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19 juin 2021 6 19 /06 /juin /2021 15:00
Vert Samba, de Charles Aubert

Je donnais toujours à mes leurres un nom composé de sa couleur dominante associé à celui d'une danse évoquant sa manière de se mouvoir dans l'eau. Vert Samba portait bien son nom. Vert comme la jungle amazonienne, il évoluait sous l'eau en se dandinant à la manière d'une danseuse de samba au carnaval de Rio.

 

Niels Hogan est ex-directeur commercial. Il s'est retiré du monde et des gens qu'il ne comprenait plus pour s'installer dans une cabane au bord de l'étang de Thau, où il fabrique des leurres pour la pêche. Pour conjurer ses peurs, ses obsessions, il lit notamment Sun Tzu et le Hagakuré.

 

Niels vit avec Lizzie Kieffer, une jeune journaliste, qui s'est associée avec Vincent Massaud, journaliste et photographe, pour créer un journal d'investigation en ligne, le Cormoran Inquirer, canard qui s'est fait un nom par ses révélations sur des scandales politico-financiers. 

 

Lizzie est la fille de Vieux Bob, qui a hérité du restaurant d'Alex. Elle a retrouvé son père des années après que, sans donner d'explications, celui-ci a déserté le foyer familial, laissant derrière lui resto, femme et enfant, pour refaire sa vie au milieu des étangs salins du sud de l'Hérault.

 

Alex a légué son exploitation ostréicole et sa maison sur pilotis à un ESAT (établissement et service d'aide par le travail), qui accueille une cinquantaine de personnes en situation de handicap et qui est dirigée par Nora Mahé, laquelle marche à l'aide d'une canne depuis une mauvaise chute.

 

Paddy, le père de Niels, revient d'une séance photo en Andalousie. Cet Irish Traveller, plein d'énergie, est en effet bel homme. Il s'exprime toujours dans un mélange détonant de français, d'anglais, de gaélique et de shelta ou plutôt de gammon, la langue secrète des nomades irlandais.

 

Le cadavre d'un homme est découvert sur l'étang en face de l'ESAT. Serge Malkovitch, capitaine de la Section de recherches de la gendarmerie de Montpellier, et Vincent (qui est son amoureux discret) viennent l'annoncer à Lizzie, Niels et Paddy, attablés dans le resto de Vieux Bob.

 

Menée parallèlement par Serge d'une part et par Lizzie et Vincent de l'autre, sans parler de Niels, l'enquête commence à peine qu'un deuxième cadavre est découvert. Comme le premier, il s'agit de celui d'un ostréiculteur, qui a pris une balle dans la tête et porte le même tatouage sur le bras:

 

Une tête de mort avec des marteaux d'armes croisés, le tout encadré de deux lettres en caractères gothiques. Un D et un M.

 

Tous ces protagonistes se retrouvent mêlés à cette histoire de meurtres. Dans ce genre d'histoire, ce sont souvent les détails, tels les tatouages des victimes, et le passé, qui permettent de la démêler. Ce sera pour Niels l'opportunité de faire grandir l'enfant peureux qui était en lui jusque-là.

 

Francis Richard

 

Vert Samba, Charles Aubert, 320 pages, Slatkine & Cie

 

Livre précédent:

 

Rouge Tango (2020)

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17 juin 2021 4 17 /06 /juin /2021 22:55
La mort du hibou, d'Ann-Kathrin Graf

Ma mère, c'était un hibou. Celui des livres, des sorcières, de la nuit, celui qui vous fait peur quand il tourne tout à coup la tête pour vous regarder de dos. Celui dont on entend le cri dans la nuit noire, ce cri qui vous glace le sang et qui sort de la nuit des temps. Celui qui vous rappelle que l'heure de la mort n'est jamais loin.

 

Sarah vient consulter. Elle va être mère, elle angoisse si c'est une fille. En attendant, elle pense à sa mère, qu'elle compare à un hibou: elles ne se comprenaient décidément pas et étaient tellement dissemblables.

 

Dans la salle d'attente du gynécologue, les effluves de l'enfance la prennent à la gorge. Une reproduction de différentes études de Kandinsky sur le mur de droite n'y est pas pour rien: leurs couleurs se mettent à vibrer. 

 

Elle profite de ses longues minutes d'attente pour refaire le voyage de sa vie et de l'emprise qu'avait sa mère sur elle et à laquelle elle n'échappait qu'en s'isolant, ce qu'elle aimait, tout en en souffrant, le prix à payer.

 

Dans cette remontée à la source de ce qu'elle est devenue du fait de l'omniprésence de sa mère dans sa vie, il y a un avant et un après les deux ans que celle-ci aura passés en EMS et qui la transfigurent peu à peu.

 

Car le contraste est grand entre la femme rebondissant en toutes circonstances, se montrant autoritaire ou charmeuse, pratiquant l'autodérision et l'humour, et la femme qui accomplit une lente descente vers la mort.

 

Dans son récit sa fille mêle ses souvenirs d'avant aux visites qu'elle lui rend dans des hôpitaux, dans une clinique psychiatrique ou à l'EMS. À la fin le tri se fait; elle a cette révélation sur elle, aveugle sur le tard:

 

Durant son avancée vers la mort, elle s'était dirigée vers la lumière. 

 

Francis Richard

 

La mort du hibou, Ann-Kathrin Graf, 148 pages, Plaisir de Lire

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15 juin 2021 2 15 /06 /juin /2021 21:55
En plein brouillard, de Gilles de Montmollin

Un bateau abandonné en plein lac, c'est inquiétant. Quand c'est celui d'une amie, c'est angoissant. Je fais un pas sur l'échelle pour remonter sur le pont, puis je me ravise. Ne t'excite pas Jason, ce n'est pas en te précipitant que tu retrouveras Nadège. Surtout dans le brouillard...

 

Lors d'une leçon de voile qu'il donne à Thomas sur le lac de Neuchâtel, son bateau en croise un autre qui, sous pilote automatique, se dirige vers le sud. Un peu plus loin, celui-ci s'immobilise.

