisageait pas de construire une vie ni avoir des enfants avec elle, du moins il ne le lui avait pas dit.

 

C'est Juliette qui a pris l'initiative de la rupture avec Gabriel. Un message était apparu un jour sur le portable de ce dernier, en bandeau, alors qu'il lui montrait une photo: Ce SMS disait, dans le texte: "Mon petit lapin, quand est-ce qu'on remet ça?".

 

C'était une femme, à n'en pas douter: Elle avait rompu, sans explication, sans détail, du jour au lendemain. Gabriel, incrédule, s'était mal défendu. Depuis, Juliette traversait une crise morale, une crise existentielle. Il lui fallait s'adresser à un spécialiste...

 

Son libraire, Emmanuel Deloffre, lui avait alors parlé d'un site, Philoskype.com, un site de thérapie par la philosophie, dont l'objet était de guérir les maux de l'âme grâce à un dialogue avec un professeur qui enseignait la discipline.

 

Pendant plusieurs semaines, au cours de 13 leçons, Juliette va dialoguer avec le professeur Jean-Luc Constant, un bel homme, à l'allure sportive et à la barbe de trois jours, c'est-à-dire tout à fait apte à lui faire aimer la philosophie... en mode audio, puis vidéo.

 

Cette philothérapie fait un tour de la question: philosopher, c'est aimer; le banquet; l'origine de l'amour; l'amour qui dure; la passion; la trahison amoureuse; le désir; la rupture amoureuse; la séduction; la méprise; le jeu amoureux; la déception amoureuse; aimer, c'est philosopher.

 

La boucle est de cette façon bouclée: L'amour est partie prenante de l'acte de philosopher, puisque le philosophe aime la sagesse. Et Juliette, conseillée par son libraire, se constitue toute une bibliothèque sur l'amour, qu'elle [élargit] à l'histoire de la philosophie.

 

Cette bibliothèque comprend inévitablement les sept grands, selon Jean-Luc, qui devient en quelque sorte son mentor: Platon, Aristote, Kant, Descartes, Hegel, Husserl, Heidegger. Les lire permet à Juliette d'avoir du répondant quand elle dialogue avec lui...

 

Le métier de Juliette - elle travaille dans le service marketing d'une entreprise de cosmétiques - l'amène à parcourir le vaste monde. Mais cela n'est pas un obstacle pour suivre les cours de Jean-Luc, puisqu'il y a Skype, et pour continuer à être connectée.

 

Car, parallèlement, à ces cours qui la font réfléchir sur sa vie, elle reste en contact avec son ex, Gabriel, qui, toujours amoureux d'elle, lui envoie des SMS, et elle fréquente des sites de rencontre, notamment AdopteUnMec, qui lui réserve quelques surprises...

 

Certes le roman d'Éliette Abécassis est philosophique, mais il est aussi roman à intrigue. Et, peut-être, les deux grandes leçons à tirer seraient qu'il ne faut pas s'attacher aux apparences mais à l'âme, et que l'amour et le hasard jouent décidément un drôle de jeu...

 

Francis Richard

 

Philothérapie, Éliette Abécassis, 320 pages Flammarion

 

Livres précédents chez Albin Michel:

 

Et te voici permise à tout homme (2011)

Le palimpseste d'Archimède (2013)

Alyah (2015)

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11 février 2017 6 11 /02 /février /2017 19:00
Contre-attaque, de Philippe Sollers et Franck Nouchi

On a voulu enterrer Philippe Sollers: il esquive la mise au tombeau et son esprit reste en alerte, en mouvement. En bon stratège, il lance une Contre-attaque, la meilleure des défenses, une occasion de parler de lui et, peut-être, par ricochet, de faire parler de lui...

 

Après avoir écrit régulièrement dans Le Monde, Le Journal du Dimanche, L'Observateur, il ne dispose plus de la moindre tribune de presse. Qu'à cela ne tienne, cet indéfendable, cet inassimilable, cet irrécupérable est bien vivant: Jamais bien pensant. Jamais indigné. Je regarde. Je capte. C'est très mal vu...