 

Quand ils l'accostent, il n'y a personne à bord, ce qui étonne Jason, qui connaît la propriétaire, Nadège. Après une rapide inspection du bateau, la meilleure hypothèse est qu'elle est tombée à l'eau.

 

C'est étonnant parce que Nadège est une navigatrice expérimentée. Jason appelle la police du lac qui finit par retrouver le corps de Nadège après trois heures de recherches et qui conclut à un accident.

 

Jason n'est pas complètement convaincu par la thèse de l'accident. Quelques indices relevés sur le bateau quand il est monté à bord l'inclinent à penser qu'elle n'était pas toute seule sur le bateau.

 

Trois jours plus tard, après les obsèques, Jason retrouve la famille au restaurant du port d'Yvonand et l'équipe qui avait participé à une croisière à voile organisée par lui six ans et demi plus tôt:

 

- Clément, qui est devenu sous-directeur dans une banque de gestion de fortune,

 

- Julie, sa femme, qui enseigne au gymnase d'Yverdon,

 

- Gustavo, qui dirige le fitness le plus en vue d'Yverdon, accompagné de Sabrina,

 

- Garance, qui fait toujours autant d'effet à Jason, qui est à la tête d'un bureau de courtage immobilier et qui a réussi dans la politique,

 

- Caroline, qui commence à se faire une réputation avec son agence de voyages, accompagnée de Ludovic.

 

Quelques jours plus tard, Clément disparaît lors d'une plongée en solitaire au milieu du lac. En-dessous de son bateau, qui n'a pas dérivé, est découvert la carcasse d'un avion de la Seconde Guerre mondiale.

 

Jason, le narrateur, commence à avoir des doutes: la coïncidence de la mort de Nadège et de la disparition de Clément lui paraît suspecte, d'autant plus qu'il lui semble que ce sont de pseudo-accidents.

 

Avant de se rendre à la police, Jason mène son enquête et s'interroge surtout sur le fait que les accidents touchent sa bande d'amis, le dernier en date étant une agression subie par Garance sur le lac Léman.

 

Jason se retrouve En plein brouillard, au sens propre et figuré. Qui peut bien vouloir s'en prendre à ses amis? Y a-t-il un lien avec leur croisière d'avril 2012? À l'époque déjà leur ami Florian avait disparu...

 

Jusqu'au bout Gilles de Montmollin laisse le lecteur dans l'incertitude et, quand le brouillard semble se dissiper, il lui fait part d'un dernier doute de Jason, si bien que de polar son roman devient thriller...

 

Francis Richard

 

En plein brouillard, Gilles de Montmollin, 166 pages, BSN Press

 

Livres précédents:

Pour quelques stations de métro, Mon Village (2013)

La fille qui n'aimait pas la foule, BSN Press (2014)

Latitude noire, BSN Press (2017)

Une sirène, BSN Press (2018)

Un été 1928, BSN Press (2019)

 

Livre écrit avec Didier de Montmollin:

Quand les voyageurs découvraient la Suisse, Presto (2019)

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14 juin 2021 1 14 /06 /juin /2021 21:40
La glorieuse imposture, de Christophe Gaillard

Ses vers avaient l'heur de plaire aux esprits éclairés, aux lettrés, aux maîtresses des salons; ils étaient charmants, délicatement désuets, harmonieux et souvent très beaux. Et alors? Pour colorés et musicaux qu'ils fussent, c'étaient des vers anciens, futiles et déjà démodés en ces temps de bouleversement universel.

 

De quel poète s'agit-il? D'André Chénier. De quels temps est-il question? De la Révolution française et plus précisément de la Terreur, période qui commence le 2 septembre 1792 et s'achève le 27 juillet 1794 avec la chute de Maximilien de Robespierre.

 

La glorieuse imposture raconte l'incarcération du poète à Saint-Lazare, du 7 mars 1794 jusqu'au 25 juillet 1794, jour où il sera guillotiné après avoir le jour même été condamné à mort par le Tribunal révolutionnaire, sans qu'il ait d'avocat pour plaider sa défense.

 

Le livre de Christophe Gaillard se lit comme un roman qui se passe en un temps où règnait la religion de la peur, dont Robespierre était le grand prêtre et où plus personne n'osait penser, parler, et encore moins écrire, sinon de manière anonyme et confidentielle.

 

La Terreur n'est pas apparue tout soudain. La prise de la Bastille, le 14 juillet 1789, s'était déjà déroulée dans la violence: son gouverneur et ses officiers avaient été décapités. Elle était symbolique puisque n'y étaient détenus que quatre crapules, deux aliénés, un libertin.

 

L'auteur retrace les événements qui précèdent les derniers mois du poète et expliquent par leur enchaînement comment, arrêté par hasard, il finit sur l'échafaud, ayant le tort, aux yeux du policier qui l'arrête, d'être d'un autre monde, celui des riches, de faire des phrases:

 

Il aimait la poésie, et les vers parfaitement forgés lui semblaient sinon une preuve de l'existence de Dieu, du moins une preuve de l'immortalité de l'âme.

 

Parmi les détenus de Saint-Lazare, il y a des peintres, des poètes, ce pornographe de marquis de Sade dont il ignore la présence. Il ne cède pas comme lui à la vague licencieuse du romanesque le plus vulgaire. Il ne transige pas avec le style, garde la ligne du goût antique:

 

Les poèmes d'André Chénier disaient le plaisir de l'amour, et ce plaisir se voulait pur, sain, jeune, loin de tout péché ou de tout vice, jamais cruel, ni débridé.

 

On ne peut reprocher à Chénier d'avoir été un écrivain stipendié, un flatteur, un courtisan: jamais sa Muse n'avait chanté pour lui octroyer quelque honteux avantage. Pour lui, la poésie n'avait pas à être partisane: elle se dévoyait dès qu'elle se mêlait aux opinions...

 

L'auteur émet l'hypothèse que, s'il le pouvait, il renierait son Hymne aux Suisses de Chateauvieux (poème satirique qui avait touché l'Incorruptible en plein coeur, car il s'en prenait aux Quarante meurtriers, chéris de Robespierre qui Vont s'élever sur nos autels):

 

Non pas pour se faire libérer et éviter la guillotine, mais pour rester fidèle à sa propre identité et respecter la haute mission de sa vocation de poète.

 

Où se trouve-t-elle donc la glorieuse imposture?

 

Dans le fait que tout le monde continue à répéter qu'il n'a pas existé d'autre littérature sous la Révolution que les fameux discours des tribuns guillotinés, Danton, Desmoulin, Marat, Saint-Just, Robespierre?

 

Ou dans le fait que, aux yeux de toute une tradition, la guillotine lui a conféré [à Chénier] le statut de jeune martyr du lyrisme et de la liberté, et que sans elle sa gloire serait moindre?

 

Aujourd'hui Chénier est peu lu, peu étudié. À son époque déjà la littérature n'avait de sens que si elle servait la Justice, éclairait les masses et célébrait le 14 juillet comme l'aurore souriante d'une humanité nouvelle. Maintenant il serait peut-être temps de le lire ou relire.

 

150 ans après sa mort, un autre poète est exécuté, tout aussi oublié et dévalorisé que lui. Il s'appelle Brasillach et il est aujourd'hui maudit. L'auteur ose terminer son livre en reproduisant son Chant pour André Chénier ,  qui figure en tête de ses Poèmes de Fresnes:

 

Les dates les faisaient expirer fraternellement dans un chant expiatoire. Leurs poèmes se répondaient en écho et donnaient à entendre une musique à deux voix.

 

Dans Contre Sainte-Beuve, Marcel Proust rappelle qu'un livre est le produit d'un autre moi que celui que nous manifestons dans nos habitudes, dans la société, dans nos vices. Parfois il vaudrait mieux cacher momentanément le nom de l'auteur pour ne pas préjuger...

 

Francis Richard

 

La glorieuse imposture, Christophe Gaillard, 360 pages, Éditions de l'Aire

 

Livres précédents:

 

Une aurore sans sourire (2015)

Chienne de vie magnifique (2018)

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12 juin 2021 6 12 /06 /juin /2021 22:30
Pépites, de Sylvie Blondel

Les pierres ne peuvent empêcher l'herbe et les fleurs de pousser dans leurs crevasses: une goutte de pluie suffit. Alors les plantes enfoncent en elles leurs racines, les conquièrent et font une autre vie, plus colorée.

 

C'est dans Pépites, une des dix nouvelles qui donne son nom au recueil de Sylvie Blondel, que se trouve ce message d'espoir. Il y a en effet, dans cet hymne aux pierres rugueuses, comme la vie peut l'être, la possibilité d'une existence nouvelle parce que les pierres peuvent se faire les réceptacles d'une telle émergence.

 

La nuit verte, qui doit, son nom au tableau de Chagall, montre qu'il est possible à une proie d'échapper à son prédateur, de s'envoler comme le fait la chèvre du tableau et comme n'a pu le faire celle de Monsieur Seguin qui se résigne à son sort funeste. Un petit incident permet à cette proie d'enclencher le processus de délivrance.

 

Dans Café crime, la narratrice est témoin d'un crime, du moins le croit-elle. Elle prévient la police. Mais, quand elle revient sur les lieux, le corps de la victime a disparu. A-t-elle seulement rêvé? Au café, cela ne semble émouvoir personne. D'ailleurs il a fermé. Quoi qu'il puisse arriver maintenant, elle a fait ce qu'elle devait.

 

Dans Modification, dont le titre s'inspire du roman de Butor, Stavros a reçu un message de Danaé, qui aurait été sa petite amie autrefois,  mais il ne se souvient pas comment leur relation s'est terminée. Il prend l'avion pour la rejoindre à Genève. Mais son avion tombe en mer. Un geste du passé, réitéré, suffit à lui redonner espoir.

 

Dans Le diable est ici, Gustave et la narratrice se rendent aux Gastlosen, une dentelle de pics abrupts à la frontière des cantons de Berne et de Fribourg. Ils ne se doutent pas que, lors de cette excursion, les yeux de la narratrice se dessilleront et que, finalement, bien involontairement, elle se débarrassera d'une forte emprise. 

 

Il se passe Quelque chose entre nous, se dit une comédienne, à propos du couple qu'elle forme avec un comédien. Ils jouent ensemble des amants muets dans Salomé, la pièce d'Oscar Wilde, et deviennent inséparables à la scène comme à la ville. Mais, ne doit-elle pas se méfier? Un envoûtement n'est jamais raisonnable.

 

La Cerisaie sera bientôt La maison vide familiale. La fratrie de la narratrice et elle-même en ont convenu. Leur mère ne peut plus l'occuper seule. Paul lui a dit: Tu seras très bien à la Fondation des Ormeaux avec des camarades de ton âge. Le jour de son anniversaire, celle qui a perdu la mémoire leur joue un tour à sa façon.

 

Dévorer se passe au Japon. C'est l'histoire d'une intruse misérable qui se fait toute petite dans l'appartement d'un jeune homme pour lui dérober un peu de nourriture dans son réfrigérateur. Il arrive à la confondre en installant une caméra et à la faire arrêter. Mais son corps le hante parce qu'il l'a vu nu et il la fait libérer...

 

Loin du réconfort est une chanson d'Alain Bashung. Au retour de la visite qu'elle a rendue à son amie Yasuno, cette chanson vient à l'esprit de la narratrice après qu'elle a pris un taxi. Le trajet de retour ne s'est pas passé comme prévu et elle ne sait pas ce qui lui est arrivé sinon que son voyage s'est poursuivi comme dans un rêve.

 

Dans Une voix sous la porte, une jeune Ukrainienne accepte de poser pour des photos érotiques glamour contre bonne rémunération. Après la séance de shooting, c'est une nouvelle vie fantasmagorique qui l'attend derrière la porte verte des toilettes qui s'ouvre avec une clé violette. Ce n'est pour autant qu'elle voudra s'y éterniser.