 

Avec son interlocuteur, et ami, Franck Nouchi, il signe un livre réunissant treize-quatorze entretiens qu'ils ont eus entre le 27 octobre 2015 et le 27 mars 2016 et au cours desquels ils ont évoqué et cité nombre de pièces figurant dans son dossier.

 

Mais, pour sa défense, c'est ce qu'il dit de la littérature qui emporte le plus la conviction, sans doute parce que c'est ce qu'elle peut penser qui l'intéresse passionnément. Et parce que, pour lui, la littérature est avant tout une école de liberté. Une liberté libre comme dit Rimbaud.

 

Sollers contate que la littérature actuelle a ceci de particulier, et peut-être est-ce un tournant considérable, que ce sont les morts qui sont en danger, et pas forcément ceux qui sont vivants. Pourquoi? Parce que les hiérarchies intellectuelles et artistiques ont disparu.

 

Tant que ces hiérarchies n'auront pas été rétablies pour évaluer ce pays qui s'appelle la France, on nagera dans la bouillie... Au sommet de la hiérarchie des écrivains, Sollers ne place ni Péguy ni Rebatet, mais Proust et Céline. Et dit à leur propos:

 

Dans ce monde très con, très sérieux, l'extraordinaire humour plus que noir de Céline échappe à tout le monde. De même que l'ironie absolument admirable de Proust par rapport à la décadence du faubourg Saint-Germain.

 

Le monde est en effet très con et très sérieux. Sollers a raison de dire que plus que l'effondrement de l'université ou de l'école, le problème est l'effondrement de la pensée. En effet fini le temps des analyses, voici celui des péroraisons d'opinions.

 

La parade à cet effondrement se trouve dans ce dialogue:

Franck Nouchi: L'urgence est donc de se remettre à penser...

Philippe Sollers: Et de lire. Car la littérature, elle, pense en dehors de l'idéologie.

Franck Nouchi: Et de se remettre à écrire, alors...

Philippe Sollers: Pour savoir écrire, il faut savoir lire. Pour savoir lire, il faut savoir vivre.

 

Si le livre de Sollers et Nouchi ne se résume bien évidemment pas à ses propos sur la littérature - on lira avec profit ce qu'il dit, par exemple, de la Bible, des religions, de l'islam, de la moraline, du faux et du laid, de l'absence de poésie et donc d'amour -, c'est sa posture singulière sur tous les sujets qui retient l'attention: 

 

Je ne suis pas là pour dire ce qui est bien pour la société. Je suis là pour pointer du doigt la façon dont elle avale le mal dans le tout-est-dans-tout-et-réciproquement.

 

Francis Richard

 

Contre-attaque, Philippe Sollers, 240 pages Grasset

 

Livres précédents chez Gallimard:

Trésor d'amour (2011)

L'éclaircie (2012)

Médium (2014)

L'école du mystère (2015)

Mouvement (2016)

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7 février 2017 2 07 /02 /février /2017 23:55
Le fils rompu, de Caroline Petitat Robet

C'est toi qui ne croyais plus en Dieu qui m'a entraînée. Me défaire d'un héritage religieux austère, de peurs accumulées, pour comprendre ce qu'est la vraie foi. Une espérance sans voix. Une adhésion simple et libre. Vivre l'instant présent. Rendre grâce au fil des jours.

 

Caroline Petitat Robet a écrit le récit d'une mère, Le fils rompu. Ce fils, c'est Jean, qui ne croyait plus, mais qui l'a entraînée. Et pourtant cet entraînement ne s'est pas fait sans souffrance. Une amie, porteuse d'une maladie incurable, lui a dit un jour:

 

L'important ce n'est pas la souffrance. La souffrance ne sert à rien. C'est ce qu'on vit dans la souffrance. Ça ouvre les écoutilles.