 

La leçon de ces nouvelles est que la vie est semée d'embûches, que celles-ci peuvent être soit surmontées, soit contournées, à condition toutefois de saisir des opportunités quand elles se présentent, de prendre des initiatives et de ne pas être trop dépité lorsque surviennent des déconvenues qui sont, après tout, inévitables:

 

Le caillou pointu dans ma chaussure porte un message. Il me met en garde contre les certitudes. Il me rappelle qu'un petit rien peut me faire trébucher.

 

Francis Richard

 

Pépites, Sylvie Blondel, 152 pages, L'Âge d'Homme

 

Livres précédents:

 

Le fil de soie, 172 pages, L'Aire (2010)

Ce que révèle la nuit, 158 pages, Pearlbooksedition (2015)

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11 juin 2021 5 11 /06 /juin /2021 18:00
Heresix, de Nicolas Feuz

Avec son unique oeil grand ouvert, il était nu. Les cinq autres l'étaient aussi, mais ils avaient moins de chance que lui, on leur avait crevé les deux yeux. Tous les six avaient le nez tranché au ras du visage. Et tous les six portaient sur la poitrine les mêmes lettres de sang, gravées au couteau dans la chair à vif: HERESIX.

 

Le prologue du roman de Nicolas Feuz donne le ton. Ce sera violent et sanglant. La suite montrera qu'il y aura aussi des trafics et du sexe.

 

Dans la nuit occitane, les six suppliciés ont pénétré dans l'église bondée de Saint-Thibéry, où, d'après elle, ils étaient censés trouver de l'aide.

 

L'église était bondée de policiers et de gendarmes qui assistaient aux obsèques de l'un des leurs. Ils trouveraient bien de l'aide, judiciaire.

 

À Béziers, une certaine Sandy, fine et musclée, après avoir fait l'amour avec un certain Serge Valadié le tase et l'envoie dans un trou noir.

 

Au même moment, dans le centre, La Pairòla, un établissement nocturne à la réputation sulfureuse connu pour ses soirées échangistes, brûle.

 

Dominique Roustan, capitaine du SRPJ de Montpellier, a enfin obtenu du juge que le Toulousain et son associé, Valadié, soient surveillés.

 

Pour convaincre le juge d'instruction, il aura fallu une lettre anonyme qui annonçait une croisade contre le Toulousain et son empire:

 

Le style était chargé de menaces et de folie, comparant la criminalité d'aujourd'hui au mal qu'était au Moyen-Âge le catharisme pour l'Église. La lettre brandissait l'Inquisition contre l'hérésie.

 

Le juge a décidé de recourir à un expert pour assister Roustan, une spécialiste du catharisme, professeur à l'université de Montpellier.

 

Tous les éléments du puzzle sont-ils en place? Non, il manque deux récits, entrecoupés d'épisodes de la croisade contre les albigeois:

- l'enlèvement d'une enfant de trois ans;

- la mauvaise surprise réservée à une ado tout juste majeure.

 

L'enquête sur l'incendie de La Pairòla est menée par le capitaine Roustan et par deux gendarmes, Solange Darrieussecq et Amélie Gasquet.

 

Un cadavre est également trouvé en piteux état à Minerve avec la même inscription sur la poitrine que celles gravées dans la chair des six:

 

Le mot "heresix" n'existe pas. Heresis ou haeresis, en revanche oui. Avec un "s" et non un "x". Chez les Romains, l'heresis ne recouvre aucune connotation péjorative.

 

Toutes les pièces sont là, ou presque. Encore faudrait-il les poser dans l'ordre chronologique. Ce que ne fait pas l'auteur, diaboliquement.

 

Francis Richard

 

Heresix, Nicolas Feuz, 288 pages, Slatkine & Cie

 

Livres précédents:

 

Eunoto - Les noces de sang, TheBookEdition.com (2017)

Le miroir des âmes, Slatkine & Cie (2018)

L'ombre du renard, Slatkine & Cie (2019)

L'engrenage du mal, Slatkine & Cie (2020)

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9 juin 2021 3 09 /06 /juin /2021 22:15
Suzanne, désespérément, de Mélanie Chappuis

Suzie, tout le monde l'aime. Elle a cette bouille aplatie de Boxer qui prête à rire, une élégance un peu pataude, un corps mince et des muscles dessinés, mais des mouvements maladroits. Elle fronce des sourcils quand elle entend un son qu'elle ne connaît pas, ou qu'elle veut obtenir quelque chose de moi.

 

Lucienne est sur le point d'être submergée par l'angoisse. Sa chienne Suzanne a disparu. Elle s'interdit de penser au pire. Tout le monde dans le quartier en parle et compatit, plus ou moins.

 

Suzanne, quel drôle de nom pour un chien! Lucienne le lui a donné en pensant à Suzanne, la chanson de Leonard Cohen, et non pas au film Recherche Susan désespérément sorti en 1985.

 

L'auteure s'est mise dans la tête de dix personnages qui entourent Suzanne. Dans l'ordre d'apparition: Thierry, Alberto, Cynthia, Marie, Victor, Lucienne, Charles, Paul, Paola et Rachid.

 

Au fil des jours qui passent, les uns après les autres, ils émettent des conjectures sur cette disparition mystérieuse. Certes ils n'ont pas tous un chien, mais presque tous ont une opinion.

 

Thierry, presque sans emploi, a un chien, Toto: si on prénomme un chien Suzanne, il y a plus de chances qu'il disparaisse, et qu'on le recherche désespérément, comme dans le film avec Madonna.

 

Alberto a un chien, Rocky. Il n'est pas étonné que Suzanne ait disparu. Pour lui, un chien, il aime à être dompté; il est à la recherche d'un vrai maître, pas d'une nounou qui sent la guimauve.

 

Cynthia a une chienne, Nala. Elle tient un café. Depuis leur enfance, elle et Lucienne ne peuvent pas se voir, leurs chiennes et leurs filles non plus: c'est de sa faute si Suzanne a disparu.

 

Marie n'a pas de chien. Elle est écrivaine et vient ici pour trouver l'inspiration. Elle est désolée que Suzanne ait disparu et la cherche aussi, l'air de rien, quand elle se promène dans la forêt.

 

Victor n'a pas de chien non plus, mais, pour ce comédien, qui a tourné dans des films et des séries, la forêt, c'est [son] église. Il est secrètement amoureux de Marie, comme un adolescent.

 

Charles a un chien, White: Mon chien est blanc parce que je suis noir, a-t-il dit à Lucienne. Il éprouve quelque chose pour elle, mais, pour qu'il n'y ait pas de gêne, il faut que ça reste ténu.

 

Paul est musicien et vit avec Marie. Il se demande si elle le trouve, son sujet de bouquin, dans sa forêt. Ce n'est donc pas la disparition de Suzanne qui l'inquiète, mais l'inspiration de sa femme.

 

Paola est antispéciste. Elle aime bien Lucienne, mais espère que Suzanne est devenue sauvage, dans une forêt plus secrète que celle-ci. Avec des loups qui lui apprennent à retrouver sa nature.

 

Rachid, ancien toxicomane, est à l'assurance invalidité. On lui a offert un chien, Lexo, pour le responsabiliser. Aussi comprend-il Lucienne et participe-t-il aux recherches pour retrouver Suzanne.

 

Le mystère est dissipé à la fin, du moins pour le lecteur, car l'ensemble des protagonistes, décrits allégrement et avec acuité via leurs pensées, continueront indéfiniment à se perdre en conjectures.

 

Francis Richard

 

Suzanne, désespérément, Mélanie Chappuis, 108 pages, BSN Press

 

Livres précédents:

 

Des baisers froids comme la lune Bernard Campiche Editeur (2010)

Maculée conception Editions Luce Wilquin (2013)

Dans la tête de...  Editions Luce Wilquin (2013)

L'empreinte amoureuse L'Âge d'Homme (2015)

Dans la tête de... tome II / Chroniques L'Âge d'Homme (2015)

Un thé avec mes chères fantômes Éditions Encre fraîche (2016)

Ô vous, soeurs humaines Slatkine & Cie (2017)

La Pythie Slatkine (2018)

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8 juin 2021 2 08 /06 /juin /2021 19:30
La Mort en gondole, de Jean-Bernard Vuillème

Si j'avais vingt ans de moins, disons quinze, il serait peut-être encore temps de l'aborder de front plutôt que de m'abandonner à son pas et à la traque qui l'occupe, faute d'autre chose, maintenant que je ne suis plus qu'une ombre de sa vie ancienne, sans autre projet que de larguer les amarres.

 

Le narrateur de Jean-Bernard Vuillème retrouve Léopold et Silvia à Venise, par le train, en pleine crise d'obsolescence. Il aurait pu partir pour une autre destination, mais c'est la première qui lui est venue à l'esprit.

 

S'il n'y avait pas eu Silvia, il ne serait peut-être pas parti. Elle est nettement moins âgée que lui, donc elle est jeune. Elle a mis du temps à trouver sa voie: d'abord l'architecture, puis l'histoire de l'art, enfin la psychologie.

 

S'il n'y avait pas eu Léopold, il ne serait peut-être pas parti non plus. C'est le peintre neuchâtelois Léopold Robert, un peintre neurasthénique, qui eut son heure de gloire au XIXe siècle mais qui est maintenant oublié.

 

Quel prétexte le narrateur a-t-il donné à Silvia pour l'accompagner? Pour ne pas la suivre à son insu, il lui a proposé de la soutenir dans ses recherches sur Léopold. Elle n'a pas refusé mais elle y a mis quelques conditions:

 

Nous ne ferions pas le voyage ensemble et nous logerions dans des hôtels différents. Je me tiendrais simplement à sa disposition et j'attendrais sur place qu'elle me donne rendez-vous. Elle voulait bien que je me mette à son service et que je l'escorte, mais seulement sur appel. Pour le reste, elle m'autorisait à mener toutes les enquêtes que je voulais et dont je devais bien sûr lui rendre compte.

 

Avant de partir, il a fait des recherches sur la vie de Léopold et son oeuvre. Restituer l'histoire de cet autre lui a permis et lui permettra de rompre avec son passé. Et en rejoignant Silvia, il pourra vivre encore un peu.

 

Sur place, il raconte parallèlement ses joutes verbales avec Silvia et des moments de la vie de Léopold, anthumes et posthumes, qu'il revit. Comme elle, il remet ses pas à Venise dans les siens pour mieux le comprendre. 

 

Léopold est mort à Venise: il a succombé à un chagrin d'amour et à une inquiétude dévorante. Sa tombe, sur laquelle il médite, se trouve sur l'îlot San Michele et est voisine de celles de Pound, Diaghilev, Stravinsky...

 

À Venise, amour et mort se mêlent comme ruelles et canaux, qui se prêtent bien aux allers et retours, dans le temps et dans l'espace. Après avoir encore vécu, trouver La Mort en gondole ne serait-ce pas une belle fin? 

 

Francis Richard

 

La Mort en gondole, Jean-Bernard Vuillème, 128 pages, Zoé

 

Livre précédent:

 

Sur ses pas (2015)

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7 juin 2021 1 07 /06 /juin /2021 21:00
Sagama, de Marie Beer

- Sagama... Mon père me disait que c'était le nom d'une contrée lointaine. Une sorte de terre promise dont ne reviennent jamais ceux qui l'ont atteinte. Un jour je partirai le rejoindre.

 

Sagama est le nom d'une patiente du Docteur Frédéric Wilson, psychiatre. Mais cette bipolaire n'est pas n'importe quelle patiente. En cas d'urgence, elle peut l'appeler sur son téléphone portable et ne s'en prive pas.

 

À partir du 19 juillet 2014, ce praticien décide de faire absorber par un cahier encore vierge tout ce qui est exclu du cadre, tout ce qui ne concourt pas à la santé de [ses] patients: il y projettera ses propres manques.