 

Le 29 novembre 2012, la nouvelle éclate comme une bombe, tombe comme un couperet: Jean est atteint d'un cancer. Il va s'écouler quinze mois avant l'échéance fatale, à 29 ans. Pendant ce temps-là, elle va découvrir son fils sous un autre jour.

 

Le récit qu'elle fait de ces quinze mois n'est pas rectiligne. Il emprunte des allers et des retours dans le temps. Il fait des incursions dans les années précédentes. Et, peu à peu, le lecteur voit se dessiner le portrait de ce fils qui la transforme.

 

Le récit n'est pas non plus écrit tout du long à la première personne. Il est des moments où par inadvertance une voix narratrice s'introduit: Le "je" devient "elle". Le "tu" se transforme en "il". Ce sont des moments de mises à distance nécessaires.

 

Jean a vingt ans quand il part pour la Finlande. Il y travaille dans le commerce international. Tout lui sourit là-bas, à l'exception peut-être de la fin d'une relation amoureuse, à mi-parcours. En fin de parcours, ce sont douleurs au ventre, découverte de polypes lors d'une coloscopie...

 

En fait, les analyses révèlent non seulement un cancer mais une maladie génétique, la polypose adénomateuse familiale, rare à son âge. Six mois plus tard, en mai 2013, Jean subit une opération du colon, insuffisante. La chimio, alors? Peut-être...

 

Quelques mois plus tard, à la fin de l'automne, il quitte définitivement la Finlande, pour se rendre chez ses parents, qui se trouvent alors en France, à Rennes, et y mourir, début 2014. Jusqu'au bout Jean témoigne d'une grande lucidité et maîtrise de lui-même.

 

Caroline Petitat Robet a besoin de parler de ses relations de mère à fils pendant ces mois. Ils se sont soutenus l'un l'autre, sans se confier leurs moments de faiblesses. Et finalement ils sont tous deux sortis grandis de cette épreuve avant séparation définitive.

 

Les amis de Jean ont fait la promesse de bâtir son dernier projet, une caravane sauna. Leur spiritualité en action sauve aujourd'hui Caroline de la désespérance. Certes ils ne fréquentent pas comme elle les églises, mais leur sincérité [la] pointe vers l'Évangile:

 

Ils guettent l'essentiel à ne pas lâcher: l'humain de l'homme.

 

Francis Richard

 

Le fils rompu, Caroline Petitat Robet, 160 pages, Salvator

 

Caroline Petitat Robet, originaire de Bretagne, vit actuellement en Suisse. Elle est engagée dans le mouvement ATD Quart-Monde depuis 1975.

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3 février 2017 5 03 /02 /février /2017 23:15
Latitude noire, de Gilles de Montmollin

L'antipode de la Suisse, c'est à peu de choses près la Nouvelle Zélande (en fait l'antipode de Lausanne se trouve pratiquement sur la ligne de changement de date, dans l'Océan Pacifique sud, à l'est de l'archipel). Gilles de Montmollin y situe, dans l'Île Sud, les trois quarts de son roman d'aventures Latitude noire, qu'il est impossible de lâcher avant la fin...

 

Le vendredi 6 février 2015, Serge Duncan reçoit un appel téléphonique de son frère Jean-Bernard, JB, depuis la Nouvelle Zélande. Celui-ci, avant d'être coupé et de ne plus jamais donner signe de vie, lui demande d'aller chez lui à Lausanne, d'y prendre une clé USB dissimulée dans son bureau, sous une latte de parquet, et de l'envoyer chez Melissa par DHL.

 

Serge, le narrateur de l'histoire, a soixante ans, JB soixante-deux. Serge est enseignant en préretraite, JB gestionnaire de fortune. Leur père, Donald Duncan, brillant physicien, originaire de Nouvelle-Zélande, décédé il y a un an, leur a légué à chacun un demi-million. Deux mois plus tôt Serge a refusé de prêter à JB quatre cent mille francs... et, du coup, il culpabilise.