 

Il a cinquante-six ans et s'interroge sur cette aspiration narcissique. Peut-être est-ce parce que, depuis que ses filles ont quitté le nid, l'aînée pour être colocataire, la cadette pour se mettre en couple, le sien bat de l'aile.

 

N'est-ce pas plutôt parce qu'il vient de connaître des déboires éditoriaux? Quoi qu'il en soit, l'élan scriptural qui l'entraîne vers ce cahier le délivre de tout ce qui lui pèse et devient l'ennemi numéro un de son couple. 

 

Ce cahier lui prend beaucoup de temps et sa femme Monique se sent abandonnée, tandis que les appels manqués de Sagama, cette fille déséquilibrée, compulsive, psychotique, s'affichent en nombre sur son téléphone.

 

Bien que cela relève du cadre professionnel, il ne peut s'empêcher de consigner dans ce cahier des conversations qu'il a, ou a eues, avec Sagama, laquelle, pas si folle que ça, fait montre d'un sacré sens de la répartie.

 

Un jour, Sagama disparaît. Ce n'est pas sa première fugue, mais, cette fois, il est inquiet. En même temps, il affronte une crise conjugale, qu'il pense pouvoir résoudre en partant en croisière en Méditerranée avec Monique.

 

Au cours de cette croisière, il continue à noircir son cahier et lui confie tout ce qui peut expliquer, dans le passé de sa patiente et dans ses rapports de thérapeute avec elle, qu'elle ait fuguée pour une aussi longue période.

 

Aussi le lecteur n'est-il pas surpris outre mesure par l'épilogue de cette folle histoire, même s'il apporte moins de réponses qu'il ne pose de questions, comme celles énoncées par le diariste à la fin de ce livre très habile:

 

Comment savoir quel rôle joue la lucidité dans la folie? Comment savoir vraiment jusqu'où nous sommes libres d'agir comme nous le faisons parfois? Nous sommes si souvent prisonniers de notre histoire.

 

Francis Richard

 

Sagama, Marie Beer, 200 pages, Encre Fraîche

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6 juin 2021 7 06 /06 /juin /2021 22:20
Contre-la-montre, de Mélanie Richoz

Alors que je ne porte pas de montre, ma vie est un éternel contre-la-montre où je me bats pour aller toujours plus vite.

 

Celui qui parle ainsi est Jean-Marc Berset, 60 ans, dont Mélanie Richoz a écrit la biographie, à la première personne, ce qui est délicat, mais, après lecture du manuscrit, l'intéressé l'a rassurée:

 

Tu as tout compris.

 

La vie de Jean-Marc Berset a basculé le 21 avril 1983, le jour où il a eu un grave accident de voiture. Il avait vingt-trois ans et devait se marier trois mois plus tard. Il en est sorti paraplégique:

 

La paraplégie est une paralysie des membres inférieurs due à une atteinte de la moelle épinière.

 

Fabienne, avec qui il devait se marier, est restée et ils se sont mariés en 1987. Mais, entre-temps, Jean-Marc a dû se battre et, depuis, continue à se battre. Trois choses l'ont aidé et l'aident à le faire:

- la révolte,

- la persévérance,

- la nécessité d'agir pour vivre.

 

Sportif avant l'accident, il l'est resté et a mené de front, dès 1985, son travail à la boulangerie-pâtisserie familiale et ses entraînements d'athlétisme afin de participer à des compétitions:

 

Si tu veux t'améliorer, tu dois te comparer. Te comparer aux meilleurs! C'est valable pour l'école, le travail, le sport. La vie!

 

La comparaison n'est pas tout, il faut durer et, pour cela, il faut être humble, puisque accepter de perdre fait partie de gagner. Le palmarès de Jean-Marc est éloquent jusqu'en 1997.

 

Cette année-là, il arrête la compétition pour reprendre l'entreprise familiale, ce à quoi il s'est préparé depuis ses quinze ans, par sens du devoir, sans avoir le choix ni se poser de questions.

 

Abandonner l'athlétisme lui a permis de privilégier sa famille, c'est-à-dire sa femme et ses deux fils, Fabien et Vincent (il avait déjà manqué les premières années de l'aîné, né en 1992).

 

En 2008, il reprend le sport, disposant de plus de temps. Cette fois il fait du handbike, une discipline dérivée du cyclisme où, très vite, il excelle, bien qu'il doive le pratiquer allongé sur le dos...

 

Alors qu'il est près de renoncer au sport à la suite d'escarres et d'injustices de la part de la Fédération (il ne participe pas à plusieurs compétitions) une opportunité se présente, change la donne.

 

Au retour d'une hospitalisation, Fabienne et lui signent un contrat de reprise de leur commerce, Fabienne restant employée du repreneur. Mais, très vite, celle-ci perd le goût du travail.

 

La dépression de Fabienne le met à rude épreuve, la plus difficile de sa vie, et le culpabilise: Cette épreuve, qui nous a valu plusieurs mois de tourment, nous a néanmoins offert un nouveau départ.

 

Du coup, il s'est remis à la compétition, non sans la consulter et obtenir son aval, non sans qu'elle l'accompagne dans tous ses déplacements, où ils joignent ensemble l'utile à l'agréable. 

 

Il ne rêve pas mais se donne des buts à atteindre, il réserve un  temps strict à l'entraînement mais il a d'autres priorités, celles d'être réceptif aux autres, connecté au monde et à la réalité:

 

Pour moi, une journée sans sourire est une journée de perdue.

 

La vie lui a appris toutes ces leçons et il les offre au lecteur, auquel il confie que la rigueur est toute sa vie, comme de rebondir, à quoi il tend depuis son accident et qu'il fera demain, quoi qu'il arrive.

 

Francis Richard

 

Contre-la-montre - Biographie de Jean-Marc Berset, Mélanie Richoz, 104 pages, Slatkine

 

Livres précédents:

 

Mue (2013)

Le bain et la douche froide (2014)

J'ai tué papa (2015)

Un garçon qui court (2016)

Le bus (2018)

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30 mai 2021 7 30 /05 /mai /2021 20:00
Canoës, de Maylis de Kerangal

Les nouvelles de ce recueil ont un point commun: elles mettent en scène des femmes, qui occupent tout l'espace et qui sont aux prises avec la voix humaine, dans des circonstances qui parfois la modulent ou la leur rendent méconnaissable.