 

Serge et JB sont trop différents. JB est plus grand, plus costaud, à défaut d'être beau, il a une "gueule", ce qui lui vaut de nombreuses conquêtes féminines. Serge n'est pas comme lui accro au sexe: il s'est marié et a divorcé, il y a huit ans. Si JB est sûr de lui, Serge est hésitant. Si JB entreprend beaucoup et se donne les moyens de tout réussir, Serge reconnaît:

 

Moi, j'entreprends peu et réussis à rater beaucoup.

 

Par hasard, au fitness qu'il fréquente depuis un mois, Serge rencontre Arielle, une des maîtresses de son frère qui lui révèle qu'avant d'aller en Nouvelle-Zélande pour affaires, JB s'est rendu à Londres chez un type dont il a laissé les coordonnées chez elle. Serge part alors pour Londres sur les traces de son frère. Il décide en effet de se mettre à la recherche de JB disparu.

 

Serge apprend là-bas que le voyage de JB en Nouvelle-Zélande a un lien avec la disparition mystérieuse, pendant la Deuxième Guerre mondiale, d'un pseudo navire marchand hollandais, le Derflinger, qui, en réalité, était un navire corsaire allemand. Rentré chez lui, à Yverdon, il reçoit un appel de Melissa, inquiète de ne pas avoir revu JB depuis trois jours...

 

Plutôt que d'envoyer la clé USB découverte (avec une carte de l'archipel sur laquelle est tracé un arc de cercle) dans l'appartement en désordre de JB, Serge l'emporte avec lui, destination Christchurch, Île Sud de la Nouvelle-Zélande, où il fait la connaissance de Melissa. Il entreprend alors le périple qu'a fait avant lui JB: il aura le fin mot de l'histoire, après moult aventures...

 

Cette quête de Serge est en effet l'occasion de faire de bonnes et belles rencontres, celles de la petite Française Léa et de l'Allemande désabusée Sandra, et de mauvaises rencontres, celles de deux agents de l'État islamique et d'une Chinoise, adoptée par des Suisses, qui remplit des mandats un peu spéciaux pour un propriétaire de plusieurs boîtes de nuit...

 

Cette quête de Serge est aussi l'occasion pour lui de se débarrasser d'un complexe qui a pourri sa vie jusque-là, celui de loser malheureux: Je peux être un loser heureux. A condition que je ne me compare pas à mon père. Ni à mon frère. Ni à mon ex-femme. Au terme de ces deux semaines, il se connaît mieux lui-même et se fait deux sages promesses:

 

Premièrement, tu n'es pas obligé de réussir quoi que ce soit. Deuxièmement, tu as le droit de jouir de tous tes sens et dans toute situation.

 

Les voyages éprouvants ne forment pas seulement la jeunesse...

 

Francis Richard

 

Latitude noire, Gilles de Montmollin, 208 pages BSN Press

 

Livres précédents:

 

La fille qui n'aimait pas la foule, BSN Press (2014)

Pour quelques stations de métro, Mon Village (2013)

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Présentation

  • : Le blog de Francis Richard
  • : Ce blog se veut catholique, national et libéral. Catholique, il ne s'attaque pas aux autres religions, mais défend la mienne. National, il défend les singularités bienfaisantes de mon pays d'origine, la France, et celles de mon pays d'adoption, la Suisse, et celles des autres pays. Libéral, il souligne qu'il n'est pas possible d'être un homme (ou une femme) digne de ce nom en dehors de l'exercice de libertés.
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  • Francis Richard
  • De formation scientifique (EPFL), économique et financière (Paris IX Dauphine), j'ai travaillé dans l'industrie, le conseil aux entreprises et les ressources humaines, et m'intéresse aux arts et lettres.
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