 

Il y a huit nouvelles en tout. Mais l'une d'elles se distingue des autres par la dimension et l'importance. Mustang est en effet la pièce maîtresse - près de la moitié du livre -, autour de laquelle les autres font la ronde et la mettent en valeur.

 

Dans Bivouac, la narratrice est en patience chez sa dentiste. Laquelle lui fait part, photo à l'appui, de la découverte, en 2008, dans le quinzième arrondissement de Paris, d'une mandibule humaine du mésolithique et lui explique son utilité:

 

C'est le seul os mobile de la face, et parler, manger, bien voir ou même se tenir debout, en équilibre, tout cela la concerne: notre organisme est suspendu à cette balançoire.

 

Dans Ruisseau et limaille de fer, l'amie de la narratrice ne parle plus pareil, plus grave, pour que sa voix soit radiophonique, alors que, ruisseau de montagne, elle était limpide, que le silence entre chaque son était d'une densité de platine.

 

Dans nevermore, la narratrice lit, dans un studio, Le corbeau d'Edgar Poe, traduit par Baudelaire. Sa voix a été retenue mais elle doit refaire l'enregistrement plusieurs fois avant que le sonogramme ne révèle la solution du problème.

 

Dans un oiseau léger, au grand dam de sa fille, aimante et réfléchie, le narrateur n'arrive pas à effacer du répondeur le message radieux que sa femme morte il y a plus de cinq ans, a enregistré la veille de partir en vacances: sa voix lui survivait.

 

Dans after, après avoir passé le bac et l'avoir obtenu pour la plupart, la narratrice (dont le jeune frère a eu du mal à articuler une déclaration) et ses camarades font la fête et, pour exprimer leur joie, se mettent à pousser des cris de primates.

 

Dans Ontario, lors de la cérémonie d'ouverture d'un festival à Toronto, la narratrice ne reconnaît pas la voix de celle qu'elle a connue à Arles lors de la clôture d'un festival d'été. Pourquoi? Cette fois, c'est différent, c'est ici le Jour des morts.

 

Dans Ariane espace, la narratrice s'intéresse aux Ovni et rencontre une vieille femme témoin de l'atterrissage de l'un d'entre eux. Elle est surprise du changement de son interlocutrice une fois la cigarette au bec, et qui sait ce qu'elle a vu.

 

Dans Mustang, la narratrice et son fils Kid sont depuis deux mois à Golden, aux États-Unis où l'on ne se déplace qu'en automobile. Ils y ont rejoint Sam venu pour étudier à la vénérable Colorado School of Mines et dont la voix a changé:

 

Sam parle sensiblement plus fort et plus lentement qu'en France.

 

Elle se fait une raison. Il faut qu'elle change: Ici tout le monde change. Alors elle apprend à conduire, puis fait des virées quotidiennes avec la Ford Mustang, que Sam a achetée, qui a son âge, qu'ils revendront quand ils repartiront pour la France.

 

Les Canoës sont un des liants de ces nouvelles. Ce sont un pendentif, une métaphore, un souvenir ou une trace, hormis dans Ontario où la narratrice de Maylis de Kerangal lui réserve une place plus concrète, en l'associant à une photo sépia:

 

L'Indien est seul sur l'eau calme, il pêche, redressé, et le sillage du canoë trace son microsillon sur l'eau étincelante...

 

Francis Richard

 

Canoës, Maylis de Kerangal, 176 pages, Verticales

 

Livres précédents:

 

Un monde à portée de main (2018)

A ce stade de la nuit (2015)

Réparer les vivants (2014)

Naissance d'un pont (2010)

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26 mai 2021 3 26 /05 /mai /2021 20:15
Ainsi soit-il !, de Michel Cretton

Le garçon entre dans l'alcôve du pénitent alors que le religieux pénètre dans la loge du confesseur.

 

La scène se passe à l'intérieur de la cathédrale d'une petite ville située au coeur des Alpes suisses. Un jeune homme dans les vingt ans s'apprête à se confesser à un prêtre vêtu en clergyman qui doit bien avoir la quarantaine.

 

Bien que le jeune homme ne soit guère pratiquant et que la religion ne soit pas son truc, il a été baptisé catholique et il éprouve la nécessité de se soulager des actes qu'il a commis, et qu'il regrette, auprès d'un homme de Dieu.

 

En les lui révélant il lui dit qu'il risque sa vie. Mais le prêtre le rassure: ses propos ne sortiront pas du confessionnal... Le secret de la confession n'est pas une chose avec laquelle on plaisante chez les catholiques. Il doit le savoir.

 

À douze ans, les études ne l'intéressaient guère, mais, curieux et joueur, il commençait déjà à s'introduire dans différents systèmes informatiques: ses parents lui avaient fait passer des tests et il avait un QI plus haut que la moyenne.

 

Après que son père, haut fonctionnaire, a découvert qu'il s'est introduit dans les sites de l'État, il se contente de pirater des programmes et de jouer en ligne, passe sa maturité scientifique a minima, sans fournir d'effort.

 

Entré à l'École Polytechnique de Lausanne, il ne bosse plus, utilise ses talents de hacker pour se faire un peu de fric, vole sur plusieurs centaines de comptes bancaires des petites sommes pour que cela ne se remarque pas.

 

Il aime jouer en ligne. Un jour, il pénètre sur le site d'une société qui fabrique de tels jeux, la VirtWorld US Games Corp. Le lendemain il a la visite de deux gros bras qui le violentent avant de lui demander de travailler pour eux.

 

Le travail en question est bien rémunéré et consiste à tester des jeux, à servir de cobaye (les activités de son cerveau seront analysées), à vivre coupé du monde pendant trois ans dans un labo. Mis sous forte pression, il accepte.

 

Son coach s'appelle John Doe1. Il lui précise qu'il testera principalement des jeux de guerre avec du matériel très sophistiqué et que, s'il atteint les buts fixés, il gagnera des points convertis en dollars en fonction de leur difficulté.

 

En dehors du jeu, il aura de quoi s'occuper entre manger, faire du sport, lire, regarder des films... et baiser (une fille différente chaque mois, qu'il pourra choisir sur catalogue... en fonction du physique ou des centres d'intérêt).

 

S'il est venu se confesser, c'est qu'à un moment donné les choses ont mal tourné pour lui et qu'il en a lourd sur le coeur. La société ne doit pas être celle qu'elle prétend être et doit poursuivre d'autres buts que ceux qu'elle affiche.

 

Ce monde virtuel, et très rémunérateur, est trop beau pour être vrai et le lecteur se demande quel sera finalement le grain de sable faisant basculer dans la réalité le gamer conditionné et performant au point de vouloir se confesser.

 

Les confessions de ce roman d'anticipation - il se situe dans environ deux décennies - sont en tout cas très bien rendues par l'auteur: le prêtre s'exprime comme un prêtre et le pénitent comme un jeune homme au parler volontiers cash.

 

Bien sûr le lecteur pourra être dubitatif quand lui seront dévoilés les enjeux colossaux qui justifient sa forte rémunération, mais il ne pourra, une fois admis, que trouver logique l'épilogue qui clôt ce récit qui se lit comme un thriller. 

 

Francis Richard

 

1 - John Doe, en anglais, désigne une personne lambda...

 

Ainsi soit-il !, Michel Cretton, 240 pages, Éditions Station Five Avenue (2017)

 

Livre suivant:

 

Le pantin assassiné (2021)

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18 mai 2021 2 18 /05 /mai /2021 18:25
Ma vie avec Apollinaire, de François Sureau

Dis-moi qui te hante. Apollinaire m'aura hanté toute ma vie, mais plus encore dans ces jours où j'écris.

 

François Sureau écrit pendant le premier confinement: Paris est vide. Le sien était parcouru au contraire des grands courants humains de la victoire.

 

La différence aussi, c'est l'épidémie. Celle du virus couronné n'est pas comparable à cette grippe espagnole qui a fait plus de morts que la Grande Guerre.

 

C'est cette redoutable épidémie qui a emporté Apollinaire à Paris le 9 novembre 1918, deux jours avant que ne soit signé l'armistice avec les Allemands.

 

Si l'auteur a choisi de profiter de ce temps où il ne pouvait rien faire d'autre, c'est parce qu'il a voulu se rendre plus proche de lui qu'il ne l'a jamais été:

 

Enfermé, je ne pouvais plus voyager que dans son souvenir et je m'en suis trouvé heureux.

 

Car Ma vie avec Apollinaire n'est pas une biographie comme les autres. Ce sont des éléments de biographie de l'auteur et du poète qui s'y trouvent mêlés.

 

Ce témoignage d'amitié n'est pas l'oeuvre d'un spécialiste de la vie d'Apollinaire. Il remonte les moments de sa vie comme les mourants revoient la leur:

 

C'est ainsi que je vais vous raconter celle de Guillaume Apollinaire, des hasards de la maladie aux hasards de l'origine: une fin comme un commencement pris dans le mystère.

 

Ce livre amical - sans doute cela explique-t-il cela - est, plus que bien d'autres, lucide sur Apollinaire. Il faut dire sinon qu'il y a de quoi se perdre à le suivre:

 

Il voulait la vie dans les marges et cherchait les plus classiques des consécrations. Il aimait le monde ancien et attendait impatiemment le monde nouveau.

 

Apollinaire est fantaisiste mais il est inquiet. Il peut être sévère mais il est incapable de haïr. Il reste enfant mais se laisse aller au dérèglement de tous les sens.

 

François Sureau ne cite aucun des poèmes de son ami: Si je devais commencer, j'arrêterais aussitôt d'écrire. Ils sont tout ce que nous avons cherché dans l'amour:

 

Il attendait de grandes choses du monde nouveau, il les a attendues jusque dans la guerre. Lorsque ce monde se faisait trop dur, il espérait le transformer par l'art et l'oublier dans l'amour.

 

Aujourd'hui, de faire disparaître le monde le gouvernement a réussi le tour de force, d'autant plus spectaculaire qu'il est prosaïque et n'a pas rencontré de révolte.

 

Mais François Sureau, d'une curiosité inlassable et d'une érudition joyeuse, surprenante et libre, comme son ami d'autrefois et de toujours, n'est pas près de se résigner:

 

Je resterai fidèle à l'école de Guillaume Apollinaire. J'ai aimé, et je continuerai d'aimer, ce monde qui a disparu. Je l'aimerai avec ses inventions, ses formes nouvelles, ses horreurs et le bien qui travaille malgré tout au secret de la pâte. Il est là ce royaume présent au milieu de nous et dont il avait par bien des manières désiré s'approcher.

 

Francis Richard

 

Ma vie avec Apollinaire, François Sureau, 160 pages, Gallimard

 

Livres précédents chez le même éditeur:

 

L'or du temps (2020):

- Livre I, Des origines à Draveil

- Livre II, Mystiques parisiennes

- Livre III, Mes cercles dérangés

 

Sans la liberté (2019)

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Présentation

  • : Le blog de Francis Richard
  • : Ce blog se veut catholique, national et libéral. Catholique, il ne s'attaque pas aux autres religions, mais défend la mienne. National, il défend les singularités bienfaisantes de mon pays d'origine, la France, et celles de mon pays d'adoption, la Suisse, et celles des autres pays. Libéral, il souligne qu'il n'est pas possible d'être un homme (ou une femme) digne de ce nom en dehors de l'exercice de libertés.
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  • Francis Richard
  • De formation scientifique (EPFL), économique et financière (Paris IX Dauphine), j'ai travaillé dans l'industrie, le conseil aux entreprises et les ressources humaines, et m'intéresse aux arts et lettres.
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